vendredi 28 novembre 2014

Conte russe : le sens de la vie (d'après une nouvelle de Tolstoï)


Le roi d'un petit royaume se posait de nombreuses questions concernant le sens de sa vie. Ces questions le tracassaient et l'empêchaient de goûter à un sommeil réparateur. Il dit à chambellan ce qui l’inquiétait : 

1 - quel est le meilleur moment pour chaque chose?
2 - quelles sont les personnes les plus importantes dans ta mission?
3 - quelle est la chose la plus importante à faire à tout moment?

Le grand chambellan fit annoncer dans tout le royaume que ceux qui pourraient répondre aux questions du roi seraient récompensés. Tous les sages du royaume se dirigèrent vers le palais et chacun y alla de ses réponses, mais aucune ne satisfit le roi.

Le chambellan se rappela qu’un vieil ermite n'était pas venu. Alors il conseilla au roi d'aller le trouver. Arrivé à destination, seulet déguisé en paysan, le roi vit l'ermite qui labourait son jardin en suant à grosses gouttes. Il était très vieux et ce travail lui était pénible. Voyant son visiteur, l'ermite interrompit son travail. Le roi le salua et lui posa immédiatement ses trois questions. L'ermite l'écouta, lui sourit, resta silencieux et se mit à bécher.

Etonné, le roi dit alors au vieil homme : le travail que vous faites est pénible, laissez-moi vous remplacer pour un moment. L'ermite lui tendit la bèche et s'assit à l'ombre. Après avoir travaillé un certain temps, le roi s'arrêta, se tourna vers l'ermite et lui répéta ses trois questions. Celui-ci ne répondit pas, se leva et dit au roi : «reposez-vous donc un moment, je vais reprendre le travail, mais le roi refusa et continua à bécher. Cela devait faire deux bonnes heures qu'il labourait le sol, et lui-même suait à grosses gouttes étant bien peu habitué à ce type d'exercice. Finalement, il posa la bèche et dit à l'ermite : je suis venu vous poser trois questions, si vous ne pouvez pas me répondre, dites-le moi que je puisse rentrer chez moi».

A ce moment-là, un homme qui semblait blessé courait avec des yeux hagards dans la direction du roi ; juste avant d'arriver près de lui, il perdit conscience et tomba. Ouvrant sa tunique, le roi vit une grande plaie qui saignait. Il alla chercher de l'eau, la nettoya, arrêta le saignement et revêtit l'homme de sa propre chemise. Puis, aidé de l'ermite, il étendit l'étranger sur le lit dans le petit ermitage. La nuit était tombée. Fatigué, le roi s'assoupit, assis par terre dans la cabane. Lorsqu’il se réveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel. Il vit l'ermite donner à boire au blessé qui avait repris connaissance. Lorsqu’il vit le roi s'approcher, l'étranger dit :  Sire, pardonnez-moi, je vous en supplie !
Mais pourquoi donc avez-vous besoin de mon  pardon? demanda le roi.

Alors l'étranger raconta l'étrange histoire suivante : « Votre Majesté, vous ne me connaissez pas, moi je vous connais. Vous n'aviez pas pire ennemi que moi, dans l'une de vos batailles, vous avez tué mon frère et pris tous mes biens. Quand j'ai su que vous veniez voir l'ermite sans votre escorte, j'ai décidé de venir vous tuer. Vos soldats m'ont reconnu et m'ont blessé à la poitrine. Si vous n'aviez pas pris soin de moi, je serais probablement mort à l'heure actuelle. Je vous suis reconnaissant que moi et ma maison, nous vous servirons pour toujours. ! »

Le roi était émerveillé de la facilité avec laquelle il était prêt à pardonner à cet ancien ennemi.
Non seulement il lui pardonnait, mais il lui promit de lui restituer ses biens Appelant son escorte, il fit transporter l'étranger dans son palais pour qu'il puisse être soigné. 

Le roi, avant de partir, décida de poser une dernière fois ses trois questions à l'ermite. Il s'approcha du vieil homme qui nourrissait les oiseaux. L'entendant, l'ermite lui dit : «Mais vous avez déjà la réponse à vos trois questions! Hier, si vous n'aviez pas eu la compassion pour la faiblesse due à mon âge et si vous n'aviez pas commencé à bécher, vous auriez été attaqué par votre ennemi.
Ainsi, le moment le plus important était le temps passé à labourer mon jardin, la personne la plus importante était moi et la chose la plus importante était de m'aider.

Lorsque l'étranger blessé est arrivé, le moment le plus important était celui que vous avez passé à soigner sa blessure, si vous ne l'aviez pas fait, il aurait saigné toute la nuit et il serait mort, vous auriez manqué l'occasion de vous réconcilier avec un ennemi. La personne la plus importante était cet étranger et soigner la blessure était la chose à faire. Souvenez-vous, Majesté, de ceci :


-    le seul moment important, c'est maintenant.  
-    la personne la plus importante est celle avec qui vous êtes
-    la tâche la plus importante, c'est de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour permettre à cette personne qui est à vos côtés d'être heureuse.
C'est dans la réponse à ces trois questions que réside le sens de la vie.


Subjugué par ces réponses, le ri retourna dans son palais, apprit à mettre en pratique ce que l'ermite lui avait enseigné et lui-même et tous les sujets de son royaume vécurent dans l'harmonie les jours de leur vie».   



Source : http://www.herault-tribune.com/articles/4572/le-sens-de-la-vie-d-apres-un-conte-de-tolstoi/

vendredi 21 novembre 2014

Conte Yaqui (Mexique) : un homme de savoir


En 1961, un étudiant en anthropologie rencontre un vieil indien Yaqui (Nord du Mexique). Ce dernier va progressivement l’initier à ses mystères. Ce livre (et les suivants) vont connaître un succès étonnant. Est-il réel ou nous interpelle-t-il au plus profond de nous-même ? La question reste entière.    
Ici le vieil indien explique ce qu’est un homme de savoir.

Un homme de savoir est un homme qui, sans hâte et sans hésitations, est allé aussi loin qu’il a pu dans la recherche des secrets de la puissance et du savoir. Pour y parvenir, il doit affronter et vaincre quatre ennemis naturels.

Lorsqu’un homme commence à apprendre, ses objectifs ne sont jamais clairs, son dessein est vague et ses intentions imparfaites. Il commence lentement à apprendre et bientôt ses pensées se heurtent, ce qu’il apprend n’est pas ce qu’il avait imaginé. Il prend peur parce que chaque étape soulève une nouvelle difficulté. S’il cède devant la peur, il ne pourra plus apprendre et espérer devenir un homme de savoir.

Pour aller plus loin, il faut défier sa peur et avancer dans le savoir, pas à pas. La peur reculera et l’homme commencera à se sentir plus sûr de lui, son dessein deviendra délibéré.
La peur chassée, une clarté de l’esprit la remplace. C’est son deuxième ennemi, parce que la clarté peut aveugler. Elle pousse l’homme à ne jamais douter, à pouvoir faite tout ce qu’il veut. S’il est aveuglé, la précipitation remplacera la patience et il ne pourra plus rien apprendre.
Aller plus loin, cela signifie défier la clarté, ne l’utiliser que pour voir et avancer pas à pas patiemment en préparant soigneusement ses pas.  Il attendra ainsi la puissance et le pouvoir. Il fera ce qu’il voudra.

C’est le plus puissant de tous ses ennemis. L’homme commence par prendre des risques calculées, continue en dictant des règles et finit, s’il ne parvient à surmonter cet ennemi, par devenir capricieux et cruel.
Pour continuer son chemin, il doit se dominer à chaque instant et manier avec précaution et fidélité tout ce qu’il a appris.   

L’homme arrive alors au terme de voyage à travers le savoir, là où il va rencontrer son dernier ennemi, la vieillesse, le seul qu’il ne pourra vaincre, mais seulement tenir en respect.
On n’éprouve plus de peur, la clarté d’esprit ne provoque plus d’impatience et la puissance est maîtrisée, mais on est aussi pris du désir opiniâtre de se reposer. Si l’on s’y abandonne totalement, son ennemi l’abattra comme un homme âgé.


Si l’homme surmonte sa fatigue et accomplit son destin, on l’appellera homme de savoir, même s’il n’a pu qu’un bref moment repousser son dernier ennemi. Ce moment de clarté, de puissance et de savoir aura suffi.   

vendredi 14 novembre 2014

Conte berbère : les deux frères, la marmite et le baton


Il était une fois deux frères : l'un était pauvre, l'autre avait du bien.
Le premier avait quatre filles ; le riche était sans enfant.
Le pauvre, pour pouvoir nourrir sa famille, coupait du bois qu'il vendait à la ville. Un jour, c'était jour de fête ; il n'avait chez lui rien à manger. Il partit couper du bois.

Un jujubier sauvage lui dit : « Que me veux-tu aujourd'hui ?
— J'ai faim, dit le bûcheron ; donne-moi de quoi manger, sinon je te coupe.
— Prends cette marmite, répondit le jujubier, et garde-la ; elle te nourrira jusqu'à ta mort. Quand tu voudras quelque chose, dis-le-lui ; elle te le donnera. »
Le bûcheron emporta la marmite chez lui, la tourna par terre et lui dit : « Donne-moi du bien.
— Voilà », dit-elle, en faisant apparaître un tas de pièces d'or.
Le pauvre, qui l'était moins maintenant, en profita pour acheter des habits à ses enfants. Mais une de ses filles, en visite chez son oncle, raconta l'incroyable histoire.
Le frère se rendit chez le bûcheron : « Donne-moi la marmite que tu possèdes.
— Je ne te la donnerai pas, car c'est elle qui fait vivre mes enfants.
— Si tu ne me la donnes pas, je te tue. »
Le bûcheron eut peur. Il donna la marmite à son frère et se mit à pleurer. « Demeurez en paix, dit-il à ses enfants ; puisque je ne peux subvenir à vos besoins, je m'en vais errer dans le pays. »

Le pauvre homme partit, resta absent pendant trois mois sans revenir à la ville. Lorsque le jour de fête arriva de nouveau, il se rendit à l'endroit où se trouvait le jujubier sauvage qu'il frappa de sa hache tranchante.
Une femme en sortit, le salua et dit : « Pourquoi n'es-tu pas rassasié ?
— La marmite que tu m'as donnée m'a été prise par mon frère ; je n'ai pas pu l'en empêcher.
— Attends-moi ici », dit-elle. Puis elle rentra dans l'arbre et apporta un grand bâton.
« Quand tu seras près de la ville, tu t'arrêteras jusqu'à ce que les gens soient dans la mosquée ; alors lâche ton bâton et dis-lui : "Prends mon droit à ceux qui m'ont lésé." »
Le bûcheron prit le bâton et se rendit à la porte de la mosquée.


Lorsque les gens sortirent de la prière, le bâton lui échappa et frappa tous les assistants sans exception. Chacun s'en retourna à la mosquée et les chefs dirent : « L'injustice est descendue dans la ville. Dieu pèse sur nous ; que celui qui a été lésé se présente ; nous lui rendrons son dû.
— Le propriétaire du bâton est à la porte de la mosquée et pleure, dit quelqu'un.
— Entre, lui dit-on ; indique-nous celui qui t'a pris ton bien.
— C'est mon frère qui m'a enlevé de force ma marmite.
— Demande ce que tu veux.
— Rendez-moi ma marmite et partagez la fortune de mon frère entre lui et moi, car j'ai des enfants et il n'en a pas. »

On lui donna ce qu'il voulait, et l'on invoqua Dieu qui envoya une forte pluie parce que la justice avait triomphé.

Source : Collectif, Contes Berbères, ill. Delphine Bodet, rue des enfants

vendredi 7 novembre 2014

Conte berbère : Anzar, le dieu de la pluie


Anzar est le nom masculin de la pluie. Anzar apparaît comme l'élément bienfaisant qui renforce la végétation,  donne les récoltes et assure le croît du troupeau. 
La pluie, elle-même assimilée à la semence, entre donc dans les pratiques de magie sympathique. Pour obtenir la pluie longue à venir, il faut solliciter Anzar et tout faire pour provoquer son action fécondante. 
Tout naturellement et sans doute depuis un temps très ancien, les Berbères ont pensé que la plus efficace des sollicitations était d'offrir à Anzar une « fiancée » qui, en provoquant le désir sexuel, créerait les conditions favorables à l'écoulement de l'eau fécondante.

Autrefois, il y a bien longtemps,  vivait dans un village perché une belle jeune femme. La belle fille avait l’habitude de se baigner dans la rivière à l’extérieur du village comme elle était née. Elle était tellement belle qu’Anzar, le dieu des eaux, tout en haut, dans son trône, ne pouvait plus se retenir.  Prenant la forme d’un homme, il apparut à la fille qui, surprise et épouvantée, enfouit son corps  sous l’eau. Anzar s’excusa de l’intrusion et se présenta à elle. La jeune nubile, intimidée et confuse, était émerveillée, mais refusa de le suivre dans sa demeure. 
Sur ce,  Anzar, le dieu des eaux, se retira dans son trône, là-haut et bouda, ce qui arrêta les eaux et la pluie, Le lendemain, les hommes se réveillèrent sur les fontaines qui tarirent, les rivières qui n’émirent plus un murmure; il n’en restait plus que des galets qui on dirait n’avaient jamais bu une goutte de pluie. Bientôt, il ne resta plus rien dans le silo pour le mettre sous la dent. C’est ainsi que la jeune nubile, n’en pouvant plus de taire le pesant secret, alla tout raconter à sa mère.
 La nouvelle se répandit dans tout le pays. Dès le lendemain arrivèrent de tous les villages des processions d’hommes et de femmes pour  supplier la belle jeune femme d’accéder à la demande d’Anzar afin que coule la vie à nouveau et que ne rôdaille plus la terrible malédiction.
La jeune fille fut alors parée par la matrone du village.  La jeune femme suivie d’un grand cortège, où l’on entendait les rires des enfants, des youyous, des chants nuptiaux, le sourire rayonnant sur sa son visage, fut élevée sur la crête d’où l’on pouvait surplomber l’arc-en-ciel. Soudain, quand la jeune femme finit de monter sur la crête, un magnifique arc-en-ciel se dessina au lointain et la happa soudainement. On sut alors qu’Anzar, était revenu prendre sa fiancée qui habitait désormais dans sa demeure au ciel. Aussitôt après, les nuages s’assombrirent, les rivières firent couler leurs serpents repus qui chatoient en dévalant la montagne, la verdure habilla à nouveau les collines, le duvet escalada les arbres d’où émanèrent bientôt de doux ramages et de tendres gazouillis; la malédiction fut chassée loin de la terre des hommes et des bêtes.
Aujourd’hui encore, pour solliciter la pluie, on habille de chiffons une poupée de bois, simplement suggérée par un pilon ou une louche et dont les bras sont figurés par deux cuillers destinées à recevoir et à conserver symboliquement l'eau de pluie tant attendue.


samedi 1 novembre 2014

Contes du Mexique : l'histoire insolite du chewing-gum


Le Mexique est le berceau natal du chewing-gum tel que nous le connaissons.  En espagnol, le mot pour le désigner est « Chicle ». Il vient d’un mot Maya « Tzicli » et aujourd’hui les Indiens du Yucatan ont l’habitude de mâcher la substance gommeuse qu’ils tirent des fruits verts d’un arbre de la région : le sapotillier. Il existe aujourd’hui de grandes plantations de cet arbre même si aujourd’hui la majeure partie de la gomme mâchée est produite synthétiquement (= en langage claire, tiré du pétrole).

Tout débuta lorsque Thomas Adam apprit que les Indiens de cette région mâchonnaient des boules gommeuses extraites de cet arbre. Il en importa deux tonnes et commença un fructueux business. Plus tard, sa suprématie fut mise en cause par Philippe Wrigley qui eut l’idée lumineuse de faire en sorte que la gomme ne colle pas aux dents. Il conçut un mélange avec l’extrait d’un autre arbre de la même famille qui pousse à quelques centaines de kilomètres de là.

Pas simple, la récolte ! Le « chiclero » grimpe le long des troncs et incise le tronc (et il faut grimper le long de l’arbre !). Puis il plonge dans l’eau bouillante pendant deux heures le latex récolté et le laisse refroidir. Il n’oublie pas de marquer de ses initiales les pains de latex pour se faire payer.
Dès les années 1940, la gomme a été produite progressivement à partir de produits de synthèse. Grâce au pétrole, le sapotillier redevient simplement l’arbre majestueux qu’il était, contribue à l’oxygénation de la planète et les « chicleros »  perdent leur emploi (de forçat).

Sommes-nous vraiment gagnants ?

En tout cas, bon appétit, lorsque la prochaine fois, vous mâcherez du chewing gum !