Depuis trois ans circulent dans Casablanca des autobus recyclés de la RATP. Celle-ci a pris 20% de participation dans une nouvelle compagnie " M'dina bus" qui a repris des concessions de lignes existantes. Dans une vile où les bus circulaient dans un état de délabrement avancé, l'arrivée de ce matériel en bon état a provoqué un choc.
Bonjour ma petite dame, comment allez-vous ? Ben, oui, je suis votre "24". Vous savez, celui qui faisait "Saint Lazare- Maisons-Alfort Ecole vétérinaire". Cela me fait plaisir de vous voir ici ! Ben quoi, ne me regardez pas les yeux écarquillés et la bouche ouverte ! Bien sûr qu'on se connait ! Et pas qu'un peu ! Vous vous rappelez ? Lorsque j'étais de service entre St Lazare et Maisons Alfort, je vous attrapais souvent au vol sur les quais et vous déposais à Charenton. Départ : 19h19 au Pont des Arts. Arrivée : 19h59. Le respect des horaires, cela me connaît.
C'était le bon temps. Votre sourire illuminait mes soirées. Pour moi qui avait une vie un peu monotone, c'était un petit coin de ciel bleu dans ma journée. Vous savez, la vie d'un autobus parisien est rythmée. Je pars tôt le matin et cela dure jusqu'en fin de matinée. Après la sieste, je suis nourri et rapidement nettoyé avant de reprendre le travail jusqu'au soir. Puis, c'est la grande toilette avec le repas en sus.
Ah, Paris ! Ses monuments, ses beaux paysages (j'adorais regarder les quais de Paris avec les bouquinistes, la Seine, le Louvre, les touristes…) Quelle vie ! Des fois, je faisais aussi de la banlieue. Cela roulait mieux, mais le paysage était moins plaisant (du moins les miens). C'est vrai que les embouteillages me polluaient la vie et me détraquaient mon moteur. Heureusement qu'il y avait quelques lignes droites dégagées pour me décrasser. Et puis, quelle pollution ! D'accord, j'y contribue, mais mettez-vous à ma place : respirez des gaz d'échappement toute la journée, ce n'est pas drôle. On ne peut pas tout avoir.
Un jour, j'ai eu droit à une visite médicale approfondie. Des personnes que je n'avais jamais vues sont venues d'examiner de pied en cap. Puis, j'ai été envoyé, avec quelques collègues dans un grand garage. On nous a fait toutes sortes de choses : peinture, carrosserie, habillage de sièges, mécanique… Après, sans crier gare, je me suis retrouvé, toujours avec mes collègues dans le ventre d'un gros bateau. Quelques jours avec le mal de mer et j'ai débarqué ici au port.
Je n'ai pas à me plaindre. Je savais que je ne roulerais pas éternellement à Paris. Quand j'ai commencé à travailler, je me suis souvent demandé ce qu'il adviendrait de moi. Certains de mes prédécesseurs partaient vers Cuba. Le mot seul suffisait à me faire rêver. D'autres de mes collègues sont partis à la ferraille suite à des accidents ou des problèmes de santé. Triste sort.
Ici, quelle surprise en arrivant : du bruit, des couleurs, de la chaleur !
Après quelques jours d'acclimations, j'ai pris du service. Une nouvelle aventure commençait. Casablanca est une grande ville. L'habitat est moins dense qu'à Paris, mais la ville et mes parcours sont aussi étendus. Maintenant, je traverse la ville, longe la mer et finit dans les faubourgs. Ah, la mer ! Je ne la connaissais qu'au travers des publicités placées sur mes flancs. C'est bizarre la mer : elle est là, elle n'est pas là. Elle change sans arrêt de place. En tout cas, cela change de la Seine, si calme, trop calme à mon goût.
Par certains côtés, la vie, ici, me rappelle Paris : du bruit, de la pollution. Mais aussi de la joie, de la gaîté : ici, les gens sont plus chaleureux que les Parisiens. Je ne parle pas de vous, bien entendu, mais de la moyenne de vos compatriotes qui finissent leur nuit le matin lors de nos voyages et récupèrent de leur journée le soir à bord. Ici aussi, les gens partent et reviennent fatigués. Mais ils sont plus vivants, parfois trop quand il y a des matchs de foot. La hantise de mes collègues locaux, c'est la desserte du stade de football. Les retours de match sont quelquefois "chauds" : 95 de mes collègues* ont été vandalisés en 2005 par des supporters furieux de la défaite de leur équipe.
Mes nouveaux collègues sont agréables. Au début, on se regardait avec un peu de méfiance. Nous, les nouveaux; eux, les anciens, très anciens. Evidemment, ils nous enviaient. Même les clients nous regardaient avec étonnement et surprise. Ils n'osaient pas monter, voire s'asseoir. Et puis, petit à petit, nous avons appris, avec nos collègues à nous connaître, à nous apprécier, à respecter ce qu'ils avaient vécu. Et nos clients ont eux aussi pris leurs aises. Maintenant, ils sont comme chez eux… et nous aussi.
Alors, ma petite dame, je vous emmène faire un tour, comme au bon vieux temps ?
* juin 2005 suite au match Raja-Far.
C'était le bon temps. Votre sourire illuminait mes soirées. Pour moi qui avait une vie un peu monotone, c'était un petit coin de ciel bleu dans ma journée. Vous savez, la vie d'un autobus parisien est rythmée. Je pars tôt le matin et cela dure jusqu'en fin de matinée. Après la sieste, je suis nourri et rapidement nettoyé avant de reprendre le travail jusqu'au soir. Puis, c'est la grande toilette avec le repas en sus.
Ah, Paris ! Ses monuments, ses beaux paysages (j'adorais regarder les quais de Paris avec les bouquinistes, la Seine, le Louvre, les touristes…) Quelle vie ! Des fois, je faisais aussi de la banlieue. Cela roulait mieux, mais le paysage était moins plaisant (du moins les miens). C'est vrai que les embouteillages me polluaient la vie et me détraquaient mon moteur. Heureusement qu'il y avait quelques lignes droites dégagées pour me décrasser. Et puis, quelle pollution ! D'accord, j'y contribue, mais mettez-vous à ma place : respirez des gaz d'échappement toute la journée, ce n'est pas drôle. On ne peut pas tout avoir.
Un jour, j'ai eu droit à une visite médicale approfondie. Des personnes que je n'avais jamais vues sont venues d'examiner de pied en cap. Puis, j'ai été envoyé, avec quelques collègues dans un grand garage. On nous a fait toutes sortes de choses : peinture, carrosserie, habillage de sièges, mécanique… Après, sans crier gare, je me suis retrouvé, toujours avec mes collègues dans le ventre d'un gros bateau. Quelques jours avec le mal de mer et j'ai débarqué ici au port.
Je n'ai pas à me plaindre. Je savais que je ne roulerais pas éternellement à Paris. Quand j'ai commencé à travailler, je me suis souvent demandé ce qu'il adviendrait de moi. Certains de mes prédécesseurs partaient vers Cuba. Le mot seul suffisait à me faire rêver. D'autres de mes collègues sont partis à la ferraille suite à des accidents ou des problèmes de santé. Triste sort.
Ici, quelle surprise en arrivant : du bruit, des couleurs, de la chaleur !
Après quelques jours d'acclimations, j'ai pris du service. Une nouvelle aventure commençait. Casablanca est une grande ville. L'habitat est moins dense qu'à Paris, mais la ville et mes parcours sont aussi étendus. Maintenant, je traverse la ville, longe la mer et finit dans les faubourgs. Ah, la mer ! Je ne la connaissais qu'au travers des publicités placées sur mes flancs. C'est bizarre la mer : elle est là, elle n'est pas là. Elle change sans arrêt de place. En tout cas, cela change de la Seine, si calme, trop calme à mon goût.
Par certains côtés, la vie, ici, me rappelle Paris : du bruit, de la pollution. Mais aussi de la joie, de la gaîté : ici, les gens sont plus chaleureux que les Parisiens. Je ne parle pas de vous, bien entendu, mais de la moyenne de vos compatriotes qui finissent leur nuit le matin lors de nos voyages et récupèrent de leur journée le soir à bord. Ici aussi, les gens partent et reviennent fatigués. Mais ils sont plus vivants, parfois trop quand il y a des matchs de foot. La hantise de mes collègues locaux, c'est la desserte du stade de football. Les retours de match sont quelquefois "chauds" : 95 de mes collègues* ont été vandalisés en 2005 par des supporters furieux de la défaite de leur équipe.
Mes nouveaux collègues sont agréables. Au début, on se regardait avec un peu de méfiance. Nous, les nouveaux; eux, les anciens, très anciens. Evidemment, ils nous enviaient. Même les clients nous regardaient avec étonnement et surprise. Ils n'osaient pas monter, voire s'asseoir. Et puis, petit à petit, nous avons appris, avec nos collègues à nous connaître, à nous apprécier, à respecter ce qu'ils avaient vécu. Et nos clients ont eux aussi pris leurs aises. Maintenant, ils sont comme chez eux… et nous aussi.
Alors, ma petite dame, je vous emmène faire un tour, comme au bon vieux temps ?
* juin 2005 suite au match Raja-Far.
1 commentaire:
très bien vue cette petite histoire...et on est placé du côté original, celui du bus dont, même en grimpant chaque jour dans ses entrailles,on ne pense ni à sa vie ni à ses voyages ou sa mort.
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