mercredi 24 octobre 2018

Le garçon aux grandes oreilles



Il était une fois dans un pays lointain, très lointain, un hakem (gouverneur). Il avait un garçon qui avait de longues oreilles. Comme ce dernier en avait honte, il les cachait avec une calotte. Si cette tare s’ébruite, il sera la risée de tout le monde. C’est pourquoi son père faisait appel à un coiffeur pour lui faire couper les cheveux, à domicile, loin des regards indiscrets.

Mais un jour, le coiffeur, rongé par la curiosité, voulut savoir pourquoi le garçon avait de longues oreilles. C’est ainsi qu’il commit l’irréparable ! On le laissa couper les cheveux, puis on lui coupa la tête pour qu’il ne révèle pas le secret. Les coiffeurs se succédèrent et posèrent la même question, et leurs têtes sautèrent après qu’ils coupèrent les cheveux du fils du gouverneur.

Un jour, on fit venir un coiffeur, qu’on dit discret. Il vit les grandes oreilles de l’enfant, mais ne chercha pas à savoir pourquoi. Il coupa les cheveux. Mais avant qu’il s’en aille, le père lui recommanda de garder le secret s’il ne voulait pas se faire décapiter.

Le coiffeur rentra chez lui décontenancé car le secret qu’il détenait prenait de l’ampleur et le gonflait petit à petit si bien que son corps devint trop lourd. Pour se libérer de ce poids qui l’écrasait depuis de nombreux jours, il se rendit dans un puits et cria en se penchant vers le vide : « le fils du gouverneur a de grandes oreilles ! Le fils du gouverneur a de grandes oreilles ! Le fils du gouverneur a de grandes oreilles ! » La grenouille l’entendit et se mit à crier elle aussi : « le fils du gouverneur a de grandes oreilles ! Le fils du gouverneur a de grandes oreilles ! Le fils du gouverneur a de grandes oreilles ». Le pigeon venu se désaltérer, près du puits, l’entendit et se mit à dire : « le fils du gouverneur a de grandes oreilles, le fils du gouverneur a de grandes oreilles, le fils du gouverneur a de grandes oreilles ». Le corbeau l’entendit et se met à crier la même chose. Les autres oiseaux l’entendirent et se mirent à répéter : « le fils du gouverneur a de grandes oreilles ! ». La nouvelle se répandit dans la ville et arriva aux oreilles du gouverneur. Furieux contre le coiffeur qui avait divulgué le secret, il promit de lui faire avaler sa langue. On le fit venir ; mais il jura et nia en avoir parlé à quelqu’un.

Le fils intervint et dit à son père que le coiffeur est sincère. Après tout, la nouvelle s’est propagée et tout le monde est aujourd’hui au courant. Cela ne sert à rien de tuer le coiffeur. « Je suis une créature de Dieu, je n’ai pas à rougir d’être différent des autres ». Sur ce, le coiffeur fut lâché. Le garçon, libéré de sa hantise, sortait désormais sans calotte.

Mon conte était parti avec la rivière et moi je suis restée avec les fils des généreux.

Source : https://www.conte-moi.net/contes/garcon-aux-grandes-oreilles

vendredi 19 octobre 2018

Qui est le roi de la jungle ?


La scène se passe dans la jungle. Le roi lion poursuit et rattrape une gazelle et lui demande :
- "Qui c'est le roi de la jungle?"
- "C'est toi !" dit la gazelle.
Plus tard il pose la même question à un ouistiti apeuré. Et bien sûr la même réponse. Encore plus tard il demande cette fois à un éléphant qui aussitôt l'attrape par la queue, lui fait faire 6 tours au dessus de sa tête et le projette violemment contre un baobab. Alors le lion de s'étonner :
- "On ne peut plus demander de renseignements ?"

vendredi 12 octobre 2018

Conte chinois : l’invention de la peinture

Il était une fois un maître calligraphe qui allait un matin dans la montagne. Il était suivi de son serviteur qui porte tout et pose des questions. Il s’installa dans un lieu agréable. Derrière lui s’élevait la montagne, à ses pied un torrent. Autour de lui, un roc, un cerisier, des orchidées et des bambous.  

Dans l’air froid du matin, protégé par un paravent de soie, le maître improvisait à voix haute des poèmes à propos du vent, des mouvements de l’air et des ondulations de l’herbe. Puis il les notait à l’encre et la buée modulée par ses paroles allait se perdre derrière lui, absorbé par la soie du paravent qui le protège. 

Quand il avait fini, il posait son pinceau et se levait. Son serviteur rangeait tout, la théière, le coussin de méditation, le papier à écrire couvert de poèmes, la pierre à encre où il avait broyé les bâtons noirs à la résine de pin. 

Dans son empressement, le serviteur, un jour, trébucha et renversa la pierre à encre pleine et aspergea les panneaux du paravent. Le tissu précieux but l’encre avidement. Mais là où la buée des paroles avait imprégné la soie, l’encre ne prit pas. Le serviteur confus ne savait que faire, contemplant sans rien dire le paravent ruiné. 

Le maître vit que les trainées d’encre brossées sur les panneaux de soie ménageaient des blancs subtils là où il avait parlé, entre de grands éclaboussements noirs là où il s’était tu. Il en ressentit une émotion si forte qu’il tituba. 

Une journée entière de pensées élevées seraient là, intactes, recueillies dans leur exactitude, préservées bien mieux que la calligraphie ne peut le faire. Alors, il déchira tous les poèmes qu’il avait écrits et jeta les débris de papier dans le torrent.   

Pourquoi écrire, puisque la moindre pensée était là, montrée à tous dans son exactitude, sans qu’il soit besoin de le lire ? 

Il rentra avec le soir, apaisé, son serviteur à peine rassuré, trottinant derrière lui en portant tout ce qui devait être porté.    
   
 Source : Alexis Jenni, l’art français de la guerre, Gallimard (2011) 

vendredi 5 octobre 2018

Conte arménien : le maître du jardin

Il était un roi d'Arménie. Dans son royal jardin poussait un rosier maigre et pourtant précieux entre tous. Le nom de ce rosier était Anahakan. Jamais, de mémoire de roi, il n'avait pu fleurir. Mais s'il était choyé plus qu'une femme aimée, c'était qu'on espérait une rose de lui, l'Unique dont parlait les grimoires ancestraux. Il était dit ceci : « Sur le rosier Anahakan viendra un jour la rose pure qui donnera au maître du jardin l'éternelle jeunesse ».
Tous les matins le roi accourait près de lui. Il chaussait ses lorgnons, cherchait parmi ses feuilles un espoir de bourgeon, n'en trouvait pas le moindre, se redressait enfin et, la mine terrible, prenait au col son jardinier. Il le menaçait de prison si le printemps venait sans rose. C'est ainsi qu'une fois par an, aux premiers jours du mois de mai, ce roi changeait de jardinier.
Douze printemps passèrent, et douze experts en rosiers rares. Le treizième était un jeune homme. Il s'appelait Samvel. Il dit au roi : « Seigneur, je veux tenter ma chance ». Le roi lui répondit : « Ceux qui t'ont précédé étaient de nobles maîtres. Ils ont tous échoué. Et toi, blanc-bec, tu oses ! - J'ose », lui dit Samvel. Et on lui ouvrit donc la porte du jardin. Il s'en fut au rosier. Un long moment il lui parla, puis il bêcha la terre autour de son pied maigre, l'arrosa, demeura près de lui nuit et jour, à le garder du vent, à caresser ses feuilles. Aux premières gelées, il l'habilla de paille. Sous la neige, il resta comme au chevet d'un fils, à chanter des berceuses. Le printemps vint. Samvel ne quitta plus l'ombre de son rosier, guettant ses moindres pousses, et respirant pour lui. Dans le jardin des fleurs partout s'épanouirent, mais il ne les vit pas. Il ne regardait que la branche sans rose. A la première aube de mai : « Rosier, dit-il où as-tu mal ? »
A peine avait-il dit ces mots qu'il vit sortir de ses racines un ver noir, long, terreux. Il voulu le saisir. Un oiseau lui vint sur la main, déroba sa capture, et le ver au bec s'envola. Comme il s'éloignait dans l'air bleu, un bourgeon vint sur le rosier. Samvel se pencha, l'effleura. Lentement la rose s'ouvrit au premier soleil du matin. Il courut au palais en criant la nouvelle. Le roi était au lit. « Seigneur, lui dit Samvel, la rose s'est ouverte. Vous voilà immortel, O maître du jardin ! »
Le roi bondit hors de ses draps. En chemise, pieds nus, bras au ciel, il sortit. « Que l'on poste, dit-il, mille soldats armés autour de ce rosier ! Je ne veux voir personne à dix lieues à la ronde ! Samvel, jusqu'à ta mort tu veilleras sur lui. - Seigneur je veillerai.»
Le roi dans son palais régna dix ans encore, puis un soir il quitta ce monde en murmurant ces pauvres mots : « Le maître du jardin meurt comme tout le monde. Tout n'était que mensonge - Non, dit le jardinier à genoux près de lui. Le maître du jardin, ce ne fut jamais vous. La jeunesse éternelle est à celui qui veille, et j'ai veillé, Seigneur, et je veille toujours, de l'aube au crépuscule, du crépuscule au jour. » Il lui ferma les yeux, baisa son front pâli, sorti sous les étoiles. Il salua chacune. Il dit : « Bonsoir, bonsoir, bonsoir. »
Samvel avait le temps désormais. Tout le temps.
(Henri Gougaud)