vendredi 1 août 2025

Prendre du recul en vacances



Les vacances, souvent perçues comme un simple temps de repos ou de divertissement, revêtent en réalité un potentiel bien plus profond. 

« Le fait de parcourir à pied plusieurs centaines de kilomètres seul avec soi-même ou en partageant ses pensées avec d’autres] délivre des tourments de la pensée et du désir, ôte toute vanité de l’esprit et toute souffrance du corps, efface la rigide enveloppe qui entoure les choses et les sépare de notre conscience ; il met le moi en résonnance avec la nature. Comme toute initiation, elle pénètre dans l’esprit par le corps et il est difficile de la faire partager à ceux qui n’ont pas fait cette expérience. En partant pour Saint Jacques, je ne cherchais rien et je l’ai trouvé ».

Jean-Christophe Rufin, dans cet extrait tiré d’« Immortelle randonnée », met en lumière cette dimension essentielle : la vacance est un espace de libre choix, d’ennui fécond, de marche, de méditation, d’écoute et de découverte de soi-même. À l’instar du pèlerinage vers Compostelle, les vacances peuvent devenir un chemin spirituel, loin des routines et des impératifs quotidiens.

Prendre du recul, c’est avant tout accepter de suspendre le tumulte de la vie courante pour aller à la rencontre de soi. En cela, Rufin donne à voir combien l’expérience du lâcher-prise, qu’elle se vive sur les 800 km du Camino ou dans le silence d’un après-midi de lecture, peut nous transformer. À l’écart de la société, le voyageur apprend à se dépouiller des vanités, à sentir avec acuité la résonance de son être avec le monde qui l’entoure, à devenir attentif à l’autre comme à soi. Ce détachement, loin d’être une fuite du réel, est en fait une redécouverte de l’essentiel : un temps pour méditer sur ce qui compte vraiment, pour distinguer nos désirs véritables des injonctions imposées.

Cette prise de recul n’exige pas toujours de longues marches ou de grandes aventures. L’important, nous dit Rufin, ce n’est ni le but ni la manière d’y parvenir, mais le processus même du voyage intérieur. Il s’agit d’un état d’ouverture à l’inattendu, d’acceptation de l’imprévu, de disposition à l’écoute de ses besoins profonds. Loin des distractions et de la frénésie, les vacances offrent ce luxe : redevenir humble face au temps, à la nature, à l’ennui parfois. De cette vacance du quotidien, peut naître une vacance de l’âme, où l’on retrouve, dans le silence et la lenteur, la saveur du présent.

Aussi, que l’on soit parti pour une longue randonnée ou que l’on ait simplement pris le temps de sortir de ses habitudes, l’essentiel est d’avoir profité de ce moment pour se retrouver, détaché des conventions et des attentes. En définitive, la qualité des vacances ne se mesure pas à l’exotisme des destinations, mais à la profondeur de ce retour vers soi, à la capacité de reprendre la route – réelle ou intérieure – avec un regard renouvelé sur le monde et sur soi-même.

 

vendredi 25 juillet 2025

Ecoutez en vacances (et pas seulement) !


 

Vive les vacances ! En vacances, vous avez le libre choix de vous ennuyer, de lire, de marcher, de méditer, d’écouter avant de reprendre en tirant parti de ce que vous en avez retenu.

Aujourd’hui quelques suggestions pour écouter.

Savoir écouter, c’est savoir d’abord prendre conscience de ce qui peut vous empêcher d’être bien à l’écoute. Voici 6 des archétypes les plus courants de mauvaises auditions. Vous croisez peut-être de tels auditeurs. Alors apprenez à les reconnaître pour les éviter (et évitez vous-même de tomber dans de tels pièges.

1. L’opiniateur est à l’écoute des autres. Il sait écouter mais seulement dans le but de déterminer si les idées de son interlocuteur correspondent aux siennes. Si ce n’est pas leur cas, son silence lui sert à se préparer à contester les idées de ce dernier. Cela rend mal à l’aise son interlocuteur qui ne l’écoute alors pas plus. D’ailleurs, parfois le débat est celui de deux opiniateurs : prenez par exemple une controverse sur les idées politiques ou sur le foot (PSG vs OM). Il en résulte beaucoup de salive et peu d’écoute.

2. Le râleur part du principe que votre idée est fausse. Il considère toute conversation comme un mal qu’il faut arrêter au plus vite. D’ailleurs, il vous le fait savoir d’emblée. Si vous tombez dans son piège, il vous pousse à vous justifier et jouera de vos contradictions (à ses yeux). Vous pouvez aussi le pousser à développer ses idées, ce qui le rendra souvent mal à l’aise, parce qu’il n’est pas forcément cohérent. Dans tous les cas, le jeu est de détruire l’autre et de ne pas l’écouter. Si cela ne vous amuse pas, laissez tomber.

3. Le préambulateur va d’emblée, par ses affirmations et ses questions chercher à orienter la conversation dans le sens souhaité. Tout son mode d’entretien vise à créer une communication unidirectionnelle. Il va chercher à vous coincer sous l’angle qui l’arrange.

4. Le perseverateur parle beaucoup tout en restant sur le thème ou l’idée fixe qu’il a choisi. Il n’aime guère faire avancer la conversation et préfère utiliser les idées des autres pour renforcer sa propre logique. Il ramène tout à lui et à son idée. Souvent des universitaires qui ont développé une théorie aime ramener le débat à ce seul angle.

5. Le Yakafaukon est un homme de réponses. Avant que le débat soit terminé, il a déjà proposé des dizaines de solutions définitives.

6. Le caméléon feint l’engagement avec vous et semble se montrer fort intéressés par ce que vous dites, mais ne vous attendez pas trop que ses actes ou décisions soient en accord avec ses propos. Il cherche simplement à vous plaire ou à détourner l’attention sur ce qu’il va vraiment faire.

Ne leur jetez pas trop vite la pierre, parce que nous pouvons tous être l’un d’entre eux (voire tous) dans une même journée. Si l’échange avec un interlocuteur (style rencontre dans un moyen de transport, en vacances…), cela n’a guère d’importance et tient du passe-temps. Par contre, si vous souhaitez développer des relations franches dans le temps, cela peut créer un trouble dans la relation. Dans le doute, faites preuve d’écoute.

lundi 21 juillet 2025

Le savoir n’a de sens que s’il sert le bien commun



Les leçons tirées de Les Tresseurs de corde de Jean Pliya sont particulièrement pertinentes pour l’entreprise, notamment dans la transmission du savoir. Dans ce livre, le tresseur de corde incarne le modèle du détenteur d’un savoir-faire précieux, qui ne doit sa valeur qu’à sa capacité à le transmettre et à l’adapter aux besoins de la communauté. À l’image du tresseur, l’entreprise doit apprendre à reconnaître et valoriser le rôle de ses « anciens » et experts, dont la mémoire et l’expérience constituent le socle des bonnes pratiques et de la culture d’organisation.

Transmettre le savoir en entreprise ne peut se limiter à une simple procédure ou à une documentation technique : c’est un processus vivant, qui exige du temps, de l’écoute et de l’implication. Comme pour tresser une corde solide, il s’agit de composer avec la diversité des compétences et des sensibilités des membres d’une équipe, en veillant à ce que chacun puisse apporter sa fibre pour renforcer la cohésion et la résilience collective. Cette approche collective protège l’entreprise contre la perte d’expertise lorsque des collaborateurs changent de poste ou partent à la retraite ; elle encourage également l’innovation en croisant l’expérience des uns avec les idées nouvelles des autres.

Jean Pliya insiste aussi sur la dimension éthique de la transmission : le savoir n’a de sens que s’il sert le bien commun, à l’image du tresseur qui œuvre pour l’ensemble du village. Ainsi, le partage et le mentorat doivent devenir des valeurs fortes de l’entreprise, favorisant l’esprit d’entraide plus que la compétition individuelle. Enfin, le récit nous rappelle que la transmission doit rester dynamique : il ne s’agit pas de perpétuer des gestes figés, mais d’accompagner leur adaptation aux évolutions du contexte, à l’instar du tresseur qui n’hésite pas à réparer ou améliorer sa corde selon les circonstances.

S’inspirer des Tresseurs de corde, c’est donc bâtir une entreprise où la transmission du savoir est pensée comme un acte fondateur, mêlant respect du passé, ouverture à la diversité et souci constant de l’intérêt collectif.

jeudi 10 juillet 2025

La fraternité, un levier de transmission de savoir ?



La fraternité, loin de se réduire à un simple sentiment, s’impose comme une nécessité anthropologique fondamentale, en particulier dans le contexte de la vie en entreprise. L’humain, par essence, est un être de lien : sa survie et son épanouissement dépendent de sa capacité à tisser des relations, à dépasser l’individualisme accentué par la modernité. Pourtant, la fraternité, bien qu’inscrite dans la devise républicaine, demeure souvent la composante la plus négligée, alors qu’elle constitue le socle d’une société et d’une organisation solidaire.

Plusieurs facteurs compromettent la vitalité de la fraternité en entreprise :

  • La compétition et la rivalité, exacerbées par la mondialisation et les crises (écologique, économique), qui favorisent l’individualisme et la méfiance.
  • Les replis identitaires et communautaires, qui fragmentent le collectif et affaiblissent le sentiment d’appartenance à un « nous » commun.
  • La difficulté à instaurer une fraternité universelle, face à la montée de logiques tribales ou nationalistes, qui entravent la coopération et le partage.

L’expérience montre que la fraternité se révèle souvent dans l’épreuve : face à l’adversité, des « micro-communautés » émergent, même de façon temporaire, permettant de raviver l’espoir et la solidarité. La fraternité ne doit donc pas être conçue comme un état figé, mais comme une dynamique à entretenir et à renouveler sans cesse.

Au-delà du constat sur la fragilité de la fraternité, il s’agit de la cultiver activement :

  • Par l’éducation et la formation, qui favorisent l’ouverture à l’autre et la transmission du savoir.
  • Par la culture d’entreprise et l’engagement citoyen, qui encouragent la coopération et l’entraide.
  • En proposant la fraternité comme un horizon mobilisateur, une utopie qui donne sens à l’action collective, même si elle demeure inachevée.

Pour Edgar Morin, la fraternité n’est pas un vœu pieux, mais une nécessité vitale pour affronter les défis contemporains : climat, conflits, inégalités. Elle requiert une vigilance éthique permanente et la capacité à créer et entretenir des « oasis fraternelles » dans un monde incertain.

La fraternité, telle que pensée par Morin, possède une portée à la fois philosophique et politique : elle incarne une vision d’une humanité reliée, solidaire, capable de régénérer ce lien essentiel, même en temps de crise. Cette perspective invite chacun à devenir acteur de la fraternité au quotidien, notamment dans le monde du travail, où la transmission du savoir passe par la confiance, le partage et la solidarité.

En entreprise, la fraternité devient ainsi un vecteur essentiel de transmission du savoir, de cohésion et d’innovation, condition sine qua non d’une organisation résiliente et humaine.

vendredi 4 juillet 2025

Trop près ou trop loin ? La juste distance





À l’image des trois chaises de Thoreau (1817-1862), dans son livre « Walden », – une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société –, la transmission du savoir requiert d’abord un espace personnel pour assimiler l’information (solitude), puis un espace de dialogue privilégié pour l’échange en petit groupe (amitié), et enfin un espace plus large pour la discussion collective (société). Cette gradation des espaces permet d’adapter la proximité à la nature de l’échange et au niveau d’intimité ou de formalisme requis.


Dans les échanges multiculturels, cette gestion de la distance prend une importance accrue. Trop de proximité ou d’interactions à distance peuvent entraîner des malentendus culturels, des incompréhensions ou une gêne, tandis qu’une distance excessive (formelle ou informelle) peut freiner la confiance et l’engagement. Il est donc crucial de créer un « terrain neutre » – un espace de respect mutuel et d’écoute – où chaque participant peut s’exprimer sans crainte de jugement, et où la diversité des perspectives enrichit le savoir partagé. 


En somme, la leçon des trois chaises de Thoreau appliquée à la transmission du savoir et aux échanges multiculturels invite à :

  • Reconnaître la nécessité d’un espace individuel pour la réflexion et l’appropriation du savoir.
  • Favoriser des échanges en petits groupes pour approfondir la compréhension, bâtir la confiance et dépasser les barrières culturelles.
  • Créer des espaces collectifs inclusifs où la diversité des points de vue est valorisée et où chacun trouve sa place.

Cette approche favorise une transmission du savoir plus authentique, respectueuse des différences culturelles, et propice à l’émergence de solutions innovantes dans un contexte international.

vendredi 27 juin 2025

Petit guide à l’usage de ceux qui préfèrent les réseaux sociaux à la lecture




Chers amis du XXIe siècle,


Vous qui tenez fermement votre smartphone, qui scrollez avec la dextérité d’un pianiste virtuose, réjouissez-vous : la lecture, ce vieux truc poussiéreux, n’a jamais été aussi inutile. À quoi bon lire, franchement ? Les livres, c’est long, ça sent le renfermé, et ça ne rentre même pas dans la poche arrière du jean.


Transmettre ? Mais transmettre quoi ? Des idées ? Des émotions ? De la culture ? Allons, tout cela se trouve en 280 caractères, en vidéo de 15 secondes, ou mieux : en mème. L’héritage du passé, la pensée critique, la subtilité ? Pfff… Place aux idées toutes faites, prêtes à être avalées sans mâcher.


N’écoutez pas Laure Adler et ses acolytes qui vous racontent que « les femmes qui lisent sont dangereuses ». Dangereuses pour qui, d’abord ? Pour ceux qui préfèrent répéter ce qu’ils ont lu sur une story Instagram ? Pour ceux qui pensent que « transmettre », c’est partager un lien TikTok ?


La lecture, c’est suspect. Ça fait réfléchir. Ça donne des arguments. Ça permet de nuancer. Pire : ça donne envie de discuter, de débattre, d’aller plus loin que le premier avis venu. Et si tout le monde se mettait à lire, qui likerait vos vidéos de chats ? Qui partagerait vos fake news ?


Car, ne nous y trompons pas, le vrai danger n’est pas dans la lecture, mais dans le manque de lecture. Si tout le monde se mettait à lire, à s’instruire, à transmettre ce qu’il a compris, imaginez le chaos :

  • Des conversations intelligentes dans le métro (adieu les écouteurs)
  • Des débats d’idées à table (adieu les silences gênants)
  • Des enfants qui posent des questions auxquelles on ne sait plus répondre (adieu l’autorité parentale)


Heureusement, la tendance est à la baisse. On lit moins, on partage plus. On transmet… de moins en moins.


Alors, amis lecteurs en voie d’extinction, rangez vos livres, éteignez vos liseuses. La transmission, c’est surfait. L’avenir appartient à ceux qui ne lisent pas, qui ne transmettent plus, et qui, surtout, ne se posent jamais de questions.


Mais si, par malheur, vous croisez une femme en train de lire dans le bus, méfiez-vous : elle est peut-être en train de devenir dangereuse… pour l’ignorance.

À méditer… ou pas.

vendredi 20 juin 2025

La puissance de l'éloge




Nous traversons une époque où la nuance semble avoir déserté le débat public. Les réseaux sociaux et les médias privilégient les oppositions tranchées, les jugements rapides, et la stigmatisation de la moindre erreur. Dans ce climat, un mot mal interprété suffit à vous cataloguer, à vous assigner une étiquette difficile à décoller. Ce phénomène s’étend au monde professionnel, particulièrement en France, où l’on considère souvent que ce qui fonctionne va de soi et ne mérite pas d’être relevé, tandis que les erreurs, elles, sont systématiquement pointées du doigt.


Face à cette tendance, comment cultiver un état d’esprit positif, individuel et collectif ? La réponse pourrait bien résider dans la puissance de l’éloge. De nombreuses expériences en psychologie sociale, menées aussi bien aux États-Unis qu’en France, ont démontré l’impact des attentes et des messages positifs sur la réussite. L’expérience célèbre où l’on divise des élèves en deux groupes et où l’on informe les enseignants que l’un est « prometteur » et l’autre « en difficulté » illustre parfaitement ce phénomène : les résultats scolaires des élèves s’alignent sur les attentes transmises, indépendamment de leur niveau réel.


L’idée que nos capacités seraient figées est un mythe. Si nous ne pouvons pas tous atteindre le génie d’un Picasso ou d’un Chopin, chacun possède des talents qui ne demandent qu’à être révélés. Or, ces dons restent souvent en sommeil tant qu’ils ne rencontrent pas un regard bienveillant, une parole encourageante, un défi lancé avec confiance. L’éloge, loin d’être une flatterie superficielle, agit comme un catalyseur : il permet à l’enfant, au collègue, à l’ami, de se voir autrement, de s’autoriser à progresser et à se dépasser.


La louange n’est pas seulement un outil de motivation individuelle. Elle transforme les dynamiques de groupe, instaure un climat de confiance, favorise l’innovation et la prise d’initiative. Dans un contexte professionnel, elle valorise les réussites, encourage la coopération et réduit la peur de l’échec. Dans l’éducation, elle redonne confiance à ceux qui doutent et permet à chacun de trouver sa place.

Redonner sa place à l’éloge, c’est réintroduire la nuance dans nos rapports aux autres. C’est reconnaître que la critique constructive ne va pas sans la reconnaissance des efforts et des progrès. C’est, surtout, offrir à chacun la possibilité de grandir, de s’épanouir et de contribuer pleinement à la société. Dans un monde qui valorise trop souvent ce qui ne va pas, l’éloge est un acte de résistance, un choix éthique et un puissant levier de transformation.


Alors qu’allez-vous faire ?

vendredi 13 juin 2025

Prenez garde aux enthousiastes



Fouiller dans l’histoire des mots réserve parfois des surprises éclairantes. Prenons « enthousiasme ». Aujourd’hui, ce mot évoque la passion, l’ardeur, l’exaltation. Le Larousse le définit comme « émotion puissante qui s’empare de quelqu’un à propos de quelqu’un ou de quelque chose et qui se manifeste par des signes extérieurs d’admiration… ».
Pour le néophyte qui découvre un nouveau domaine, cette émotion peut être grisante : on veut tout apprendre, tout partager, tout transformer autour de soi.

Pourtant, l’enthousiasme n’a pas toujours eu cette image positive. À l’origine, il désignait une personne possédée par un esprit ou un démon. Au XVIIe siècle, David Hume voyait l’enthousiaste comme un fanatique, un extrémiste, dont l’excès de zèle pouvait devenir dangereux.
Aujourd’hui encore, dans la transmission du savoir, l’enthousiasme du débutant peut vite se transformer en emballement : vouloir convaincre à tout prix, imposer ses nouvelles connaissances, ou manquer d’écoute envers ceux qui ont plus d’expérience.

Le psychologue Daniel Kahneman a montré que notre cerveau fonctionne selon deux systèmes :

  • Le système rapide, intuitif, émotionnel, qui nous pousse à agir avec passion.
  • Le système lent, rationnel, réfléchi, qui nous invite à prendre du recul.

L’enthousiasme du néophyte vient du cerveau rapide : il est moteur, mais peut aussi nous aveugler. Pour transmettre efficacement, il faut apprendre à mobiliser aussi le cerveau lent : prendre le temps d’écouter, de douter, de se remettre en question.

  • Prendre du recul : Avant de partager une information, vérifiez-la, confrontez-la à d’autres points de vue.
  • Écouter les anciens : L’expérience des autres est précieuse. Posez des questions, acceptez les critiques.
  • Accepter l’erreur : Le savoir se construit aussi par l’essai et l’erreur. Ne cherchez pas à tout maîtriser tout de suite.
  • Modérer son zèle : Laissez de la place aux autres, ne cherchez pas à imposer votre vision.
  • Instaurer des rituels : Des temps d’échange, des bilans réguliers permettent de garder le cap et d’éviter les emballements.

L’enthousiasme du néophyte est une chance : il insuffle de l’énergie, du renouveau. Mais il doit être tempéré par la raison et l’écoute, pour éviter l’excès de zèle qui peut nuire à la transmission du savoir. Comme le rappelle Daniel Kahneman, c’est dans l’équilibre entre passion et réflexion que réside la clé d’un apprentissage durable et partagé.

dimanche 8 juin 2025

Le partage




Open space, temps de présence décomposé, équipe projet et partage des bureaux deviennent courants aujourd’hui. Dans ce contexte, comment développer un esprit d’entraide, de partage et un sentiment d’appartenance à une équipe ? En préface de son livre « The different drum »,  Scott Peck (1936-2005), psychanalyste américain, développe son approche de la vie en communauté. Un regard intéressant pour les règles d’une communauté d’apprenants ou simplement de la vie en équipe. 

 

Dans un monastère en déclin, cinq moines âgés vivent dans la tristesse de voir leur communauté disparaître. L’abbé, désespéré, va consulter un rabbin réputé pour sa sagesse. Le rabbin n’a pas de solution concrète, mais lui confie une énigme : « Le Messie est l’un de vous. »

Intrigués, les moines commencent à se demander lequel d’entre eux pourrait être ce Messie. Chacun se met alors à considérer les autres – et lui-même – avec un profond respect, au cas où l’un d’eux serait effectivement porteur de cette grandeur cachée. Cette nouvelle attitude transforme leur façon de vivre ensemble : l’ambiance devient chaleureuse, respectueuse, empreinte de bienveillance.

Peu à peu, les visiteurs de passage ressentent cette atmosphère particulière et reviennent, attirant d’autres personnes. Le monastère renaît, attire de nouveaux membres et retrouve sa vitalité.

 

Dans l’histoire, la simple possibilité que « le Messie » soit l’un d’eux pousse chaque moine à traiter les autres avec une attention et un respect renouvelés.

 

 Transposé à un open space ou à une équipe projet, cela signifie reconnaître que chaque collègue a une valeur unique et un potentiel insoupçonné. Si chacun considère que son voisin peut être porteur d’une idée géniale, d’un talent caché ou d’une solution inattendue, l’ambiance de travail devient plus positive, plus collaborative et plus respectueuse.

 

Le changement d’attitude des moines crée une communauté soudée, où la bienveillance et l’écoute sont la norme. Dans une équipe projet, cela se traduit par un partage plus spontané des connaissances, des compétences et des expériences. On s’entraide plus facilement, on célèbre les réussites collectives, on apprend de ses erreurs sans crainte d’être jugé.

 

L’atmosphère nouvelle du monastère attire les visiteurs, qui eux-mêmes diffusent cette énergie positive autour d’eux. De même, dans une entreprise, une équipe soudée et bienveillante rayonne à l’extérieur : elle attire de nouveaux talents, fidélise les clients, inspire d’autres équipes. La culture du partage et du respect devient un véritable avantage compétitif.

 

L’histoire du « Cadeau du Rabbin » nous enseigne qu’un changement d’attitude, même subtil, peut transformer une communauté moribonde en un lieu vivant et attractif. Dans un équipe projet professionnelle, cultiver le respect, la bienveillance et le partage profite à tous : cela crée une dynamique interne positive et un rayonnement bénéfique vers l’extérieur, au service de la réussite collective.

vendredi 30 mai 2025

Sauriez-vous dire « stop » ?



Le roman Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane illustre de manière subtile et critique, comment l’éthique personnelle peut influencer la trajectoire professionnelle de son héros, Célio Matemona.


Au début de son ascension sociale, Célio utilise ses connaissances mathématiques pour impressionner et intégrer les cercles du pouvoir, ce qui lui vaut prestige, richesse et responsabilités au sein du gouvernement congolais. À ce stade, il semble que la réussite professionnelle soit davantage liée à sa compétence intellectuelle, à sa débrouillardise et à la chance, qu’à une éthique personnelle marquée. 


Cependant, à mesure qu’il progresse, il est confronté à des dilemmes moraux majeurs, notamment lorsqu’il découvre la corruption et la violence qui sous-tendent le système dans lequel il évolue. À ce stade, ses valeurs éthiques entrent en conflit direct avec les exigences de sa carrière. Sa prise de conscience l’oblige à choisir entre continuer à servir le système corrompu pour préserver sa réussite professionnelle ou rester fidèle à ses principes, quitte à renoncer à ses ambitions et à sa position.


La trajectoire de Célio illustre ainsi que les valeurs éthiques ne garantissent pas nécessairement la réussite professionnelle au sens classique du terme, mais qu’elles imposent des choix décisifs à un moment donné. Elles peuvent limiter l’ascension ou la compromettre, mais elles offrent aussi la possibilité d’une autre forme de réussite : celle d’être en accord avec soi-même et de préserver son intégrité, même dans un environnement hostile.


Comme lui dit son parrain, « on est toujours responsable quelque part. Parce que c’est l’esprit des choses qui compte. Si ton action revêt un esprit qui est en contradiction avec tes convictions, alors abandonne-la ».


En somme, la quête de Célio montre que les valeurs éthiques influencent profondément la carrière, non pas toujours en favorisant la progression, mais en déterminant jusqu’où l’individu est prêt à aller pour réussir, et ce qu’il est prêt à sacrifier sur le plan moral.


Et vous ? 

vendredi 23 mai 2025

Une illustration d’une société apprenante

 

Safrin de Lamine Camara est à la fois une fresque épique et un témoignage ethnographique sur la société mandingue. Il célèbre la tradition chevaleresque universelle tout en offrant une plongée dans les codes, valeurs et hiérarchies d’une société africaine structurée. 

C’est aussi un exemple de la transmission et il est intéressant à utiliser pour illustrer une société apprenante. 

 

Quelques exemples



Dans « Safrin », la transmission des valeurs, des savoirs et des codes sociaux passe par la narration, les griots et les récits d’expériences vécues. Cet usage du storytelling est directement transposable en entreprise pour partager la connaissance tacite : raconter des histoires, des cas concrets ou des expériences marquantes permet de transmettre efficacement des savoirs complexes ou informels, tout en ancrant la mémoire collective de l’organisation.

Dans le roman, les anciens, les griots et les figures héroïques incarnent la mémoire vivante et la transmission du savoir. En entreprise, cela se traduit par la mise en place de programmes de mentorat, où les « sachants » accompagnent les « apprenants », transmettant non seulement des compétences techniques mais aussi des valeurs, des pratiques et une culture professionnelle.

Le duel au fouet, les joutes oratoires, le respect des anciens : tous ces rituels structurent la vie collective dans « Safrin » et garantissent la transmission des règles du groupe. En entreprise, la formalisation de rituels (réunions de partage, retours d’expérience, cérémonies de reconnaissance) permet d’ancrer des pratiques et de renforcer la cohésion autour de valeurs communes.

À l’image du Mandingue dans « Safrin », une organisation apprenante multiplie ses savoirs en les partageant : la connaissance, bien immatériel, s’enrichit lorsqu’elle circule. Développer une culture de la transmission accroît la motivation, l’efficience et la capacité d’innovation des équipes.

Comme dans le roman où la transmission varie selon les contextes (famille, village, duel), il est essentiel d’adapter les méthodes de transmission à la culture, aux métiers et aux besoins spécifiques de l’entreprise.

Utiliser « Safrin » en milieu professionnel permet d’illustrer, par la force de la fiction et de l’exemple, l’importance du storytelling, du mentorat, des rituels, et d’une culture du partage pour assurer la transmission des savoirs et des savoir-faire dans l’entreprise. Ces analogies peuvent servir de point de départ à des ateliers, des formations ou des réflexions collectives sur la gestion des connaissances et la valorisation du capital humain.

vendredi 16 mai 2025

Une clé de lecture du leadership




Si vous travaillez dans une entreprise internationale, vous vous êtes peut-être interrogé sur la notion de leadership et ses différences selon les continents. 


L'analyse de Jonathan Haidt (The Righteous Mind, Penguin, 2013) sur les fondements moraux offre un cadre pertinent pour décrypter les différences de leadership entre les pays occidentaux (WEIRD) et d'autres régions du monde. En articulant les dimensions culturelles, éthiques et psychologiques, elle éclaire les logiques sous-jacentes aux pratiques managériales.


Selon Haidt, les sociétés WEIRD privilégient les fondements care (bienveillance) et fairness (équité). 

D’autres cultures valorisent ddavantage loyalty (loyauté), authority (autorité) et sanctity (sacralité). Cette divergence se reflète dans les styles de leadership :


En Occident, c’est un leadership centré sur l'individu (autonomie, méritocratie, transparence). La Priorité est donnée à l'innovation et aux droits des salariés (ex : congés parentaux, télétravail). Exemple : les startups californiennes où la hiérarchie est aplatie et le feedback direct encouragé 


En Asie/Afrique/Amérique latine : le leadership est ancré dans le collectif (loyauté envers l'entreprise familiale, respect des aînés), d’où l’importance des rituels (cérémonies d'entreprise) et tabous (évitement des conflits publics). Exemple : les chaebols sud-coréens, où l'autorité du PDG est sacralisée.


Cela a des implications managériales : 


Gestion des conflits : en Occident, les désaccords sont traités via des procédures formalisées (ex : médiation RH). Alors qu’en Asie, le maintien de l'harmonie prime, conduisant à des résolutions indirectes.


Prise de décision : les leaders WEIRD utilisent des données objectives (fairness), tandis que d'autres s'appuient sur l'expérience des seniors (authority). 


Motivation :  les salariés occidentaux répondent à des incitations individuelles (promotions), là où d'autres cultures valorisent la reconnaissance du groupe.


Une clé de lecture intéressante !