vendredi 31 mars 2017

Conte mathématique de la Réunion : comment rendre ses enfants heureux ?

Il était une fois une vieille artisane qui s’appelait Jacqueline. Elle habitait dans une petite case créole bien entretenue. Un jour, Jacqueline mit sa capeline pour se protéger du soleil parce qu’il faisait très très chaud. Elle alla dans la forêt où il y avait plein de goyaviers, de tamariniers et de fougères. Jacqueline était venue dans la forêt pour chercher quelque chose de très précis : c’était le choca ! Elle chercha, chercha, et trouva enfin les feuilles de choca, mais elle avait besoin de sa râpe pour éplucher le choca, c’est-à-dire pour retirer le vert de la feuille et obtenir le fil. Cet outil était dans sa cabane en bois tout au fond du jardin. Pour trouver sa râpe, elle tâtonna partout dans sa cabane. C’est alors qu’elle sentit une surface lisse. Elle sortit de la cabane et vit que c’était un livre en cuir noir.
Sur la couverture, le titre était écrit à l’encre rouge : Grimoire de Grand-Mère Kalle. Elle l’ouvrit et le feuilleta. Elle trouva la recette d’une potion magique : « Comment rendre ses petits enfants heureux ? » Elle était très contente parce qu’elle aimait beaucoup les siens. Dans les ingrédients, il fallait un demi-litre d’eau par enfant, c’est à dire quatre litres pour ses huit petits-enfants, et du curcuma.
Elle se dirigea vers la cuisine extérieure. Tout était noir à cause de la fumée. Elle chercha un pot de quatre litres, mais il n’y en avait pas. Elle trouva seulement un pot de trois litres et un pot de cinq litres qui étaient par terre. Elle aurait pu aller au marché, mais c’était trop loin. Elle se dit : « Il va falloir faire avec ce que j’ai pour trouver quatre litres ». Elle alla ensuite puiser de l’eau au puits.
 Jacqueline mit les mains sur les hanches et regarda les deux pots. Quand elle était petite, elle allait à l’école et elle adorait les mathématiques. Elle se dit : « Je vais faire une opération, avec des 3 et des 5 : 3 + 3 + 3 – 5 = 4 ». Alors, elle commença à prendre le pot de trois litres et versa l’eau dans le pot de cinq litres. Au bout de la deuxième fois, ça se mit à déborder, ce qui commença à la contrarier. Elle regarda par la fenêtre et vit entrer un cardinal. Le petit oiseau but un peu d’eau dans le pot de cinq litres. Jacqueline aurait préféré que le cardinal boive un litre entier ! Elle décida de faire des expériences.
Elle remplit le pot de cinq litres. Elle le vida dans le pot de trois litres jusqu’à ce qu’il soit plein. Il restait donc deux litres dans le pot de cinq. Elle jeta l’eau du pot de trois litres et y versa les deux litres. Elle remplit à nouveau le pot de cinq litres.
Tout à coup, quelqu’un frappa à la porte.
« Bonjour Madame Jacqueline.
– Bonjour Monsieur le facteur. Vous venez m’apporter le courrier, merci. Voulez-vous un peu d’eau ?
– Oui, bien sûr, pour mon âne. »
Le facteur vit les deux pots. Il prit celui de cinq litres pour remplir celui de trois litres, car c’était moins lourd. Jacqueline, qui avait vu le facteur faire l’opération, comprit que comme il y avait deux litres d’eau dans le pot de trois litres et que, quand le facteur avait versé l’eau du pot de cinq litres dans l’autre, il avait versé un litre d’eau pour le remplir, par conséquent, il restait quatre litres d’eau dans le pot de cinq litres. « Lé bel !!! », s’écria Jacqueline, toute contente d’avoir trouvé une solution à son problème.
 Jacqueline versa les quatre litres d’eau dans la marmite qui bouillait sur le feu. Elle mit les fils de choca. Elle prit un pilon et du curcuma qu’elle écrasa avec un calou. Ensuite, elle l’ajouta à la préparation pour teinter la corde de choca. Elle fit des tresses et les cousit pour fabriquer des savates.
Le soir suivant, ses petits-enfants arrivèrent. Ils enfilèrent les savates magiques qui leur donnèrent envie de bouger et de danser. Ils devinrent heureux, gentils, mignons, souriants. Ils riaient, couraient, jouaient.


jeudi 23 mars 2017

La soupe


Il était une fois une femme assise seule à la table d’un restaurant. Après avoir lu la carte, elle commanda une appétissante soupe qui avait attiré son attention. Le serveur, très aimable, la servit, puis reprit son travail. Quand il repassa près d’elle, la femme lui fit un signe, et il vint rapidement à elle.
– Que puis-je pour vous, madame ?
– J’aimerais que vous goûtiez la soupe.
Le serveur, surpris, lui demanda aimablement si la soupe était mauvaise, ou si elle ne lui plaisait pas.
– Ce n’est pas ça, j’aimerais que vous goûtiez la soupe.
Après quelques secondes de réflexion, le serveur se dit que la soupe était peut-être froide. Il le fit donc savoir à la dame, à moitié en lui posant la question, et à moitié en s’excusant.
– Peut-être la soupe est-elle froide ? Ne vous inquiétez pas, je vais remédier à ce problème tout de suite…
– La soupe n’est pas froide. Pourriez-vous la goûter, s’il vous plait ?
Le serveur, déconcerté, laissa donc de côté son amabilité pour se consacrer à résoudre le problème. Il n’était pas d’usage de goûter les plats des clients, mais la dame insistait tellement qu’il ne voyait plus d’autres options que de céder à sa demande. Quel était le problème avec cette soupe ? Il usa de sa dernière cartouche :
– Madame, dîtes-moi ce qu’il se passe. Si la soupe n’est ni mauvaise, ni froide, dîtes-moi ce qu’il se passe. S’il le faut, je vous la change.
– S’il vous plait, pardonnez-moi mais je me dois d’insister : si vous voulez savoir ce qu’il se passe avec cette soupe, alors goûtez-la.
Finalement, face à une demande si catégorique de la dame, le serveur finit par accepter. Il se rapprocha donc de la dame, et, s’apprêtant à prendre une cuillère pour goûter, il se rendit compte…qu’il n’y avait pas de cuillère sur la table. Avant même qu’il n’ait le temps de réagir, la dame fit tomber le verdict :
– Vous voyez ? Il n’y a pas de cuillère. Voilà le problème qu’il y a avec la soupe : je ne peux pas la manger.


Source : conte de Jorge Bucay

vendredi 17 mars 2017

Conte japonais : la femme des neiges

Je vous propose un conte, une histoire qui remonte à l’ère Muromachi, aux XIVe et XVe SIÈCLES. C’est l’une des histoires d’hiver les plus répandues. Appelée « Yuki-Onna » au Japon, elle est à l’origine de nombreuses légendes locales.


Il était une fois deux bûcherons vivant dans le pays de Musashi, à l’est du Japon. Le premier se nomme Mosaku et le deuxième Minokichi. Mosaku est un vieux bûcheron qui connait très bien les dangers de la montagne ainsi que les grands froids de l’hiver.

Un jour loin de leur village les deux hommes sont surpris par une tempête de neige, le vent est si violent qu’ils décident de se réfugier dans une vieille cabane en bois.

Minokichi se réveille au milieu de la nuit, il découvre une femme vêtue de blanc. Une femme merveilleusement belle, un teint plus blanc que neige aux cheveux longs. Minokichi la reconnait : C’est Yuki-Onna. La femme des neiges connut comme redoutable. La femme se penche sur le vieux bûcheron et lui souffle son haleine glacée. Quand elle se redresse Mosaku est mort.

Se tournant vers Minokichi, Yuki-Onna est prête à lui souffler dessus, mais… la femme retient son haleine glacée en lui souriant. La femme des neiges décide de ne pas le tuer, le trouvant si jeune et si beau, mais en échange de sa vie, elle lui fait promettre de se taire. Le jeune bûcheron lui promet et la femme disparaît en le menaçant de le tuer s’il osait un jour raconter ce qu’il venait de voir.

Quelques mois plus tard le jeune homme tombe amoureux d’une jeune femme au nom de Oyuki, il l’épouse. Minokichi à presque oublier le souvenir de la terrible nuit, suivant les conseils de Mosaku, il devient au fil des années un excellent bûcheron, un bon mari et un bon père. Son épouse est une douce épouse et une merveilleuse mère mais, elle ne vieillit pas. Leur amour et leurs dix enfants les rendent heureux.

Minokichi observe un soir son épouse et la trouve si belle, qu’il commence à la comparer à une femme qui a rencontré quand il avait 18 ans, continuant son récit il ne s’aperçoit pas que le visage de Yuki-Onna change. Quand il lui parle de la femme des neiges son épouse lui révèle que c’est elle la femme des neiges. La femme lui rappelle que s’il osait un jour parler d’elle à quelqu’un, il perdrait la vie.

Mais la femme aime tellement son époux qu’elle décide de ne pas le tuer, avant de transformer son corps en une brume légère Yuki-Onna fait promettre à l’homme de bien s’occuper de leurs enfants. 

On ne revit jamais l’épouse.




jeudi 9 mars 2017

La rivière


Une rivière serpentait dans la nature. Elle était joyeuse, enjouée, se régalait de tous ces paysages qu’elle traversait.  Et quelle joie de rencontrer autant de gens au fil de sa course ! Elle ne s’arrêtait pas vraiment, profitait simplement de la vie et de tous ses cadeaux, oubliant sa fatigue pour aller de l’avant et mener sa vie de rivière, à la fois curieuse et toujours pressée.   

Et puis un jour, au fil de son parcours, cette rivière se retrouve dans un champ plus difficile à traverser, sablonneux et rocailleux.

Elle ne laisse pas de place à la panique et décide d’aller de l’avant, de forcer son passage.

Mais plus elle avançait, et plus elle s’épuisait jusqu’à se demander ce qui allait bien pouvoir arriver si elle ne pouvait pas dépasser ce champ pour rejoindre un terrain qui lui serait plus profitable.

Elle commençait à douter, se confronta à ses limites et connut la crainte : si elle s’arrêtait, pour la première fois de sa vie, elle risquait de perdre ce qui faisait d’elle une rivière : le fil de l’eau, le mouvement, un lieu où la vie peut s’épanouir…

Allait-elle se transformer en une vulgaire mare, comme elle en connaissait d’autres, quelque chose qui pour elle était crasseux et inerte ?     

La peur l’envahit, elle jeta ses dernières forces dans la bataille, affolée, sentant qu’elle pouvait ici tout perdre.    

Et puis, on ne sait ce qui se passa, mais elle entendit comme une petite voix.

Une voix qui semblait avoir toujours été là mais qu’elle n’avait pas pris le temps d’écouter, de ressentir ou d’entendre.    
   
D’où pouvait-elle bien provenir ? De quelqu’un ? Du ciel ? De sa conscience ou d’ailleurs ?  Elle ne le savait pas, mais tendit l’oreille vers cette voix qui lui disait tout bas : « Rivière, tu n’as pas toujours été rivière, mais avant gouttes de pluie…venues des nuages…Peut-être peux-tu demander au vent de t’aider à nouveau ? »

L’avait-elle oubliée ? La rivière ne savait que faire, pouvait-elle prendre le risque de stopper ses efforts et de s’en remettre au vent ? Ne risquait-elle pas de ne plus jamais être la rivière qu’elle avait toujours aimé être ?

 Épuisée, elle s’y résolut enfin, bien qu’assaillie par la peur.

Le vent s’exécuta et la rivière se transforma en fines gouttes.

Quel voyage ! Et le vent la déposa plus loin, sur une terre qu’elle ne connaissait pas, où cependant elle put reprendre sa route, neuve et remplie de joie de n’être plus tout à fait exactement la même et en même temps tout en se retrouvant totalement…