vendredi 25 décembre 2009

La rue Poubelle

Le maire de la ville était en pleine réflexion : "Mes administrés veulent des rues propres. Oui mais pour cela, il ne suffit pas de balayer les rues, il faut aussi éduquer les gens, voire même leur faire signer une charte. Cela signifie savoir lire, mais aussi comprendre. Donc, l’âge pour signer ne doit pas être jeune, ni trop élevé d’ailleurs, parce que les personnes âgées ont du mal à changer leurs habitudes.

Et les étrangers ? Ils ne parlent pas forcément, ni ne lisent le français. Peut-être faut-il le traduire en anglais, espagnol, italien, allemand…Oui, mais que vont dire les Chinois, Coréens, Arabes, Russes ? Seulement trop d’écrits vont gâcher la rue. Alors, il vaut mieux ne rien écrire et utiliser le langage des signes : des pictogrammes. Que faire des aveugles ? Ils vont protester auprès de La Halde ! Peut-être faut-il un « aboyeur public » à l’entrée de la rue. Seulement, il y a plus de sourds que d’aveugles….Pas simple.

Il va falloir aussi interdire la rue aux animaux non accompagnés. Possible pour les chats et les chiens, mais les moineaux et les pigeons : mettre un filet au-dessus de la rue ? Cela ne va pas être du goût des défenseurs des animaux. Pas écolo, vont-ils dire ! Ecolo, écolo, un vol de pigeons c’est combien d’éco-carbone ? Moins qu’un pigeon aux petits pois, pour sûr. Interdisons toujours la rue aux animaux, on verra après.

Les poubelles. Combien de poubelles faut-il prévoir ? Nous avons fait une étude. Les gens fouillent leurs poches ou sacs en mains en marchant : il faut huit pas pour explorer sa poche et en sortir ce qui est inutile (et quatorze pas pour le sac à main). Huit pas, cela correspond à une distance de 3, 50 mètres. Donc, le rapport préconise des poubelles tous les 3,50 mètres. A condition de partir du bon pied, sinon on peut se retrouver systématiquement entre deux poubelles.

Résumons : une campagne d’éducation, une charte à signer, des pictogrammes, des filets, des brigades de la SPA… Au bout du compte, serons-nous sûrs d’avoir une rue propre ? Non, parce que nous n’entrons pas tous les paramètres : le vent, la pluie, les poussières…

Alors pourquoi tant d’efforts ? Fermons la rue et dès lors les passants admireront une rue propre, une rue modèle…

Comment l’appellerons-nous ? La rue Poubelle…

samedi 19 décembre 2009

La mise en pointillé de la solidarité


Il était une fois un homme qui recherchait quelque chose sous un réverbère. Un quidam le vit et lui proposa son aide. L'homme le remercia et lui dit qu'il cherchait ses clefs. D'autres passants et même un sergent de ville se joignirent à eux. Devant leur insuccès, le sergent de ville insista pour savoir si c'était bien là qu'il avait perdu ses clés. "Je ne sais pas" répondit l'homme, "mais ici, il y a de la lumière."

Le sergent de ville remonta l'histoire au commissaire qui fit à son tour un rapport au maire. Ce dernier rassembla le conseil municipal pour analyser la situation. Les élus de la majorité (de la ville) proposèrent de créer un marquage au sol pour délimiter les zones où les pertes de clés seraient autorisées. L'opposition s'en émut. Elle estima qu'il s'agissait d'un manque de liberté : "chacun a le droit de perdre ses clés où il veut". Le débat aurait pu tourner court si les élus de tendances extrêmes ne s'étaient mis de la partie. Certains voulaient de la lumière partout pour créer un avenir radieux où perdre ses objets seraient un jeu. D'autres, au contraire, qui rêvaient du Grand Soir, voulaient supprimer tous les réverbères.

Voyant le débat mal parti, la majorité et l'opposition modérée s'unirent pour choisir un tracé en pointillé. L'accord se fit autour du texte suivant :

Article 1 : dans le souci d'assurer la sécurité des citoyens, le conseil municipal a décidé de marquer au sol la zone de lumière des réverbères.
Article 2 : il est recommandé aux citoyens de perdre leurs objets uniquement dans la zone délimitée au sol.
Article 3 : compte tenu de l'inégalité des administrés en termes de vision nocturne, il a été décidé de peindre une zone en pointillé. Les personnes de plus de cinquante cinq ans ou détenteur d'un certificat médical sont tenus de perdre leurs objets uniquement à l'intérieur de la zone délimitée. Les autres personnes peuvent aller, dans la limite du raisonnable, aller au-delà de cette zone.
Article 4 : les habitants doivent noter que l'allumage et l'extinction des réverbères peuvent être parfois en décalage avec le lever du soleil ou la tombée de la nuit. Aucune réclamation ne sera acceptée pour des objets perdus entre chien et loup ou loup et chien.

L'ordre étant ainsi assuré, les élus se congratulèrent mutuellement pour à la fois leur prise en compte des intérêts des habitants de la ville et leur contribution au développement économique. En effet, ce travail relança la production de peinture, ce qui créa des emplois, réduisit le chômage et l'argent dépensé facilita la consommation.

Bien sûr quelques esprits chagrins observèrent que la peinture achetée au mieux disant avait été produite ailleurs, que les emplois créés étaient temporaires et que les investissements faits avaient bénéficié à des entreprises et personnes vivant hors de la ville. "Qu'importe" leur répondirent les élus, "nous faisons tous partie de la même communauté. C'est cela la solidarité".

PS : l'histoire ne dit pas si la personne a retrouvé ses clés.

jeudi 10 décembre 2009

Les deux mains


Nous sommes les deux mains qui accompagnent le pianiste, celles que vous n’applaudissez jamais, celle qui n’existent qu’un temps dans la soirée et pourtant nous assurons la magie de la soirée.

Vous ne nous voyez que le temps d’un reflet sur le rabat du couvercle du clavier. Pourtant notre rôle est majeur : nous aidons le pianiste et sommes, pour nombre d’auditeurs, le reflet de son œuvre. Sans nous, l’artiste serait réduit à un dos tourné. Grâce à nous, il devient réel : vous voyez ses mains (en fait, les nôtres).

Nous sommes des artistes à notre manière. Nous devons suivre chacun des mouvements de notre maître. Ce n’est pas toujours facile, surtout lorsque nous avons affaire à des personnes un peu fantasques. Il faut le suivre : « et je mets mes mains, et je les retire… ». Pas simple, quand vous devez vous concentrer sur une œuvre. Vous vous apprêtez à jouer le concerto XY de Chopin… et il change d’avis.

Nous sommes la mémoire du pianiste, les souffleurs, les répétiteurs. Il nous regarde à peine, mais il sait que nous sommes là. Parfois l’éclairage nous éblouit et nous disparaissons à vos yeux dans un océan de lumière. C’est terrible pour nous, parce que nous ne voyons plus rien. C’est terrible pour vous, parce que vous ne voyez plus les mains de l’artiste. C’est terrible pour ce dernier parce qu’il lui est renvoyé le reflet de la lumière et que cela l’aveugle.

Alors, la prochaine fois que vous allez écouter du piano, ayez une petite pensée pour nous, un regard, un clin d’œil, un geste de la main. Cela nous suffit et nous fait plaisir.