samedi 28 février 2009

Vérité en deçà, erreur au-delà


- Bonjour monsieur Jones, j'ai beaucoup de plaisir. Je m'inquiétais pour vous, compte tenu de votre retard.
- Bonjour monsieur Martin. Vous êtes en avance. encore plus que moi !
- Non, vous êtes en retard. Il est 10h20 et nous avions rendez-vous à 9h45.
- Pas du tout, il est 9h20. Je suis venu en avance pour profiter du lieu. Je vois que vous avez fait de même.
- Monsieur John, vous êtes en France. Ici, en ce moment, il est officiellement 10h20. Pensez à changer votre montre.
- Il est exact qu'il est 10h20 en France. Toutefois, l'heure est basée sur le méridien de Greenwich. Or, comme vous pouvez le constater, je suis à l'Ouest de celui-ci. Pour moi, il est bien 9h20. Vous, à votre place, à un mètre de moi, vous êtes à l'Est de celui-ci. Il est donc 10h20.
- L'heure est fonction du pays. Il est aussi 10h20 pour vous.
- M. Martin, voici une étrange situation. Vous reconnaissez le méridien de Greenwich et vous refusez de l'appliquer. Voyez, Je me mets exactement sur la ligne bleue. Si j'appelle un collègue à Greenwich, près de Londres, il aura la même heure. De même, si je téléphone à un ami à Douvres, plus à l'Ouest, il aura aussi comme heure 9h20. Donc vous êtes décalé par rapport au soleil.
- M. Jones, imaginez que cela fonctionne comme vous le dites et que j'habite la maison d'en face. Le méridien passe au milieu de ma chambre à coucher. Quand je me réveillerai à 7h20, ma femme le serait en même temps que moi à 8h20. C'est impossible à vivre. nous prendrions le petit déjeuner à 8h30 et accompagnerions les clients à 8h. Ils quitteraient l'école à 12 heures pour rentrer à la maison à 11h10.
- Comment font les frontaliers quand deux pays n'ont pas la même heure officielle ? Regardez en France : les Brestois voient officiellement la nuit plus tard que les habitants de Douvres, mais en fait plus tôt.
- Vous n'allez pas refaire le monde. Cela donnerait souvent des situations comiques. Ce matin, au petit déjeuner, j'étais en avance et ma femme en retard. Par contre, quand nous avons débarrassé la table, j'aurais été en retard et elle en avance.
- Bon, ce n'est pas grave. De discussion en discussion, il est maintenant 10h. Nous pouvons commencer notre rendez-vous.
- Pardon, il est 11h et je dois vous quitter. j'ai un autre rendez-vous.
- Attendez (M. Jones prend M. Martin par le bras et inverse leurs places par rapport au méridien). Voilà maintenant vous êtes à l'heure (10h) et pour moi, il est 11h. Comme j'ai un peu de temps devant moi, nous allons pouvoir continuer à échanger.
- En somme, pour ne jamais être en retard, il fat habiter et travailler sur le même méridien. Imaginez le regroupement de la population sur chaque méridien. Quelle situation ! Je vous propose que nos transposions le lieu de notre prochain rendez-vous à mi-chemin entre les deux méridiens. Quelle vie ! Cela ne fera que quelques centaines de kilomètres à faire. De quoi être en retard pour de bon. Ou en avance…

samedi 21 février 2009

Vivons nous une crise de l'adolescence ?

("Interview capté sur les ondes de la radio P.Ro")
-Monsieur Petitpoucet, bonsoir, merci d'être venu parler à notre auditoire sur la notion de la résilience, autrement dit la capacité à rebondir lors d'une crise. .
- C'est un plaisir pour moi et pour mon agence de services d'information, l'AF.P. ou Agence du Finaud Petitpoucet. Notre devise : "Avancez avec Finesse et Prudence", d'où le sigle AFP.
- Votre histoire est célèbre dans le monde entier. pourtant, vous êtes entouré de féroces concurrents, comme Grimm ou Andersen. Alors, quelle est votre recette ? Comment vous adaptez-vous ? En agissant très vite ?
- C'est le contraire en fait. La première règle est la capacité à prendre du recul. Aujourd'hui, tout le monde veut aller vite, trop vite. Les gens pensent qu'en allant vite, sans réfléchir, ils feront mieux. FAUX ! Ils refont toujours ce qu'ils ont l'habitude de faire. Si vous voulez progresser, vous devez savoir vous arrêter pour trouver de nouvelles solutions.
- Un exemple ?
- Après les petits cailloux et l'usage de la mie de pain pour marquer son chemin, l'ai développé l'usage des fameuses bottes de sept lieues. En fait, elles existaient déjà. Toutefois leur inventeur, M. Ogre, ne s'en servait que pour des buts que je qualifierais de pas très nobles. J'ai eu l'idée, bien avant les inventeurs du télégraphe, de vendre très cher des informations qui étaient longues à avoir. Bref, je vendais du gain de temps et cela vaut toujours cher. La deuxième règle est donc de chercher de nouveaux usages ou modes de consommation, bref de s'adapter.
- Prendre du recul, innover…est-ce que cela suffit ?
- En soi, oui si vous êtes seul, mais dans la pratique, cela n'est pas suffisant. Je me suis souvent retrouvé dans les pires difficultés, perdu seul ou avec mes frères, en passe d'être mangé par l'Ogre ou que sais-je encore. Ce qui m'a permis de m'en sortir, c'est aussi le fait que mes frères m'aient autorisé à prendre des initiatives. Pensez donc, j'étais le plus petit : s'il m'avait fallu respecter le protocole et obtenir l'adhésion des ainés, nous serions morts depuis longtemps. La troisième règle est donc de favoriser l'initiative de chacun en lui octroyant du temps et/ ou des moyens.
- Voici donc les trois recettes miracles pour vous : prendre du recul, innover et prendre des initiatives. Monsieur Petitpoucet…
- Permettez-moi, s'il me reste quelques instants pour m'exprimer, de préciser qu'il y a une quatrième règle importante : celle d'accepter d'employer des gens farfelus et des originaux. Trop souvent, nous nous entourons de personnes qui nous ressemblent. Cela nous sécurise, nous conforte dans nos idées, mais nous n'allons guère plus loin. Le Roi m'a ainsi fait confiance, contre l'avis de sa Cour, lorsque je lui ai proposé mes services. Cela lui a bien servi.
- N'y a-t-il pas quelques dangers à employer des farfelus ?
- Il y a farfelu et farfelu. Moi, je regarde le parcours des personnes et les expériences vécues. Cela est un bon indicateur.
- Un dernier mot pour nos auditeurs ?
- Si votre activité va à l'encontre de vos principes, vous serez vite désillusionné, amer et démotivé. N'invoquez pas la pression de l'environnement ou les contraintes économiques. Vous ne réussirez pleinement qu'en étant en accord avec vos valeurs et en fédérant autour de vous votre entourage.
- Monsieur Petitpoucet, je vous remercie pour votre intervention. La semaine prochaine, nous accueillerons…

A la fin de cette émission de radio, mon fils m'a demandé si mon patron faisait tout cela : me permettre de prendre du recul, innover, me laisser une plage d'initiative, me faire confiance… J'ai du lui avouer que non. Alors, il m'a demandé si nous allions sortir de la crise. Je lui ai dit que oui et là il n'a pas compris. Moi non plus. Puis il m'a demandé si je l'autorisais à tout cela (initiative, autonomie...). Je n'ai pas répondu. Il m'a dit alores : "c'est cela la crise de l'adolescence ?". Quel ingrat !

dimanche 15 février 2009

Le tour de la terre en quatre-vingt dix minutes



A chacun son monde. Pour vous, humains, elle tourne en 24 heures. Et si vous voulez faire le tour du monde, cela vous prend au moins 30 à 40 heures (sauf aux Pôles bien sûr). Pour moi, pourtant fixé au sol, cela me prend 90 minutes en été et une semaine, voire plus en hiver. Etre un banc parisien, cela n'a pas que des inconvénients pour voyager.



Vous pensez peut-être que je délire, je rêve, je fabule… Non, j'observe et j'écoute simplement. Situé là où je suis, face à l'Atelier sur les Champs Elysées, c'est le monde qui vient à moi. Par une belle journée, c'est très agréable. Voulez-vous faire un tour avec moi ? Avec plaisir ? Alors, allons-y !



Nous sommes un samedi. Il fait beau, pas trop froid et la foule déambule tranquillement. Je sors mes notes. Voilà ce que j'ai écrit :



12h32 : nous partons en Autriche. Monsieur, madame et leurs enfants sont assis tranquillement sur moi avec leurs amis. Ils ne parlent guère. Ils sont fatigués de marcher. Leur sujet de prédilection : quand est-ce qu'on mange ? Qu'est-ce qu'on mange ? Désolé, je n'ai rien à vous offrir si ce n'est un peu de répit.



12h48 : décollage pour le Moyen-Orient (Egypte). Monsieur, ses deux épouses et leurs trois enfants ont pris place. Les enfants ne tiennent pas en place et me donnent des coups de pied. Leur sujet : acheter Vuitton ou non ?



13h05 : Nous continuons notre périple vers le golfe persique. Ah, les charmes de Dubaï. Je n'y ai pas été, mais cela semble tentant à ce que j'entends dire. La discussion sur le banc porte à nouveau sur le déjeuner (désolé, c'est l'heure). Cuisine française ou libanaise ? Pour ma part, j'aime l'odeur de la cuisine libanaise (la vraie !).



13h18 : Nous descendons vers l'île Maurice. Je ne les aurai pas pris pour des Mauritiens, mais ils habitent là. Un instant de répit que s'accordent deux jeunes gars, le temps d'envoyer de multiples SMS. Désolé, je ne sais pas comprendre la frappe. En plus, ils ne sont pas très bavards.



13h37 : Bienvenue chez les Aussies (= les Australiens). La discussion devient sérieuse. Qu'est-ce qu'on achète comme souvenirs ? Je leur suggérai bien de m'emporter avec elles, mais mon poids et ma taille sont rédhibitoires.



13h46 : Un rapide long vol nous fait arriver aux USA, au Texas précisément. Au début, peu de discours : ils mangent. Ma plus grande peur est qu'ils me salissent. Après, plus personne ne viendrait s'asseoir. Puis, après le repas, ils contemplent les jolies filles qui passent. Quelques commentaires rigolos sur les proportions respectives des texanes et des européennes.



13h55 : deux tourtereaux anglais prennent place le temps de sucer une glace. L'amour se lit dans leurs yeux. Comme c'est attendrissant. Moi, ma chanson préférée, c'est Brassens et "ses amoureux sur les bancs publics".



14h02 : les voilà reparti. Quelques instants de repos pour moi avant un prochain voyage. Vous avez noté : 90 minutes ! Quand je vous le disais plus haut ! A bientôt pour un nouveau voyage.

dimanche 8 février 2009

Mes chers administrés


Bienvenue à vous tous pour l'inauguration de la 1ère piste de ski de notre ville. La chance est avec nous puisqu'il neige actuellement. Habitant cette ville depuis longtemps, je m'étais toujours demandé pourquoi il n'y avait de pistes dignes de ce nom. Ce n'est pas parce que nous habitons la région parisienne que nous devrions en être privé.

J'allais, comme nombre d'entre vous, au ski chaque année, loin de notre bonne ville. J'ai vite pesté contre la distance. Je pensais dans le même temps aux skieurs chanceux qui profitaient du moindre brin de neige sur les pentes de Montmartre et du Trocadéro. Pourtant, nous avions tout ce qu'il fallait chez nous : un plateau, des pentes qui jouxtaient la Seine, ce qui pouvaient nous permettre d'offrir un ensemble complet ski + activités nautiques.

Mon idée était de faire du ski de fond sur le plateau, des pistes de descente vers la Seine et une grande patinoire à l'entrée du RER. Ainsi, dès leur arrivée dans notre belle ville, habitants et touristes pourraient s'offrir le frisson d'une valse en traversant la place.

J'ai œuvré sur ce projet de nombreuses années. La campagne médiatique sur le réchauffement climatique a failli me faire baisser les bras devant l'incompréhension de mes ennemis politiques (et d'un certain nombre de mes amis). Depuis, toutefois, des contre-études et l'hiver plus rigoureux de cette année ont prouvé que cela n'était pas inéluctable.

Grâce à cela, nous y sommes arrivés. Aujourd'hui, nous inaugurons la première piste de ski alpin de notre ville. Elle a pour particularité d'être vert, rouge et noire selon les moments. C'est une grande première. D'ordinaire, une piste a une couleur et une seule. Ici, celle-ci change selon les heures de la journée. Aux heures creuses de circulation, elle est verte, puisque les skieurs peuvent croiser les voies sans danger. Aux heures d'embouteillage, elles deviennent rouges, puisqu'il faut slalomer entre les voitures arrêtées. Enfin, lorsque le trafic est dense, la piste prend la couleur noire, avec la complexité de passer entre deux voitures roulant à vive allure. Quel frisson !

Tout est prévu. Dès votre arrivée en ville par le RER, des convoyeurs vous conduisent au sommet de la butte où vous pourrez prendre votre élan vers la Seine. Là, vous avez le choix entre bain ou le retour au sommet de la côte. Pour respecter l'écologie et la beauté du site, point de tire-fesses ou de télésièges : ce sont les livreurs de pizza qui assureront entre deux services cette fonction. Cet espace de publicité gratuite qui leur est offert limite nos frais.

Notre ouvreur officiel est un sympathique champion alpin qui a relevé le défi de faire un temps de référence. A sa suite nous nous élancerons tous ensemble, qui à ski, qui à luge et même en traineau à chien pour cette grande première. Aujourd'hui l'accès de la piste est gratuit et la circulation arrêtée. Dès demain, vous pourrez vivre intensément à zigzaguer comme bon semble entre les voitures.

Et maintenant, en avant !