mardi 29 décembre 2020

En 2021, chaussons-nous de compassion

 


Il était une fois un village au Tibet où tout le monde marchait pieds nus. Le relief alentour était rude et rocailleux.. Les pieds des villageois étaient couverts de contusions. Un jour, las de souffrir, ils se rassemblèrent pour discuter du problème. 

« Nous avons des yaks, fit remarquer quelqu’un. Et si nous étalions ces peaux sur les sentiers de la montagne ? Nous pourrions ainsi marcher plus facilement. ». Ils commencèrent à recouvrir les chemins avec le cuir, pour découvrir rapidement que tout le cuir du Tibet ne suffirait pas à tapisser tous les sentiers. Quelques-uns proposèrent : « Allons voir le Grand Maître et demandons-lui ce que nous devrions faire. » Tout le monde grimpa donc la montagne jusqu’au monastère. 

 

« Cher Lama, nous avons un grave problème. Nous voulons recouvrir nos sentiers de cuir, mais nous n’en avons pas assez. Que devons-nous faire ? »

« Laissez-moi réfléchir dit le Grand Maître et je vous donnerai la réponse. Asseyez-vous tous, je vous prie, et nous allons méditer pendant cinq minutes. »

Après cinq minutes, le Maître sourit et donna sa réponse : « Ce n’est pas le chemin qui est le problème. C’est vous. Peut-être devriez-vous recouvrir vos pieds de cuir de yak plutôt que de recouvrir les sentiers du pays ? Vous découvrirez que, si vous mettez du cuir sous vos pieds, ils seront protégés où que vous alliez. 

 

Mais n’oubliez pas que mettre fin à la souffrance causée par des pieds en sang ne suffit pas. Comme les routes accidentées, il y a dans le monde des gens frustes et hérissés de ronces. Quand nous rencontrons ces gens que nous trouvons agaçants et énervants, nous devons apprendre à recouvrir notre esprit avec de la compassion et de la patience, et alors nous serons délivrés du problème. N’oubliez pas que , de même que vous mettez des chaussures de cuir pour protéger vos pieds, il vous faut mettre des chaussures de compassion et de patience pour protéger votre esprit. On ne peut contrôler le monde, mais on peut contrôler sa réponse négative au monde. »

 

Les villageois redescendirent de la montagne et se fabriquèrent des chaussures en cuir de yak, qu’ils portèrent chaque jour ; et chaque fois qu’ils se sentaient énervés ou agacés, ils se rappelaient mutuellement :« Où sont tes chaussures de patience et de compassion ? »

 

Source : Mathieu Ricard, 10 contes tibétains pour cultiver la compassion, Hachette 2018

mardi 22 décembre 2020

Les trois poissons

 


On raconte qu’un étang renfermait trois poissons : l’un était sage, le second intelligent ; le troisième était un crétin.

Cet étang se trouvait dans un lieu éloigné, et rares étaient les gens qui le visitaient. Il était relié à un ruisseau proche par un canal.
Il advint que deux pêcheurs suivaient le cours du ruisseau et virent l’étang. Ils convinrent d’y revenir ensemble, munis de leurs filets, afin de pêcher les poissons. 
Ceux-ci entendirent leurs propos.


Le plus sensé se méfia et prit peur ; alors, sans perdre de temps, au débouché du petit courant qui descendait du ruisseau, il s’y engagea et remonta jusqu’au ruisseau.


Cependant, le poisson intelligent était resté sur place. Les pêcheurs vinrent ; à leur vue il comprit leur dessein ; il voulut s’éloigner et gagna le débouché du petit courant. Or les pêcheurs avaient déjà bouché cette issue. Dépité, il se dit :
- « J’ai trop tardé et voici la sanction de mon inertie. Par quelle ruse vais-je me tirer de là ? Mais si l’on recourt à la ruse avec précipitation ou avec abattement, elle échoue. Le poisson sensé, au contraire, se donne le temps de la réflexion, il ne désespère pas de trouver une idée utile, ne prend pas son sort au tragique, il reste lucide, et prêt à l’effort. » Alors il fit le mort. Se tenant près de la surface de l’eau, il se laissait flotter, tantôt le ventre en l’air, tantôt le dos en l’air. Les pêcheurs le prirent et le posèrent sur le sol, entre l’étang et l’eau courante. Alors il fit un grand bond, atteignit le ruisseau, et fut sauvé.


Quant au troisième poisson, il tenta par des allées et des venues de se dégager, mais fut pris par les pêcheurs.

 

Source : http://www.contes.biz/

mardi 15 décembre 2020

Le chêne et le noisetier



Un vieux chêne laissa tomber un gland sous les rainures d’un noisetier.

Le noisetier dit au chêne :

« N’as-tu pas assez de place sous tes branches ? Tu pourrais jeter tes glands ailleurs ; j’ai à peine assez de place pour mes pousses. Moi, je ne jette pas mes noisettes à terre, je les donne aux hommes.

— Je vis deux cents ans, répondit le chêne, et le petit chêne qui sortira de ce gland, vivra ce même temps. »

Alors, le noisetier se fâcha et dit :

« Eh bien, j’étoufferai ton petit chêne, et il ne vivra pas même trois jours. »

Le chêne ne répondit rien et ordonna à son fils de sortir du gland.

Le gland s’humecta, éclata : un côté de sa pousse s’enfonça dans la terre, l’autre se dressa dans l’air.

Le noisetier l’étouffait et ne lui donnait pas de soleil, mais le petit chêne grandissait, et, à l’ombre du noisetier, il devint encore plus vigoureux.

Cent ans se sont écoulés. Le noisetier est desséché depuis longtemps, et le chêne sorti du gland s’est élevé jusqu’au ciel, et étend ses branches de tous les côtés.

 

Léon Tolstoï.

 

Source : http://litteratureprimaire.eklablog.com/le-chene-et-le-noisetier-tolstoi-a43180936

jeudi 3 décembre 2020

le mouvement perpétuel


Un moujik se fit meunier, et construisit des moulins. Puis, l’idée lui vint d’en construire un qui ne marcherait ni avec de l’eau, ni avec des chevaux. Il voulait qu’une lourde pierre, en montant et redescendant, fit mouvoir, par son poids, la roue continuellement, de façon que le moulin marchât seul.

 

Le moujik alla chez le barine et lui dit : « J’ai inventé un moulin au mouvement perpétuel, qui peut marcher sans eau et sans chevaux, et qui ne s’arrêtera que lorsqu’on le voudra; seulement, j’ai besoin d’argent pour acheter de la fonte et du bois; prête-moi, barine, trois cents roubles, et je te donnerai le premier moulin que je construirai. »

 

Le barine demanda au moujik s’il savait lire; le moujik répondit négativement.

 

Alors le barine lui dit : «  Voilà, si tu savais lire, je te donnerais un livre qui traite de la mécanique, et tu verrais qu’on ne peut construire un pareil moulin; que beaucoup sont devenus fous en recherchant ce moulin qui marche seul. »

 

Le moujik n’ajouta pas foi aux paroles du barine, et lui répondit : « On écrit bien des mauvaises choses dans vos livres; je connais un mécanicien qui a construit un moulin pour un marchand, mais il l’a manqué; eh bien, moi, quoique je ne sois qu’un ignorant, d’un simple coup d’œil j’ai reconnu le défaut, je l’ai arrangé, et il a marché. »

 

Le barine dit :  « Et comment lèveras-tu la pierre lorsqu’elle sera descendue ?
— Elle remontera toute seule avec la roue, répondit le moujik.
— Oui, elle remontera, mais pas assez haut, et la seconde fois moins haut encore; puis elle s’arrêtera, malgré toutes les roues que tu monteras : c’est comme si tu t’élançais sur un traîneau, d’une haute montagne sur une plus petite, tu ne pourrais de cette petite t’élancer sur la grande. »

 

Le moujik persistait dans son idée; il se rendit chez un marchand, et lui promit de lui construire un moulin sans eau ni chevaux. Le marchand lui avança l’argent, le moujik construisit, construisit; les trois cents roubles y passèrent, mais le moulin ne marcha pas.

Le moujik consacra tout son bien à cette entreprise, et tout fut perdu sans succès.

 

Alors le marchand lui dit : « Livre-moi le moulin, et surtout qu’il marche sans eau et sans chevaux, sinon rends-moi mon argent. »

 

Le moujik alla de nouveau trouver le barine et lui fit part de son embarras. Le barine lui donna de l’argent et lui dit : « Maintenant, reste à travailler chez moi, construis-moi de simples moulins, — pour cela tu t’y connais, — mais à l’avenir, ne t’engage pas à faire des choses auxquelles des gens plus intelligents que toi ont dû renoncer. »

 

Léon Tolstoï (1828-1910)

jeudi 26 novembre 2020

Qu’avait trouvé Archimède ?


Mathématicien, inventeur, ingénieur, le vrai nom du savant était Archimède de Syracuse, et eurêka, ça signifie « J’ai trouvé » en grec ancien. Mais qu’avait-il donc trouvé? 

Selon la légende, le roi de Syracuse avait commandé à un orfèvre une couronne et lui avait donné l’or nécessaire à sa fabrication. La couronne réalisée était superbe et sa masse était identique à celle de l’or donné, mais le roi avait un doute : elle ne semblait pas faite d’or pur… Il demanda à son ami Archimède de s’en assurer sans détruire l’ouvrage. La notion de volume et surtout sa mesure sous ses formes complexes étaient alors inconnues à l’époque! 

En pleine réflexion, et en se plongeant dans une baignoire un peu trop pleine, il constata alors que celle-ci débordait et… Eurêka! Il avait trouvé comment mesurer et comparer le volume de la couronne à celui de l’or donné par déplacement d’eau. Il confirma ainsi que l’or de la couronne n’était pas pur. L’orfèvre fût condamné pour duperie, et la notion de masse volumique entra dans l’histoire. 

Même si cette anecdote est douteuse, on a donné le nom du célèbre savant à la fameuse « poussée d’Archimède», devenue loi ou théorème seulement au XVIe siècle.

La vie d’Archimède se termine aussi de façon légendaire : lors de la prise de Syracuse en -212 av. J.C., un soldat croise le savant traçant des cercles sur le sol. Troublé dans sa concentration, Archimède lui lance : « Ne dérange pas mes cercles ». Vexé, le soldat tue alors le vieillard de 75 ans. 

Source : https://www.quebecscience.qc.ca/14-17-ans/encyclo/eureka/

mercredi 18 novembre 2020

Le hérisson et le renard



Adaptation de vers du poète grec Archiloque : « « Il sait bien des tours le renard. Le hérisson n'en connaît qu'un ».

 

 

Un hérisson et un renard discutaient : le premier disait n'avoir qu'une seule astuce, alors que le deuxième prétendait en avoir cent. Un jour, ils pénétrèrent dans une ferme par un petit trou. Il y avait de tout dans cette ferme : des légumes, des fruits, des plantes... et sans perdre une minuteils commencèrent à manger. De temps en temps, le hérisson rejoignait le trou pour savoir s'il était encore capable d'en sortir, tandis que le renard mangeait avec voracité. 

 

Au bout de quelques heures, ils entendirent le propriétaire qui s'approchait. Le hérisson passa facilement à travers le trou, mais le renard resta collé à l'intérieur, son corps devenu trop gros l'empêchait de sortir. Il avait peur et ne savait que faire. Il implora l'aide de son ami qui lui demanda : " Où sont-elles parties, tes cent astuces ?" "J'ai menti" lui répondit le renard. Le hérisson lui ordonna alors de faire le mort, d'ouvrir la bouche et de laisser les mouches y entrer. 

 

En arrivant, le fermier trouva la moitié de sa récolte réduite à néant et devant lui un renard mort. Bleu de colère, il l'attrapa violemment par la queue et le jeta brusquement hors de sa propriété. Aussitôt, le renard se réveilla et s'enfuit ; l'homme vociférait : " Je vais t'attraper, la moitié de ta queue est dans ma main, je te connais maintenant". 

 

Tout au long de la route, le renard réfléchissait pour trouver une solution, mais en vain. Pour la deuxième fois, il demanda de l'aide à son ami qui répliqua : " Où sont-elles parties, tes cent astuces ?". Le renard resta bouche bée. 

 

Le lendemain, le hérisson organisa une course pour tous les renards de la forêt, mais avant, il ordonna à son ami d'être le premier à l'arrivée. A la fin de la course, le hérisson dit aux renards : " Votre ami a gagné parce qu'il n'a que la moitié de la queue". Alors, ils coupèrent leur queue et comme cela, le fermier n'attrapa plus le voleur. 

 

Source : https://urlz.fr/efnj

vendredi 13 novembre 2020

Les arbres nains


Tomonari et sa femme ont pour toute richesse trois arbres nains : un thuya âgé de cent ans, un pin âgé de cent vingt ans et un érable âgé de deux cents ans.

Tous deux prodiguent à ces plantes les soins les plus attentifs. Très pauvres, manquant du nécessaire, ils n'auraient jamais songé à vendre ces arbres nains dont ils auraient cependant pu tirer un bon prix.

Un jour, alors qu'ils sont dans la pire des misères. On frappe à la porte. Ils ouvrent et voient devant eux un moine mendiant qui leur demande un repas et l'hospitalité pour quelques heures. Dehors il fait froid, il neige et il vente.

- « C'est impossible, répond Tomonari. Nous sommes si pauvres que nous n'avons rien à manger. Quant à se chauffer, c'est hors de question. »

- « Je vous demandais l'hospitalité au nom de Bouddha, notre maître? Puisque vous ne pouvez pas m'accueillir… »
Le moine salue et s'en va sous la neige, pieds nus, chaussé de ses seules getas.  

Les deux époux se regardent tristes et humiliés. Prise de remords, la femme lui dit : « Va chercher le prêtre. Nous partagerons ce qu'il y a… »

Le mari enfile à son tour ses getas et se lance à la poursuite du prêtre. Il n'a pas loin à aller. Le malheureux, épuisé, s'est laissé tomber sur la neige. Il le ramène chez lui et lui sert la galette de millet sèche qu'ils ont mise de côté pour le repas du lendemain. Le prêtre se jette sur cette maigre nourriture avec avidité.

Voyant que leur hôte grelotte de froid, Tomonari s'adresse à sa femme :

- « Il faudrait réchauffer ce malheureux »

Oui, mais avec quoi. Les deux époux se regardent avec angoisse. À moins que…Il faut brûler les arbres-nains. Avec des larmes dans les yeux, sa femme se saisit du thuya centenaire, le met en pièces et allume un feu. Le végétal a tôt fait de se consumer. Il faut maintenant alimenter la flamme avec le pin; puis c'est au tour de l'érable.

Tomonari et sa femme n'ont plus rien. Ils ont tout donné; même ce qu'ils ont de plus cher. Ils peuvent être fiers. En se délivrant de tout attachement égoïste, ils se sont rapprochés du Nirvâna. Le Bouddha doit être content d'eux.

Source : https://www.wikiwand.com/fr/Arbres-nains

mardi 3 novembre 2020

Le hasard et la providence




Le seul survivant d'un naufrage a été emporté par les vagues sur une petite île déserte.
Seul, découragé, il prie tous les jours pour que quelqu'un vienne le sauver.
Mais l'horizon n'est qu'une ligne bleue, désespérément bleue...
Pour ne pas mourir de faim, l'homme chasse.
Pour se mettre à l'abri, il décide de construire une méchante hutte à l'aide de longues feuilles de bananiers séchées.

Après des semaines de travail assidu, son abri de fortune tient à peu près debout.
Fier de son ouvrage, il part à la chasse, mais à la mi-journée, un orage effroyable le surprend et il revient en courant vers sa hutte. Trop tard ! Elle a pris la foudre et le feu la consume...

A genoux sur la plage, l'homme hurle sa détresse : "Mon Dieu, comment peux-tu me faire ça ? Pourquoi me fais-tu ça ?».
Puis, anéanti par la fatigue et la colère, il s'endort sur le sable.

Très tôt, le lendemain matin, il est réveillé par un bruit sourd... un moteur... Il bondit sur ses jambes : un cargo approche de son île ! Ça y est,  il est sauvé ! Une fois sur le bateau, le capitaine lui rend visite dans sa cabine. Alors le naufragé lui demande :

- Comment saviez-vous que je me trouvais ici ? 

- Nous avons vu votre signal de fumée...

Source : http://www.marhba.com/forums/culture-et-histoire-tunisie-38/contes-et-legendes-tunisie-43973.html

mardi 27 octobre 2020

Qu’avait trouvé Archimède ?


Mathématicien, inventeur, ingénieur, le vrai nom du savant était Archimède de Syracuse, et eurêka, ça signifie « J’ai trouvé » en grec ancien. 

Mais qu’avait-il donc trouvé? Selon la légende, le roi de Syracuse avait commandé à un orfèvre une couronne et lui avait donné l’or nécessaire à sa fabrication. La couronne réalisée était superbe et sa masse était identique à celle de l’or donné, mais le roi avait un doute : elle ne semblait pas faite d’or pur… Il demanda à son ami Archimède de s’en assurer sans détruire l’ouvrage. 

La notion de volume et surtout sa mesure sous ses formes complexes étaient alors inconnues à l’époque! En pleine réflexion, et en se plongeant dans une baignoire un peu trop pleine, il constata alors que celle-ci débordait et… Eurêka! Il avait trouvé comment mesurer et comparer le volume de la couronne à celui de l’or donné par déplacement d’eau. Il confirma ainsi que l’or de la couronne n’était pas pur. L’orfèvre fût condamné pour duperie, et la notion de masse volumique entra dans l’histoire. 

Même si cette anecdote est douteuse, on a donné le nom du célèbre savant à la fameuse « poussée d’Archimède», devenue loi ou théorème seulement au XVIe siècle.

La vie d’Archimède se termine aussi de façon légendaire : lors de la prise de Syracuse en -212 av. J.C., un soldat croise le savant traçant des cercles sur le sol. Troublé dans sa concentration, Archimède lui lance : « Ne dérange pas mes cercles ». Vexé, le soldat tue alors le vieillard de 75 ans. 

Source : https://www.quebecscience.qc.ca/14-17-ans/encyclo/eureka/

vendredi 16 octobre 2020

Que faites-vous de votre savoir ?


Dans cette vie la possession du savoir et du savoir-faire attirent l’attention des hommes. Les hommes aiment détenir le savoir. Mais, cette obsession de tout savoir nous mène souvent au péril. Savoir et savoir-faire doivent toujours et obligatoirement être suivi de partager. Car contrôler son savoir et refuser de le partager est égoïste quand on sait que le savoir est éphémère, qu’on ne peut tout savoir et qu’à plusieurs on fait progresser le savoir et son savoir. 

Si je vous conseille de transmettre c’est pour vous éviter le pire et vous le comprendrez sûrement après avoir lu cette histoire.

il était une fois un royaume, de loin le plus riche de tous les temps. Le roi possédait un grand savoir acquis auprès des plus grands sages de son temps. Ses ministres étaient aussi plein de savoirs grâce à des études chèrement payées dans de grandes universités. Les riches en savoir ne donnaient rien aux pauvres. Ils leur disaient : « faites-nous confiance ; nous savons ! ». Et les riches devenaient plus riches et les pauvres plus pauvres. 

Le quotidien de ce royaume s’écoulait ainsi tous les jours. La misère d’un côté et l’opulence de l’autre.  

Un jour, un sage venu de la nuit des temps apparut dans le royaume. La nouvelle parvint jusqu’au roi qui demanda de lui ramener l’étranger sur le champ. Le sage observa longuement le palais et constata l’ampleur de la richesse de ce royaume. Devant le souverain il ne s’inclina point. Le roi : « comment osez-vous rester debout devant le roi, lui qui sait tout ? » 

Le sage : « je ne vois pas de roi ici, devant qui dois-je m’incliner ?» Face à une telle insolence le roi perdit son sang-froid et ordonna de lui couper la tête. 

Mais les mains des soldats passaient à travers le corps de l’homme. Il n’était fait que du gaz et n’avait pas de corps. Le roi : « mais qui êtes-vous donc vieil homme et que voulez-vous ? » 

Le sage : « je suis le temps et ce que je veux, c’est rétablir la justice ». Le roi : « insinuez-vous que dans mon royaume il n’y a pas de justice ? » 

Le sage : « le savoir et l’opulence pour certains certes mais pas de justice » Le roi : « et comment comptez-vous vous y prendre pour rétablir votre justice ?» ? Le sage : « le temps s’en chargera. »

Sur ce, le sage disparut, le roi et ses ministres revinrent à leurs fêtes. 

Or, le sage avait le pouvoir de faire avancer et reculer le temps à sa guise. Il pouvait aussi faire tourner les chances. Alors il fit reculer le temps jusqu’au temps du père de l’actuel roi. Il fit tourner la chance du côté d’un paysan qu’il mit à la place de l’héritier du trône et l’actuel roi se retrouvait dans une petite cabane près d’un champ de maïs. 


Comme sortant d’un rêve il demanda au vieillard qui se trouvait dans la cabane avec lui : « mais où suis-je et qu’est-ce que je fais ici ?»

Le vieillard : « mais que t’arrives-t-il mon garçon, tu es chez toi.».

L’actuel roi : « comment osez-vous vieillard, je suis l’héritier du trône je vais vous faire exécuter sur le champ ». Il sortit en courant et se dirigea vers le palais où avait lieu l’investiture. Le fils du paysan changé en roi se demandait lui aussi ce qui lui arrivait. Mais le sage lui dit de se taire et de régner. 
L’actuel roi arriva à la porte du palais et se vit repousser par les gardes. Face à cela, il retourna chez le vieillard et resta hébété. Le vieillard lui dit : « mon fils, vas cultiver le champ au lieu de rester à ne rien faire, Nous serons punis si nous ne leur livrons pas la récolte à temps ».

Des jours passèrent et notre roi devenu paysan se résigna à accepter son sort. Le jeune homme se rendit compte de ce qui se passait dans son royaume. Il réalisa la souffrance que les pauvres enduraient au quotidien. 

Le jeune homme qui avait tout perdu décida de mener une révolte. Mais il fut arrêté et condamné à mort avec tous ses compagnons. Le jour de l’exécution, la chance tourna et à sa place se trouva le véritable fils du paysan. Il était redevenu roi. Il les gracia tous et décida de rétablir la justice dans son royaume. Tous purent développer leur savoir en fonction de leur goût et de leurs talents. Il arriva enfin à éradiquer la pauvreté et rétablir la justice. Mais il cherchait le sage. Celui-ci réapparut et salua le roi en se prosternant devant lui.

Le roi lui posa une question : « pourquoi vous prosternez-vous aujourd’hui alors que dans le passé ou le futur je ne sais pas trop vous aviez refusé ? » 

Le sage : « dans le futur ou le passé comme tu le dit tu n’étais pas mon roi mais celui de tes ministres et leurs épouses, car tu ne nourrissais qu’eux et tes soldats. Aujourd’hui tu es le père de tout le royaume et tu nourris tous tes sujets sans distinction de classe. C’est pour cela que je te salue comme un roi ».

Sur ce, le sage s’en alla et notre roi a su faire régner la justice jusqu’à sa mort.



Inspiré d’une histoire écrite par Djibouti (http://des-histoires.com/lire.php?histoire=8390)

 

Publiée le 12/02/2016

jeudi 8 octobre 2020

Qu’est-ce que le savoir ? La leçon de la 774ème nuit


Savez-vous que Shéhérazade se mit à raconter ses contes afin de ne pas être tuée par le Sultan ? Et comme il devait la faire tuer au matin, elle commençait une histoire dans la nuit mais ne la terminait pas au lever du jour. Voulant connaître la fin de l'histoire, le Sultan faisait reporter l'exécution. La nuit suivante, Shéhérazade finissait le conte, mais en commençait un autre tout de suite après. Cela dura mille et une nuits. Tant et si bien qu'il est raconté que le Sultan épargna Shéhérazade.

Lorsque fut la sept cent soixante-quatorzième nuit, Shéhérazade dit :

On raconte que dans une ville d'entre les villes, où l'on enseignait toutes les sciences, vivait un jeune homme beau et studieux. Bien que rien ne lui manquât, il était possédé du désir de toujours apprendre d'avantage. Il lui fut un jour révélé, grâce au récit d'un marchand voyageur, qu'il existait dans un pays fort éloigné, un savant qui était l'homme le plus saint de l'Islam et qui possédait à lui seul autant de science, de sagesse et de vertu, que tous les savants du siècle réunis. Malgré sa renommée, ce savant exerçait le simple métier de forgeron, comme son père avant lui et son grand-père avant son père.
Ayant entendu ces paroles, le jeune homme rentra chez lui, prit ses sandales, sa besace et son bâton, et quitta la ville et ses amis sur le champ. Il marcha pendant quarante jours et quarante nuits. Enfin il arriva dans la ville du forgeron. Il alla directement au souk et se présenta à celui dont tous les passants lui avaient indiqué la boutique. Il baisa le pan de la robe du forgeron et se tint devant lui avec déférence. Le forgeron qui était un homme d'âge au visage marqué par la bénédiction lui demanda :
_ Que désires-tu, mon fils ?
_ Apprendre la science. répondit le jeune homme.
Pour toute réponse le forgeron lui mit dans les mains la corde du soufflet de la forge et lui dit de tirer. Le nouveau disciple répondit par l'obéissance et se mit aussitôt à tirer et à relâcher la corde sans discontinuer, depuis le moment de son arrivée jusqu'au coucher du soleil. Le lendemain il s'acquitta du même travail, ainsi que les jours suivants, pendant des semaines, pendant des mois et ainsi toute une année, sans que personne dans la forge, ni le maître, ni les nombreux disciples qui avaient chacun un travail tout aussi rigoureux, ne lui adressât une seule fois la parole, sans que personne ne se plaignît ou seulement murmurât.

Cinq années passèrent de la sorte. Le disciple, un jour, se hasarda timidement à ouvrir la bouche :
_ Maître...
Le forgeron s'arrêta dans son travail. Tous les disciples, à la limite de l'anxiété, firent de même. Dans le silence il se tourna vers le jeune homme et demanda :
_ Que veux-tu ?
_ La science !
Le forgeron dit :
_ Tire la corde !
Sans un mot de plus tout le monde reprit le travail. Cinq autres années s'écoulèrent durant lesquelles, du matin au soir, sans répit, le disciple tira la corde du soufflet, sans que personne ne lui adressât la parole. Mais si quelqu'un avait besoin d'être éclairé sur une question de n'importe quel domaine, il lui était loisible d'écrire la demande et de la présenter au Maître le matin en entrant dans la forge. Le Maître ne lisait jamais l'écrit. S'il jetait le papier au feu, c'est sans doute que la demande ne valait pas la réponse. S'il plaçait le papier dans son turban, le disciple qui l'avait présenté trouvait le soir la réponse du Maître écrite en caractères d'or sur le mur de sa cellule.

Lorsque dix années furent écoulées, le forgeron s'approcha du jeune homme et lui toucha l'épaule. Le jeune homme, pour la première fois depuis des années, lâcha la corde du soufflet de forge. Une grande joie descendit en lui. Le Maître dit :
_ Mon fils, tu peux retourner vers ton pays et ta demeure, avec toute la science du monde et de la vie dans ton coeur. Car tout cela tu l'a acquis en acquérant la vertu de la patience !
Et il lui donna le baiser de paix. Le disciple s'en retourna illuminé dans son pays, au milieu de ses amis. Et il vit clair dans la vie.

D'après les Contes des Mille et une Nuits Ed. Bouquins 


jeudi 1 octobre 2020

Pas assez propre !

                                                     


Un jour , le Maître du thé regardait son fils occupé à balayer et a arroser l'allée du jardin.

« Pas assez propre ! » décréta le Maître quand son fils eut achevé sa tâche, et il le somma de recommencer.


 Après une heure de travail épuisant, jeune homme se tourna vers le Maître : « je ne peux rien faire de plus. J'ai lavé trois fois les dalles, arrosé les lanterne de pierre et les arbustes ; la mousse et les lichens brillent comme une verdure rafraîchissante. Je n'ai pas laissé la moindre brindille,  ni la moindre feuille sur le sol. 


- Jeune sot, le tança le maître.  Ce n'est pas ainsi qu'il convient de balayer une allée 

Sur ces mots,  le maître descendit dans le jardin, secoua un arbre il répondit çà et là des feuilles d'or et de pourpre, comme autant d'éclats d'un brocard automnale.  Car le Maître n'exigeait  pas seulement la propreté,  mais aussi une beauté qui ne parut point artificielle.  

 

Source : Okakura Kazuko, Le livre du thé, Picquier, 2006

vendredi 25 septembre 2020

Zen attitude



À l'instar du Taoïsme, le zen est une culte du relatif.  Tel Maître le décrit comme l'art de percevoir l'étoile polaire dans le ciel méridional. La vérité ne peut s’atteindre que par la compréhension des contraires. Et le zen, comme taoïsme,  se montre un fervent défenseur de l'individualisme. Rien n'est réel, hormis ce qui relève du fonctionnement de notre propre esprit. Un Maître surprit un jour deux moines qui devisaient en observant une bannière flottant au vent en haut d'une pagode.  

- C'est le vent qui la met en mouvement, dit le premier. 

- C'est la bannière elle-même qui se meut, rétorqua le second. 

- Le  véritable mouvement, trancha le Maître,  ne vient ni du vent et de la bannière, mais de votre propre esprit. 

Un jour, le Maître se promenait dans une forêt en compagnie d'un de ses disciples. Un lièvre détala en les entendant arriver. 

- Pourquoi ce lièvre s'enfuit il en te voyant ? demanda le Maître ?  

- Parce qu'il a peur de moi, répondit le disciple. 

-Non, fit le Maître, parce qu'il sent ton instinct meurtrier.

De telles paroles ne sont pas sans rappeler celle d’un Taoïste qui se promenait un jour avec un ami au bord d'une rivière. 

- Quel bonheur éprouvent les poissons à folâtrer dans l'eau s'exclama-t-il. 

- vous n'êtes pas un poisson remarqua son compagnon,  comment savez-vous que les poissons se plaisent dans l’eau ? 

- Vous n'êtes pas moi ! rétorqua le Taoïste,  comment savez-vous que je ne sais pas que les poissons se plaisent dans l’eau ?  


Source : Okakura Kazuko, Le livre du thé, Picquier, 2006

mardi 15 septembre 2020

Le prince heureux (conte d’Oscar Wilde)



Au sommet d'une haute colonne, dominant la ville, se dressait la statue du Prince Heureux.
Tout entier recouvert de minces feuilles d'or fin, il avait deux brillants saphirs en guise d'yeux, et à la poignée de son épée brillait un gros rubis rouge.
L'admiration qu'on lui portait était générale.
« Il est beau comme un coq de girouette », fit remarquer l'un des échevins, qui souhaitait se faire une réputation d'amateur d'art, « quoique de moindre utilité », ajouta-t-il, car il craignait, bien à tort, qu'on l'accusât de manquer d'esprit positif. « Pourquoi ne peux-tu faire comme le Prince Heureux? demanda une maman à son petit garçon qui pleurait pour voir la lune. Jamais il ne songerait à pleurer pour obtenir quoi que ce soit. » «Je suis content qu'existe au monde un être vraiment heureux », bredouilla un déçu en contemplant la merveilleuse statue.

« Il a tout l'air d'un ange, dirent les enfants de l'Assistance comme ils sortaient de la cathédrale, vêtus d'éclatants manteaux écarlates et de tabliers blancs tout propres.
- Comment le savez-vous? dit le maître de mathématiques, vous n'en avez jamais vu.
- Ah, mais si! dans nos rêves», répondirent les enfants. Le maître de mathématiques fronça le sourcil et prit un air sévère, car il n'approuvait pas que les enfants rêvassent.
Un soir, il advint qu'un petit martinet vola par-dessus la ville. Ses amis étaient partis pour l'Égypte six semaines plus tôt, mais il s'était attardé par amour pour une très belle plante de la famille des Roseaux. Il l'avait rencontrée au printemps, alors qu'il descendait la rivière à la poursuite d'un gros papillon jaune, et avait été si séduit par la sveltesse de sa taille qu'il s'était arrêté pour lui parler.
«Vous aimerai-je », avait dit le Martinet qui aimait à jouer franc jeu, et la Plante s'était inclinée très bas. Alors il s'était mis à voleter tout autour d'elle, effleurant de ses ailes l'eau qu'il couvrait de ridules argentées. C'est ainsi qu'il lui fit sa cour, et celle-ci dura tout l'été.
« Que voilà un attachement ridicule! gazouillaient les autres martinets; elle n'a pas le sou, puis sa famille est trop nombreuse»; et, en vérité, la rivière regorgeait de Roseaux. L'automne venu, tous les martinets s'en étaient allés.
Après leur départ, se sentant seul, il avait commencé à se lasser de sa dame. «Elle n'a pas de conversation, et je crains que ce ne soit une coquette car elle ne cesse de minauder avec le vent. » De fait, chaque fois que le vent soufflait, la Plante se répandait en révérences des plus gracieuses. «Sans doute est-elle fort attachée à son intérieur, poursuivit-il, mais comme j'aime à voyager, ma femme se devra d'aimer les voyages. » «M'accompagnerez-vous?» lui demanda-t-il enfin, mais elle fit non de la tête : elle était trop attachée à sa demeure.
- Vous vous êtes jouée de moi, s'écria-t-il.
Je pars pour les Pyramides. À vous revoir!» et il s'envola.
Tout le jour il vola, et le soir il parvint à la ville.
«Où m'installer? dit-il. J'espère que la municipalité aura fait des préparatifs. » C'est alors qu'il aperçut la statue, tout en haut de la colonne. «Je vais m'installer là-haut, s'écria-t-il. La situation est excellente, et l'air frais ne manque pas.»
Il alla donc se percher entre les pieds du Prince Heureux.

«J'ai une chambre en or», murmura-t-il en regardant tout alentour. Il se préparait à s' endormir quand, à l'instant précis où il allait abriter la tête sous son aile, une grosse goutte d'eau lui tomba dessus. «Comme c'est bizarre! s'écria t-il. Pas un nuage au ciel, les étoiles brillent de tout leur éclat, et voilà qu'il pleut. Décidément, il fait bien mauvais dans le nord de l'Europe.
Mlle Roseau aimait la pluie, mais par pur égoïsme. » Une deuxième goutte tomba.
«À quoi sert donc une statue si elle ne protège pas de la pluie? Je m'en vais chercher quelque bonne cheminée », et il résolut de prendre son envol.
Mais avant qu'il ait déployé ses ailes, une troisième goutte tomba. Il leva les yeux et découvrit... Ah! Que découvrit-il donc?
Les yeux du Prince Heureux étaient emplis de larmes, et des larmes coulaient le long de ses joues d'or. Sous la lumière de la lune, son visage était si beau que le petit martinet se sentit envahi de pitié.
«Qui êtes-vous? demanda-t-il.
- Je suis le Prince Heureux.
- Alors pourquoi pleurez-vous? demanda le Martinet. Vous m'avez complètement trempé.
- Lorsque j'étais en vie et que je possédais un cœur d'homme, répondit la statue, j'ignorais ce que c'était que les larmes car je vivais au palais de Sans-Souci, où le chagrin n'a pas le droit de pénétrer. Pendant le jour je jouais dans le jardin avec mes compagnons, le soir je menais le bal dans le Grand Salon. Le jardin était ceint d'un mur fort imposant, mais jamais je ne me souciai de demander ce qui se trouvait derrière. Tout était si beau autour de moi! Mes courtisans m'appelaient le Prince Heureux, et si le bonheur n'est rien d'autre que le plaisir, oui, j'étais heureux. Ainsi je vécus, ainsi je mourus. Et maintenant que je suis mort, on m'a installé ici, tellement haut que je peux voir toute la laideur et toute la misère de ma ville. Mon cœur a beau être fait de plomb, comment ne pleurerais-je?»
« Quoi! il n'est pas en or massif?» se dit le Martinet à part lui. Sa politesse l'empêchait d'exprimer à haute voix des remarques personnelles.

«Là-bas, poursuivit la statue d'une voix basse et musicale, là-bas dans une petite rue, il est une pauvre maison. Une des fenêtres est ouverte, et à travers elle je distingue une femme, assise à une table. Son visage est mince et las, et ses mains sont rugueuses et rouges, toutes piquetées par l'aiguille, car elle est couturière. Elle brode des passiflores sur une robe de satin que la plus jolie des demoiselles d'honneur de la Reine portera lors du prochain bal de la Cour. Sur un lit, dans un coin de la pièce, gît son petit garçon qui est malade. Il a la fièvre et demande des oranges. Comme sa mère n'a rien à lui donner que de l'eau de rivière, il pleure.
Martinet, martinet, petit martinet, ne veux-tu pas lui porter le rubis de la poignée de mon épée? Mes pieds sont attachés à ce piédestal, et je ne peux bouger.
- On m'attend en Égypte, dit le Martinet. Mes amis volent en tous sens au-dessus du Nil, et parlent aux grandes fleurs de lotus. Bientôt ils s'en iront dormir dans le tombeau du Grand Roi. Le Roi est là, en personne, dans son cercueil bariolé. On l'a emmailloté de lin jaune et embaumé avec des épices. Autour de son cou, il y a une chaîne de jade vert pâle. Ses mains semblent des feuilles fanées.
- Martinet, martinet, petit martinet, dit le Prince, ne veux-tu pas rester une seule nuit auprès de moi, et me servir de messager? Le garçon a tellement soif, et sa mère est si triste.
- Je ne crois pas avoir de penchant pour les garçons, répondit le Martinet. L'été dernier, lorsque j'étais installé sur la rivière, deux garçons mal élevés - les fils du meunier - ne cessaient de me jeter des pierres. Jamais ils ne m'ont touché, bien sûr; nous autres martinets sommes d'habiles voltigeurs, et je viens d'une famille célèbre pour son agilité; ce n'en était pas moins une marque d'irrespect.» Mais le Prince Heureux avait l'air si triste que le petit martinet se sentit affligé. « Il fait bien froid ici, répondit-il, mais je resterai auprès de vous une seule nuit, et je vous servirai de messager.
- Merci, petit martinet », dit le Prince.
Et le Martinet picota l'épée du Prince pour en dégager le gros rubis qu'il prit dans son bec avant de s'envoler par-dessus les toits de la ville.
Il passa devant la tour de la cathédrale, où étaient sculptés les anges de marbre blanc. Il passa devant le palais et entendit la rumeur de la danse.
Une belle jeune fille sortit sur le balcon avec son amoureux. «Comme les étoiles sont merveilleuses, lui disait-il, et comme est merveilleux le pouvoir de l'amour!
- J'espère que ma robe sera prête à temps pour le bal de la Cour, répondit-elle, j'ai commandé d'y faire broder des passiflores, mais les couturières sont tellement paresseuses...»
Il passa au-dessus de la rivière, et il vit les lanternes accrochées aux mâts des navires. Il passa au-dessus du Ghetto, et il vit les vieux juifs qui marchandaient entre eux et pesaient de l'argent dans des balances de cuivre. Pour finir, il parvint à la pauvre maison et regarda à l'intérieur. Le garçon se retournait fiévreusement sur son lit; la mère s'était endormie tant elle était fatiguée. Il sauta dans la pièce et déposa le gros rubis sur la table, près du dé à coudre de la femme. Puis il voleta délicatement tout autour du lit, éventant de ses ailes le front du garçon. « Quelle fraîcheur ! dit le garçon, je dois aller mieux»; et il s'abîma dans un délicieux sommeil.

Lors, le Martinet s'en retourna auprès du Prince Heureux auquel il raconta ce qu'il avait fait. «C'est bizarre, remarqua-t-il, mais je me sens tout réchauffé alors qu'il fait si froid.
- C'est parce que tu as fait une bonne action », dit le Prince. Et le Martinet se mit à réfléchir, puis s'endormit. La réflexion lui donnait toujours sommeil.
Lorsque le jour se leva, il vola jusqu'à la rivière et prit un bain.
« Quel phénomène remarquable! dit le professeur d'ornithologie qui traversait le pont. Un martinet en hiver!» Et il écrivit une longue lettre à ce sujet dans le journal local. Chacun la cita tant elle était remplie de mots que nul ne comprenait.

«Ce soir, je pars pour l'Égypte, dit le Martinet qui se sentit tout ragaillardi à cette idée. Il visita tous les monuments publics, et demeura un long moment au sommet de la flèche de l'église. Partout où il se rendait, les moineaux piaillaient et se disaient l'un à l'autre: «Quel étranger de mine distinguée!» Aussi s'amusait-il beaucoup.
Lorsque la lune se leva, il vola une nouvelle fois vers le Prince Heureux.
«Avez-vous quelque commission à porter en Égypte ? lança-t-il. Je pars à l'instant.

- Martinet, martinet, petit martinet, dit le Prince, ne veux-tu pas rester avec moi une nuit de plus?
- On m'attend en Égypte, répondit le martinet. Demain mes amis voleront jusqu'à la Deuxième Cataracte. L'hippopotame s'y accroupit parmi les roseaux, et sur une vaste demeure de granit est assis le dieu Memnon. Toute la nuit il regarde les étoiles, et quand brille celle du matin il pousse un cri de joie, puis se tait. À midi les lions jaunes descendent au bord de l'eau pour boire. Leurs yeux sont comme des béryls verts, et ils rugissent plus fort encore que la cataracte.
«Martinet, martinet, petit martinet, dit le Prince. Là-bas, à l'autre bout de la ville, je vois un jeune homme dans une mansarde. Il se penche sur un bureau couvert de papiers. Dans un gobelet, près de lui, il y a un bouquet de violettes fanées. Ses cheveux sont bruns et crépus, ses lèvres rouges comme la grenade, et il a de grands yeux rêveurs. Il essaie de finir une pièce pour le directeur du Théâtre, mais il a trop froid pour continuer à écrire. Il n'y a pas de feu dans l'âtre, et la faim l'a fait s'évanouir.
- J'attendrai auprès de vous une seule autre nuit, dit le Martinet qui avait vraiment bon cœur. Lui porterai-je un autre rubis?
- Hélas! Je n'ai plus de rubis à présent, dit le Prince. Mes yeux sont tout ce qui me reste.
Ils sont faits de rares saphirs qu'on a rapportés de l'Inde il y a mille ans. Arraches-en un et apporte le-lui. Il le vendra au bijoutier, il achètera du bois et il finira sa pièce.
- Cher Prince, dit le Martinet, je ne peux pas faire cela, et il se mit à pleurer.
- Martinet, martinet, petit martinet, dit le Prince, fais ce que je t'ordonne. »
Et le Martinet, ayant arraché l'œil du Prince, s'envola vers la mansarde de l'étudiant. Il était bien facile d'y entrer à cause d'un trou dans le toit. Le Martinet s'y engouffra et pénétra dans la pièce. Le jeune homme avait enfoui sa tête entre ses mains, aussi n'entendit-il pas le battement des ailes de l'oiseau. Mais quand il leva les yeux, il découvrit le beau saphir posé sur les violettes fanées.
- On commence à m'apprécier! s'écria-t-il. Cela sera venu de quelque fervent admirateur. Je peux finir ma pièce maintenant. »
Le jour suivant, le Martinet descendit jusqu'au port. Perché sur le mât d'un grand vaisseau, il contempla les matelots qui, à l'aide de cordes, hissaient de vastes coffres hors de la cale.
«Ho-Hisse!» criaient-ils chaque fois qu'un coffre s'élevait. «Je m'en vais en Égypte!» s'écriait le Martinet, nuis personne ne lui prêtait attention. Quand la lune se leva, il s'en revint auprès du Prince Heureux.
«Je suis venu vous faire mes adieux, lança-t-il.
- Martinet, martinet, petit martinet, dit le Prince, ne resteras-tu pas une nuit de plus auprès de moi?
- C'est l'hiver, répondit le Martinet, et bientôt la neige glaciale sera là. En Égypte le soleil est chaud sur les verts palmiers. Les crocodiles sont allongés dans la boue et regardent paresseusement autour d'eux. Mes compagnons bâtissent un nid dans le temple de Baalbec, et les colombes roses et blanches les regardent en roucoulant entre elles. Cher Prince, il faut que je vous quitte mais jamais je ne vous oublierai. Le printemps prochain je vous rapporterai deux bijoux magnifiques pour remplacer ceux que vous avez donnés. Le rubis sera plus rouge qu'une rose rouge, et le saphir aussi bleu que la mer immense.
- En bas, sur la place, se tient une petite marchande d'allumettes, dit le Prince Heureux.
Elle a laissé ses allumettes tomber dans le caniveau, et elles ont toutes été gâtées. Son père la battra si elle ne rapporte pas d'argent à la maison, et elle pleure. Elle n'a ni chaussures ni bas, et sa petite tête est nue. Arrache-moi mon autre œil, donne-le-lui et son père ne la battra pas.
- Je resterai une nuit de plus auprès de vous, dit le Martinet, mais je ne peux pas vous arracher votre œil. Vous seriez complètement aveugle.
- Martinet, martinet, petit martinet, dit le Prince, fais ce que je t'ordonne.»
Ayant arraché l'autre œil du Prince, le Martinet s'élança. Il passa comme une flèche près de la marchande d'allumettes et lui glissa le joyau dans la paume de la main.

« Oh, le joli morceau de verre!» s'écria la petite fille qui rentra chez elle en riant. Alors le Martinet retourna auprès du Prince.
« Maintenant que vous voilà aveugle je resterai toujours auprès de vous.
- Non, petit martinet, dit le pauvre Prince, il faut que tu partes pour l'Égypte.
- Je resterai toujours auprès de vous », dit le Martinet qui s'endormit auprès du Prince.
Pendant toute la journée du lendemain, il lui conta ce qu'il avait vu en étranges contrées. Il lui parla des longues rangées d'ibis rouges, debout au bord du Nil, qui happent dans leurs becs des cyprins dorés; du Sphinx, qui est aussi vieux que le monde lui-même - il vit dans le désert et connaît toute chose; des marchands qui marchent à pas lents au côté de leurs chameaux et tiennent à la main des chapelets d'ambre; du roi des montagnes de la Lune, qui est noir comme l'ébène et adore un vaste cristal; du grand Serpent vert qui dort dans un palmier et se fait nourrir de gâteaux au miel par vingt prêtres; et aussi des Pygmées qui, montés sur de larges feuilles plates, voguent à travers un grand lac et mènent une guerre perpétuelle contre les papillons.
« Cher petit martinet, dit le Prince, tu me parles de merveilles, mais rien n'est plus merveilleux que la souffrance des hommes et des femmes. La Misère excède tout Mystère. Vole au-dessus de ma ville, petit martinet. Raconte moi ce que tu vois là-bas. »
Et le Martinet survola la grande ville. Il vit les riches s'égayant dans leurs splendides demeures, tandis que les mendiants restaient assis devant les grilles. Il vola par de sombres ruelles et vit les faces blêmes des enfants affamés qui fixaient distraitement les rues noires. Sous l'arche d'un pont, deux petits garçons, pour se réchauffer, se serraient dans les bras l'un de l'autre. « Comme nous avons faim!» dirent-ils. « Interdit de dormir ici», cria le veilleur, et ils s'en allèrent sous la pluie.

Alors le Martinet s'en revint conter au Prince ce qu'il avait vu.
«Je suis couvert d'or fin, dit le Prince, il faut que tu l'enlèves feuille à feuille et que tu en fasses don à mes pauvres; les vivants s'imaginent toujours que l'or peut les rendre heureux.» Une à une, le Martinet détacha les feuilles d'or fin jusqu'à ce que le Prince Heureux eût pris un aspect tout terne et gris. Une à une, il portait aux pauvres les feuilles d'or, et les visages des enfants en devenaient plus roses. Ils se mettaient à rire et à jouer en pleine rue. «Nous avons du pain maintenant!» s'écriaient-ils.
Puis vint la neige, et le gel après la neige. Les rues semblaient faites d'argent tant elles luisaient, étincelaient; tels des poignards de cristal, de longs glaçons pendaient aux avant-toits des maisons, tout le monde se promenait en fourrure, et les petits garçons, coiffés de casquettes cramoisies, patinaient sur la glace.
Le pauvre petit martinet avait de plus en plus froid, mais il ne voulait pas quitter le prince. Il l'aimait trop tendrement. Lorsque le boulanger regardait ailleurs, il becquetait des miettes à la porte de la boulangerie et tentait de se réchauffer en battant des ailes.
Mais, au bout du compte, il sut qu'il allait mourir. Il eut tout juste la force de voler une fois de plus jusqu'à l'épaule du Prince.
« Au revoir, cher Prince! murmura-t-il. Me laisserez-vous baiser votre main?

- Petit martinet, je suis heureux que tu partes enfin pour l'Égypte, dit le Prince. Tu es resté ici trop longtemps. Mais tu dois me baiser les lèvres car je t'aime.
Ce n'est pas en Égypte que je vais, répondit le Martinet. Je vais à la maison de la Mort.
La Mort n'est-elle pas la sœur du Sommeil?»
Et il baisa les lèvres du Prince Heureux avant de tomber mort à ses pieds.
À cet instant, un étrange craquement se fit entendre à l'intérieur de la statue, comme si quelque chose s'y était brisé. Oui, le cœur de plomb venait de se fendre en deux morceaux.
Sans doute était-ce la faute d'un gel terriblement dur.
Tôt le lendemain matin, le maire, accompagné des échevins, traversa la place en contrebas.
Lorsqu'ils passèrent devant la colonne, il leva les yeux vers la statue :
«Mon Dieu! Le Prince semble en bien piteux état! dit-il.
- Piteux état en vérité!» s'exclamèrent les échevins qui étaient toujours d'accord avec le maire, et ils montèrent l'examiner.
«Le rubis est tombé de son épée, ses yeux ont disparu, il n'est plus doré, dit le maire. Vrai, il ne vaut guère mieux qu'un mendiant!
- Guère mieux qu'un mendiant, reprirent les échevins.
- Et voilà-t-il pas un oiseau mort à ses pieds! continua le maire. Décidément, il nous faut proclamer que les oiseaux n'ont pas le droit de mourir ici. » Le secrétaire de mairie prit bonne note de la suggestion.
On abattit donc la statue du Prince Heureux.
« N'ayant plus de beauté, le prince n'est plus utile », dit le professeur d'art à l'université.
Alors on fondit la statue dans une fournaise, et le maire réunit un conseil de la guilde pour décider de ce qu'on ferait du métal.
«Bien entendu, il nous faut une autre statue : la mienne, déclara-t-il.
- La mienne », répétèrent tous les échevins, et ils se querellèrent. La dernière fois que j'entendis parler d'eux, ils se querellaient encore.
«Comme c'est bizarre! dit le contremaître de la fonderie. Ce cœur de plomb brisé se refuse à fondre dans la fournaise. Il nous faut le jeter, » On le jeta donc sur un tas d'ordures où gisait le Martinet mort.
«Apportez-moi les deux objets les plus précieux de la ville», demanda Dieu à l'un de ses anges; et l'ange lui apporta le cœur de plomb et l'oiseau mort.
«Tu as justement choisi, dit Dieu, car dans mon jardin de paradis ce petit oiseau chantera à jamais, et dans ma ville d'or le Prince Heureux chantera mes louanges. »

 

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