samedi 13 février 2010

Le premier jour du télétravail


Augustin est heureux ce matin en se levant. C’est sa première journée de télétravail. Suite au déménagement de son entreprise à plus d’une heure trente de chez lui, les syndicats ont négocié la possibilité du télétravail pour les salariés qui ont vu leur temps de trajet fortement augmenté. Il bénéficie donc de deux journées de télétravail à distance par semaine. Libre à lui de les prendre ou non.

Malgré l’accord direction-syndicat, ce ne fut pas une mince affaire à mettre en place. Le lundi, il y a la réunion traditionnelle du comité de direction : il vaut mieux être là l’après-midi pour prendre en compte les dernières décisions qui peuvent impacter le ravail. Le mardi, c’est la réunion de son équipe. Le mercredi est un jour réservé pour les mères de famille. Le jeudi, il y a plusieurs groupes de travail dont il fait partie qui se réunissent et le vendredi, c’est le sacro-saint repas en équipe.

Après moultes discussions, tergiversations et engueulades, il a pu prendre son mardi, la réunion ayant été avancée au lundi. Tout guilleret, il s’installe à 8h devant son ordinateur. « Dire que d’habitude, je suis serré comme une sardine dans le métro » se dit-il avec joie. « Je vais pouvoir avancer comme jamais dans mon travail, sans être dérangé et ce soir à 18h00 je pourrai aller à la piscine ! » Quelle n’est pas sa surprise quand il constate qu’il a déjà reçu 34 mails ce matin. « J’avais pourtant fait le ménage hier soir » maugrée-t-il. Un bref regard sur les destinataires et l’heure d’envoi : ce sont de collègues en télétravail qui ont commencé plus tôt que lui ! Il y a déjà même des rappels de certains ave des notes ironiques sur les lève-tards.

« Pas grave » se dit-il « je vais les traiter plus tard. C’est cela l’avantage du télétravail : pouvoir prioriser sans pression. » Dix minutes plus tard, une petite fenêtre vidéo s’ouvre avec Skype. C’est son responsable qui veut faire le point sur un dossier. En même temps, sa messagerie instantanée commence à s’agiter avec des tas de mots de ses clients internes. Tout en lui vantant la joie qu’ils ont de le voir travailler à distance, ils souhaitent qu’ils profitent du temps gagné sur les transports pour avancer plus vite sur tel ou tel sujet. En parallèle, son Smartphone se met à vibrer. 10h30 arrive très vite avec toutes ces urgences et appels. Augustin décide de s’accorder une pause. Il va se faire un café. Revenu dix minutes plus tard, il trouve des messages des Ressources Humaines. Son correspondant s’inquiète de son « silence » : son ordinateur est sans réponse depuis 11 minutes et trente secondes. « Dans le cadre de la lutte contre le stress et le surmenage, nous souhaitons savoir si cet arrêt d’activité de plus de dix minutes est lié à
a) une période de réflexion (si oui, justifiez),
b) une panne de liaison (merci de joindre un justificatif de votre opérateur),
c) une pause toilettes et/ou rappel (rappel : selon l’accord direction-syndicat, celle-ci est limitée à 6 minutes 47 secondes le matin et 7 minutes 23 secondes l’après-midi)
d) un appel téléphonique (merci de préciser le nom de l’interlocuteur et son n° de téléphone)
e) un sentiment de surmenage (indiquez le niveau selon le barème présenté lors du séminaire sur les RPS –risques psychosociaux-)
Bien entendu, ces données ne vous sont demandées qu’à titre statistique, le but étant de vous favoriser les meilleures conditions de travail à distance. »

Le temps de lire tout cela, deux autres fenêtres vidéo s’ouvrent en même temps et dix mails urgents arrivent, avec toutes le même leitmotiv : « puisque tu es au calme, peux-tu ASAP… ».
« C’est pire qu’au bureau ! » se lamente-t-il ! Cahin-caha, il arrive à l’heure du déjeuner. Pendant celui-ci, son Smartphone, puis son téléphone privé n’arrêtent pas de sonner, chacun se plaignant de ne pouvoir le joindre, puis s’excusant ensuite, une fois son arrêt de travail justifié.

L’après-midi fut du même acabit. La piscine à 18 heures disparut compte tenu des urgences et le lendemain matin, ce ne fut pas avec un grand soulagement qu’Augustin reprit ses trois heures de transport allers et retours, la pause café à l’arrivée et en milieu de matinée, … le tout sans être dérangé. « Vive la vraie vie » se dit-il quand ses interlocuteurs habituels l’accueillirent en l’enviant sur sa journée au calme.

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