jeudi 31 juillet 2014

Conte de Polynésie ; des fleurs pour la toux


Lorsqu’elle vint voir le guérisseur Tiurai, la mère de de Tevane était inquiète : son fils de 16 ans toussait. Cela l’épuisait et il ne sortait plus de la maison.

Tiurai demanda à le voir. Tevane vint le jour suivant. Le guérisseur le fit attendre tout le jour tout en l’observant. A la fin de la journée, Tiurai lui donna une prescription, à savoir aller cueillir certaines fleurs dans la montagne. Tevane les connaissait car il parcourait la montagne depuis tout petit avec son père qui récoltait des bananes sauvages. Il avait l’habitude de porter de lourdes charges (pour son âge) jusqu’à ce que la maladie l’empêche. Aujourd’hui, il voyait, avec tristesse, ses amis être capable de porter de plus lourdes charges encore et cela le minait. Tiurai le renvoya chez lui en lui demandant de suivre son traitement de fleurs pendant douze jours. Le principe en était simple : aller cueillir une des fleurs, la humer, puis se reposer deux jours et recommencer avec une autre fleur.    

Le treizième jour, il revint. Tiurai lui donna une nouvelle prescription : aller cueillir des fleurs de bananiers sauvages et s’en faire des décoctions tièdes en alternant à nouveau des plages de traitement et des plages de repos.

Au bout de trois semaines, Tevane revint voir le guérisseur qui le félicita pour avoir respecté le traitement.  Tiurai lui donna l’ordre d’aller chercher des régimes de bananes sauvages dans la montagne,  en commençant par en prendre deux, puis progressivement augmenter la charge, à raison d’un régime de plus par semaine.     

Arrivé à six régimes (la charge qu’il portait autrefois), le jeune homme revint voir le guérisseur et constata qu’il ne toussait plus. Le guérisseur lui donna une dernière recommandation : «durant six semaines, continue à porter les six régimes de banane, puis augmente la charge suivant tes forces et non suivant tes orgueil. Ne rentre plus en compétition avec tes amis et tu seras guéri. »
Quelques mois plus tard, la mère de Tevane vint  remercier le guérisseur : son fils portait maintenant dix régimes et ne toussait plus.

Tiurai est-il un médecin, un charlatan ou un sorcier ?
En fait, il avait compris que le jeune homme avait besoin de reprendre confiance en ses capacités. Pour cela,  il l’envoya chercher des fleurs à des altitudes croissantes. Il l’obligea à alterner exercices et repos. Tuvane reprit ainsi progressivement ses forces et écouta plus son corps, ce qui lui permit de se muscler et de porter des charges de plus en plus lourdes.
Tiurai estimait que la rivalité faisait naître la compétition entre les hommes. Toutefois, chacun doit être attentif à ce qu’il est pour ne pas se laisser emporter par les paroles des autres.   


Et vous, vous écoutez-vous ?  

dimanche 27 juillet 2014

Conte du Tibet : méditation sans espoir


Un vieux nomade était veuf depuis peu.  Il avait marié ses enfants, il était fatigué de suivre la transhumance des troupeaux, il n’attendait plus rien de ce monde et désirait ardemment préparer sa vie future.
La nouvelle lui parvint qu’un grand lama (= un Maître, un gourou) traversait des hauts plateaux désertiques à proximité, donnant des bénédictions et des enseignements. Le vieux décida aussitôt de se rendre au bivouac du saint homme. Après avoir fait la queue et les prosternations d’usage, offert du beurre et une turquoise, le nomade put faire sa demande.
_ Maître Vénérable, je voudrais consacrer le reste de ma vie au Dharma (= Vérité, enseignements de Bouddha)  dans l’espoir d’atteindre l’Éveil et  d’aider les êtres dans ma prochaine incarnation. Pourriez-vous m’initier à la pratique de la sainte doctrine ?  
Percevant une sincère motivation, le lama lui donna ses instructions. Il lui dit de se retirer dans une grotte pour visualiser son yidam (= sa divinité tutélaire de méditation), et lui enseigna le mantra correspondant. Il ajouta que, s’il pratiquait avec foi, il atteindrait peut-être dans cette vie la libération et ne tarderait pas à soulager les souffrances de ses semblables.
Après dix ans de méditation assidue dans sa solitude rocailleuse, le vieux nomade n’était pas parvenu à l’illumination. L’un de ses fils, qui le ravitaillait de temps en temps, lui apprit que le célèbre lama était à nouveau de passage dans la province et campait non loin de là. L’ermite quitta sa caverne pour aller demander conseil à son maître.
 _ Inestimable gourou, j’ai médité dix ans suivant vos instructions mais je n’ai pas encore atteint l’Éveil. Peut-être ai-je commis des erreurs dans ma pratique ? …
Le lama lui demanda quelle initiation il lui avait donnée. Quand le vieux disciple lui eut rappelé les indications, le moine se gratta le front et déclara :
 _ J’ai peut-être commis une erreur. Ce n’était sans doute pas une bonne pratique pour vous. Je ne vois pas quoi vous proposez à la place. De toute façon, vu votre âge, il est trop tard pour commencer un autre type de méditation. Vous avez toutefois acquis quelques mérites pour votre vie future même si dans celle-ci, vous n'atteindrez pas l'illumination.
Et le lama, pour le congédier, lui donna sa bénédiction.
Le vieux nomade retourna la mort dans l’âme à son ermitage. Il s’assit sur son siège de méditation, laissa errer ses yeux désabusés sur les parois de la caverne, sa paillasse, son cruchon, sa lampe à beurre avec lesquels il avait passé dix années de sa misérable existence sans pouvoir atteindre son but. Abasourdi  par l’inanité de tant d’efforts, il secoua la tête et, sans plus rien n’attendre de la pratique spirituelle, il ferma les yeux. C’est alors qu’il connut l’illumination.
Percevant clairement la réalité des trois mondes, le cœur débordant de compassion, il quitta son ermitage et revint vivre parmi ses semblables. Il consacra ses dernières années au service de tous les êtres sensibles. Par ses conseils et ses prières, il soulagea pour beaucoup les souffrances des corps et des cœurs. Il en guida quelques-uns sur les sentiers du Dharma. Et dans ses enseignements, il n’hésita pas à recourir à des moyens habiles comme son maître l’avait fait pour lui afin que l’esprit du disciple se libère de tout désir de réalisation spirituelle.
" Souveraine est la vision transcendant la dualité,
   Souveraine est la méditation libre de distraction,
   Souveraine l’action du non agir.
   Quand il n’est plus ni peur ni espoir, le fruit est réalisé. "

Tilopa (988 – 1069), maître indien de la tradition bouddhiste  

vendredi 18 juillet 2014

Conte tchèque : Katia, le diable et... le berger.


Il était une fois dans un village une jeune fille appelée Katia. Elle vivait dans une chaumière, possédait un petit jardin et quelques pièces d’or. Mais si elle était tout cousue d’or, même le valet le plus pauvre ne l’épouserait pas, tant elle était forte en gueule. Cependant elle aurait bien aimé que les garçons du village lui parlent de temps en temps et l’invitent à danser le dimanche ; or ils ne le faisaient pas.
Un dimanche, Katia était assise à l’auberge comme d’habitude et regardait, pleine d’envie, qui dansait, et avec qui ; dans sa colère elle pensa : « Dieu m’est témoin, qu’aujourd’hui je danserais même avec le diable ! »
La porte s’ouvrit et un étranger en tenue de chasse pénétra dans la salle. Il s’assit non loin de Katia et se fit servir à boire. Lorsque l’aubergiste lui apporta une bière, le seigneur prit le verre et le tendit à Katia.
Elle se sentait très honorée mais fit cependant quelques manières avant d’accepter le verre.  Elle but, puis reposa le verre sur la table ; le seigneur sortit alors un ducat de sa poche, le jeta aux musiciens et leur dit : «  Allez, jeunes gens, jouez pour moi »  et il entraîna Katia dans la danse.
« qui peut-il être ? » se demandaient les vieux en hochant la tête. Les jeunes garçons souriaient d’un air méprisant et les jeunes filles se cachaient le visage dans leur tablier afin que Katia ne vit pas qu’elles se moquaient d’elle. Mais Katia ne voyait rien, elle était heureuse, elle dansait et le monde entier pouvait bien se moquer d’elle.
L’étranger dansa avec Katia tout l’après-midi et toute la soirée ; il lui acheta des bonbons et des gâteaux. Quand ce fut l’heure de rentrer à la maison, il la raccompagna jusque chez elle ; et lorsqu’il lui dit adieu, elle s’écria : « Ah ! si je pouvais danser avec vous, comme aujourd’hui, jusqu’à ma mort ! Que je serais heureuse !
-    C’est facile, tu n’as qu’à venir avec moi.
-    Mais où habitez-vous ?
-    Mets tes bas autour de mon cou et je te le dirai. »
Katia prit le chasseur par le cou et celui-ci se transforma aussitôt en diable. Il s’envola avec elle jusqu’en enfer.

Arrivé à la porte de l’enfer, le diable frappa et ses camarades le firent entrer. Lorsqu’ils virent la lourde charge qu’il portait, ils voulurent détacher la jeune fille de son cou mais elle se tenait si bien autour du cou du diable, qu’aucune force terrestre n’aurait pu l’en détacher ; le diable dut donc se présenter au Roi de l’Enfer avec Katia accrochée à son cou.
-  Qui amènes-tu là ? demanda le Roi de l’Enfer.
Le diable raconta comment Katia, sur la terre, lui avait demandée de toujours danser avec elle et comment il l’avait directement amenée en enfer, et maintenant elle ne voulait plus me lâcher et il ne savait pas comment s’en débarrasser.
-  Tu n’es qu’un idiot, et tu as mal suivi mes conseils, répondit le Roi, avant de t’engager envers quelqu’un tu dois savoir qui il est. Katia est certes bavarde mais sinon, c’est une honnête fille et l’Enfer n’est pas fait pour elle. Sors d’ici et vois toi-même comment tu pourras te défaire de ton fardeau.
Le diable retourna donc sur la terre avec Katia.
Il lui promit monts et merveilles, il se fâcha, jura, mais en vain, Katia ne le lâchait pas. Malheureux et triste, il arriva un jour avec son fardeau dans une prairie où un jeune berger, habillé d’une vieille peau, gardait ses moutons. Le diable prit une forme humaine si bien que le berger ne le reconnut pas.
- Qui trainez-vous à votre cou ? demanda le berger
-  Je me promenais tranquillement lorsque cette Katia, que je ne connais point, m’a sauté au cou et maintenant, elle ne veut plus me lâcher.
-  Bon, je vais vous aider, répondit le berger, mais pendant ce temps, vous devrez garder mes moutons.
-   Bien volontiers, répondit le diable.
Le berger s’adressa alors à Katia : « Viens, Katia, accroche-toi à mon cou ».
Lorsqu’elle entendit cela, elle se détacha du diable et s’accrocha au cou du berger. Le berger porta Katia jusqu’à un étang proche, dégagea son bras gauche puis son bras droit, défit un bouton puis un autre et Katia partit sur l’eau avec la peau de mouton.
En un clin d’œil le berger était déjà de retour.
-  Je te remercie, berger, dit le diable très content, tu m’as rendu un grand service ; sans ton aide, j’aurais été obligé de porter cette Katia jusqu’à la fin des temps. Un jour, je te récompenserai et ferai de toi un homme riche. Mais sache à qui tu as rendu service, apprends que je suis le diable.
Et sur ces mots, il disparut.
Le berger secoua la tête et se dit : « si tous les diables sont aussi bêtes que lui, alors nous n’avons rien à craindre ! »

Le pays où habitait le berger appartenait à un jeune prince. Celui-ci était riche et menait une vie fort dissipée. Chaque  nuit, de l’extérieur du château, on pouvait entendre les cris joyeux des buveurs. Le pays était administré par deux intendants qui ne valaient pas mieux que leur maître ; ce que leur maître ne dépensait pas, les deux intendants le gardaient pour eux, et le pauvre peuple ne savait plus comment payer les plaisirs de leurs maîtres.

Un jour le prince, qui se demandait comment il allait occuper sa journée, fit appeler un homme qui savait lire dans les étoiles et lui ordonna de lui prédire son destin et celui de ses deux intendants ; l’astrologue obéit et chercha longtemps comment chacun des seigneurs trouverait la mort. Lorsqu’il eut tout appris des étoiles, il se rendit chez le prince.
-  Pardonnez-moi, Seigneur, dit alors l’astrologue, mais je n’ose point parler car vous êtes menacés par un très grand danger.
-  Dis sans peur ce que tu sais, tu ne crains rien maintenant. Mais si ce que tu nous prédis ne se réalise point, je te ferais couper la tête.
-  J’exécuterai volontiers ton ordre, puisqu’il est juste, répondit l’astrologue. Voici donc votre destin à tous trois : avant la fin de ce mois, le diable viendra chercher tes intendants et avant la fin du mois prochain, le diable viendra te chercher et te mènera en enfer.
Le prince se mit tant en colère qu’il fit jeter l’astrologue en prison mais lui et ses intendants avaient perdu leur joie de vivre. Pour la première fois, ils se mirent à réfléchir et à avoir des remords. A moitié morts de peur, les deux intendants retournèrent dans leur château. Le prince commença à mener une vie toute différente. Il menait une vie calme et simple et administrait lui-même son pays ; il espérait ainsi pouvoir échapper à un si funeste destin.

A cette époque, le diable rendit visite au berger et lui dit :
-  Je suis venu pour te récompenser du service que tu m’as rendu en me débarrassant de Katia. Avant la fin du mois, je dois emporter en enfer les deux intendants du pays parce qu’ils ont volé les pauvres et mal conseillé le prince. Mais comme ils ont le désir de devenir meilleurs, je les laisserai sur la terre pour le moment. Au jour et à l’heure dite, tu te rendras au premier château. Lorsque je viendrais chercher l’intendant, tu t’avanceras vers moi et me diras : « Diable, disparais, sinon il t’arrivera malheur. » je t’obéirai et laisserai l’intendant. Tu te feras donner en récompense deux sacs remplis de pièces d’or. Tu feras la même chose chez le deuxième intendant. Mais lorsqu’à la fin du mois prochain, je viendrais cherche le prince, je te défends d’intervenir auprès de moi. Sinon prends garde à ta vie.
Sur ces mots, il disparut.
Le berger retint chacune des paroles du diable et lorsque le jour fut venu, il se dirigea vers le château du premier intendant. Il arriva à l’heure dite ; une foule de gens qui voulaient voir le diable emporter l’intendant s’étaient rassemblés dans la cour du château. Soudain, ils entendirent un cri perçant, une porte s’ouvrit et le diable sortit en tirant le pâle intendant derrière lui. Mais le berger s’avança vers le diable et lui dit : « Diable, disparais, sinon il t’arrivera malheur. »
Et le diable disparut. L’intendant, transporté de joie, donna au berger deux sacs remplis de pièces d’or. Celui-ci fort heureux de son sort, se dirigea alors vers le second château et tout se passa comme précédemment.
Lorsque le prince apprit que le berger avait sauvé les deux intendants, il le fit aussitôt amener dans son carrosse d’or et le pria de le délivrer lui aussi du diable.
- Mon prince, répondit le berger, je ne  peux pas vous le promettre car vous êtes un grand pêcheur. Mais si vous désirez vraiment être raisonnable, juste, bon et sage envers votre peuple, ainsi que doit être un prince, j’essaierai, même si je dois aller en enfer à votre place.
Le prince promit de devenir meilleur et le berger s’en alla pour imaginer une ruse.
Lorsque le jour où le diable devait venir chercher le prince arriva, la cour du château était remplie de monde. Soudain, une porte s’ouvrit et le diable sortit en tirant derrière lui le prince, livide.
Alors le berger se fraya un chemin à travers la foule et se dirigea vers le diable.
-  As-tu donc oublié ce que je t’avais dit ? lui murmura le diable en colère.
- Mais voyons, imbécile, il ne s’agit pas du prince mais de toi ! répondit le berger à voix basse. Katia est ici et veut s’accrocher à ton cou !
Lorsque le diable entendit ces mots, il lâcha le prince et s’enfuit le plus vite qu’il put.
Le prince fut si heureux qu’il prit le berger comme premier conseiller; ce fut une bonne chose car le berger était intelligent et juste. Peu de temps après, le pays tout entier devint prospère et satisfait de son seigneur.


Conte d’Oldrich Sirovatka, trouvé sur le site : http://les-arabesques-de-triste-fee.e-monsite.com/

vendredi 11 juillet 2014

Conte africain: Edshu, le dieu filou


Une anecdote du pays des Yorubas (Afrique de l'Ouest).

Un jour, Edshu, un dieu un peu filou, cheminait à pied le long d'un chemin entre deux champs. Dans chacun d’eux, un agriculteur était au travail.  Il décida aussitôt de leur jouer un tour. 

Il se coiffa d’un chapeau qui était d'un côté rouge et de l’autre blanc, vert par-devant et noir par-derrière (couleurs des quatre directions du monde : Edshu était une personnification du centre du monde), de sorte que lorsque les deux agriculteurs étaient rentrés chez eux dans leur village et que l'un d'eux avait dit à l'autre: «As-tu vu passer ce vieux bonhomme au chapeau blanc? », l’autre lui répondit « J’en ai vu un, mais son chapeau était rouge ! »

Le premier lui rétorqua : «Pas du tout, il était blanc ! »  «Non, il était rouge » insista son ami, « je l'ai vu de mes propres yeux. " «Eh bien, tu dois être aveugle,» déclara le premier, « et toi,  tu devais être saoul ! » répondit l'autre. La dispute dégénéra et ils en vinrent aux coups. Quand ils sortirent leurs couteaux,  des voisins les traînèrent devant le chef du village pour qu’il les départage.
 

Edshu se mêla à la foule lors du procès, et quand le chef se déclara dans l’incapacité de trancher, le vieux filou se révéla, fit connaître sa farce, et montra le chapeau. « Ces deux-là ne pouvaient que se  quereller », dit-il. «C’est ce que je voulais. Créer des conflits est ma plus grande joie.»

vendredi 4 juillet 2014

Conte tchèque : Chance ou Raison ?


Chance et Raison se croisèrent un jour sur un pont étroit et aucune ne voulut céder le passage à l’autre.  Après s’être disputée, elles décidèrent de savoir qui était plus importante que l’autre. Après tirage au sort, ce fut la Raison qui serait la première à s’immiscer dans la vie d’un homme.
Le premier homme qui passa était un paysan sur sa carriole. Lorsque la Raison pénétra son esprit, il oublia ses rêveries et le chant des oiseaux et réfléchit à sa condition. Il estima qu’il était triste de trimer depuis des générations et de rester aussi démuni. Il décida alors de quitter son logis et de partir tenter sa chance en ville, où se trouvaient les riches.
Il se rendit au Palais Royal et en observa avec attention le fonctionnement. Ce qui le frappa le plus, ce fut le jardin d’agrément du Roi. Il devint jardinier et, malgré la jalousie du chef jardinier, contribua à l’embellir en créant notamment une belle roseraie où le Roi et ses proches aimaient se reposer.
Le Roi y venait notamment en compagnie de sa fille. Celle-ci en devenant femme perdit l’usage de la parole. Le Roi, terrorisé par l’état de sa fille en vint à promettre sa main à qui lui rendrait la parole.     
 Le petit paysan décida de tenter sa chance un jour où la famille royale se reposait dans le jardin. Il s’adressa au chien de la princesse en ces termes : « Aide-moi à résoudre cette énigme.  Au cours d’un de mes voyages, en compagnie de deux compères, nous nous arrêtons  pour dormir dans une forêt. Nous décidons de faire le guet à tour de rôle pour nous prémunir des bêtes sauvages. Le premier guetteur, un sculpteur, pour passer le temps, sculpte une magnifique jeune femme dans un tronc. Plus tard dans la nuit, le second guetteur, un tailleur, lui confectionne des vêtements. Lorsqu’arrive mon tour de guet, je lui décris la nature qui s’éveille, les odeurs et… je la vois s’animer. Une querelle éclate alors avec mes compagnons sur qui peut prétendre à être son fiancé. »
Si le chien ne répondit rien, la princesse se leva brusquement et dit : « c’est toi l’heureux élu, puisque tu as réussi à lui donner vie. »
Le paysan tendit alors la main à la princesse en lui demandant si, elle aussi, était inspirée par ses paroles. La princesse acquiesça d’un regard sans équivoque.
Le petit paysan se tourna alors vers le Roi, mais celui-ci avant qu’il n’ait pu placer un mot, se leva avec colère et lui dit : « je te récompenserai pour ce que tu as fait, mais tu disparaîtras ensuite de notre vue. » Le petit paysan essaya de rappeler sa promesse au Roi, mais il n’obtint comme retour d’être arrêté pour insolence et condamné à l’échafaud.
Chance et Raison, témoins de cette situation, réagirent. Chance souligna que la raison pure n’avait pas suffi. Raison lui céda sa place.
Quand le bourreau leva son épée, celle-ci se brisa et assomma ce dernier. Comme il est d’usage, le condamné fut gracié sur le champ, juste à temps pour voir arriver le Roi, revenu sur sa décision… après réflexion.

Depuis cette histoire, on raconte qu’à nos croisées des chemins, la Chance veille. A côté d’elle, la Raison murmure : « Si la chance est avec toi, pourquoi te hâter ? Et si elle n’y  est pas, pourquoi te hâter : réfléchis ! »       

Rédigé à partir des "Contes des sages slaves" (Seuil, 2014)