jeudi 30 juillet 2009

Le téléphone du futur


- Madame Isabelle T., vous société de télécommunications est devenue en quelques années un des grands du marché de la communication. Pourtant, vous ne possédez ni réseau, ni technologie spécifique, ni installation fixe. Comment expliquez-vous alors vos 18 millions de clients mensuels et votre croissance de 19,56 % par an ?
- Tout est parti du constat qu’il y avait une absence de réponse à trois besoins fondamentaux : téléphoner partout sans danger avec convivialité et dans un souci de favoriser le travail pour le plus grand nombre. .
- Commençons d’abord par le fait de téléphoner sans danger. Etes-vous de ceux qui militent contre les antennes relais ?
- Il y a quelques années, j’ai été parmi les premières militantes à protester contre les antennes relais. Il est un fait que notre corps absorbe tout ou partie des radiations émises par ces antennes. J’ai pensé à un moment qu’il fallait aller au-delà de la lutte contre les antennes et proposer une solution alternative : la cabine alternative. Il s’agit de points où les gens peuvent téléphoner à partir d’un poste fixe pour un coût très modique.
- Vous avez en somme réinventée les cabines téléphoniques.
- Justement non. Les cabines, plus personne n’en veut. Elles sont inconfortables, souvent sales parce que certains s’en servent comme lieux de stockage ou de poubelle et surtout, surtout vous y êtes seul.
- Pourtant, lorsque les gens téléphonent, il me semble qu’ils recherchent justement un peu d’intimité.
- Oui, parfois, pour ceux qui savent qui appeler et quoi leur dire. En réalité, le plus grand nombre ne sait pas toujours comment appeler, atteindre leur interlocuteur et gérer les milles et un détails de l’entretien téléphonique.
- Pouvez-vous développer ces trois points ?
- Savoir comment appeler : vous devez appeler la Belgique. Vous êtes dans une cabine. Trouvez-vous facilement l’indicatif de la ville de Charleroi ? Non ! Atteindre leur interlocuteur : nombre de personnes sont perdues avec les aiguillages automatiques des serveurs téléphoniques. Un exemple d’un grand service public : « tapez le 1 si vous ne voulez pas ceci, tapez 2 si vous ne voulez pas le 1 ou tapez 3 pour revenir au point de départ ». vous avez compris ? moi non et mes clients non plus ! En fin gérer les détails : avez-vous remarqué que les papiers et les crayons disparaissent toujours de vos poches ou de votre table quand vous téléphonez ? C’est cela la force de notre réseau : la convivialité. Un opérateur présent physiquement vous aide à trouver l’information, à vous aiguiller dans les dédales des serveurs vocaux et vous fournit papier et crayon. En bref, quand tous les opérateurs passés créaient des bulles d’isolement, nous pour notre part, nous réinventons la convivialité.
- Vous nous avez parlé de votre présence de proximité…
- Nous avons des téléphones pratiquement tous les 30 mètres dans les grandes artères et notre objectif est d’arriver à 20 mètres en 2011.
- Vous avez aussi évoqué la bienveillance. Qu’entendez-vous par favoriser le travail du plus grand nombre ?
- Dans un pays avec es millions de chômeurs, je ne pouvais rester les bras croisés. Mes stands téléphoniques m’ont permis de faire travailler noblement des centaines de milliers de gens.
- Qu’entendez-vous par travailler « noblement » ?
- Mes employés aident autrui à téléphoner, échangent avec eux et se voient remercier par leurs clients. Cela change du travail à la chaîne et des cadences infernales.
- Madame Isabelle T., un dernier mot. Avez-vous vous-même un téléphone portable ?
- En tant que mère de famille (j’ai trois enfants), j’ai besoin d’être rassurée qu’ils peuvent me joindre à tout moment.
- N’est-ce pas un peu contradictoire avec la philosophie de votre entreprise ?
- Je n’écoute pas directement mon téléphone, ni n’utilise des écouteurs.
- Alors comment faites-vous ?
- J’ai des petits baffles portatifs que je garde soigneusement à distance et moi et parle un peu plus fort de loin.
- Merci madame Isabelle T. pour votre témoignage. Ici, Matignon où notre invitée vient d’être décorée de la croix de la santé publique.

vendredi 24 juillet 2009

Le pays où les rêves sont permis


Je reviens d’un pays où vous pouvez exaucer des rêves fous. C’est l’histoire d’un homme qui a toujours rêvé de faire des bateaux. Pas de petits bateaux, pas des barques ou des canoës, non des 28 pieds capables de faire de longues traversées avec un moteur puissant et tout ce qu’il faut pour que vous y trouviez du plaisir.

Vous me direz que cela est à la portée de tout le monde. Bien sûr, faire un bateau est à la portée de chacun (moyennant un bon paquet de billets d’euros et…du temps). Toutefois lorsque l’aventurier est un amoureux de la montagne, l’histoire se corse (façon de parler, cela ne se passe pas en Corse.). Donc, il souhaitait faire cela à 1.500 mètres d’altitude. « Et alors », me diriez-vous, « les Suisses construisent des bateaux qui vont sur leurs grands lacs ». J’attire toutefois votre attention que leurs lacs ne sont pas à 1.500 mètres d’altitude et que les bateaux de mon aventurier sont construits à 1.500 mètres d’altitude pour aller…sur la mer.

« C’est simple, il suffit de les emmener au bord de la mer ave un camion et le tour est joué.» Un détail qui peut vous intéresser : la mer est à 12 heures de route ! D’accord, je reconnais, c’est une question de transport, mais un long transport. Non pas pour les douze heures de route, mais simplement parce que ces bateaux ne sont pas destinés à cette mer locale, mais à d’autres mers situées à des milliers de kilomètres de là.

Imaginez des ouvriers qui n’ont peut-être jamais vu la mer construire des bateaux pour des plaisanciers qui vivent dans des lieux qu’ils ne connaîtront peut-être jamais et naviguent sur des eaux dont ils n’ont idées. « C’est tout le phénomène de l’export » pourriez-vous continuer. « Après tout, les ouvriers dans les usines fabriquent des produits pour des gens qu’ils ne verront jamais. Et alors ? » Alors, la différence est importante : des hommes construisent avec amour et passion (Note : la construction d’un tel bateau prend trois semaines : c’est du travail artisanal) des objets qui peuvent leur sembler étranges et inutiles. Chez eux, il n’y a que des barques à rame pour deux personnes.

Le plus étonnant est que ces bateaux se vendent bien et que ce chantier naval se développe.
A quand le transfert du chantier naval de St Nazaire à Tignes et la reconversion des vachers en fabricant de jonques ?

lundi 13 juillet 2009

Qui choisit de faire ?


Désiré aimait tout faire lui-même. Ce n’était pas une question de refus de partager, simplement un souci de bien faire les choses. C’est vrai que Désiré faisait bien les choses. Il avait beaucoup de savoir, de savoir-faire et surtout un goût de la perfection pour répondre aux besoins d’autrui. En bref, il ne se faisait pas plaisir, il ne faisait pas de la surqualité mais répondait pour le mieux au besoin des autres.

Seulement voilà, Désiré avait beaucoup trop de demandes et pas assez de temps pour bien y répondre. Tout le monde lui disait : « délègue certaines tâches, ne fais pas tout tout seul. » Seulement, Désiré avait du mal à le faire. Oh, il avait bien essayé. Il avait donné certaines tâches à d’autres, en précisant la procédure, le résultat attendu, le délai imparti et en invitant son interlocuteur à venir le voir si besoin. Cela ne marchait pas : certains ne suivaient pas la procédure, d’autres oubliaient le délai ou ne venaient pas le voir et le résultat n’était pas au rendez-vous. Désiré, avec un grand soupir (d’épuisement ou de soulagement ?) reprenait l’ensemble des tâches jusqu’à la prochaine surcharge de travail.

Puis, un jour, il se retrouva à confier une sous-tâche à Tiana. Désiré était convaincu d’avance que cela ne servirait à rien, mais puisqu’il n’avait pas le choix à court terme, il s’y résigna et lui expliqua ce qu’il attendait d’elle. Seulement celle-ci ne réagit pas comme ses prédécesseurs. Au lieu de simplement dire qu’elle avait compris ou non à chaque interrogation de son tuteur, elle demandait à chaque fois : « si je ne fais pas cette étape comme prévue, que se passera-t-il ? » Désiré était un peu déstabilisé. Il n’avait jamais pensé de cette manière. Il n’en voyait pas l’intérêt. Toutefois, il essaya de répondre à ses questions. Parfois c’était facile : une loi ou une contrainte extérieure obligeait à respecter ce qu’il avait demandé = la conséquence pouvait être une amende ou un rejet de la demande par exemple. D’autres fois, les contraintes étaient plus en termes de service et de rapport aux autres. C’était comme dans un restaurant où l’addition arriverait avant le dessert. Faire les choses dans un certain ordre était logique pour l’utilisateur final (même si le fait de payer n’était pas une gêne pour manger son dessert). Seulement, Désiré dut reconnaître qu’il existait des situations où les demandes de Tiana étaient pleines de bon sens. Le délai qu’il acceptait parfois était exagéré ou bien il y avait des manières plus simples de faire telle ou telle action.

Désiré mit deux fois plus de temps à expliquer à Tiana ce qu’elle devait faire. Il y gagna au final parce qu’elle fit la tâche plus rapidement qu’il ne l’aurait fait. Cela l’interpella : « comment a-t-elle pu faire mieux que les autres et même que moi ? » Il s’en ouvrit à cette dernière. Celle-ci lui dit simplement : « j’ai fait ce que j’avais envie de faire ». Désiré s’en étonna : « tu as fait ce que je t’ai demandé. Tu es donc la première personne à vouloir faire comme moi ! ».

« Non », lui répondit-elle, « tu m’as dit de faire ce que tu voulais que je fasse. Je n’ai pas compris grand-chose sur le moment de ce que tu m’as expliqué. Si je ne t’avais pas posé mes questions, je l’aurai fait mécaniquement et il y aurait eu de grandes choses que je mésinterprète une de tes exigences ou que je ne m’adapte pas à une situation inattendue. Par contre, grâce à tes réponses, j’ai pu faire le libre choix de ce que je voulais faire. Ce n’est pas toi qui m’as ordonné de faire comme ceci ou comme cela, mais moi qui ait choisi parce que j’estimais que c’était la meilleure solution ».

Désiré, qui était bon joueur, reconnut que lui aussi avait appris quelque chose : « si tu avais voulu m’imposer une autre méthode, je n’aurais pas compris. Par contre, tes questions m’ont fait progresser. Je sais maintenant pourquoi je n’ai pas réussi à déléguer des tâches auparavant : je veux que les autres soient mon reflet. Ils ont leur propre reflet».

dimanche 5 juillet 2009

La porte


Petit Emile se tient devant la porte. Pourquoi ne l’ouvrent-ils pas ? se demande-t-il. Pourquoi ont-ils enfermé des gens et des voitures derrière ? Parce qu’il y a des voitures derrière, il les entend. Et des gens aussi. Il les entend parler. Et même un facteur, il voit le courrier tomber dans la boite à lettres. Alors pourquoi ?

Il va en parler à son grand-père. « Rien » lui répond-t-il « ou alors je ne m’en rappelle plus. Tu sais, dans la vie, tu en verras des portes. J’ai vu la porte de la ferme, puis celle de la caserne, après celle de l’usine et d’autres portes encore. Ce sont toujours des portes. »

Petit Emile n’est pas convaincu. Ici, moi, je suis libre, se dit-il en regardant derrière lui le potager, le jardin, la rivière… Pourquoi cacher tout cela à ceux qui sont derrière ? Bien sûr, Petit Emile sort souvent de sa cour. Il voit la porte de la voiture, la porte de l’école, la porte de l’épicerie : ce sont des portes qui s’ouvrent, mais pas celle-là ! Pourquoi ?

Il va en parler à son père. Celui-ci s’arrête dans sa tâche, s’essuie le front, s’assoit et réfléchit longuement avant de parler : «J’ai vu la porte de la maison, de l’église, de la maison de ta mère, des bureaux. Les portes s’ouvrent sur de nouvelles voies. Celle-là s’ouvrira quand ce sera le moment. »

Petit Emile ne sait justement quand ce sera le moment. Il interpelle sa mère à ce sujet. Celle-ci hausse les épaules : « Un jour, cette porte s’ouvrira. Patiente ! »

Petit Emile court dans le jardin, dans les champs, le long de la rivière, mais il n’est pas heureux. Cette porte l’obsède. En fait, il a tout pour être heureux, mais il sait qu’il ne le sera vraiment que quand il saura ce qu’il y a derrière cette porte.

Petit Emile attendra longtemps (pour son âge) que cette porte s’ouvre. Ce sera pour aller à l’école. Là aussi, très vite, il trouvera une porte mystérieuse et il se demandera ce qu’il y a derrière cette porte.

Petit Emile passera ainsi sa vie à attendre qu’une porte s’ouvre. A chaque fois qu’elle s’ouvrira, elle le conduira vers une nouvelle porte et l’attente recommencera. Comment peut-on se centrer sur une porte et ne pas saisir la réalité autour de soi ?