vendredi 27 novembre 2015

Le bonheur dans la tarte au citron


Un drapeau français en hommage aux évènements du 13 novembre (photo prise en Normandie)

C'était deux frères aux destinées incomparables. L'un était pâtissier, l'autre magicien. Ils vivaient dans un modeste village à l’abri des paillettes et des tapis rouges. Le premier se contentait de peu, le deuxième était rongé par l'insatisfaction. 

Mécontent, il quitta son village pour devenir le magicien le plus reconnu du pays. Après mille et une craintes, privations et sacrifices, il réalisa enfin son rêve. Hélas ! Cela ne put suffire à combler la vacuité de son âme.

Il partit alors séduire sa future âme sœur dans les soirées branchées de la capitale. Le voici marié à une déesse parmi les femmes. 
Malgré toutes ces réjouissances, le bonheur n'était toujours pas au rendez-vous.

Le couple céleste déménagea alors dans un splendide manoir et mit au monde sept merveilles qui furent éduquées dans des conditions royales. 

Pauvre magicien... Il avait beau gravir les sommets les plus élevés de l'humanité, il ne pouvait échapper à cette sournoise insatiabilité.

Désespéré, il revint aux sources et reprit contact avec son frère bienheureux. En guise de retrouvailles, ce dernier avait préparé une tarte aux citrons qu'ils partagèrent au café du village. Après quelques discussions stériles, ils en vinrent à l'essentiel :

« Mon tendre frère, j'ai un meilleur métier, une plus belle femme et une plus grande famille que toi. Pourtant, de nous deux, c'est toi le plus heureux. Comment fais-tu ? Quand pourrais-je enfin goûter au bonheur ? »

Le pâtissier s'essuya les babines avec sa serviette, et déclara ceci :

« Tu sera heureux quand tu cessera de désirer autre chose que cette tarte aux citrons. » 

Ils firent silence, et le magicien repris une part de tarte qu'il s’efforçât de savourer pleinement.

Il avait là le pressentiment d'apprendre le seul tour de magie qui échappait à sa virtuosité : le bonheur.


Source : Un conte thérapeutique de François Sivade

vendredi 20 novembre 2015

Regardez le monde autrement



Notre contribution aux débats actuels sur le thème : comment surmonter les clivages et faciliter la vie entre gens de bonne volonté. 
Nous donnons la parole à Lilian Thuram* et à sa représentation du monde.

Extrait de son site** :  "Les cartes que nous utilisons généralement placent l’Europe en haut et au centre du monde. Elle paraît plus étendue que l’Amérique latine alors qu’en réalité elle est presque deux fois plus petite : l’Europe s’étend sur 9,7 millions de kilomètres carrés et l’Amérique latine sur 17,8 millions de kilomètres carrés. Cette carte questionne nos représentations.

En effet, le géographe australien Stuart McArthur, en 1978, a placé son pays non plus en bas et excentré, mais en haut et au centre. Cette carte résulte aussi des travaux de l’Allemand Arno Peters, en 1974, qui a choisi de respecter les surfaces réelles de chaque continent. Il montre, par exemple, que l’Afrique, avec ses 30 millions de kilomètres carrés, est deux fois plus grande que la Russie qui compte 17,1 millions de kilomètres carrés. Pourtant, sur les cartes traditionnelles, c’est le contraire…

Placer l’Europe en haut est une astuce psychologique inventée par ceux qui croient être en haut, pour qu’à leur tour les autres pensent être en bas. C’est comme l’histoire de Christophe Colomb qui « découvre » l’Amérique, ou encore la classification des « races » au XIXe siècle qui plaçait l’homme blanc en haut de l’échelle et les autres en bas.

Sur les cartes traditionnelles, deux tiers de la surface sont consacrés au « Nord », un tiers au « Sud ». Pourtant, dans l’espace, il n’existe ni Sud ni Nord. Mettre le Nord en haut est une norme arbitraire, on pourrait tout aussi bien choisir l’inverse.

Rien n’est neutre en termes de représentation. Lorsque le Sud finira de se voir en bas, ce sera la fin des idées reçues. Tout n’est qu’une question d’habitude."

* Né en Guadeloupe en 1972, Lilian Thuram a connu une carrière prestigieuse de footballeur international : champion du monde en 1998, champion d’Europe en 2000, vice-champion du monde en 2006 ainsi que de nombreux titres en club. Après sa carrière Lilian Thuram a créé une fondation pour lutter contre le racisme. 

**Pour en savoir plus : le site de sa fondation http://www.thuram.org/site/multimedia/


vendredi 13 novembre 2015

Conte Tadjik : les sept laits


C’est arrivé en des temps très anciens. Vivait alors un émir si plein d’orgueil qu’il punissait de mort celui qui osait poser le pied sur son ombre. Quand un fils lui est né, l’émir a dit « mon fis sera plus redouté que Tamerlan, plus illustre que le grand Iskander et pour qu’il en soit ainsi, je vais le nourrir comme nul enfant né de la femme n’a été nourri ! »

Son vizir lui dit « Seigneur, quelle nourriture est la meilleure pour un enfant que le lait de sa mère ? » « Le lait d’une femme, fût-elle la mienne, n’est pas digne d’abreuver mon fils répliqua l’émir. Sept laits vont nourrir mon enfant et lui donner les sept vertus que seuls possèdent les élus de Dieu. Le lait de la tigresse le rendra puissant comme un tigre, le lait de l’éléphante lui donnera l’intelligence et la mémoire, le lait de la jument le fera beau comme un étalon, le lait de la chamelle lui donnera la sobriété et le lait de l’ourse la force. En buvant le lait de la hase, il acquerra la vitesse du lièvre, tandis que le lait de la chatte le rendra adroit comme un chat. Tel sera mon fils, et tous points parfait. Et il régnera sur le monde ! » Et il fut fait ainsi que l’avait décidé l’émir.

Nourri aux sept laits, l’enfant grandit, devint adolescent puis jeune homme. Approchait pour lui le moment de prendre femme, et son père cherchait de par le monde une princesse digne de devenir l’épouse de son fils. Or, en ce temps-là, la fille unique du puissant Khan de Boukhara parvint à l’âge où l’on se marie et son père convia à une fête tous les jeunes gens vaillants et valeureux pour que la belle princesse puisse choisir parmi eux son époux. En apprenant cela, l’émir dit à son fils : « Cette fiancée te conviendrait, mon fils ! Elle est noble et belle. Va et ramène-là. Car tu vas briller au milieu des autres comme la lune resplendit au milieu des étoiles ! ».

Le fils partit avec une nombreuse suite où se trouvait Ahmad, le fils du vizir. Il avait le même âge que lui et lui servait de confident. Pendant 40 jours, ce fut la fête à Boukhara. Les festins succédaient aux chasses, les danses aux compétitions, les courses de chevaux aux concours de musique. A la fin du quarantième jour la princesse Gulnari s’adressa à tous les jeunes gens et leur parla : « Soyez remerciés, vous tous, qui êtes venus ici et qui avez rivalisé de force, d’adresse et de courage. Tous, vous êtes dignes d’amour, mais un seul m’est prédestiné. Ahmad, je te donne ma main, car mon cœur, tu le possèdes déjà ». En apprenant cela, l’émir entra dans une violente colère. Il demanda raison au Khan de Boukhara et le menaça : « Le choix de ta fille nous insulte ! Non seulement elle a refusé mon fils, mais elle lui préfère son serviteur ! Pareil affront demande réparation, seul le sang peut laver une telle injure ! » Le Khan était un homme sage. Il dit : « je comprends ta colère et ton chagrin de père, et c’est en père que je vais te parler. Ton fils hélas ! est féroce comme un tigre et lâche comme un lièvre, laid comme un chameau et balourd comme un éléphant, il est stupide comme un ours et perfide comme un chat.  D’autre part, il est aussi instable et ombrageux qu’un cheval rétif. Sois honnête et réponds-moi en père : pouvais-je donner ma fille unique à un tel prétendant ? «

Accablé, l’émir courba la tête. Sa colère partie, il ne restait que le chagrin. Il demanda, plein d’amertume, quel lait avait nourri le fils de son vizir pour le rendre digne de sa fille ».
Le khan répondit doucement : « Le sein de sa mère l’a nourri de lait humain. Et il est devenu un homme ».


Source : « 365 contes de gourmandises » Luda -Hatier 1989

vendredi 6 novembre 2015

Conte argentin : les passeurs d'âmes


Au début des temps, quand un homme mourait, son âme restait prisonnière sur terre. Elle errait sans but. Les dieux ne s’en inquiétaient guère jusqu’au jour où ils se rendirent compte qu’il y avait bien plus d’âmes que d’hommes sur terre et que la tristesse de ces âmes en errance transformait la verdoyante forêt primaire en un morne univers gris

Ils se réunirent donc afin de trouver une solution. Certains s’énervèrent en disant qu’il avait été fort malencontreux d’offrir une âme aux hommes, d’autant plus qu’ils devenaient incapables de s’en occuper après leur mort. D’autres proposèrent des solutions invraisemblables comme offrir à chaque âme un nouveau corps dès que l’ancien rejoint la terre de la forêt primaire. Finalement l’un d’entre eux proposa de créer un endroit loin de la terre où les âmes se sentiraient chez elles. L’idée enchanta la grande majorité des dieux, ils commencèrent alors à créer l’endroit parfait pour le repos et le bonheur des âmes.

Il fallut plusieurs siècles pour le terminer. Il y faisait une douce température, la pluie laissait éclore des millions d’arcs-en-ciel qui se transformaient aussitôt en autant de papillons aux couleurs infinies. Dans ce lieu, les dieux se firent tant plaisir, que tout n’était que beauté, perfection, douceur, surprise et enchantement. L’endroit parfait pour les âmes des hommes était enfin prêt, les dieux le baptisèrent de nombreux noms, pour que chaque peuple puisse le nommer ; ici nous disons le paradis.

Face à leur grand succès, les dieux se félicitèrent. Cependant dans cet océan de satisfaction une petite voix se fit entendre : « Comment allons-nous faire venir les âmes ici ? »

Cette question, à priori fort triviale pour des dieux, les laissa littéralement sans voix. Ils se mirent à se chamailler, chacun accusant l’autre d’être responsable de ce fiasco, comment oublier un élément si important ! La petite voix réclama le silence et demanda aux autres dieux de le suivre. Ils arrivèrent devant un arbre couvert de tant de fleurs qu’on aurait dit une cascade de pétales. La petite voix demanda alors aux dieux de faire silence et d’attendre. Ils attendirent, puis soudain ils entendirent un bourdonnement sourd, puis virent des flèches de couleur, bleue, rouge, verte, tourner autour de l’arbre. Ils finirent par voir, planté devant une fleur, un magnifique petit oiseau battant des ailes à un rythme incroyable. Certains pensèrent qu’il aimait la fleur, d’autre qu’il l’embrassait, d’autre qu’il la taquinait, c’est ainsi que naquirent ses nombreux noms (Colibri, Picaflor, Besaflor, etc.). Alors la petite voix demanda au petit oiseau s’il accepterait une mission d’une importance suprême, celle de transporter les âmes des hommes.

L’oiseau, face à l’impressionnante assemblée, accepta avec joie, mais à la condition et uniquement à la condition, qu’il puisse les trouver dans les fleurs. N’ayant pas vraiment le choix, les dieux acceptèrent le marché et envoyèrent alors de par le monde des messagers afin d’ordonner à toutes les âmes en errance de se chercher une fleur où attendre le colibri qui les emporterait vers le paradis.

Depuis ce jour le colibri s’attelle consciencieusement à sa tâche, cherchant dans chaque fleur les âmes qui attendent leur passage. Certains prétendent qu’ils font cela pour se nourrir, mais vous maintenant vous connaissez la vraie histoire, alors n’hésitez pas, faites- la circuler et que jamais un colibri ne vienne chercher cette histoire ; seule une histoire oubliée peut mourir.

D’après un conte Guarani de la région des Missions en Argentine

Source : http://short-edition.com/