vendredi 24 novembre 2017

Le clou

Un marchand avait fait d’excellentes affaires à la foire : il avait vendu tout ce qu’il avait comme marchandises et gonflé sa bourse de pièces d’or et d’argent. Comme il voulait être rentré chez lui avant la tombée de la nuit, il décida de se mettre en route aussitôt, serra sa bourse dans sa sacoche de selle, monta à cheval et s’en fut. Vers midi, il fit étape dans une ville ; le palefrenier, quand il lui ramena son cheval pour repartir, lui fit remarquer :
– Il lui manque un clou au fer de son pied gauche, derrière, monsieur !
– Laisse courir, dit le marchand, pour les six lieues qu’il me reste à faire, le fer tiendra bien. Je suis pressé. Au milieu de l’après-midi, alors qu’il avait fait halte de nouveau et fait donner de l’avoine à sa monture, le valet de l’auberge vint lui dire :
– Monsieur, il manque un fer à votre cheval, au pied gauche de derrière. Faut-il que j’aille le faire chausser ?
– Laisse, dit le marchand, je suis pressé et la bête supportera bien les deux lieues qu’il me reste à faire. Il remonta en selle et continua sa route, mais peu après le cheval se mit à boiter ; et il ne boita pas longtemps avant de broncher ; et il ne broncha pas longtemps avant de faire une chute et de se casser la jambe. Aussi fallut-il que le marchand débouclât ses sacoches et, abandonnant là son cheval, les mît sur son épaule et rentrât à pied chez lui, où il n’arriva que tard dans la nuit.
– Tout cela, conclut-il c’est de la faute de ce maudit clou qui a fait tout le mal. Hâtez-vous lentement !

Source : frères Grimm

vendredi 17 novembre 2017

Le conte du mousse et des 29 navires

Il était une fois un roi qui désirait étendre son empire. Ses conseillers lui affirmèrent que les terres par-delà l’océan regorgeaient, du moins disait-on, de richesses. Notre bon roi pris la décision de construire un navire afin de s’en aller conquérir les pays sauvages. Armés de leur calculs complexes, les savants prédirent que l’équipée mettrait vingt-neuf ans à atteindre l’autre rive et autant à revenir. Fort de sa sapience légendaire, le roi ordonna l’ordre de construire vingt-neuf navires, afin que le délai soit réduit à deux minuscules années.
Et l’on décida de ne plus écouter les savants.

Notre bon roi fit venir son fils aîné et lui confia la tâche de terminer la construction des vaisseaux avant de rendre son dernier soupir.
Devenu roi, le fils aîné s’acquitta de sa tâche. Construits, les navires s’éloignèrent et nul n’y pensa plus.

Depuis des lunes, le voyage se poursuivait imperturbablement, au milieu d’une mer calme s’étendant à perte de vue. Les officiers se réunirent un soir dans la cabine du capitaine.
– Depuis que nous avons perdu de vue les côtes, nous n’avons plus de cap précis à tenir. Or il est primordial d’avoir un cap !
Il fût décidé de prendre comme point de repère le soleil. Le bateau devrait toujours naviguer en direction du soleil de façon à garder un cap constant.

Après plusieurs semaines de navigation, un autre problème fût soulevé : lorsqu’on jetait l’ancre le soit, la proue pointant vers le couchant, le lendemain le bateau avait fait demi-tour et tournait le dos au soleil. Une solution fût trouvée avec un succès mitigé : ne plus jeter l’ancre durant la nuit.
Le voyage dura 113 ans et les générations se succédèrent à son bord.
Un jour, un jeune mousse posa soudainement une question inattendue :
– À quoi sert l’ancre à l’avant du bateau ?
– Pardi, à immobiliser le bateau si besoin est.
– Pourquoi n’immobilise-t-on pas le bateau durant la nuit, lorsque le soleil n’est pas visible. Cela nous éviterait peut-être d’avancer à l’aveuglette.

Tout l’équipage partit d’un grand rire et lui expliqua la logique du soleil qui se couchait devant et se levait derrière. Loin de se démonter, le mousse insista et proposa que l’on jette l’ancre durant la journée afin d’observer le mouvement du soleil.
Les officiers cessèrent de rire.
– Nous avons toléré ton interruption égard à ton inexpérience et ton jeune âge. Mais nous considérons l’irrévérence et l’impolitesse comme une faute grave.
– Oserais-tu prétendre que trois générations d’officiers ne sont que des imbéciles par rapport à ton érudition ?
– Pour ta gouverne, sache que le journal de bord mentionne que nous n’utilisons pas l’ancre depuis 113 ans. Et que je sache, le bateau se porte toujours aussi bien.
– Afin de t’apprendre les bonnes manières, nous te condamnons à six mois dans le fond de cale. Peut-être que tu daigneras traiter les rats d’une façon plus polie que tes compagnons.

Le jeune mousse fût donc enfermé dans une cale munie d’un petit hublot et de plusieurs lourdes caisses. Notre matelot en fit l’inventaire et découvrit plusieurs livres ainsi qu’un engin particulier fait de courbe de cuivre dorée, d’une optique et d’un compas. Plusieurs livres semblaient y faire référence.
Lorsque les six mois furent écoulés, le moussaillon courut exposer sa trouvaille au carré des officier. Tout enthousiasmé, il expliqua : « Nous sommes sauvés ! Cet engin va nous permettre de voyager jusqu’à notre destination. Je vous explique… »

Il n’eut pas le temps d’achever. Les officiers se saisirent de lui et convoquèrent tout l’équipage sur le pont : « Il est important, dans un navire tel que le nôtre, de faire régner l’ordre et la discipline. Aucun manquement aux règles ne peut être toléré. C’est à ce prix que nous avons pu maintenir ce bâtiment à flot durant 113 longues années. Afin que cela serve de leçon, nous nous voyons dans l’obligation de nous débarrasser de ce fauteur de trouble. Les lois sont faites pour être respectées. Nous ne remplissons que notre rôle d’officier et même si certaines tâches sont moins agréables que d’autres, elles doivent être remplies. »

Le mousse pleura beaucoup, on le pendit au grand mât et il ne pleura plus. Son corps fût jeté à la mer avec le sextant et les livres. Sur la couverture d’un des livres figurait le portrait d’un roi qui, un jour, avait rêvé d’un empire.



vendredi 10 novembre 2017

Conte de Sibérie : le chien et son ami


Autrefois, il y a bien longtemps, au commencement du monde, le chien vivait seul dans la taïga. A vivre seul, on vit sans joie. Il vous vient des peurs et des idées noires. A vivre seul, le chien s'est ennuyé. Tellement, qu'il s'est dit :
- ça ne peut pas durer comme ça. Sinon, je vais mourir de tristesse. Il me faut un ami !
Et il est parti, à travers la grande forêt du nord, à la recherche d'un ami.
Il a rencontré le lièvre. Il lui a dit :
- Lièvre, si j'osais, je te demanderais bien quelque chose.
-Ose ! a dit le lièvre. Demande toujours, nous verrons bien !
- Je cherche un ami. Voudrais-tu que nous vivions ensemble ? Voudrais-tu que nous soyons amis, toi et moi ?
- Oh ! mais oui, je veux bien, a dit le lièvre !
Et le chien est parti avec le lièvre, vivre dans la maison du lièvre.
Le soir, ils se sont couchés et dans la nuit, le chien a entendu un bruit. Qu'est-ce que c'était ? Peut-être un bruit quelconque de la forêt la nuit : un cri d'oiseau chasseur, la chute d'une branche morte, l'aboi d'un renard. Peut-être quelque rôdeur qui cherchait un mauvais coup à faire. Le chien a aboyé. Le lièvre s'est réveillé en sursaut et il a dit :
- Tais-toi ! Qu'est-ce qui te prend, de faire ce vacarme ? Si tu aboies, le loup va t'entendre, il viendra nous manger ! N'aboie pas comme ça ! Tais-toi !
Le chien a pensé : « Quel peureux, ce lièvre ! Je ne peux pas rester avec lui ! Je ne veux pas d'un ami sans courage ! Peut-être que le loup est courageux, lui ! »

Et le lendemain matin, le chien a quitté le lièvre. Il s'en est allé par la taïga à la recherche du loup. Il l'a rencontré et lui a dit :
- Loup, j'aurais une proposition à te faire. Je cherche un ami. Si tu voulais, nous habiterions ensemble. Si tu voulais, nous serions amis, toi et moi.
- Bonne idée ! je veux bien, a dit le loup !
Et le chien est parti avec le loup, vivre dans la maison du loup.
Le soir, ils se sont couchés et dans la nuit, le chien a entendu un bruit. Qu'est-ce que c'était ? Peut-être un bruit quelconque de la forêt la nuit. Peut-être quelque rôdeur cherchant un mauvais coup à faire. Le chien a aboyé. Le loup lui a dit :
- Tais-toi, voyons ! Si tu aboies, l'ours va venir et il va nous manger. N'aboie pas comme ça ! Le chien a pensé : « Le loup est donc aussi peureux que le lièvre ! Je ne vais pas rester avec lui !  Je ne veux pas d'un ami sans courage ! Peut-être que l'ours est courageux, lui. »

Et le lendemain matin, le chien a quitté le loup. Il s'en est allé par la taïga à la recherche de l’ours et il l'a trouvé. Il lui a dit :
- Ours, je cherche un ami. Est-ce que ça te dirait, que nous vivions ensemble ? Aimerais-tu que nous soyons amis, toi et moi ?
- Oh, oui, ça me plairait bien, a dit l'ours.
Alors le chien est parti avec l'ours, vivre dans la maison de l'ours.
Le soir, ils se sont couchés, et dans la nuit le chien a entendu un bruit. Qu'est-ce que c'était ? Peut-être un bruit quelconque de la forêt la nuit. Peut-être quelque rôdeur qui cherchait un mauvais coup à faire. Le chien a aboyé. L'ours a dit :
-Tu es fou ! Tais-toi donc ! Si tu aboies, l'homme va venir et il va nous tuer, avec son bâton qui crache du feu et qui est terrible ! N'aboie pas comme ça ! Tais-toi !
Le chien a pensé : « L'ours est aussi poltron que le lièvre et le loup. Je ne resterai pas avec lui. Je ne veux pas d'un ami sans courage. Peut-être que l'homme est courageux, lui. »

Et le lendemain, le chien a quitté l'ours. Il est parti par la taïga à la recherche de l'homme et au bout d'un certain temps, il l'a trouvé. Il lui a dit :
- Homme, si tu voulais m'écouter, j'aurais à te demander quelque chose.
- Parle, je t'écoute ! a répondu l'homme.
-Je cherche un ami. Voudrais-tu que nous vivions ensemble ? Je pourrais t'accompagner à la chasse ou garder ta maison. Voudrais-tu que nous soyons amis ?
- D'accord ! Viens avec moi ! a dit l'homme.
Et le chien est parti avec l'homme, dans la maison de l'homme. Le soir, ils se sont couchés et dans la nuit, le chien a entendu un bruit. Qu'est-ce que c'était ? Peut-être un bruit quelconque de la forêt la nuit. Peut-être quelque rôdeur qui cherchait un mauvais coup à faire. Le chien a aboyé. L'homme s'est réveillé et il a dit :
- Tu entends quelque chose, mon chien ? Alors, aboie plus fort ! Aboie ! Si c'est un voyageur égaré qui appelle à l'aide, que ta voix le guide vers notre maison ! Si c'est un rôdeur cherchant un mauvais coup à faire, fais-lui peur ! Chasse-le ! Aboie plus fort, mon chien, aboie !
Alors, le chien a été content.
Il s'est dit : « L'homme est bon. L'homme est courageux. L'homme n'a peur de rien. C'est l'ami que je cherchais. C'est l'ami qu'il me faut. Je vais rester avec lui ! »
Et le chien est resté avec l'homme. Le chien est resté dans la maison de l’homme.
Et il y est toujours.