dimanche 30 août 2009

Vive le réchauffement de la planète !


Je suis un arbre d’une espèce nouvelle. Je ne perds pas de feuilles ou d’épines, mais je n’en gagne pas non plus. Je n’ai guère besoin d’eau mais j’en fournis. Je m’intègre discrètement dans le paysage et de loin je suis quasi invisible. Je pousse immédiatement à ma taille adulte et je n’en bouge plus. Qu’est-ce qu’un jardinier pourrait demander de plus ?

Je suis un mutant de l’écologie. Grâce au réchauffement de la planète, je suis de plus en plus courtisé. Avant, vous me trouviez à des altitudes d’environ 1.000 mètres, puis progressivement, mes tuteurs m’ont planté à 1.500, 1.800, 2.000 et aujourd’hui vous me trouvez couramment à 2.200 / 2.500 mètres. Vive le réchauffement de la planète. A chaque fois que je vous vois arriver dans mes montagnes en voiture ou en train, je suis content parce que je vais gagner quelques mètres d’une année sur l’autre.

Remarquez, je fais des envieux. Les sapins qui n’arrivent pas à dépasser les 2.000 mètres sont jaloux. J’ai beau leur dire de se renseigner, ils ne veulent pas m’entendre. Pourtant en 25 ans, les oliviers ont remonté (pour la culture) de plus de 300 kilomètres en France. Encore 50 ans et la Normandie sera le pays de l’olivier ! C’est une belle image n’est-ce pas ? Alors les sapins, remuez-vous !

En fait, je crois que les sapins me jalousent pour mon utilité. Quand vous faites du ski, un sapin (ou plutôt une forêt de sapins), cela évoque le froid, l’ombre, les plaques de verglas et le risque de se cogner contre (et cela fait mal). Mais moi, je suis discret, toujours isolé et je fournis de la neige fraîche en abondance. Quand à se cogner contre moi, il faut y mettre beaucoup de mauvaise volonté (surtout que je suis entouré de protections par mes tuteurs).

Laissons les sapins à leur vie. Pensons à vous. Rappelez-vous les phrases de l’Ecclésiaste (dans la bible) : « profitez de la vie ». Donc utilisez voiture, moto, camion, construisez des centrales thermiques à charbon, produisez et polluez et je gagnerai mètre par mètre sur les flancs de vos montagnes.

Rendez-vous bientôt sur les pistes de ski à 3.500 mètres pour profiter de la rare neige qui reste (et en plus monter à cette altitude vous fera encore plus polluer !).

C’est cela le progrès. Vive l’écologie !

jeudi 20 août 2009

L’enfance d’un leader (3)


Jery, au bout de quelques temps, revient voir son père : « j’ai déterminé la direction vers où je veux emmener mon équipe. Je les ai emmenés en haut du bâtiment et je la leur ai montrée. Ils s’en moquent et préfèrent faire leur travail au quotidien. Le futur et surtout la direction où les emmener ne les concerne pas ils ont sûrement raison. A quoi sert d’être un grand chef maintenant ? Cela viendra en son temps. Pourquoi se presser ? On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux. »

Son père l’écoute attentivement, l’invite à s’asseoir et lui raconte l’histoire suivante : « Il était un roi qui régnait sur une belle contrée. Il gouvernait sagement et cherchait le bonheur de ses sujets. Il faisait bâtir pour son usage et celui de ses sujets divers bâtiments par son architecte principal, un homme de grande expérience et respecté.

Celui-ci vint le voir pour lui qu'il souhaitait arrêter sa charge d'architecte royal. Il sentait que sa santé déclinait et il n'avait plus la force et le courage de courir d'un bout à l'autre du royaume pour gérer les chantiers. Il lui précisa qu'il avait formé de nombreux jeunes architectes qui sauraient prendre la relève et répondre aux désirs de sa Majesté.

Le roi s'en désola, lui dit qu'il le regretterait et lui demanda un dernier service : construire une dernière résidence pour lui. L'architecte refusa, lui proposant des remplaçants pour cette tâche, puis devant l'insistance du roi, finit par accepter.

L'architecte y mit au début tout son cœur, mais petit à petit, s'en désintéressa, le cœur n'y étant plu. Les entrepreneurs et les ouvriers en profitèrent pour tricher sur la qualité des matériaux et bâcler les finitions. L'architecte, peu présent, n'y vit que du feu.

Les travaux terminés, le roi vint inaugurer le nouveau petit palais. Il parcourut rapidement le bâtiment, s'extasia devant la qualité apparente et prit à part son architecte pour lui dire : "Ce palais est …pour toi ! C'est mon cadeau pour te témoigner ma reconnaissance".

L'architecte remercia le roi et dut vivre dans son palais. Très vite, les imperfections lui sautèrent aux yeux et il s'en désola. Quand il rencontrait le roi ou un de ses principaux ministres, il ne pouvait rien en dire. Il était maintenant condamné à vivre dans le bâtiment qu'il avait lui-même laissé construire.

Tu vois, mon fils, il en est de même de notre travail et de notre avenir. Nous les construisons progressivement au fil du temps, profitant parfois d'opportunités qui nous détournent de notre chemin, prenant des raccourcis, reportant au lendemain des décisions de fond… Un beau jour, nous réalisons que nous avons à vivre avec ce que nous avons bâti et que nous ne pouvons aller en arrière. Bien sûr, nous pouvons modifier son cours, mais au prix de quels efforts…

Alors, si tu reste un petit chef, tu as peu de chances d’être reconnu comme un grand chef plus tard. Chaque jour, lorsque tu dois décider et agir, imagine que ce que tu fais t’engage : une pierre pourrie dans une construction suffit pour amoindrir celle-ci. »

vendredi 14 août 2009

L'enfance d'un leader (2)


Quelques jours plus tard, Jery revient voir son père : « J’ai suivi tes conseils. Je ne prends plus l’ascenseur. Je prends l’escalier avec mes collaborateurs. Seulement, quand nous arrivons au sommet du bâtiment, je ne sais pas de quel côté regarder. Tu m’as dit qu’il fallait voir loin pour être un leader, mais ce la ne me dit voir quoi. »

Son père lui demande ce qu’il voit du sommet de son bâtiment. Jery lui explique qu’il peut regarder aussi bien du côté de la ville, avec ses immeubles et ses maisons, que du côté du quartier sur la colline avec son côté village, ou encore vers les champs de manioc et les rizières. « Est-ce que je dois regarder partout à la fois ? Tirer au sort un des endroits ? Laisser mes collaborateurs choisir ce qui leur plaît ? » lui demande-t-il.

Son père réfléchit quelques instants et lui répond : « Je vais te raconter une histoire. Toky est un jeune garçon qui s’est perdu sur les plateaux. Il cherche son chemin. Il grimpe sur une petite colline et voit au nord une ville, à l’ouest des rizières, au sud un village et à l’est des champs de manioc. Il ne sait pas de quel côté diriger ses pas. Il interroge un lézard qui se chauffe au soleil sur sa direction. Le lézard lui demande ce qu’il cherche. Toky réalise qu’il ne sait pas très bien. Il est parti à la recherche de nourriture pour sa famille. Il ne sait trop s’il doit d’abord retrouver son village, puis repartir chercher de quoi manger ou l’inverse. Le lézard lui dit que toutes les directions sont bonnes puisqu’elles lui permettent de rejoindre des habitations ou de trouver de la nourriture : « si tu cherches le savoir pour réfléchir et décider, va plutôt vers la ville où sont rassemblés les gens savants. Si tu cherches la compagnie et l’entraide humaine, va vers le village. Si tu veux trouver des provisions rapidement, va vers les champs de manioc. Celui-ci pousse facilement quelque soit le sol ou la pluie. Si tu veux des aliments plus riches mais qui demande plus de temps, de soin et d’eau va vers les rizières. »

Le visage de Jery s’illumine : « je dois donc savoir ce dont les personnes de mon équipe ont besoin pour réussir et les tourner dans la bonne direction. Oui, mais savoir quoi pour quoi ? Je sais et ils savent ce qu’ils doivent faire aujourd’hui. Donc tout va bien.»

Son père hoche la tête et lui demande : « Et demain ? Quel sera ton travail demain ? Quel sera le leur ? Si je continue mon histoire, Toky peut aller effectivement aujourd’hui dans n’importe quelle direction. Mais à terme, quel serait le meilleur choix ? Si sa famille a faim, à quoi sert de retourner les mains vides au village ? Si ce n’est pas le cas, à quoi sert de trop s’éloigner ?»
« D’accord » répond Jery, « mais qui peut prédire l’avenir ? »

« Toi » lui répond son père. « Si tu ne sais pas l’avenir, cherche-le et si tu ne le trouves pas, écris-le. Les choses changent lentement : regarde autour de toi, écoute, lis, agis = tout cela te dira ce qui sera la situation dans un an. »

« Donc » conclut Jery, « avant de faire monter l’escalier à son équipe, il faut savoir pourquoi et vers où on les emmène. Je vais y réfléchir, écouter et observer autour de moi.»

jeudi 6 août 2009

L’enfance d’un leader (1)


Jery vient de devenir « chef ». Pas un grand chef, mais un « chef » simplement : le responsable au sein de son entreprise de quelques personnes. Une belle promotion qui consacre le travail acharné de Jery. Il en est très fier. Son responsable lui a donné des objectifs et l’a encouragé à venir lui demander conseil si nécessaire. Jery va diriger ses anciens collègues. Il connaît son travail, il connaît ses collègues avec leurs qualités et leurs points d’amélioration. Donc, il a tous les atouts pour réussir.

Seulement Jery est aussi un perfectionniste. Il ne veut pas se contenter d’être un « chef », il veut être un « bon chef », un « grand chef », un « leader » comme disent les médias. « Mais, au fait, c’est quoi un leader ?» se demande-t-il. Les leaders dont parlent les médias sont de grands présidents, des hommes (ou femmes) reconnus pour leurs talents et drainant derrière eux des milliers, voire des millions de personnes. Lui, Jery, il a 5 personnes sous ses ordres.

Il en parle à son responsable. Celui-ci sourit et lui dit : « si tu atteins tes objectifs, tu seras un leader ». Cela ne lui plaît guère. Il consulte ses amis. Leurs avis divergent. Certains disent que c’est leur patron le leader, d’autres qu’il n’y a qu’un leader dans une entreprise (« dommage » se dit Jery, « la place est prise »), … mais tout cela ne le convainc pas.

Il va alors voir son père. Celui-ci l’écoute, réfléchit en silence et l’emmène sur le balcon de leur maison. Il lui dit « regarde cet immeuble de bureaux tout bleu. Que vois-tu ? » Jery, qui connaît ce bâtiment depuis longtemps, ne voit rien de particulier, voire de nouveau. Son père insiste et lui demande de dire ce qu’il voit sur la façade. Jery se concentre et voit un reflet sur la partie basse : « je vois une ombre. On dirait un village fantôme. Mais au dessus, il n’y a rien à voir ».

Son père lui explique : « une entreprise c’est une communauté humaine. C’est comme un grand village avec des chefs de ceci, de cela, comme toi actuellement. Toutefois, les chefs sont souvent débordés par tout ce qu’ils ont à faire. Ils restent en proximité des personnes qu’ils dirigent et vivent avec eux au village. Cela a l’avantage qu’ils sont au contact des gens, mais l’inconvénient qu’ils vivent dans les détails et les soucis de chacun.»

Après un temps de silence, Jery l’interroge « Et les leaders ? ». Son père reprend : « les leaders sont ceux qui s’élèvent au dessus de la mêlée et regardent au loin. Dans cet immeuble, imagine les leaders comme ceux qui sont montés dans les étages supérieurs pour être plus au calme du quotidien et regarder au loin. Ils ne se contentent pas de gérer le quotidien, mais entraîne ceux qui les suivent dans une direction. Toutefois, ne confond pas le niveau d’étage et la capacité à être leader. Certains peuvent monter trop vite et oublier ceux qui sont en bas. Il en résulte que personne ne comprend où ils vont et les ordres sont mal interprétés. D’autres montent trop lentement et n’arrivent pas à se dégager du contrôle quotidien de ceux d’en bas. C’est comme si ils avaient emmenés tout le monde avec eux. »

« J’ai compris » dit Jery, « un grand chef ne prend pas l’ascenseur. Il prend les escaliers pas trop vite pour que ses collaborateurs puissent le suivre et lui les entendre, mais avec une suffisamment grande marge d’avance pour avoir du temps pour regarder au loin. Je vais essayer.»