mercredi 27 août 2008

Qui promène qui ?


- Voilà un maître qui promène ses chiens. Regardez madame Deschiens. Quel amour !
- Pas du tout, madame Chatton, ce sont les chiens qui promènent le maître.
- Que me racontez-vous là ? C'est le maître qui décide de l'itinéraire, qui fixe le temps de la promenade et jugule les ardeurs de ses animaux. Donc c'est lui qui les promène.
- Oui, mais croyez-vous que ce maître a réellement envie de sortir trois fois par jour, été comme hiver dès potron-minet ? Ce sont ses animaux qui l'ont dressé !
- Ben, en voilà une nouvelle ! Ce sont maintenant les animaux domestiques qui nous dressent ! Non, le dresseur, c'est le maître. Il fait, je le reconnais une concession pour la sortie. Après tout, il peut décider de les sortir le soir à 18 heures ou à 22 heures. Mais, c'est naturel. Il faut bien qu'elles fassent leurs besoins ces petites bêtes ! Ce n'est pas parce qu'elles en ont besoin qu'elles nous dressent.
- Tenez, je vais faire une comparaison avec nos maris. Le langage commun l'appelle le chef de la famille. Pourtant, je peux vous dire qu'il file doux. Parce que même si en public, je le laisse clamer haut et fort qu'il est chef, je m'arrange avant pour lui faire savoir ce que je veux. Il en tient compte. Après, il peut dire que c'est lui qui décide, cela m'est égal, du moment qu'il fait ce que je veux qu'il fasse.
- Oui, mais pour revenir à ces chiens, je ne vois pas le rapport. Eux, ils ne disent pas ce qu'ils veulent en amont. Ce n'est pas parce qu'ils ont des contraintes de sortie qu'ils dirigent.
- C'est quoi le pouvoir ? Est-ce de crier fort ou de faire ce que l'on veut ? Les animaux sont plus malins que nous. Ils lui disent : "nous voulons sortir". S'il ne prend pas un chemin sympathique (pour eux), ils lui font sentir en tirant sur la laisse, en courant à s'étrangler, à renâcler à rentrer. Bref, tout maître qu'il soit, il comprend et la fois suivante il prend un nouveau chemin.
- Attendez, si je vous entends bien, nous les femmes sommes comme les chats ou les chiens. Nous laissons croire à notre époux qu'il est chef, mais en fait, nous le menons par le bout du nez ?
- Souvent, oui ! Mais il ne faut pas le dire ! Ils s'en rendraient compte et réagiraient violemment !
- Mais alors si vous en êtes convaincues, pourquoi êtes-vous si féministe ?
- Justement, pour masquer cette vérité ! Plus vous criez que dans la vie quotidienne la femme n'est pas l'égal de l'homme, plus vous vous identifiez comme victime. Les hommes se sentent coupables et honteux et discrètement nous renforçons notre pouvoir. C'est cela le pouvoir. Comme le disait un syndicaliste : ce qui est à nous est à nous, ce qui est à eux (sous-entendu les hommes) est négociable !
- Ben dites donc, si mon Auguste entendait cela ! oui, mais nous continuons à avoir plus de travail qu'eux. Une fois que notre journée de travail est terminée, c'est encore nous qui faisons la cuisine, s'occupons des gamins, du ménage, de la lessive… Alors le pouvoir, c'est de tout faire ?
- Comme vous le prenez ! allez donc suivre un stage sur l'assertivité au féminin. On vous y apprendra à négocier avec votre compagnon pour partager les choses. Vous verrez dans une génération, tout aura changé. Bon, en attendant, je vous quitte, je dois passer récupérer mes gamins et faire la tambouille.
- Ah ? je pensais que vous deviez rentrer pour promener vos chiens pendant que Moooosieur mettait la table ?

vendredi 22 août 2008

Mon chéri,


Ici tout va bien. Nous sommes arrivés par bateau au Havre. Une fois la grève des dockers terminée, nous avons été transportés par camion panoramique dans la jolie station balnéaire qui a souhaité faire un échange avec la nôtre. Le petit va bien (tu le vois sur la photo, il est déjà tout bronzé).

Les édiles étaient là pour nous accueillir avec la fanfare municipale, les pompiers et la gendarmerie. Pour nous souhaiter la bienvenue, ils avaient fait appel à un camion élévateur pour être à notre hauteur (comme si nous ne pouvions pencher la tête !). Il y avait aussi des tas de personnes appelées des zauzaulogistes (c'est ce que j'ai compris). Ils voulaient nous examiner sous toutes les coutures, faire des prélèvements, … Heureusement, notre accompagnateur a sorti notre carnet de vaccinations et ils ont été calmés (pour le moment). Les autres humains étaient gardés respectueusement à distance pour qu'ils ne nous embêtent pas.

Ils nous ont trouvés un logement, un peu petit, mais confortable. Nous sommes sur une pelouse au bord de la mer, à l'angle de deux routes. Nous voyons les piétons et les voitures passer autour de nous. C'est un peu bruyant, mais il y a de la vie. J'ai vite appris au petit à traverser la rue (de toutes façons, il y a toujours les gendarmes à proximité : dès que nous bougeons un orteil, ils arrêtent tout le monde).

La vie est tranquille : des balades en bord de mer, quelques bains (je dis bien quelques, parce leur marais n'arrête de partir et de revenir.) J'ai voulu inscrire le petit au club de la plage, mais tout est étriqué. Il ne peut pas poser le pied sur leur gogobogan (?)

Tu me manques, tu aurais bien aimé la vie ici. Maintenant, les indigènes nous aiment bien et viennent nous porter à manger : des feuilles, mais aussi du pain, des pommes… D'autres espèces d'hommes viennent nous voir comme des bêtes curieuses, mais les indigènes et les gendarmes nous protègent de leurs bêtises.

Le petit s'est vite fait des amis : il joue avec des chiens. Il accepte que les enfants le touchent. Par contre, je lui interdis de les laisser monter sur son dos. Comme il est un peu brusque, un petit geste de sa part et ses "passagers" valdingueraient à 30 mètres de là. Le matin tôt et le soir, il y a un grand espace vide au pied des falaises où nous pouvons faire du sport : courir, nager…

Pour ma part, je lis le journal local tous les matins (ils ont installé un panneau lumineux face à notre gite), puis papote avec les indigènes. Ensuite, je fais le tri dans ce que les gens nous apportent, puis la voirie vient nous faire une toilette au jet d'eau (ils en profitent pour nettoyer le carré d'herbes où nous sommes installés). L'après-midi, c'est farniente. Cachée discrètement derrière mes lunettes de soleil, je profite du soleil (je mets de la crème anti-bronzante : ils me la livrent par camion citerne) et lis quelques livres d'aventure. Mes préférés : "Jurassic Park" et "Harry Potter".

En notre honneur, ils ont tiré hier soir un feu d'artifice. Le petit a été un peu effrayé au départ, mais après il voulait courir pour rattraper les feux de Bengale. Il en parle sans arrêt ce matin.
Et toi, comment vas-tu ? Il va falloir dès que je rentre que nous préparions l'accueil des petits indigènes qui vont venir dans notre réserve l'année prochaine.

En attendant, nous t'embrassons et avons hâte de te revoir. Ecris nous !

vendredi 1 août 2008

A quoi servent les usines ?


Nos enfants (et encore plus nos petits enfants) sauront-ils ce qu'était une usine ? Il y avait autrefois plein d'usines. Les gens vivaient autour d'elles. Les logements ouvriers permettaient aux ouvriers d'habiter au plus près pour être plus corvéable. 10 heures de travail par jour et cinq minutes pour rentrer chez soi.

Puis les usines se sont disloquées, fragmentées en petites unités, aseptisées pour répondre aux normes d'hygiène de fabrications des produits (pas des ouvriers !) ou parties au loin. En tout cas, nous n'avons plus beaucoup d'usines près de chez nous. Les politiques ont estimé que 10 heures de travail, c'était indécent et que vivre près de l'usine était aussi inadmissible. Maintenant, les ouvriers travaillent sept heures par jour et passent trois heures dans les transports en aller et retour. Vive le progrès ! Comme il paye son transport, je ne suis pas sûr qu'il y gagne au bout du compte.

A quoi servent les usines ? Elles servaient à entreposer des machines sur lesquelles des cohortes d'ouvriers et de techniciens ouvraient pour produire des objets. Il y a toujours ces usines, mais le plus souvent, dans ma région, sans ouvriers. Alors, pour beaucoup d'enfants, une usine, c'est un espace vide, une aire de jeux ou d'expositions, un prétexte à rénovation immobilière et une zone marquée "danger !".

Il y a les usines tristes qui servent de dépotoir. Il y en a qui sont érigés en symbole : "ici travaillaient 3.000 ouvriers !" Il y a les usines dont l'architecture, l'emplacement et le hasard ont permis (pour un temps ?) leur survie (au niveau immobilier). Reconverties parfois en galerie d'expositions, elles servent à la fois de décor, de vitrine, de miroir inversé et de reflet à des animations culturelles où les badauds peuvent emmener leurs enfants sans danger. Parfois même, une des machines a été pieusement conservée et repeinte de couleurs rutilantes.

Alors les enfants peuvent retourner à l'école en disant : "j'ai vu une usine, j'ai vu des machines !" Peuvent-ils pour autant imaginer le bruit, les odeurs, le rythme de ceux qui y ont vécu parfois toute une vie professionnelle ?

L'usine pour beaucoup est devenue un symbole, un mythe, un lieu que les plus de 50 ans décrivent déjà comme leurs grands parents parlaient de la guerre de 14-18 : "j'y étais !"