samedi 23 février 2008

Je me voyais déjà…


Je me voyais déjà en sauveur de monde, voyageant dans les pays lointains, transpirant et suant la douleur, mais si heureux de contribuer à une noble action.
Je me voyais déjà travaillant jour et nuit, dans le chaud ou le froid, sous le sirocco ou la pluie et accomplissant sans relâche ma tâche.
Je me voyais déjà sauvant un enfant, un homme, une femme, portant une célébrité et faisant la une de tous les médias.
Je me voyais déjà, ma mission terminée, laver à grand eau, stocker dans un hangar et me demander quand et où je repartirai.
Je me voyais déjà tirer de mon repos en pleine nuit, embarquer sans ménagement dans une camionnette, partir pour un voyage des plus inconfortables qui durerait dix minutes, une heure, une demi-journée ou un temps infini. Arrivés à destination, sans crier gare, j'entrerai en action et travaillerai durement.
Je me voyais déjà porter par des mains habiles et expérimentées, des poignes dures et sèches ou des débutants en la matière. Il suffit d'ailleurs que quelqu'un me saisisse pour que je puisse vous dire instantanément si cette dernière a l'habitude ou non, s'il a de la force ou non et si je serai bousculé ou manœuvré avec dextérité.
Je me voyais au mieux embarqué dans les grandes actions humanitaires sauvant les blessés des tremblements de terre ou de la misère des guerres.
Je me voyais au pire accompagnant les pompiers dans des missions courtes et néanmoins périlleuses : sauver la petite vieille du 6ème ou redescendant par la grande échelle, ou bien encore récupérant l'accidenté de la route pour le conduire à l'hôpital.

Pourtant, rien, rien de pire que ce m'arrive, je ne pouvais imaginer : je suis civière dans un bâtiment d'un syndicat professionnel patronal. Placé dans un couloir sans lumière du jour, la vie se déroule triste et morne. Je ne descends de mes crochets que pour les travaux de peinture ou les séances de formation au secourisme. Savez-vous pourquoi j'ai été réformé ? Parce que je suis trop beau ! Ma belle toile, mes belles poignées ont fait peur aux secouristes. Ils me croient douillet et fragile. Alors, la nuit, je rêve d'un court circuit, d'un incendie pour que l'on reconnaisse alors mes mérites : je suis le sauveur de monde

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