mardi 30 novembre 2021

Veux-tu être Empereur ?



En ce temps-là, Heian Kyo, ce qui signifie « capitale de la paix et de la tranquillité », était un lieu enchanteur, où résidait Sa Majesté l'empereur. Nobles seigneurs vêtus de rouge, tunique cerise, pantalon pourpre, nobles dames en habits étourdissants, aux couleurs sans cesse nouvelles, rivalisaient dans les joutes d'amour et les jeux de l'esprit. Les fêtes somptueuses se succédaient au hasard des palais, des villas, ornés de magnifiques statues. Les musiciens accompagnaient aux bords du lac des Huit Vertus les amants du clair de lune. Les temples étaient construits en bois précieux, parés de nacre, incrustés de pierres précieuses, et les cérémonies rituelles donnaient lieu à des fastes sans égal dans tout l'empire.

L'empereur Saga était un homme âgé, un peu las de ces réjouissances perpétuelles. Un chagrin secret le rongeait. Il n'avait pas de fils. Souvent il s'absentait de la cour, et il se rendait avec quelques serviteurs fidèles et discrets chez un ermite, un moine zen. Celui-ci vivait non loin de la capitale, dans une simple cabane de branchages, près d'une pagode en ruine. Assis sur un tronc d'arbre, Saga observait le moine prier, méditer, couper du bois, et la hache étinceler au rythme de ses coups dans le soleil.
« Je te regarde vivre depuis plusieurs années, Ryoben, tu es actif, énergique, généreux, et sage. Je vieillis, je n'ai pas de fils. Veux-tu me succéder, veux-tu être empereur ? »
À cette demande stupéfiante, le moine ne répondit mot.
« Imagine, Ryoben, les plaisirs, la richesse, le pouvoir absolu, le droit de vie et de mort sur tout ce qui respire dans ce pays. Tu pourrais faire construire ici un palais, ou un temple aux cent pagodes, faire connaître le Zen, étendre son influence. N'es-tu pas tenté ? »
Alors Ryoben posa sa hache, remit de l'ordre dans ses vêtements, et dit :
« Je vais aller au bord de la rivière et laver mes oreilles souillées par vos paroles. »
Il se rendit à la rivière où il rencontra un paysan qui venait souvent y faire boire sa vache.
« Tu te laves les oreilles, à cette heure du jour ?
- Oui, mes oreilles ont été souillées par les paroles de l'empereur. Il m'a proposé de lui succéder, et de monter sur le trône.
- Je comprends que tu te laves ! dit le paysan, et dans ces conditions je ne laisserai pas ma vache boire cette eau souillée. »


Source : http://eprimaire.free.fr/contes/pays/z66.html

mardi 23 novembre 2021

Conte pour faire confiance

 



Nadejda galopait à travers la steppe. Le message qu’elle portait était de la plus haute importance. 

Au loin, les montagnes Khorkhof barraient l’horizon. Elle les atteignit tandis que la neige se mettait à tomber. 

Son ascension fût pénible, lent. De crête en plateau et de plateau en crête, elle parvint à la Grande Faille des Diables. 

Mais là, Nadejda sentit ses forces l’abandonner : le pont qui permettait de franchir le gouffre était à moitié détruit. L’emprunter la conduirait à une mort certaine. 

Elle descendit du cheval, s’assit sur rocher. Des larmes lui montèrent aux yeux. Elle donna à boire à son cheval, puis elle regarda l’autre rive de la faille. 

Si proche et si lointaine. Que faire ? Un détour ? Cela prendrait des jours entiers. Sauter par-dessus le gouffre ? Jamais son cheval n’y parviendrait. Il était bon galopeur mais elle ne pouvait se fier à lui pour un tel exploit. 

Il fallait réparer le pont. Vite, très vite. Elle rassembla les planches. Mais plus elle s’échinait, plus elle sentait l’inutilité de son travail. A ses côtés, son cheval paissait l’herbe rare, poussant de temps en temps un hennissement inquiet. 

Elle le regarda. Hésita. Non. Décidément, il ne pourrait pas sauter. Elle reprit son travail. Mais seule dans le froid et le vent, elle ne pouvait pas faire de miracle. Elle alluma un feu et réfléchit intensément. Mais bien vite l’épuisement la terrassa et elle s’endormit. 

Au cœur de son sommeil, Nadejda vit son cheval paré d’ailes franchir la faille et l’emmener de l’autre côté. Elle se réveilla dans le matin neigeux. Son cheval était là, debout à ses côtés. Bien sûr il n’avait pas d’aile. Cela n’était qu’un rêve. Et pourtant. Elle examina le pont. Elle pensa à sa mission. Le cheval hennit. Elle le regarda.

Ce n’était qu’un cheval. Un cheval qu’elle ne connaissait pas. On lui avait donné le premier venu. Pouvait-elle s’en remettre entièrement à lui ? Elle soupira. Le cheval hennit encore. Alors Nadejda s’approcha de lui, lui enserra le cou, colla son beau visage contre son pelage et, dans la bise glacée, elle lui murmura sa confiance.

Quand elle raconte cette histoire, Nadejda l’achève toujours par ses mots : « Il a sauté la grande Faille des Diables. Il a sauté comme s’il avait des ailes. »

 

Source https://www.action-efficient.com/conte-pour-faire-confiance/

mardi 16 novembre 2021

Conte russe : le partage de l'héritage



Un père avait deux fils; il leur dit :

— Lorsque je mourrai, vous partagerez tout par moitié.

Quand le père mourut, les fils ne purent prendre chacun leur part sans se quereller.

Ils prirent pour arbitre leur voisin. Celui-ci leur demanda :

— Comment votre père vous a-t-il ordonné de faire le partage ?

Les deux frères lui répondirent :

— Il nous a recommandé de partager tout par moitié.
— Alors, conclut le voisin, déchirez en deux tous les habits, cassez la vaisselle et partagez de même le bétail.

Les deux, frères suivirent le conseil du voisin, ils détruisirent tout; aussi ne leur resta-t-il rien.

 

Léon Tolstoï (1828-1910)

mardi 9 novembre 2021

L’or du doigt



Dans la Chine ancienne, un ermite un peu magicien vivait dans une montagne profonde. Un jour, un vieil ami lui rendit visite. Senrin, tout heureux de l'accueillir, lui offrit un dîner et un abri pour la nuit; le lendemain matin, avant le départ de son ami, il voulut lui offrir un cadeau. Il prit une pierre et, avec son doigt, en fit un bloc d'or pur.

Son ami ne fut pas satisfait; Senrin pointa alors son doigt sur un énorme roc qui lui aussi devint de l'or. L'ami ne sourit toujours pas.

« Que veux-tu donc? » demanda Senrin.

L'ami lui répondit : « Coupe ce doigt, je le veux. »

Cet homme pensait que le doigt était la source de l'or. Cette histoire est teintée d'humour, mais sa signification est réellement très profonde. La plupart des hommes sont ainsi.

 

Source : http://www.philosophie-poeme.com/contes-zen-tire-du-livre-le-bol-et-le-baton-c27514984

mardi 2 novembre 2021

La maison d'hôtes


Être humain, c’est être une maison d’hôtes.
Tous les matins arrive un nouvel invité.
Une joie, une dépression, une méchanceté,
Une prise de conscience momentanée vient
Comme un visiteur inattendu.
Accueillez-les tous et prenez-en soin !
Même s’ils sont une foule de chagrins,
Qui balaient violemment votre maison
Et la vident de tous ses meubles,
Traitez chaque invité honorablement.
Peut-être vient-il faire de la place en vous pour de nouveaux délices.
La pensée sombre, la honte, la malice, rencontrez-les à la porte en riant,
Et invitez-les à entrer.
Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent,
Parce que chacun a été envoyé
Comme un guide de l’au-delà.
 

Djalâl ad-Dîn Muḥammad Rûmî
Poète persan du XIIIe siècle


Source : sur le site dun de mes confrères « Terres Inconnues »