jeudi 23 octobre 2025

Une parabole d’un collectif sans cap

 


Dans Tango de Satan, László Krasznahorkai (Prix Nobel de littérature 2025) campe une communauté isolée, sans repères ni avenir, où chacun s’épie et s’enfonce dans la boue de l’attente. On pourrait y voir la métaphore d’une organisation sans vision : des équipes en suspens, privées de cap et de reconnaissance, où l’énergie se dissipe lentement.


Quand il n’y a plus de sens collectif, l’entreprise devient un huis clos. Les talents se méfient les uns des autres, les projets tournent à vide, et tout semble figé dans un brouillard de fatigue morale. On attend le « sauveur » ou le changement venu d’en haut… qui ne vient jamais.


Et pourtant, Krasznahorkai révèle une autre forme de beauté : celle du geste accompli malgré tout, de la dignité ordinaire de ceux qui tiennent bon sans promesse de lendemain.


Ce roman nous rappelle que le rôle du management n’est pas de tout contrôler, mais de rallumer la flamme : donner du sens, reconnaître, et remettre du mouvement là où tout semble s’être arrêté.

samedi 18 octobre 2025

Quand l’inspiration remplace la hiérarchie



Vineet Nayar, ancien PDG du groupe HCL, a profondément marqué le monde de l’entreprise lorsqu’il a inversé la logique managériale : « Les employés d’abord, les clients ensuite. » Son approche humaniste remet en question une culture du contrôle encore solidement ancrée dans beaucoup d’entreprises occidentales, notamment françaises.


Pour Nayar, les collaborateurs n’ont pas besoin d’être gérés, mais inspirés. Le rôle du leader n’est pas d’imposer sa vision mais d’incarner le changement en donnant le meilleur de lui-même. C’est en partageant cette exemplarité, en acceptant de prendre des risques et de tirer parti de ses échecs, qu’il crée l’élan collectif. Là où la culture française continue de valoriser la planification et la maîtrise, Nayar met l’accent sur la confiance et la responsabilité partagée.


Il identifie quatre principes pour réinventer le management. D’abord, la performance émerge du mécontentement collectif : les frustrations révèlent les problèmes à résoudre et stimulent l’innovation. Vient ensuite la confiance, ciment durable de toute organisation, qui suppose de considérer chaque membre de l’équipe comme une véritable « famille ». Troisième point : abandonner le « management des projecteurs » pour des structures collaboratives où chacun contribue à la résolution des défis. Enfin, générer une foi commune dans un objectif porteur de sens : créer de la valeur ressentie, partagée, et non simplement déclarée.


Le contraste avec le modèle français est éclairant. En France, la quête de sens passe souvent par la RSE ou la formalisation d’une mission ; chez Nayar, elle vient du vécu, du lien et de la confiance. Là où les organisations françaises cherchent à sécuriser le changement, son approche invite à le vivre pleinement, de l’intérieur.


La leçon est simple mais puissante : les collaborateurs ne se mobilisent pas parce qu’on leur demande, mais parce qu’ils croient à ce qu’ils font. Et le rôle du leader est de faire naître cette foi, non de la décréter. Inspirer avant de diriger : voilà peut-être la plus belle voie de convergence entre innovation indienne et modernité française.


Et vous, dans votre équipe, votre manager cultive-t-il cette inspiration partagée ? Ose-t-on libérer la confiance plutôt que de la gérer ?

vendredi 10 octobre 2025

Bienvenue chez ceux qui se préparent depuis longtemps au monde VUCA et à l'IA

 



Bienvenue dans un continent complexe, qui semble réussir à déjouer les lois établies par le monde occidental. Tel est le propos de ce petit ouvrage dense – à peine une centaine de pages – dans lequel Sujit Sur tente de synthétiser les grands traits de la philosophie stratégique en Inde. La lecture est à la fois passionnante et exigeante, car l’auteur aborde une matière foisonnante sans en simplifier excessivement la complexité.


L’un des apports majeurs du livre réside dans la mise en perspective de l’Inde comme « continent » plus que comme nation. Elle se compose d’innombrables régions aux langues, cultures, coutumes et histoires distinctes, à la manière d’une Union européenne élargie. Cette diversité rend difficile l’identification d’une seule culture stratégique, mais elle a par ailleurs habitué les organisations indiennes à naviguer dans des environnements mouvants et pluriels. Cette expérience historique leur donne une agilité naturelle face à la complexité.


Un autre point fort souligné par Sur concerne le caractère profond de la diversité religieuse et philosophique. L’Inde, loin de toute centralisation doctrinale, mêle des traditions, des époques et des pratiques hétérogènes, y compris au sein de l’hindouisme majoritaire. Ce pluralisme pousse l’Indien à s’interroger en permanence sur ce qu’il convient de faire, mobilisant pour cela des niveaux multiples de réflexion empruntés à des approches variées, parfois contradictoires, qu’il apprend à combiner.

L’ouvrage met également en lumière le rapport original au temps et à la morale dans la stratégie indienne. Le temps est perçu de manière circulaire plutôt que linéaire, et la quête de la « meilleure » solution ne se limite pas à l’efficacité immédiate, mais inclut une exigence éthique et une relation à autrui où l’entraide est valorisée. Cette philosophie se diffuse moins par des traités de penseurs que par des récits fondateurs tels que le Pañchatantra ou la Bhâgavata Gîta, véritables réservoirs narratifs de comportements stratégiques. Pour la petite histoire, Jean de La Fontaine s’est inspiré du Pañchatantra.  


Il en ressort une approche pragmatique, dégagée des dogmes, reposant sur l’expérimentation, les essais et erreurs, et l’innovation continue. Les modes de raisonnement stratégique s’éloignent des schémas occidentaux, tant dans la manière de cadrer un problème que dans la gestion du temps et de l’incertitude. Dans le contexte contemporain décrit par l’acronyme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), cette variété d’outils intellectuels et cette souplesse peuvent apparaître comme des atouts remarquables.


Enfin, Sur suggère que cette façon de penser pourrait dialoguer efficacement avec les méthodes liées à l’intelligence artificielle. L’IA ne donnant pas directement la solution mais une palette de possibles, il revient à l’humain de sélectionner, d’assembler et de trancher. En ce sens, les réflexes hérités de la stratégie indienne – capacité de synthèse, acceptation de la pluralité, recherche d’optimisation – offrent une proximité étonnante avec un futur où la décision reste humaine mais s’alimente à des sources multiples. Une perspective qui séduira ceux qui goûtent la complexité… et qui pourra dérouter ceux qui privilégient les réponses toutes faites.

samedi 4 octobre 2025

Sport et management, même maux ?



L’héritage, ce mot qui résonne autant dans les vestiaires que dans les open space, est le grand mirage français : dans le sport comme dans l’entreprise, on le promet sans savoir vraiment le concrétiser. Alors, la France n’est-elle pas non plus un pays de transmission professionnelle ?

Le livre « La France n’est pas un pays de sport ? » pointe le blocage d’un modèle vertical, centralisé, qui freine la circulation naturelle du savoir entre générations. En entreprise, la même partition se rejoue : le management reste souvent hiérarchique et descendant. Résultat ? Les jeunes peinent à accéder aux expériences des aînés, qui eux-mêmes hésitent à partager leurs secrets de fabrique sans cadre dédié. La transmission existe, mais reléguée à des poches de mentorat ou de formation, rarement généralisées.

Derrière la promesse, où est la réalité ? Comme dans les clubs sportifs, la dynamique collective reste à inventer : dialogues transverses, feedbacks réciproques, organisation de « transferts croisés » où seniors partagent expertise technique et juniors sensibilisent à l’innovation. Quelques entreprises innovent via le mentorat inverse ou les dispositifs de partage informel, mais la majorité reste encore en retrait.

L’enjeu, pour le sport et pour le management, n’est pas de bâtir une pyramide d’héritages mais bien de tisser une culture vivante. Passer d’une promesse d’un héritage vertical à une logique de transmission horizontale et participative : c’est reconnaître les forces de chaque âge, favoriser le dialogue, créer des espaces d’échange sûrs et valorisés au sein de l’équipe.

Comme Dietsch et Guégan l’espèrent pour le sport, les entreprises gagneraient à considérer la transmission non comme un simple argument RH ou un slogan marketing, mais comme une action délibérée, quotidienne et mutualisée. Former ses managers à l’art du dialogue intergénérationnel, décloisonner les équipes, valoriser les regards croisés : voilà quelques pistes pour faire de la France, enfin, un pays de la transmission… au bureau comme sur les terrains.