jeudi 27 septembre 2018

Conte de Bretagne : les deux bossus

Il y avait une fois, deux tailleurs qui habitaient la même rue et étaient affligés de la même difformité : ils étaient aussi bossus l'un que l'autre. L'un s'appelait Kaour et l'autre Laouig. Kaour était d'un heureux tempérament ; il répondait aux plaisanteries par des plaisanteries encore plus fines ; il prenait la vie par le bon bout. Laouig, au contraire, était continuellement renfrogné, il supportait mal les moqueries et ne se mettait guère en frais pour distraire ses pratiques. Ajoutons qu'il aimait l'argent ... et que lorsqu'il pouvait voler son prochain il ne laissait jamais passer l'occasion.

Une nuit, Kaour rentrait d'une journée de travail à la ferme de Penhoat, et traversait au clair de lune une grande lande. Soudain, il entendit de petites voix fluettes qui chantaient.

Tiens ! se demanda-t-il, qui donc peut chanter ainsi dans ce lieu désert ?
Il s'approcha tout doucement, en évitant de faire du bruit, et vit une bonne centaine de petits korrigans qui dansaient en rond en se tenant par la main.

L'un d'eux s'époumonait à chanter : « Dilun, dimeurz, dimerc'her! » Et tous les autres reprenaient en chœur. 

Kaour fît prudemment demi-tour. Mais il n'en fut pas moins remarqué par les danseurs nocturnes qui, interrompant leur ronde lui crièrent tous à la fois : "Viens danser avec nous ", La ronde se reforma donc avec lui et le chant reprit.

Au bout d'un certain temps, Kaour commença à être fatigué de tourner en rond. Pour gagner un peu de temps et reprendre son souffle, il dit : « on pourrait chanter la suite de la chanson ».

Les korrigans s'arrêtèrent net.
- Vrai ? Tu connais la suite ? Oh ! Alors dis-la-nous.

Et le tailleur, après avoir repris son souffle, de chanter : -Diriaou ha digwener ! (Jeudi et vendredi).

Les korrigans poussèrent des acclamations enthousiastes : Voilà qui nous fait une chanson magnifique ! Et ils se remirent à danser en chantant.

Quand ils virent que Kaour étaient fatigué, ils arrêtèrent leur ronde et leur chef demanda:
- Que désires-tu, Kaour, comme récompense pour nous avoir appris un si beau chant?
- Comme récompense? Ma foi... je ne sais pas...
- Eh bien, je t'offre le choix entre un gros sac rempli d'or ou de supprimer ta bosse. Le tailleur n'hésita pas et choisit la bosse.

Aussitôt les nains se jetèrent sur lui, le lancèrent en l'air, le firent pirouetter et se le passèrent de l'un à l'autre comme un ballon. Quand il retomba, tout étourdi, sur ses pieds, il n'avait plus de bosse et était aussi droit que le mât du drapeau breton.

Le lendemain, Kaour rencontra l'autre tailleur, Laouig qui, en le voyant, se frotta plusieurs fois les yeux.
- Ma parole ! Tu as bien grandi, d'un seul coup, d'un pied. Et qu'as-tu fait de ta bosse ?
- Ma bosse? Quelle bosse? Tu vois bien que je n'ai pas de bosse. 
- Cesse de te moquer. Tu en avais une pas plus tard qu'hier. Il y a de la sorcellerie là-dessous.

Kaour raconta ce qui lui était arrivé.
- Satordellik ! Se dit Laouig, il faut que j'aille moi aussi, la nuit prochaine faire un tour sur la lande. Moi je prendrai, ce sera le sac plein d'or.

Dès que la lune se leva, il se mit en route et lorsqu'il aperçut les korrigans dansant en rond, il s'avança hardiment vers eux.
- Viens danser avec nous, lui crièrent-ils.
Il pénétra dans le cercle et chanta avec eux
Mais bientôt, il fut fatigué de tourner et leur demanda
- Ne savez-vous chanter que cela ? Ne connaissez-vous pas la suite ?  
- Oh ! Dis-la-nous alors. Dis-la vite !
- Bon écoutez : Dilun, dimeurz, dimerc'her, diriaou ha digwener, ha disadorn ha disul (Et samedi et dimanche)

Les korrigans firent la moue : « ce n'est pas si joli, ça ne rime pas ».

Mais leur chef intervint : « il faut tenir compte de l'intention. Nous avons récompensé Kaour. Nous devons la même récompense à celui-ci. Kaour a laissé le sac d'or. Quel sera ton choix ? » 
- Je choisis ce que Kaour a laissé.

Les nains se jetèrent sur lui, le lancèrent en l'air, le firent pirouetter et se le passèrent de l'un à l'autre comme un ballon. Quand il retomba, tout étourdi, sur ses pieds ... il avait ... deux bosses. La sienne et celle de Kaour.

Source : http://aubedesfees.forumactif.fr/t26-les-deux-bossus-histoire-de-korrigans

jeudi 20 septembre 2018

Un fils savant

Un fils revint de la ville chez son père au village.

— C’est aujourd’hui la fenaison, lui dit le père, prends ce râteau et viens m’aider.

Mais le fils ne voulait pas travailler, et il répondit :
— J’ai appris les sciences, et j’ai oublié tous les mots de moujik; qu’est-ce que c’est que cet instrument ?

Il sortit, et, dans la cour, marcha sur le râteau, dont le manche vint lui frapper le front; alors il se souvint, se frotta le front et murmura :
— Quel sot a pu placer là ce râteau ?

Conte de Léon Tolstoï (1828-1910)

samedi 15 septembre 2018

La fourmi et le roi Salomon

Ce jour-là, une jeune fourmi avait osé, elle avait osé rester là, dans son trou, en train de travailler, pendant que toutes les autres fourmis se bousculaient pour se prosterner sous les pieds de Salomon.

Salomon qui se promenait dans le désert, à côté de leur fourmilière. Salomon était un roi doublé d'un prophète. Il avait des dons impressionnants dont celui de dompter les animaux, de comprendre leur langage et de leur parler.

Malgré les ruades et bousculades de la foule, Salomon a remarqué l'absence de la jeune fourmi. Il leva la tête, la découvrit dans son trou et lui dit :

- Que fais-tu là, bête menue, et pourquoi ne fais-tu pas comme tes congénères ?

- Sire, répondit-elle, ce n'est ni par impolitesse, ni par désobéissance que je ne suis pas venue comme les autres, mais tout simplement, je m’occupe à quelque chose qui me tient particulièrement à cœur : je veux déplacer cette dune de sable que vous voyez là !

- Ha ha ha ! Mon pauvre ami, rétorqua le roi Salomon, je doute que tu aies la vertu nécessaire, c'est-à-dire la patience et surtout la chance suffisante, c'est-à-dire la longévité, pour accomplir ce travail immense.

- Moi non plus je n'en sais rien, confessa la fourmi, mais ce que je sais c'est que la force qui me pousse est plus puissante que la tempête du désert, je veux parler de la force de l'amour, car de l'autre côté de la dune de sable se trouve ma bien-aimée. Si je mourais avant de l'atteindre, je finirais ma vie dans la folie de cette chose qui meurt en dernier dans le cœur des êtres, c'est-à-dire l'espérance.

Cet échange a fortement ébranlé le grand roi et prophète Salomon, qui, dans le désert au milieu de nulle part, a compris le vrai sens de l'amour.

Ce conte est fini, le premier qui respire ira au Paradis.

vendredi 7 septembre 2018

Le jeune et le vieil alchimiste

Il était une fois un vieil homme qui avait une fille. Elle tomba amoureuse d'un beau garçon, et tous deux se sont marièrent avec la bénédiction du vieil homme. Le jeune couple menait une vie heureuse, à l'exception d'un problème : le mari passait son temps à faire de l'alchimie, rêvant d'une façon de transformer les éléments de base en or. Bientôt, il eut mangé son patrimoine, et la jeune femme dut lutter pour acheter de la nourriture chaque jour. Elle demanda à la fin à son mari de trouver un emploi, mais il protesta. "Je suis sur le point de réussir ! Quand j'aurai réussi, nous serons riches au-delà de nos rêves !"

Finalement, la jeune femme en parla à son père. Il fut surpris d'apprendre que son gendre était alchimiste, mais il promit d'aider sa fille et demanda à le voir. Le jeune homme s'y rendit à contrecœur, s'attendant à une réprimande. A sa grande surprise, son beau-père lui confia : "Moi aussi, j'étais alchimiste quand j'étais jeune ! »  Tous deux passèrent l'après-midi à en parler. Le vieil homme finit par s'exciter. "Tu as fait tout ce que j'ai fait !" s'exclama-t-il. "Vous êtes sûrement sur le point de réussir. Mais il vous faut un ingrédient de plus pour transformer les éléments de base en or, et je n'ai découvert ce secret que récemment." Le vieil homme s'arrêta et soupira. "Mais je suis trop vieux pour entreprendre la tâche. Ça demande beaucoup de travail."

"Je peux le faire, cher père !" dit le jeune homme et se porta volontaire. Le vieil homme s'illumina : "Oui, peut-être que vous le pouvez." Puis il se pencha et chuchota : "L'ingrédient dont vous avez besoin est la poudre d'argent qui pousse sur les feuilles de bananier. Cette poudre devient magique quand on plante soi-même les bananes et qu'on y jette certains sorts."

"De combien de poudre avons-nous besoin ?" demanda le jeune homme. "Deux livres", répondit le vieil homme.

Le gendre pensa à haute voix : "Ça demande des centaines de bananiers !"

"Oui, soupira le vieil homme, et c'est pourquoi je ne peux pas terminer le travail moi-même." "Ne craignez rien !" dit le jeune homme, "Je le ferai !" C'est ainsi que le vieil homme enseigna les incantations à son gendre et lui prêta de l'argent pour le projet.

Le lendemain, le jeune homme a acheté un terrain et l'a défriché. Il creusa lui-même le sol, comme le vieil homme l'avait instruit, planta les bananes et murmura les sorts magiques sur elles. Chaque jour, il examinait ses plantes, éloignant les mauvaises herbes et les parasites, et lorsque les plantes portaient des fruits, il recueillait la poudre d'argent des feuilles. Comme il n'y en avait presque pas sur chaque plante, le jeune homme acheta plus de terres et cultiva plus de bananes. Après plusieurs années, le jeune homme avait enfin ramassé deux livres de poussière magique. Il se précipita chez son beau-père.

"J'ai la poudre magique !" s'exclama le jeune homme. "Merveilleux !" se réjouit le vieil homme. "Maintenant, je peux vous montrer comment transformer les éléments de base en or ! Mais vous devez d'abord amener votre femme ici. On a besoin de son aide." 
Le jeune homme, perplexe, obéit. Quand elle est apparue, le vieil homme a demandé à sa fille : "Pendant que ton mari ramassait la poudre de banane, qu'as-tu fait des fruits ?

"Pourquoi ? je les ai vendus," dit la fille, "et c'est ainsi que nous gagnions notre vie."

"Avez-vous économisé l'argent ?" demanda le père.

"Oui," répondit-elle.

"Puis-je le voir ?" demanda le vieil homme. Sa fille s'est donc précipitée à la maison et est revenue avec plusieurs sacs. Le vieil homme les ouvrit, vit qu'ils étaient pleins d'or, et versa les pièces sur le sol. Puis il prit une poignée de terre et l'a mis à côté de l'or.

"Tu vois, il s'est tourné vers son gendre, tu as changé les éléments de base en or !"

Pendant un moment, le jeune homme est resté silencieux. Puis il rit, voyant la sagesse dans le tour du vieil homme. Et à partir de ce jour-là, le jeune homme et sa femme ont beaucoup prospéré. Il s'occupait des plantes pendant qu'elle allait au marché, vendant les bananes. Et ils ont tous les deux honoré le vieil homme comme le plus sage des alchimistes.

Source : http://ericksonian.com/a-tale-of-perseverance-the-old-alchemist