mardi 26 mai 2020

La pièce aux miroirs

Un homme, très imbu de lui-même avait fait bâtir en sa demeure une magnifique pièce aux miroirs : tous les murs et le plafond de cette chambre étaient recouverts de miroirs.

Souvent, il se recueillait dans cette pièce, s’admirait, se pavoiser, parader.

Un jour, il omit de refermer la porte en sortant de la pièce. Son chien y pénétra. Apercevant face à lui d’autres chiens, l’animal se mit à les renifler. Comme ils le reniflèrent aussi, il se mit à grogner. Comme ils se mirent à grogner, il se mit se mit à aboyer. Comme ils aboyaient, il se rua sur eux.
Ce fut un combat terrible: les batailles contre soi-même sont les plus féroces qui soient ! Le chien mourut, exténué.

Un sage qui passait par là conseilla à l’homme :
– Ne condamnez pas cet pièce. Elle a beaucoup à vous apprendre.
– Que voulez-vous dire?
– Le monde est aussi neutre que vos miroirs. Selon que nous sommes admiratifs ou anxieux, il nous renvoie ce que nous lui donnons. Soyez heureux, le monde l’est. Soyez inquiet, il l’est aussi. Nous y combattons sans cesse nos reflets et nous mourons dans l’affrontement. Que ces miroirs vous aident à comprendre ceci: dans chaque être et chaque instant, nous ne voyons ni les gens, ni le monde, mais notre seule image. Voyez cela, et toute peur, tout refus, tout combat vous abandonneront.

Source : https://planete-cultures.com/

mercredi 20 mai 2020

La prison des habitudes

Bertrand Russell (1872-1970) mathématicien mais aussi épistémologue, a inventé une fable pour critiquer les failles du raisonnement inductiviste*. 

Soit une dinde soucieuse de pratiquer l’approche inductive. Chaque matin, elle consigne sur un carnet, méticuleusement tenu, les compositions de la nourriture qu’elle reçoit et l’heure exacte de son repas. La dinde remarque que l’horaire ne varie pratiquement pas, et cela quels que soient le temps et les saisons ; même remarque pour la composition et le volume de nourriture. Un matin, la dinde se sent alors capable de prédire que, sur une longue période et quels que soient le temps et la saison, elle sera régulièrement nourrie à 9h36. Russell ajoute que la dinde établit cette prédiction malheureusement... à la veille de Noël. Ce jour-là, au lieu de la nourrir, on lui trancha le cou. 

Morales de l’histoire : 

1° quelle que soit la qualité des données accumulées et le nombre d’observation faites, il se peut qu’une observation future puisse rendre invalides les observations passées.

2° La dinde recueille bien des données, mais ne se pose pas la question du pourquoi : pourquoi reçoit-elle cette nourriture tous les jours ?     
Peut-être que la regrettée dinde nous livre un enseignement salutaire. L’induction est certes utile. Cependant, lorsqu’elle débouche sur de hâtives généralisations, elle peut nous engoncer dans des certitudes. En abuser c’est aussi verser dans de stériles habitudes de pensées. 

Cela nous convie à un exercice de lucidité́ qui consiste à repérer nos automatismes. Que m’a légué le passé? Une réelle expérience ou un faisceau de préjugés et de craintes? La dinde m’interpelle donc et m’aide à inaugurer ce déconfinement en reconsidérant le bien-fondé́ de mes convictions. Son funeste destin fait l’éloge de ma liberté́. Il ne s’agit nullement de congédier toutes mes opinions, ni mes saines habitudes. Simplement, un retour à soi, à l’ici et maintenant être un homme sans bagages, à savoir, un être libre, sans préjugés, sans craintes, capable de se remettre en cause.



on nomme induction une manière de raisonner qui consiste à tirer de plusieurs cas particuliers une conclusion générale. Le procédé inductif est l'inverse du procédé déductif.

jeudi 14 mai 2020

La salle d'attente

Dans ce livre, l’auteur d’origine iranienne raconte l’histoire d’une famille sur trois générations. Kimiâ qui narre cette saga, a dû fuir avec ses parents l’Iran parce que son père était menacé par les Khomeynistes. L’héroïne est ici dans la salle d’attente d’un hôpital à Paris. 

Un interne passe enfin la tête. indifférent au retard accumulé, il lance un nom dans l'air confiné et moite de la salle d'attente et s'éclipse. Aussitôt,  le couple assis dans le fond, comme piqué par une aiguille dans le flanc, se lève. Il glisse à petits pas le long de la rangée, se rue vers la porte, de peur sans doute que l'Interne ne change soudain d'avis et les renvoie à leur place. Tandis que le couple disparaît dans le couloir, la tension due au passage du medecinse dissout dans l'épaisseur du silence et chacun.se replie à nouveau sur lui-même.

Puisqu'il est très difficile de meubler l'attente, permettez-moi une comparaison. Si nous étions en Iran, cette salle, à l'heure qu'il est, ressemblerait à un caravansérail. Des discussions et des confidences fuseraient dans tous les sens. Chacun serait au courant de la vie de ses voisins.  Ils trouveraient plusieurs connaissances communes, voire des liens de parenté, échangeraient adresses et numéros de téléphone portable. Quelques hommes, après avoir parlé politique et s'être mis d'accord sur le fait que le pays n'avait pas plus d'avenir qu'une fosse septique, partiraient au restaurant du coin chercher à manger pour tous. Bientôt ils reviendraient, suants et tonitruants, avec des marmites remplies de riz fumant et de brochettes de viande, des assiettes en cartons et des couverts en plastique. 
Prenant aussitôt la situation en main, les femmes s'organiseraient pour servir,  et on mangerait si bruyamment que la prochaine entrée de l'interne passerait totalement inaperçue. 

L'Iranien n'aime ni la solitude ni le silence - tout autre bruit que la voix humaine, même le vacance d'un embouteillage, étant considéré comme silence. C'est Robinson Crusoé était Iranien, il.se laisserait mourir dès son arrivée sur l'île et l'affaire serait réglée. 

Cette tendance à bavarder sans fin, à lancer des phrases comme des lassos dans l'air à la rencontre de l'autre, raconter des histoires qui telles des matriochkas ouvrent sur d'autres histoires, est sans doute une façon de s'accommoder d'un destin qui n'a connu qu’ invasion et totalitarisme. Comme Shéhérazade usant de la parole pour  venir à bout de la vengeance sanguinaire du roi Shahryar envers les femmes du royaume, l’Iranien se sont enfermé dans le dilemme quotidien et existentielle de « parle ou meurs ». Raconter, compter, fabuler, mentir dans une société tout est embûche et corruption, où le simple fait de sortir acheter une plaquette de beurre peut virer au cauchemar, c'est rester vivant. C'est déjouer la peur, prendre la consolation où elle se trouve, dans la rencontre, la reconnaissance, dans le frottement de son existence contre celle de l'autre. C'est aussi l'amadouer le désarmer, l'empêcher de nuire. Tandis que le silence, eh bien, c'est fermer les yeux, se coucher dans sa tombe et baisser le couvercle. 

La démocratie et la justice sociale, la possibilité de s'appuyer sur l'administration pour régler les problèmes, ont sans doute leur part dans le fait que le Français ne sent pas le besoin de se rapprocher, de communiquer, de lancer son fil plus loin que sa mare habituelle. Il reste fermé sur lui-même, protégeant sa tranquillité et son espace vital avec la même hargne qu'une poule ses œufs. 

mercredi 6 mai 2020

Les galériens de l'art

Aujourd’hui le gouvernement a dévoilé le plan de soutien aux intermittents du spectacle et autres free-lances de l’art. 

Un texte de circonstances en leur honneur. 

Paula a rallié la cohorte des travailleurs nomades, ceux qui se déplacent à longueur d'année, et parfois loin, au gré de leurs contrats, ceux-là bien distincts des stars de Twitter ou d’Instagram que l'ont fait venir à grand frais pour la soirée de lancement d'un téléphone portable, d'une ligne de maquillage ou d'un sorbet à la crevette - coiffeurs et coloristes, pâtissiers étoilés, footballeurs, chirurgiens aux dents blanches, agents de toutes sortes, chroniqueurs cultes-, et bien distincts également du prolétariat embauché à flux continu sur les chantiers qui prolifèrent à la surface du globe, la main-d'œuvre inépuisable et sous-payée qui circule dans les soutes de la mondialisation. 

Paula, elle,  joue dans une catégorie intermédiaire, les freelances, ceux que l'on engagent sur des contrats à durée déterminée et que l’on rémunère en honoraires,  et bien que travaillant en Italie depuis son diplôme, sur des chantiers variés et toujours pour des commanditaires italiens, elle n'est pas encore enregistrée à la Maison des Artistes. 

Freelance, c'est la nébuleuse, il y a les stars qui enchaînent, convoitées , le carnet de commande noirci plusieurs années à l'avance virgule et les autres, qui ne travaillent pas assez, n’ont aucune visibilité au-delà de trois semaines. 

Ceux du calibre de Paula ont tendance à tout prendre de peur qu'on les oublie,  de peur qu'on les blackliste s'ils sont indisponibles, ils achètent eux-mêmes leurs billets d'avion et de train, facturent des chambres d'hôtel low cost ou des studios meublés que le turnover des locataires a converti en investissement à fort taux de rentabilité – des turnes fonctionnelles dotée d’un bon wifi et de placards montés à la va-vite mais dont le loyer est majoré pour un torchon ou une taies d'oreiller supplémentaire - et recréent où qu'ils soient,  en quelques heures à peine, la cellule intime qu'ils habiteront durant leur séjour. Ils  parlent mal de nombreuses langues et couramment aucune, mais ont l'oreille exercée et en moins de quinze jours le timbre de leur voix change, ils prennent l'accent du pays tandis qu’une gestuelle inédite accompagne leurs récits et que leur peau se met à chatoyer à l'unisson de celles qui les entourent. 

A Rome fais comme les romains, c'est ainsi qu'ils s'encouragent. Ils sont tous terrains et polyvalents, s'adaptent à toutes les pratiques, à tous les protocoles, à tous les rythmes, c'est d'ailleurs en cela qu'ils sont utiles et c'est pour cela qu'on les embauche. 

Extrait du livre en illustration ci-dessus

dimanche 3 mai 2020

Aider les personnes âgées n’est pas ce que vous croyez


Un taïwanais avait déjà fondé puis revendu plusieurs entreprises florissantes dans le domaine de la technologie grand public , mais, avec l'âge, il souhaitait s'investir dans un projet qui ait davantage de sens. Il voulait à présent s'adresser à des pans de la population que les start-up avaient souvent négligé. Il avait donc décidé de concevoir un produit pour faciliter la vie des personnes âgées. Mais sa toute dernière invention lui posait un problème.

 Elle consistait en un large écran tactile fixé sur un support qu'on plaçait, par exemple, à côté d'un lit. L'écran affichait quelques applications simples et pratiques correspondant à des services courants : se faire livrer des repas, regarder son feuilleton préféré la télé, appeler son médecin, etc. Les personnes âgées ont souvent du mal à s'y retrouver dans les méandres d'internet ou à manipuler les petites touches smartphones. 

Aussi mon ami s'était-il efforcé de tout simplifier au maximum. Les applis s'ouvraient en un ou 2 clics et, en cas de problèmes dans l'utilisation du dispositif, un bouton vous permettait d’appeler directement un service d'assistance.  L’idée paraissait fantastique et, à notre époque, promise à un grand succès. Beaucoup d'adultes, en Chine comme ailleurs, sont trop accaparés par leur travail pour pouvoir prendre soin de leurs parents vieillissants, comme le voudrait la forte tradition de piété filiale. Dans ce contexte, l'écran tactile était une solution intéressante. 

Malheureusement, après la mise en place d'une version d'essai ,un problème s'est présenté : de toutes les fonctions disponibles, la plus utilisée, et de loin, n'était pas la livraison de repas, la commande de la télé, ni même la consultation médicale. C'était le bouton du service d'assistance, rapidement saturé d'appels. 

Que se passait-il ? les usagers étaient-il incapables de suivre seule la procédure, malgré la simplicité du système ? Pas du tout.  Après une petite enquête, il a découvert que les personnes âgées appelaient tout simplement parce qu'elles se sentaient seules et avaient envie de parler à quelqu'un. La plupart d'entre elles avaient des enfants qui veillaient à ce que tous leurs besoins matériels soient pourvus. Mais cela ne remplaçait pas le vrai contact humain, quelqu'un avec qui échanger.  

Source :Extrait du livre de Kai-Fu Lee IA La plus grande mutation de l’histoire