vendredi 28 décembre 2018

La nouvelle année en Chine

Il y a bien longtemps, quand des dragons puissants vivaient sur la terre et dans les mers, personne à Taiwan ne célébrait le nouvel an lunaire. Même dans un certain village, ce jour était le plus mauvais jour de l'année parce qu’un habitant avait tué un dragon des mers. Le fantôme du dragon revenait hanter le village chaque année à l'aube du nouvel an.

Lorsqu’il apparaissait, il secouait son horrible tête et hurlait : « J'ai faim. Donnez-moi un fils premier-né à manger! ». Le plus sage du village se rendant compte que le fantôme de dragon pourrait facilement les faire tous mourir, décida à contre-cœur de donner un enfant nouveau-né afin de sauver le reste du village. Mais année après année, le fantôme de dragon revenait et année après année, une famille devait sacrifier son fils premier-né.

Une année, c’était au tour de la jeune Veuve Teng de sacrifier son seul enfant, un beau garçon qui allait avoir cinq ans.
Comme le voulait la tradition, quatre jours avant le nouvel an lunaire, le prêtre Taoïste s’en allait à travers le village jusqu’à la maison de l’infortunée pour la prévenir. 

Pendant trois jours et trois nuits, celle-ci essayait d’échafauder un plan. Fatiguée d’y penser sans succès, elle s’endormit. Une masse de rêves lui venaient dans un ordre décousu. Quelques heures avant l'aube, elle s’éveilla et doucement secoua sa tête encore douloureuse d’avoir tant rêvé. Et alors, le miracle se produisit. Les images décousues s’assemblèrent et elle sut ce qu’il fallait faire.
Les dragons de son rêve avaient peur de deux choses : peur de la vue de sang et peur des bruits violents. Quand quelqu'un a peur, il s’enfuit en général en courant. Mon plan sera simple : Je mettrai le sang sur ma porte et je ferai tant de bruit que le fantôme du dragon sera effrayé et partira en courant… »

"Du sang ... je suis si pauvre que je n'ai pas même un poulet à tuer pour prendre son sang." Elle prit son couteau et se coupa au doigt, laissant gouttes à gouttes couler son sang sur un tissu jusqu'à ce que toutes les gouttes jointes ensemble recouvrent entièrement l’étoffe. Elle prit le tissu et l’accrocha à l'extérieur, sur sa porte.

Maintenant faire des bruits violents… Elle réfléchit et pensa aux bambous. Elle savait que lorsque des morceaux de bambou brûlent, ils se fendent dans un bruit épouvantable. Elle s’en alla dans le froid afin de couper une douzaine de grands morceaux de bambou. Elle les plaça en pyramide devant sa porte juste au-dessous du tissu taché de sang. Ainsi disposés, ils brûleraient rapidement et éclateraient tous à la fois.
Quand devrais-je allumer le feu ? Juste à temps. Elle alluma une petite torche et s'accroupit dans l’embrasure de la porte attendant l'aube et la venue du fantôme de dragon.

Elle a attendu et attendu. 
On entendit un hurlement. Le fantôme de dragon devait être en bas au centre du village. La Veuve Teng prit sa lanterne, l’inclina vers la pyramide de bambou et l’enflamma.

Arrivé devant chez elle, le fantôme de dragon s'est arrêté devant la maison et voyant le linge taché de sang, s’est mis à hurler si fort que tous ses os ont tremblé. Au même moment, le feu de bambou a éclaté. Le fantôme du dragon terrifié par la vue de sang humain et les bambous qui éclataient s’est enfui en courant à travers le village.

Et la Veuve Teng ? Elle s’est assise et de grosses larmes se sont mises à couler.
Les gens du village sont accourus. Les cloches se sont mises à sonner et de tous les côtés, les  gongs célébraient ce grand jour tandis que les pétards faisaient éclater la joie !

Et depuis ce jour, chaque année, dans chacun des villages, on met le sang des papiers rouges autour de leurs portes et on allume des pétards bruyants à l'aube et depuis lors, le fantôme de dragon n'est jamais revenu.

samedi 22 décembre 2018

Le Père Noël dépassé par l’IA ?


Avec l’Intelligence Artificielle qui prend de plus en plus dans notre vie, nous ne nous étonnons plus de rien. Alors, la magie du Père Noël va-t-elle disparaître ? 

Nous avons demandé à la mère Noël de l’interroger à ce sujet.

Q : Père Noël, que pensez-vous de l’Intelligence Artificielle ? 

(Grand éclat de rire) L’Intelligence Artificielle est une intelligence qui se veut l’égale de l’humain pour traiter plus de choses plus vite. En bref, vous les humains, vous voulez qu’on fasse le travail à votre place. Après, vous défilerez pour exiger du travail. Amusant, non ? 

Q : L’Intelligence Artificielle, c’est peut-être aussi des gains de temps et d’argent pour plein d’activités et d’actions ennuyeuses ? 

Oui, bien sûr, vous pouvez regarder cela comme ça. Vous pouvez aussi considérer que vous devrez travailler plus vite et plus intensément pour suivre le rythme des robots qui, eux ne s’arrêtent jamais. Votre repos sera alors bien mérité, mais ceux qui travailleront auront-ils la force de l’apprécier ? Et ceux qui ne travaillent plus, aimeront-ils le repos permanent ? 

Q : Et vous, Père Noël, allez-vous utiliser l’intelligence artificielle ? 

(Grand éclat de rire). C’est exactement l’inverse. Pour assurer la livraison des cadeaux au bon moment et le plus discrètement possible, j’ai beaucoup travaillé avec me lutins sur le maillon faible du transport, à savoir le dernier kilomètre. 

Q : ???

Aujourd’hui, vous pouvez tout commander à distance et vous faire livrer. Malheureusement, tout n’arrive pas à temps. De même, ces derniers temps en France (et ailleurs), il est difficile d’aller soi-même faire ses achats pour plein de raisons. Alors, moi je fais jouer mon réseau et je fais que coûte que coûte les enfants aient leurs cadeaux. Et cela fonctionne !

Q : quel est votre secret ? 

Je vais vous le dire. Je fais appel à l’humain, aux émotions et à la force du collectif. Les adultes qu’ils soient parents, oncles, tantes, amis... se mobilisent et dépensent des trésors d’énergie pour s’assurer que les petits souliers soient remplis le 25. 

Pendant ce temps, vos robots tournent, tournent, sortent des bons de livraison et envoient des mots d’excuses pour les retards.  

Le jour où vous aurez compris que l’intelligence collective prime sur tout et qu’il est possible de la mobiliser, ce jour-là, mon rôle sera peut-être remis en question.  Mais pour le moment, amusez -vous avec intelligence artificielle.  Vous ferez sûrement plus de choses avec moins de gens, mais serez-vous plus heureux ? Rien ne remplace un échange, un sourire, un travail partagé. C’est ce que je vous souhaite en 2019 : plus de partage, plus d’échanges, plus d’enrichissement humain.  

vendredi 14 décembre 2018

L’eau qui rendait fou


Autrefois, il y a très longtemps, un sage inspiré lança à l'humanité un avertissement terrible. A une certaine date toute l'eau de la terre allait disparaître et serait remplacée par une eau nouvelle qui rendrait tous les hommes fous car ceux qui en boiraient auraient l’illusion d’être intelligents alors qu’ils vivraient en réalité dans une sorte de rêve.   

 C'était sans retour ...à moins de préparer avec le plus grand soin des réserves ... à moins de ménager les ressources et de se montrer bienveillant avec notre mère la Terre … mais les hommes étant ce qu'ils sont … un seul homme suivit cet avis et rassembla une grande quantité d'eau qu'il mit quelque part en réserve dans un endroit connu de lui seul ... 

Lorsque le jour annoncé arriva, les cours d'eau cessèrent de couler, les puits se tarirent. L'homme prévoyant entreprit de vivre dans sa retraite, buvant son eau sauvegardée tout en regrettant que personne ne se soit joint à lui. Il y avait assez d'eau pour abreuver 100 personnes pendant 100 ans au moins, mais et personne ne l'avait suivi. Tous les autres attendaient la pluie qui ne tarderait pas à venir sans se soucier de ce qui avait été annoncé.

Effectivement, après une terrible sécheresse, l’eau nouvelle tomba du ciel, , les ruisseaux et les puits se remplirent. Le lendemain, tous les habitants de la ville, excepté l'homme prévoyant, burent de l'eau du puits... et devinrent tous fous.

Un jour, notre ermite buveur d'eau pure quitta son abri et revint parmi ses semblables. Il les trouva totalement changés : ils tenaient des discours étranges, accomplissaient des gestes totalement différents qui lui paraissait dénués de sens. L'homme qui avait gardé toute sa raison essaya de leur parler, de leur expliquer les dangers mais ils le prirent pour un fou. 

Certains lui témoignèrent de la compassion, d'autres se moquèrent, et beaucoup lui montrèrent de l'hostilité. Pour tous il était devenu incompréhensible, un doux dingue, un fou et même un fou dangereux car subversif. Finalement, l’un d’eux le prit à partie : « Nous ne voulons pas d'un dément qui nous dicte quoi penser et nous allons malheureusement devoir t’enfermer ! »

Il se prit à douter de son choix, à craindre la solitude car comment pourrait-il espérer avoir une famille, une descendance. S'il voulait garder toute sa lucidité il lui faudrait choisir l'isolement et oublier le monde grossier des sens occupé par ces fourmis humaines agitées …

Il aurait pu choisir d'oublier l'opinion de ses congénères, mais peut-on avoir raison seul contre tous ?

Un soir, lassé de cette résistance désespérée, il céda au découragement et perdit la raison : il fit remplir un gobelet de l'eau du puits et en but une grande gorgée. Il oublia jusqu'à l’endroit où il gardait sa provision d'eau. Le peuple de la ville se réjouit et organisa de grandes fêtes. Il était maintenant revenu à la raison et se comportait comme tout le monde. 
Tout allait pour le mieux...

jeudi 6 décembre 2018

Lettres à une poupée


Tous les après-midi, Kafka avait l’habitude de se promener dans un parc. Un jour, il tombe sur une petite fille en larmes, pleurant à chaudes larmes. Kafka lui demande ce qui ne va pas, et elle lui dit qu'elle a perdu sa poupée. 

Il commence immédiatement à inventer une histoire pour expliquer ce qui s'est passé. Votre poupée est partie en voyage, dit-il. "Comment le sais-tu ?" demande la fille. Parce qu'elle m'a écrit une lettre, dit Kafka. La fille semble douter. Vous l'avez sur vous ? demande-t-elle. Non, je suis désolé, dit-il, je l'ai laissé à la maison par erreur, mais je l'apporterai avec moi demain. Il est si convaincant qu'elle ne sait plus quoi penser."

Kafka rentre directement à la maison pour écrire la lettre. Il s'assoit à son bureau et il écrit avec le même sérieux et la même tension que lorsqu’il compose ses propres œuvres. S'il parvient à trouver un beau mensonge convaincant, il remplacera la perte de la jeune fille par une réalité différente, fausse, bien sûr, mais vrai et crédible selon les lois de la fiction. "Le lendemain, Kafka se précipite au parc avec la lettre. La petite fille l'attend, et comme elle n'a pas encore appris à lire, il lui lit la lettre à haute voix. La poupée est vraiment désolée, mais elle en a assez de vivre avec les mêmes personnes tout le temps. Elle a besoin de sortir et de voir le monde, de se faire de nouveaux amis. Ce n'est pas qu'elle n'aime pas la petite fille, mais elle aspire à un changement de décor, et donc ils doivent se séparer pendant un moment. La poupée promet alors d'écrire à la fille tous les jours et de la tenir au courant de ses activités. "
Il s'engage à écrire une nouvelle lettre tous les jours, sans autre raison que de consoler la petite fille, qui lui est totalement étrangère, un enfant qu'il a rencontré par hasard un après-midi dans un parc. Il a continué pendant trois semaines. Imaginez, l'un des écrivains les plus brillants qui ait jamais vécu sacrifiant son temps à composer des lettres imaginaires à partir d'une poupée perdue. 

Tous les jours pendant trois semaines, il est allé au parc et a lu une autre lettre à la fille. La poupée grandit, va à l'école, apprend à connaître d'autres personnes. Elle continue d'assurer la jeune fille de son amour, mais elle fait allusion à certaines complications dans sa vie qui l'empêchent de rentrer chez elle. 

Petit à petit, Kafka prépare la fille pour le moment où la poupée disparaîtra de sa vie pour toujours. Il a du mal à trouver une fin satisfaisante, craignant que s'il ne réussit pas, le sort magique soit brisé. Après avoir testé plusieurs possibilités, il décide finalement de marier la poupée. Il décrit le jeune homme dont elle tombe amoureuse, la fête de fiançailles, le mariage à la campagne, et même la maison où la poupée et son mari vivent maintenant. Et puis, dans la dernière ligne, la poupée lui fait ses adieux. 

À ce moment-là, bien sûr, la poupée ne manque plus à la fille. Kafka lui a donné quelque chose d'autre à la place, et à la fin de ces trois semaines, les lettres l'ont guérie de son malheur. Elle a l'histoire, et quand une personne a la chance de vivre dans une histoire, de vivre dans un monde imaginaire, les douleurs de ce monde disparaissent. Tant que l'histoire continue, la réalité n'existe plus."

Source : Paul Auster, Brooklyn Folies, Actes Sud 2007