vendredi 27 février 2015

Conte français : Contemplation... d'après Chateaubriand


Chateaubriand (1768-1848) a évoqué la contemplation dans ce conte pour enfant qui se résume en ces trois verbes : regarder, aimer, ressembler.

«C'était un petit village perdu dans la montagne, perdu au pied d'un immense rocher qui le dominait de sa masse granitique et dans lequel avait été sculptée par la nature une gigantesque figure humaine. Cette figure régnait sur toute la contrée non seulement par ses dimensions exceptionnelles mais par ses traits grandioses empreints de noblesse et de bonté.

Au-dessous d'elle l'imperceptible amas de maisons s'accrochait comme une grappe de champignons vieillis ; mais voici ce que sous ces toitures humaines on se plaisait à dire : on disait qu'un jour un homme viendrait d'une bonté merveilleuse et ressemblant trait pour trait à l'homme de la montagne, pour exercer sa vertu et répandre dans le hameau d'inoubliables bienfaits.

Or parmi tous les enfants du hameau, il en était un sur qui l'antique tradition exerçait une séduction étrange. Cette histoire transmise de père en fils s'était gravée dans sa mémoire ; il en avait conçu dans son cœur une émotion si vive qu'il ne cessait d'y réfléchir ; et de jour en jour il levait irrésistiblement son regard vers la royale figure qui dominait le mont. Le matin, le soir, avant et après son travail, à chaque instant, s'arrêtant même au milieu de ses jeux, il fixait les yeux sur l'homme de la montagne et plus il le regardait et plus il l'aimait, et plus il l'aimait et plus il lui ressemblait.»

samedi 21 février 2015

Conte camerounais : Saisir la chance



Dans un pays lointain, la Chance a quelques amis intimes qui peuvent la voir. Elle est toujours heureuse et disponible pour les accueillir, mais elle ne se laisse jamais voir.

Un jour, un ami insiste tellement que la Chance accepte de venir chez lui le samedi suivant à 16 heures. L’homme est heureux de pouvoir enfin saisir le vrai visage de la chance.

Notre homme rage sa maison et met son costume de fête. Il attend la Chance quand soudain on frappe à sa porte. Il se précipite et voit à sa porte un vieillard exténué qui lui : « Je viens de marcher longuement. Offre-moi un verre d’eau, je n’en peux plus ! ». L’homme le chasse en lui disant qu’il attend un visiteur important.

Dix minutes plus tard, un enfant en haillons frappe à la porte et veut parler au maître de maison. L’homme le chasse à son tour et l’enfant s’en va en pleurant.

A peine a-t-il fermé sa porte qu’il est à nouveau appelé. Un handicapé demande son aide et veut parler avec lui. L’homme refuse une nouvelle fois. Le handicapé le fixe jusqu’à ce que l’homme ferme sa porte puis s’en va.

Personne d’autre, y compris la Chance ne vient ce soir-là. Dès le lendemain, l’homme se rend chez La Chance et lui reproche sa non-venue.


La Chance lui répond alors : « Je suis venu à trois reprises et tu m’as renvoyé à chaque fois ». 

jeudi 12 février 2015

Conte franco-indien : l'histoire du bon bramim


Parmi ses contes philosophiques, Voltaire écrivit en 1761 celui du bon bramim. Autour du thème de l’imbécile heureux. Un bramin, sage, savant, plein d'esprit et riche est malheureux car il est conscient de son ignorance sur de nombreux thèmes. Sa voisine, une indienne bigote, imbécile et pauvre, ne se pose aucune question et est heureuse avec peu de choses.
Pour Voltaire, il y a de nombreux avantages à être sot pour être heureux, tout en constatant que personne ne souhaite un tel bonheur.

Je rencontrai, dans mes voyages, un vieux bramin, homme fort sage, plein d’esprit et très savant; de plus, il était riche. Sa famille était très bien gouvernée par trois belles femmes qui s’étudiaient à lui plaire; et, quand il ne s’amusait pas avec ses femmes, il s’occupait à philosopher. 

Près de sa maison, qui était belle, ornée et accompagnée de jardins charmants, demeurait une vieille Indienne, bigote, imbécile et assez pauvre. 
Le bramin me dit un jour: « Je voudrais n’être jamais né. » Je lui demandai pourquoi; il me répondit: « J’étudie depuis quarante ans, ce sont quarante années de perdues; j’enseigne les autres, et j’ignore tout. Je suis né, je vis dans le temps, et je ne sais pas ce que c’est que le temps; je pense, je n’ai jamais pu m’instruire de ce qui produit la pensée.  Je ne sais pourquoi j’existe; cependant on me fait chaque jour des questions sur tous ces points: il faut répondre; je n’ai rien de bon à dire; je parle beaucoup, et je demeure confus et honteux de moi-même après avoir parlé. Je dis quelquefois [à mes interlocuteurs]  que tout est le mieux du monde; mais ceux qui ont été ruinés et mutilés à la guerre n’en croient rien, ni moi non plus: je me retire chez moi accablé de ma curiosité et de mon ignorance. Je suis prêt quelquefois de tomber dans le désespoir, quand je songe qu’après toutes mes recherches, je ne sais ni doù je viens, ni ce que je suis, ni où j’irai, ni ce que je deviendrai. » 
L’état de ce bonhomme me fit une vraie peine: plus il avait de lumières dans son entendement et de sensibilité dans son cœur, plus il était malheureux. 
Je vis, le même jour, la vieille femme qui demeurait dans son voisinage; je lui demandai si elle avait jamais été affligée de ne savoir pas comment son âme était faite. Elle ne comprit seulement pas ma question: elle n’avait jamais réfléchi un seul moment de sa vie sur un seul des points qui tourmentaient le bramin; pourvu qu’elle pût avoir quelquefois de l’eau du Gange pour se laver, elle se croyait la plus heureuse des femmes. 
Frappé du bonheur de cette pauvre créature, je revins à mon philosophe, et je lui dis: « N’êtes-vous pas honteux d’être malheureux dans le temps qu’à votre porte il y a un vieil automate qui ne pense à rien et qui vit content? — Vous avez raison, me répondit-il; je me suis dit cent fois que je serais heureux si j’étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrais pas d’un tel bonheur. » 

Cette réponse de mon bramin me fit une plus grande impression: je m’examinai moi-même, et je vis qu’en effet je n’aurais pas voulu être heureux à condition d’être imbécile. 

Je proposai la chose à des philosophes : «de quoi s’agit-il?  D’être heureux. Qu’importe d’avoir de l’esprit ou d’être sot? Il y a bien plus: ceux qui sont contents de leur être sont bien sûrs d’être contents; ceux qui raisonnent ne sont pas si sûrs de bien raisonner. Il est donc clair, disais-je, qu’il faudrait choisir de n’avoir pas le sens commun, pour peu que ce sens commun contribue à notre mal-être. » Tout le monde fut de mon avis; et cependant je ne trouvai personne qui voulût accepter le marché de devenir imbécile pour devenir content. De là je conclus que, si nous faisons cas du bonheur, nous faisons encore plus cas de la raison.   

vendredi 6 février 2015

Conte irakien : les deux amis

Quand la ville de Bagdad était encore une ville, quand Bagdad s’appelait encore la Cité de la
Paix, vivaient deux commerçants liés par une amitié profonde.

Depuis tout petit, ils étaient amis. Ils avaient joué ensemble dans les rues du quartier, ils avaient
été à l’école ensemble. Ils avaient ouvert un commerce chacun, la même semaine. Leurs affaires étaient prospères et ils se consultaient pour tout, tout le temps.

Un jour, l’un des deux décide d’aller s’établir à Bassora avec sa famille pour y faire prospérer ses affaires. Les deux amis se séparent pour la première fois de leur vie. Chacun mène son négoce du mieux qu’il peut.