mercredi 23 février 2022

Le bocal de sable



Hier soir, pendant ma promenade, une corde est tombée du ciel. J'ai attendu pour voir si quelqu'un allait descendre. Comme personne ne se montrait, j'ai tiré sur la corde pour vérifier sa solidité. J'ai pensé que quelqu'un voulait que je monte. 

 

La seule chose que je peux imaginer là-haut, c'est le paradis. Je me suis dit que cette corde ne pouvait pas être entièrement mauvaise. J'ai posé ma canne, j'ai craché dans mes mains et après avoir assuré ma prise, j'ai commencé à grimper. J'étais là, moi, vieux bonhomme insignifiant en train de grimper vers le ciel. Les étoiles sont devenues si proches qu'on aurait pu les prendre pour les lumières de la ville, tandis que la ville était si lointaine que ses lumières ressemblaient aux étoiles. 

 

Quand je suis arrivé en haut de la côte, j'ai vu qu'elle avait été jetée par une fenêtre ouverte, suspendue dans le ciel. Une lumière éclatante brillait à cette fenêtre. Comme j'avais envie de voir d'où elle venait, j'ai franchi le rebord de la fenêtre et je suis retombé sur la plage du Temps. 

 

La plage du Temps, c'est l'endroit où sont gardés les bocaux de vie. Chaque bocal est rempli du sable qui mesure notre temps sur terre.  J'ai cherché parmi tous ces bocaux et j'ai fini par trouver le tien. Regarde. Il est rempli de sable jusqu'en haut. Si on en mettait encore un peu plus, ça déborderait.  Dieu t'a donné plus de jours de vie qu’à la plupart.  Je suis bien placé pour le savoir. J'ai vu tous les bocaux. J'ai bien vu que certains étaient remplis d’une cuillérée de sable, d'autres ne contenait qu'un seul grain. Dieu a projeté de grandes choses pour toi. 

 

Tiffany McDaniel, Betty, Gallmeister 2020

mardi 15 février 2022

Je garderai ma sensibilité d'enfant



Takeshi Kitano est un réalisateur japonais. Dans un de ses livres, il se rappelle son enfance dans la Japon d’après-guerre. 


J’ai le sentiment que, de mon temps, les gamins se consacraient à une chose à la fois.  Quand on jouait à un jeu, on jouait à ce jeu.  Chaque plaisir laissait une impression forte.  On me demande souvent de citer les sports et les jeux que j'ai pratiqué dans mon enfance. J’en compte à peine une dizaine. Tous sont clairement imprimés dans ma mémoire.  On passait tellement de temps avec un même objet ! 

 

Les enfants d'aujourd'hui, ils ont tout. On vit dans une époque où on ne sait plus trop quelles sont nos envies. Disons qu'on finit par les trouver en s'inspirant de son entourage, ou bien inconsciemment, on fait ce que l'entourage croit bon. 

 

C'est étrange.  La sensibilité se forge dans l'enfance en fonction des conditions d'existence, puis elle reste immuable tout au long de la vie. Les pauvres ont leur sensibilité et les riches la leur. On a beau devenir riche une fois adulte, quand on a été pauvre dans l'enfance, on garde toujours sa sensibilité première. 

 

Intérieurement on ne pourra pas changer. Donc moi qui étais pauvre, je ne supporte pas le côté effrayant des nantis. Je ne le supporterai jamais point car un gosse de riche, dès l'enfance ça ne se préoccupe pas des miséreux. C'est son d'éducation qui veut ça. « Toi tu es un enfant de riche honorable, donc tu ne dois pas faire ceci ou cela ! » voilà ce que répètent les parents jour après jour. 

 

Et nous, dans nos cœurs d'enfants, on se disait « eux ils ne sont pas comme nous ». Un type né dans une famille riche ne s embarrassera pas de scrupules vis-à-vis des autres à un moment crucial. Par exemple, quand on était en pleine partie, il disait brusquement « salut je rentre chez moi ».  Pour eux les liens d'amitié avec des gens comme nous ce n'est pas difficile à rompre.  Dès que les choses ne leur sont plus favorables, crac, ils partent, alors qu'entre pauvres on ne se serait jamais arrêté de jouer. 

 

Je voudrais préserver indéfiniment ma sensibilité d'enfant. Aussi mature, aussi riche que je devienne je veux rester intègre fidèle à moi-même, à ma vérité.

 

Takeshi Kitano La vie en gris et rose, Pasquier 2018

mardi 8 février 2022

Le péché en héritage



C'est un homme, un voleur qui devient un meurtrier un jour quand la femme qu'il essaie de voler refuse de lui donner son sac à main. Il n'avait pris son couteau que pour lui faire peur, mais dans la bagarre, il le plante accidentellement dans le ventre de la femme. Juste avant de s'effondrer, elle l’attire contre elle et l'embrasse dans le cou, y laissant l’empreinte de son rouge à lèvres. 

 

N’accordant aucune importance au geste d'une femme mourante, le voleur lui prend son sac à main et enjambe son cadavre. Tandis qu'il compte l'argent que contient le sac, il commence à sentir une étrange chaleur lancinante dans son cou. Il regarde dans un miroir et voit la marque des lèvres rouges de la femme. Il essaie de laver la trace, mais elle ne part pas. 

 

En désespoir de cause, l'homme prend de l'eau de javel et une brosse métallique. Il frotte jusqu'à s'arracher la peau. Il panse sa blessure et dépense l'argent de la femme. Mais une fois que la place est cicatrisée, la croûte tombe et les lèvres de la femme sont là, aussi nettement visibles qu’au moment où elle l'a embrassé. 

 

L'homme devient fou, il achète toutes sortes de savons. Rien n'y fait, les lèvres résistent, comme un tatouage. Chaque fois qu'il les voit, elle lui rappelle la femme. il ne peut plus le supporter point il se met à porter des pulls à cols montant en permanence, mais s'il parvient à cacher les lèvres, il les sent comme une brûlure dans sa chair. 

 

Puis l’enfant que sa femme attendait vient au monde. Un garçon, en parfaite santé. Mais là, dans le cou du bébé, il y a la tâche de rouge à lèvres, la même que celle de son père.  Le fils est héritier du péché de son père. Savoir qu'il a transmis son péché à son fils lui est intolérable. Il confesse ses crimes puis se tranche le cou juste entre les lèvres rouges. Il se vide de son sang avant l'arrivée des secours. 

 

Au courant des crimes commis par son père, le fils grandit avec les lèvres dans le cou. Puis un jour il voit une femme se faire agresser. Le voleur sort un couteau pour la menacer. Au moment où il va lui perforer le ventre, le fils se précipite et se fait poignarder à la place de la femme. Le voleur s'enfuit tandis que le fils s'écroule par terre. La femme qu'il vient de sauver s'agenouille près de lui. « Vous voyez les lèvres dans mon cou ?» lui demande-t-il. « Quelles lèvres ? répond-elle. il n'y a rien ». Elle remercie de lui avoir sauvé la vie, puis il meurt, débarrassé du fardeau du péché reçu en héritage.

 

Tiffany McDaniel, Betty, Gallmeister 2020

jeudi 3 février 2022

Légende indienne : les trois soeurs



Dans différentes tribus indiennes, les trois sœurs représentent les trois cultures les plus importantes. Le maïs, les haricots et les courges. Des cultures poussent ensemble comme des sœurs. 

 

L’ainée est le maïs. Elle est la plus grande et c'est à elle que s'accroche les tiges de ses sœurs plus jeunes. 


La seconde, c'est le haricot. Elle apporte azote et nourriture au sol, ce qui permet à ses sœurs de devenir fortes et résistantes. La plus jeune, c'est la courge. Elle est la protectrice de ses sœurs. Elle étend ses larges feuilles pour faire de l'ombre à la terre et empêche les mauvaises herbes de s'installer. 


Ce sont les tiges des courges qui unissent les trois sœurs par le lien le plus fort qui soit.