mardi 27 juillet 2021

La chemise du Tsar


Un tsar, se trouvant malade et grincheux, dit : "Je donnerai la moitié de mon royaume à celui qui me guérira !"

Alors, tous les sages se réunirent et se concertèrent pour guérir le tzar, mais ils ne trouvèrent aucun moyen.Un d’entre eux, cependant, déclara qu’on pouvait guérir le tsar.

— Si l’on trouve sur terre un homme heureux, dit-il, qu’on lui enlève sa chemise et que le tsar la mette, il sera guéri.

Le tsar fit rechercher dans le monde un homme heureux. Les envoyés du tzar se répandirent par tout le royaume, mais ne découvrirent pas celui qu’ils cherchaient. Il ne se trouva pas un homme qui fût content.

L’un était riche, mais malade ; l’autre était bien portant, mais pauvre ; un troisième, riche et bien portant, se plaignait de sa femme ; celui-ci, de ses enfants ; tous désiraient quelque chose.

Un soir, le fils du tsar, passant devant une pauvre chaumière, entendit quelqu’un s’écrier : 

— Grâce à Dieu, j’ai bien travaillé, j’ai bien mangé, je vais me coucher ; que me manque-t-il ?

Le fils du tsar fut rempli de joie ; il ordonne qu’on aille tout de suite enlever la chemise de cet homme, qu’on lui accorde en échange tout l’argent qu’il exigera, et qu’on envoie sa chemise au tsar.

Les envoyés se rendirent en hâte chez cet homme heureux et voulurent lui enlever sa chemise, mais l’homme était si pauvre qu’il n’avait pas de chemise.

Lorsque les envoyés, inquiets, et redoutant la colère du tsar, lui rapportèrent que la seule personne heureuse qu’ils avaient trouvée dans le royaume, ne possédait même pas une chemise, le tsar éclata de rire. 

Extrait des Contes de Leon Tolstoï (1828 – 1910) 

jeudi 22 juillet 2021

Retour à l'essentiel

 

La période des vacances est une occasion de revenir à l’essentiel. Voici un très beau texte trouvé dans le livre d’Alice Walker, la couleur pourpre, (Robert Laffont, 2016), Prix Pulitzer en 1983. Une partie de son histoire se passe en Afrique, dans une tribu fictive, les Olinka. 

 

 

Les habitants de ce village pensent qu'ils ont toujours vécu à l'endroit exact où se trouve aujourd'hui leur village. Et cet endroit a été bon pour eux. Ils y plantent du manioc, des arachides Ils plantent de l'igname, du coton et du millet. Toutes sortes de choses. 

 

Mais une fois, il y a longtemps, un homme du village voulait plus que sa part de terre à planter. Il voulait faire plus de récoltes afin d'utiliser son surplus pour le commerce avec les hommes blancs de la côte. Comme il était le chef à l'époque, il a progressivement pris de plus en plus de terres communes et a pris de plus en plus de femmes pour les travailler. Au fur et à mesure que sa cupidité augmentait, il commença également à cultiver la terre sur laquelle poussait la feuille qui servait à couvrir le toit des huttes. Même ses femmes étaient contrariées par cette situation et essayaient de se plaindre, mais personne ne leur prêtait attention. Personne ne se souvenait d'une époque où l'herbe à toiture n'existait pas en quantité surabondante. 

 

Finalement, le chef avide s'est emparé d'une si grande partie de ces terres que même les anciens ont été perturbés. Alors il les a simplement soudoyés - avec des haches, des tissus et des casseroles qu'il a obtenus des commerçants de la côte. 

 

Un jour, il y eut une grande tempête pendant la saison des pluies qui détruisit tous les toits de toutes les huttes du village, et les gens découvrirent avec consternation qu'il n'y avait plus de feuilles pour les toits. Là où les feuilles avaient fleuri depuis le début des temps, il y avait du manioc. Du millet. Des arachides. Pendant six mois, les cieux et les vents ont maltraité le peuple d'Olinka. La pluie tombait comme des lances, poignardant la boue de leurs murs. Le vent était si violent qu'il soufflait les pierres des murs et les envoyait dans les marmites des gens. Puis des pierres froides, en forme de boules de millet, tombèrent du ciel, frappant tout le monde, hommes, femmes et enfants, et leur donnant la fièvre. Les enfants furent les premiers à tomber malades, puis leurs parents. Bientôt, le village commença à mourir. 

 

À la fin de la saison des pluies, la moitié du village avait disparu. Les gens priaient leurs dieux et attendaient avec impatience que les saisons changent. Dès que la pluie s'arrêta, ils se précipitèrent vers les vieux lits de feuilles de toit et essayèrent de retrouver les vieilles racines. Mais des innombrables racines qui avaient toujours poussé là, il n'en restait que quelques dizaines. Il fallut attendre cinq ans avant que les feuilles ne redeviennent abondantes. 

 

Pendant ces cinq années, beaucoup d'autres personnes du village sont mortes. Beaucoup sont partis et ne sont jamais revenus. Beaucoup ont été mangés par des animaux. Beaucoup, beaucoup étaient malades. Le chef a été forcé de quitter le village pour toujours. Le jour où toutes les huttes eurent à nouveau un toit fait de la feuille de toit, les villageois firent la fête en chantant, en dansant et en racontant l'histoire de la feuille de toit. La feuille de toit est devenue la chose qu'ils vénèrent. 

 

Qu’est-ce qui est essentiel pour vous ? Qu’est-ce qui peut se passer si cela est déstabilisé ? Comment en prendre conscience ? Comment agir pour se recentrer ? Ici, nous parlons de climat, mais cela peut être votre vie privée, votre travail, vos relations... voire de transmission : qu’est-ce qui est important pour vous de transmettre ?





mercredi 14 juillet 2021

Qu’est-ce qu’une vie ?



Deux tailleurs juifs travaillaient sans relâche dans une petite échoppe d'un quartier pauvre de la banlieue de Londres, tout en parlant, de temps à autre, de choses et d'autres. Un jour, l'un d'eux demanda:

“Il y a longtemps que nous n'avons pas pris de congés. En prendras-tu cette année ?

- Non, répondit l'autre après un moment de réflexion.”

Retombant dans le silence, ils cousaient quand soudainement le second tailleur dit:

“J'ai été une fois en vacances, il y a bien longtemps.

- Tu as pris des vacances ? Questionna l'autre étonné.

- Oui, répondit le second.”

Le premier tailleur qui n'avait aucun souvenir d'un tel événement demanda:

“Et où es-tu allé ?

- En Inde.

- En Inde !

- Oui, chasser le tigre au Bengale.

- Toi ! Tu es allé chasser le tigre au Bengale ?”

Le premier tailleur s'était arrêté de travailler tant la nouvelle lui semblait inouïe. Très calme, le second tailleur reprit:

“J'avais fait la connaissance d'un Maharadjah qui me laissa monter un magnifique éléphant blanc. Équipé d'un fusil d'argent et accompagné d'une armée de rabatteurs, je m'aventurai dans la forêt. Soudain, un tigre énorme jaillit devant ma monture en rugissant. Jamais de mémoire d'éléphant, on avait vu bête pareille dans la région. Épouvanté, l'éléphant chancela et je tombai dans les broussailles. Avant que je ne puisse faire un geste ou appeler à l'aide, le tigre se précipita sur moi et me dévora.

- En entier ?

- Oui, il me dévora entièrement jusqu'au dernier pouce de chair.

- Que me chantes-tu là ! Aucun tigre ne t'a dévoré. Tu es bien là, toujours en vie.”

Le second tailleur reprit son ouvrage et, de fil en aiguille, se remit au travail sous le regard ahuri de son interlocuteur. Puis, esquissant un geste lourd de lassitude, il ajouta: “Tu appelles ça une vie.”

 

JC Carrère Le cercle des Menteurs, Plon

 

mercredi 7 juillet 2021

Savoir pour comprendre


Un vieil homme vouait ses jours et ses nuits à la lecture, éclairé par la lumière du soleil ou la lueur d'une chandelle. Un jour, un jeune homme lui dit:

“A quoi bon lire ainsi jour et nuit ?

- Pour découvrir le paradis, répondit le vieil homme.”


Bien des années plus tard, alors que le vieil homme était mort, le jeune homme d'âge mûr entreprit un voyage à la recherche de la vérité. Au cours de son périple, il surmonta mille épreuves tant son désir de vérité était intense. 


Parvenu au sommet de la montagne où aboutissent tous les chemins des êtres en quête de révélation, grande fut sa surprise de découvrir le vieil homme, toujours en train de lire, devant l'ouverture d'une grotte. Il approcha lentement et lui demanda d'une voix pleine de respect:

“Avez-vous trouvé le paradis ?

- Oui.

- Et vous continuez de lire ?

- Comme tu le vois.

- Rien n'a changé alors ?

- Oh que si !

- Quoi donc ?

- Auparavant je lisais pour comprendre. À présent, je comprends ce que je lis.”


Source :JC Carrère Le cercle des Menteurs, Plon