jeudi 30 janvier 2020

Les règles du jeu du Monopoly



S’il fallait jouer au Monopoly sans règles, vous devinez aisément ce qui arriverait. Il suffit de faire le test avec des enfants. Sans règles du jeu, c’est le chaos. Tôt ou tard on se jette les pions à la tête, on piétine les billets, on sort en claquant la porte. Je vous demande d’imaginer ce qui se passerait si l’on remplaçait les six ou huit pages qui expliquent traditionnellement les règles de ce jeu par une centaine de volumes de grand format comptant chacun mille ou deux mille pages en très petits caractères. Qui pourrait encore jouer ? Pour ma part, je dirais : le banquier, ses amis et quelques tricheurs. 

Il m’arrive de penser que c’est cette version du Monopoly qui s’impose aujourd’hui. 

Il m’arrive aussi de croire qu’un peu de simplicité et de bon sens nous aiderait davantage que de continuer à essayer de comprendre ces milliers de pages en en rédigeant de nouvelles qui rendent les choses encore plus absurdes. 

Il suffirait peut-être de s’arrêter un moment et de se demander quel est le but du jeu, le vrai but du jeu. 

Francis Dannemark
Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver
Robert Laffont 

mercredi 22 janvier 2020

La culture

La culture aujourd’hui, c’est un peu ça : des activités que l’on vend ou que l’on offre aux gens pour les distraire, culture chic pour les gens aisés, culture trash pour les pauvres et les chômeurs... 
Mais la culture tout de même, ce ne sont pas seulement les beaux-arts – en version sophistiquée ou dégradée -, c’est littéralement tout ce que les humains inventent pour assurer leur survie et celle de l’espèce. 

C’est le feu, l’aspirine, le microscope et la poésie, la règle de trois, le peigne à poux, l’amour et l’arbalète, le piano les courses d’aviron... ça n’a rien d’un luxe, ça n’a rien à voir avec les loisirs. C’est ce qui fait que nous sommes là au lieu d’avoir disparu comme... le mammouth laineux et le tigre à dents de sabre. 

Je n’aime pas que l’on confonde culture et beaux-arts parce que cela donne de la culture une image faussement noble mais très réductrice, très futile au fond, et que cela permet aux responsables politiques de faire l’impasse sur les questions essentielles, les vrais besoins des gens, par exemple. 

Francis Dannemark
Du train où vont les choses à la fin de l’hiver
Robert Laffont

vendredi 17 janvier 2020

Conte : une petite soeur tombée du ciel

Il était une fois deux paysans : ils avaient eu une petite fille, elle s’appelait Clara. Le père s’appelait Franck, la mère Sabine.

Les parents coupaient du bois. Clara était tellement légère que Franck pouvait s’amuser avec elle. Il faisait très froid au pôle Nord. Les nuages étaient en glace, une fois un hélicoptère était resté planté sur un nuage. La ville où habitait la famille Dubois était de plus en plus pauvre. Ils n’avaient plus que du pain et de l’eau. 

Un jour, le père et la petite jouaient à se balancer. Clara avait très peur et pour lui dire que ça ne fait pas peur le père la balança extrêmement haut. La petite atterrit sur un nuage et y resta plantée. 

Depuis deux mois, ils essayent de trouver une solution pour la faire descendre. La petite était glacée et ça faisait plus de quatre mois qu’elle était coincée. 

Un jour, il faisait très beau et les nuages ont commencé à fondre et la petite fille est tombée du ciel. Tout le monde regardait fixement et criait en même temps : « une petite tombe du ciel ». 

Les parents étaient tellement heureux qu’ils s’embrassèrent et le père décida de ne plus la balancer. 

Camille (10 ans)
Extrait de la revue littéraire coopérative « Vents du Perche »

jeudi 9 janvier 2020

Quand le mensonge peut devenir réalité

Extrait du journal de Mihail Sébastian 


Vendredi 5 février 1943

Un titre possible pour un essai : « De la réalité physique du mensonge ». Démontrer que le mensonge aussi arbitraire qu’il soit, croît, se ramifie, s’organise, devient un système, gagne des contours et des points d’appui et, à partir d’un certain degré, se substitue aux faits, se transforme lui-même en fait, exerçant dès lors une pression irrésistible sur tout le monde, y compris sur son auteur.

Mihail Sabastian (1907-1945)
Journal 1935-1944
Stock (1998) 

dimanche 5 janvier 2020

2020, l’année de votre plénitude ?



Hokusaï (1760-1849) était un peintre, dessinateur et graveur. Son œuvre a marqué non seulement les artistes japonais, mais aussi ceux d’occident.

Dans le texte ci-dessous, il partage avec nous son regard sur le temps, l’apprentissage, le temps de l’apprentissage et l’apprentissage du temps :

« Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner la forme des objets, Vers l’âge de cinquante ans, j’avais publié une infinité de dessins, mais tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans ne vaut pas la peine d’être compté. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et insectes. Par conséquence, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai encore fait plus de progrès. À quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des choses ; à cent ans je serai décidément parvenu à un degré de merveille, et quand j’aurai cent dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens ma parole.»

Ce texte parut en préface d’une de ses œuvres les plus abouties, les Cent vues du mont Fuji. 

Nous vous souhaitons d’atteindre cette année -et avant vos 73 ans- la plénitude de la pratique de votre savoir. Après, ce sera du plaisir.

Source : Jean-Paul Andrieux, Le rêve d’hokusai, L’Oeil ébloui (2019)