jeudi 30 juin 2016

Jean le Chanceux


Jean avait servi son maître sept ans se fit payer ses gages et reçut un lingot d'or. Il se mit en route pour aller chez ses parents.
Comme il marchait, il admira à voix haute un cavalier qui trottait sur un cheval vigoureux. Le cavalier, qui l'avait entendu, s'arrêta et lui proposa d’échanger son lingot avec le cheval. Jean accepta et fut heureux d’aller à cheval. Il lui prit d'aller plus vite, Aussitôt le cheval se lança au galop, et Jean fut jeté par terre dans un fossé sur le bord de la route. Le cheval fut arrêté par un paysan qui venait en sens opposé, chassant une vache devant lui.
Jean se releva comme il put et dit au paysan : « A la bonne heure une vache comme la vôtre ; on va tranquillement derrière elle, et par-dessus le marché on a chaque jour du lait, du beurre, du fromage. Que ne donnerais-je pas pour posséder une pareille vache !
- Eh bien, dit le paysan, puisque cela vous fait tant de plaisir, prenez ma vache pour votre cheval. Le paysan monta à cheval et s'éloigna rapidement,

Jean chassait tranquillement sa vache devant lui, en songeant à l'excellent marché qu'il venait de faire. Puis il voulut la traire. Comme il s'y prenait maladroitement, la bête impatientée lui donna un tel coup de pied sur la tête, qu'elle l'étendit sur le sol. 
Heureusement un boucher qui passait par là, portant un petit cochon sur une brouette vint à son aide. Le boucher lui dit : « cette vache ne vous donnera jamais de lait : c'est une vieille bête qui n'est plus bonne que pour le travail ou l'abattoir. Comme Jean se désespérait, le boucher lui dit : « pour vous faire plaisir, je veux bien troquer mon cochon contre votre vache ».

Jean continuait son chemin en songeant combien il avait de chance. Sur ces entrefaites, il rencontra un garçon qui portait sur le bras une belle oie blanche. Ils se souhaitèrent le bonjour, et Jean commença à raconter ses chances et la suite d'heureux échanges qu'il avait faits. De son côté, le garçon raconta qu'il portait une oie pour un repas de baptême et, regardant de tous côtés avec précaution, lui dit. « Dans le village par lequel j'ai passé tout à l'heure, on vient justement de voler un cochon. J'ai peur, j'ai bien peur que ce ne soit le même que vous emmenez.
- Hélas ! mon Dieu, répondit le pauvre Jean, qui commençait à mourir de peur, ayez pitié de moi ! il n'y a qu'une chose à faire : prenez mon cochon et donnez-moi votre oie.

Le garçon accepta et prenant la corde, il emmena promptement le cochon par un chemin de traverse, pendant que l'honnête Jean, dégagé d'inquiétude, s'en allait chez lui avec son oie sous le bras. « En y réfléchissant bien, se disait-il à lui-même, j'ai encore gagné à cet échange »
En passant par le dernier village avant d'arriver chez lui, il vit un rémouleur qui faisait tourner sa meule en chantant : il lui raconta ses aventures.

- Je vois, dit le rémouleur, que vous avez toujours su vous tirer d'affaire. Maintenant il ne vous reste plus qu'à trouver un moyen d'avoir toujours la bourse pleine, et votre bonheur est fait.
- Mais comment faire ? demanda Jean.
- Il faut vous faire rémouleur comme moi. Pour cela, il suffit d'une pierre à aiguiser ; le reste vient tout seul. J'en ai une, un peu ébréchée il est vrai, mais je vous la céderai pour peu de chose, votre oie seulement. Voulez-vous ?
- Cela ne se demande pas, répondit Jean ; me voilà l'homme le plus heureux de la terre. Au diable les soucis, quand j'aurai toujours la poche pleine. »
Il prit la pierre et donna son oie en payement.


Cependant, comme il était sur ses jambes depuis la pointe du jour, il commençait à sentir la fatigue. Il se traîna jusqu'à une source voisine pour se reposer et se rafraîchir en buvant un coup ; et, pour ne pas se blesser avec les pierres en s'asseyant, il les posa près de lui sur le bord de l’eau ; puis, sans le vouloir il poussa les pierres et elles tombèrent au fond. En les voyant disparaître sous ses yeux, il sauta de joie, et les larmes aux yeux, il remercia Dieu qui lui avait fait la grâce de le décharger de ce faix incommode sans qu’il n’eût rien à se reprocher. « Il n'y a pas sous le soleil, s'écria-t-il un homme plus chanceux que moi ! » Et délivré de tout fardeau, le cœur léger comme les jambes, il continua son chemin jusqu'à la maison de sa mère.

Adapté d'un conte de Grimm

jeudi 23 juin 2016

Le sens du travail


Il y a bien longtemps, dans un village très lointain, vivait un Vieux Marchand de jouets. Il était très vieux, et avait de plus en plus de mal à tenir sa boutique. Sa vue baissait et ses mains tremblaient sans cesse.  À cause de cela, le Vieil Homme ne récoltait presque plus d'argent.

Un soir d'hiver, alors qu'il neigeait abondamment, le Vieux Marchand qui peinait à rentrer chez lui, aperçut quelque chose qui bougeait dans la neige. Il se rendit compte qu'il y avait un Petit Être grelottant, enfouit dans la neige.

Le Vieux Marchand prit le Petit Homme et le questionna : « Qui es-tu ? Et que fais-tu là ?
- Je suis un Lutin et je me suis perdu en chemin. Je n'ai plus de maître et j'en recherche un. Si vous m'acceptez au sein de votre foyer, j'accomplirai toutes vos taches domestiques dès la nuit tombée. »
En entendant cela, la curiosité du Vieil Homme fut tout de suite attisée : « Cela signifie-t-il que tu pourrais m'aider à la boutique ? En confectionnant des jouets par exemple ?
- Je vous aiderai volontiers, que ce soit dans votre maison ou dans votre atelier ».

Le Vieux Marchand, fou de joie, accepta sur le champ la proposition du Lutin. Il l'emporta chez lui et, dès la nuit suivante, le Lutin se mit à l'ouvrage avec entrain.
En peu de temps, la boutique proposa de très beaux jouets, originaux et d'une qualité rare. Les habitants du village entier se mirent à en parler et à recommander ce merveilleux magasin. Les affaires reprirent enfin, au grand bonheur du Vieux Marchand. Il put enfin rembourser ses dettes et commença à gagner un peu d'argent.

Seulement, les commandes se multiplièrent à une vitesse folle. Bien vite, le Vieux Marchand devint terriblement anxieux et extrêmement nerveux. Le Vieil Homme l'obligea à travailler sans s'arrêter.
Le Petit Lutin avertit le Vieux Marchand :  «si je n'ai aucun répit, je mourrai de mélancolie. »
- Mais tu ne peux pas arrêter ! Si je ne livre pas les jouets à temps, je ferai faillite...».
Dès lors, le cœur du Lutin commença à s'emplir de chagrin. Le Petit Être devint de plus en plus faible, et la mélancolie finit par s'emparer totalement de lui. Un soir, alors qu'il était encore en train de travailler, il s'effondra.

Le Vieux Marchand n'eut pas le temps de réaliser ce qu'il avait fait, que déjà des bruits étranges parcouraient tout l’atelier. Le Vieil Homme fut encerclé par une immense famille de Lutins, tous extrêmement petits, mais de taille et d’âge différents.

Le plus âgé des Lutins lui dit : « Vous avez pris la vie d'un des nôtres, de la pire façon qui soit. À présent, votre vie nous appartient. Vous subirez ce que vous lui avez infligé mais pour l'éternité. »
Ils emmenèrent le Vieil Homme au Pôle Nord et l'emprisonnèrent dans un immense atelier. Il y fut contraint et forcé d'y fabriquer des jouets, sans aucun répit et jusqu'à la fin des temps.

Et n'eut le droit de sortir qu'une seule fois par an, le vingt-cinq Décembre, pour distribuer ses présents.


vendredi 17 juin 2016

Conte arabe : Qui veux-tu être ?


Nasreddin est un personnage mythique du monde arabo-musulman. Il est le symbole d’une absurde sagesse.

Un voisin de Nasreddin vient le voir un jour pour lui raconter ses malheurs. Il semble visiblement attristé par ce qui lui arrive ces derniers temps. Nasreddin, assis sur un banc à côté de son ami, l’écoute patiemment, sans un mot. Soudain, alors que son voisin continue à se lamenter sur son sort, le visage de Nasreddin s’éclaire :
« Voisin, tu aimerais pouvoir être dégagé du besoin de travailler pour nourrir ta famille ?
-Oui, dit le voisin, qui venait de se plaindre du temps passé en voyages pour vendre ses marchandises.
- Voisin, tu voudrais pouvoir rester faire la sieste à l’ombre d’un arbre frais quand tu le souhaites ?
-Oui, fit le voisin avec un visage qui commençait à se réjouir.
- Voisin, tu voudrais pouvoir passer ton temps à te détendre sans rendre de comptes à personne ?  
- Oh oui ! fit le voisin dont le visage reflétait l’espoir de cette vie toute autre et tant rêvée.
- Voisin, tu voudrais que l’on te donne de l’affection sans rien te demander en retour ?
 -C’est bien cela, Nasreddin ! Que tu es clairvoyant ! dit le voisin avec ardeur ; »
D’un bond, Nasreddin se lève alors de son banc et se met à courir en direction du village. Le voisin se lève alors à son tour et le hèle :
- Nasreddin, où vas-tu donc ?

- Je cours à la mosquée pour prier Allah de te transformer en chat ! 

vendredi 10 juin 2016

Nos pensées nous trompent


Nasreddin est un personnage mythique du monde arabo-musulman. Il est le symbole d’une absurde sagesse.

Nasreddin est en train de se reposer chez lui lorsqu’un voisin vient frapper à sa porte.
« Nasreddin, j’ai une mauvaise nouvelle pour toi.
 -Qu’est-ce qui se passe ?
- Ta femme te trompe !
- Ce n’est passible, je suis l’homme le plus respecté du village. Personne ne me ferait cela.
Malheureusement c’est vrai : je peux t’indiquer l’heure et le lieu où ils vont se retrouver ce soir. »
Sur ces mots, Nasreddin va chercher un fusil et s’entraîne à tirer tout l’après-midi. Le soir venu, il se rend à l’endroit indiqué et se cache derrière un arbre. Les pensées le submergent : « je tire sur qui en premier ? Je tire en l’air ou je les blesse ?... »
L’heure avance et les amants n’arrivent pas.

Au petit matin, le chant du coq sort Nasreddin de sa torpeur et le vent de l’aube lui souffle une révélation : « Mais je n’ai jamais été marié ! » réalise-t-il alors.   

vendredi 3 juin 2016

Conte du Japon : A malin, malin et demi


Des gens se préparaient à faire un concours d’énigmes. L’un, réputé pour son habilité, dit aux joueurs de son camp : « je parlerai le premier au nom du groupe ». Ses collègues s’y rallièrent, tout en lui demandant de leur révéler les énigmes qu’il allait proposer. Il s’y opposa farouchement, leur disant que s’ils ne lui faisaient pas confiance, qu’ils prennent quelqu’un d’autre.

Le jour du concours arriva, notre homme semblait si sûr de lui que tous, amis et adversaires, attendaient avec impatience l’énigme.

Enfin cet homme proposa : « un arc tendu dans le ciel » (= un quartier de lune).
Ses adversaires en riaient déjà, trouvant l’énigme facile. Ses amis regrettaient déjà de lui avoir fait confiance.

L’adversaire qui se confrontait à lui commença à plaisanter : « non, je ne sais pas du tout ce que c’est » dit-il tout en riant.
Notre homme s’écria : « mettez la marque ! » et le point lui fit attribuer.

Ses adversaires protestèrent en disant que c’était absurde : tout le monde savait répondre à cette énigme, mais notre homme maintint sa position : « il a dit qu’il ne savait pas ; pourquoi n’aurait-il pas perdu ? »

Pour les énigmes suivantes il donna par ses arguments la victoire à son équipe.
Les partenaires du perdant pouvaient vraiment le maudire. Mais de quelle mauvaise humeur avaient dû être les amis du vainqueur en entendant ses premiers mots.


Extrait du livre « Notes de chevet » de Sei Shônagon, Gallimard, 2015