dimanche 22 novembre 2009

Je suis liftier à la Défense


C’est le retour des petits emplois. Les garçons d’ascenseur reviennent à la mode ! Il fut un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître où le public n’était pas jugé apte d’appuyer sur les boutons de l’ascenseur. Mon père travaillait autrefoisdans un grand magasin. Toute la journée, il marmonnait : « 1er étage, ceci cela, 2ème étage, voici, voilà… » et le tout en six langues différentes. La grande époque. Vinrent alors les ascenseurs automatiques avec une voix électronique, puis sans voix : il n’y a qu’à lire…

Les temps ont changé depuis. Le chômage est monté et la grippe mexicano-porcine-H1N1-A-Espagnol est arrivée. Ne touchez plus au bouton de l’ascenseur : c’est une source de transmission du virus. D’ailleurs, l’ascenseur lui-même est devenu dangereux pour cette même raison. Alors, pour combiner la lutte anti-chômage et celle de l’anti-grippe, les politiques ont poussé à la création de postes de garçon d’ascenseur.

Grâce à mes antécédents (nous sommes liftiers depuis quatre générations dans ma famille) et quelques bonnes relations, j’ai pu obtenir le premier poste disponible. Me voici sur la photo : je conduis un ascenseur vide pour éviter toute promiscuité et en plein air pour limiter les risques de propagation du virus.

Certains dénigrent cela en l’appelant un monte-charge. Ce n’est pas vrai : j’embarque parfois des passagers. D’autres disent que c’est un métier sans intérêt. Pas du tout, je mets 20 minutes à monter jusqu’au sommet. J’en profite pour écrire des poèmes :

L’ascenseur a le vertige
En voyant le sol si près, si loin
Qu’il s’élève tout doucement

Vous aimez ? Moi pas, mais je suis sûr qu’un jour l’inspiration viendra.

Alors, en attendant, je continue mon périple sur le toit du CNIT.

jeudi 12 novembre 2009

Aimez-vous Bach ?

Résumons la situation : un musicien se tient debout dans l’entrée d’une station de métro. C’est un matin froid de janvier. Il est huit heures du matin et l’homme va jouer du violon pendant quarante-cinq minutes. Durant cette période, plus de mille personnes vont passer devant lui, certains l’écoutant quelques instants, quand la grand majorité passera sans un regard, ni un geste vers le petit pot où il recueille de l’argent. Enfin, n’exagérons pas : les enfants auraient bien voulu l’entendre plus longtemps mais leurs parents n’en avaient cure.

Les comptes sont là : mille personnes passent, sept se sont vraiment arrêtées et une vingtaine lui aura donné de l’argent tout en continuant de marcher. Recette du « concert » : 32 dollars.

Des dollars, parce que la scène se passe à Washington aux USA. Le musicien est Joshua Bell, un des plus grands violonistes actuels. La moindre place à ses concerts vaut 100 dollars. Les morceaux joués : du Bach et du Schubert. Son violon : un stradivarius de 1713 estimé à 3,5 millions de dollars. Les morceaux joués : Il joue ce matin-là dans le métro dans le cadre d’une étude faite par le quotidien « Washington Post » sur la perception, les goûts et les priorités des gens.

Une analyse rapide de cet article peut être que si nous ne pouvons reconnaître un véritable artiste, ni ne nous donnons pas le temps d’écouter de tels chefs d’œuvres, à combien de d’autres choses passons-nous ?

D’autres aspects sont à prendre en compte : cette perte de la capacité à apprécier la beauté n’est pas seulement liée à notre rythme de vie trépidante, mais aussi à la surabondance de la beauté. Les médias (télévision, journaux, internet) et les voyages ont mis à notre portée plein d’occasions de côtoyer des objets, sons, sites… magnifiques. Alors, sommes-nous peut-être blasés ?
Ou bien, pouvons risquer d’être en retard pour cause de violon ?
Peut-être aussi que les personnes pressées ont apprécié les quelques secondes entendues en passant devant lui.
Pour apprécier la musique faut-il être en état de disponibilité ? Vous pouvez apprécier la bonne cuisine et être un fin gourmet, tout en vous nourrissant d’un sandwich quand vous n’avez pas le choix. A huit heures du matin, un jour d’hiver…

Dostoïevski disait : « la beauté sauvera le monde ». Si vous ne trouvez pas de raison pour prioriser vos actions et gagner du temps, en voici une qui mérite votre attention : prioriser son temps, c’est décider ce que l’on veut faire de son temps et en gagner un peu, juste de quoi se donner le droit de s’arrêter pour écouter et voir le monde qui nous entoure.

Et pour finir un morceau de violon :

jeudi 5 novembre 2009

La maison enceinte

Vous me voyez sur la photo avec mon gros mur bien gonflé. Il n’y a pas de mystère. Je suis enceinte. L’accouchement est prévu dans quelques mois, c’est ce que m’ont dit mes médecins, les docteur Architecte et Monumentshistoriques. Ils ont même fait venir un spécialiste, M. Entreprisedubatiment pour expertiser mes besoins.

C’est un grand évènement. J’ai vécu à cet endroit pendant plusieurs centaines d’années. J’en ai vu passer du monde, des révolutions, des envahisseurs, mais rien n’a troublé ma sérénité. J’ai vu mes voisines être détruites, de nouvelles constructions arrivées et nous avons toujours vécu en bonne entente.

Puis, récemment (à mon âge on ne compte plus), le monsieur en rouge sur la photo et m’a brandi une lettre de promoteurs qui voulaient me raser pour bâtir un hôtel de luxe à ma place. La seule solution m’a-t-il dit est de tomber enceinte. Mon état intéressant arrêterait les velléités de travaux, reporterait les travaux peut-être à jamais. Il m’a convaincu, tant et si bien que j’ai fait une insémination artificielle et voilà…

Je vais bientôt accoucher d’un studio ou d’une studette. La pression de ce nouveau-né sur mes vieux tuyaux est telle que je risque de perdre mes eaux. Pour éviter tout désagrément, ils envisagent de me cercler, c’est vous dire.

Pour mon calme et ma tranquillité, un nouveau règlement a été édicté à mes abords et en mon sein : ne plus taper du pied, parler doucement, voire chuchoter. Ils projettent même de dévier la circulation le grand jour.

Je suis émue. Sara, la femme d’Abraham a eu son à près de 100 ans. Moi, je vais l’avoir à 400 ans. Quel miracle !

dimanche 1 novembre 2009

Que la joie soit dans vos coeurs !



Avec novembre commencent les jours raccourcis, les temps gris, froids et maussades. Avec un climat économique et social morose, je vois tous les jours converger vers ma station des gens tristes et la tête basse. Pourtant, autour de moi, sur la place où je suis située, ce sont de beaux bâtiments, un théâtre, un jardin tranquille, … bref, des éléments propres à faire oublier ses soucis et à penser à autre chose. Et bien, NON ! Cela ne marche pas : les passants ne les regardent pas (ou plus).



Alors, j’en ai eu assez. J’ai cherché une idée pour contribuer à la bonne humeur de tous. Plus facile à dire qu’à faire ! Comment réveillez les badauds ? J’ai eu l’idée de me faire peindre en couleurs pastelles, mais la pollution aurait vite fait d’affaiblir mes couleurs. Puis j’ai eu envie de tendre un piège : créer une fausse entrée, un trompe l’œil, mais je ne suis pas sûr que tout le monde ait le sens de l’humour. Je me suis renseigné discrètement si des confrères avaient trouvé l’IDEE, mais cela n’a rien donné.



Un jour, au moment où je m’y attendais le moins, je l’ai vu mon idée. Elle est passée devant moi et j’aurais pu la rater si elle ne s’était arrêtée pour acheter un journal. C’était un homme d’apparence anodine, mais avec … un nez rouge. Un petit nez rouge pincé sur son propre nez qui lui donnait une immense différence. Enlevez-lui son nez et il sera semblable à tous les passants. Cela m’a interpellé : pourquoi chercher compliqué quand une touche de différence suffit à vous faire remarquer ?



Alors, j’ai gardé ma couleur verte, mon escalier, mon plan de métro et je me suis fait faire le nez que vous voyez sur la photo. Un peu kitsch pour certains, mais en tout cas passe-partout. Regardez le badaud sur la photo. Il serait entré machinalement dans une station de métro, mais là, il hésite : c’est quoi ? Un métro ? Une galerie d’art ? Une entrée de parking ? Les quelques secondes perdues à cela me font plaisir. J’existe enfin aux yeux de mon visiteur. Peut-être m’aura-t-il oublié dans quelques minutes, mais qu’importe. « Je suis vu, donc je suis » aurait pu écrire un philosophe.


Finalement, il entre dans la station avec un petit sourire en coin et la tête levée. Que la joie soit dans votre cœur, monsieur l’inconnu