vendredi 27 juin 2014

La boite à Soleil

Cette semaine, hommage à Albertine Deletaille et son conte : ‘La boite à soleil”

Que nous évoque ce conte ? Nous passons beaucoup de temps à attendre le Bonheur (avec un grand « b ») au lieu de regarder les nombreux petits moments de bonheur que nous rencontrons au quotidien.


Que nous dit la boite à soleil ? Soyez attentif à tout moment à vos sensations !    


dimanche 22 juin 2014

Conte du Yemen : l'os du malheur


Au Yemen, il était d'usage, lors des banquets, des déjeuners ou des dîners de fête, que le convive qui recevait l'omoplate de la bête égorgée regarde à l'intérieur de l'os ; il y voyait à distance ceux qu'il désirait voir, ou comprenait à sa façon ce qu'il se passait chez lui. Un troubadour passa un jour dans un village où était offert un banquet. Le soir venu, il se joignit aux convives et, l'omoplate lui ayant échu, il regarda à l'intérieur, selon la coutume. Il désira voir sa maison et ce qu'il s'y passait, et savoir comment se portait sa femme qu'il avait laissée seule. Il l'aperçut endormie sur le lit avec un inconnu, dans sa propre maison !

Aveuglé par la colère, il retourna précipitamment chez lui pour venger son honneur bafoué. Il entra chez lui et, sans dire un mot,  frappa à plusieurs reprises l'individu qui dormait dans le lit à côté d'elle, sans savoir de qui il s'agissait. Réveillée par le bruit et voyant ce qu'il s'était passé, sa femme lui cria à la figure : « Mon homme, tu viens de causer notre perte ! C'est Jâbir, le fils unique du cheikh (âgé de huit ans) que tu as tué ! Qu'allons-nous dire au cheikh ? » 

Les avis de la tribu étaient partagés sur ce que devait faire le cheikh : le troubadour  appartenait à une des catégories sociales les moins importantes et les moins respectables de la société, et il ne pouvait être considéré comme un individu ordinaire. Quelle punition fallait-il infliger au coupable ?  Essayant de soulager la mère et d'apaiser sa colère, quelqu'un suggéra : il faut tuer le troubadour ! Vie pour vie ! Comment cela se pourrait-il ? Le contredit un autre. Peut-on tuer un troubadour, qu'il s'agisse ou non de vengeance ? Si le cheikh l'acceptait, cela signifierait la honte, non seulement pour lui, mais pour la tribu tout entière !

Tout le monde se taisait, les yeux baissés, ne sachant ce qu'ils devaient faire. Assis non loin de là, le troubadour et sa femme écoutaient la discussion, acceptant d'avance le sort qu'on leur imposerait, quel qu'il soit. Enfin, le cheikh prit la parole : la présence du troubadour dans notre contrée, après ce qu'il a fait, nous rappellera constamment l'assassinat de Jâbir. Que le troubadour soit banni de ces terres, à condition qu'il ne revienne jamais, tel est mon avis.

Le troubadour fit ses bagages et quitta avec sa femme le pays où il était né. Il s'arrêta sur les hauteurs d'un village éloigné et s'y installa, gardant sans que la nostalgie de son pays natal.
Les mois passèrent ; une année, puis deux, s'étaient écoulées depuis l'accident. Pour le troubadour,  la nostalgie de son pays natal ne s'apaisait pas. La femme du cheikh, qui ne se consolait pas de la perte de son fils ni n'oubliait la façon dont il avait été tué, pleurait chaque jour davantage. Ceux qui s'étaient montrés dès le début partisans de la mort du troubadour revinrent à la charge, conseillant le cheikh avec insistance : " Ta femme ne trouvera pas la tranquillité tant qu'elle ne verra pas le troubadour mort et son sang répandu sur le sol. Nous devons le chercher, où qu'il se trouve, et le tuer ! " Le cheikh fut finalement obligé de se ranger à leur avis.

Il prit alors avec lui quelques hommes, partit avec eux à la recherche. Ils parvinrent au village où l'homme résidait mais s'abstinrent de lui révéler leur présence. Le soir venu, le cheikh et ses hommes le trouvèrent assis à l'entrée de sa hutte, veillant en compagnie de sa femme. Le troubadour entama alors un chant dans lequel il souhaitait à son village une pluie abondante et il appelait la bénédiction sur le cheikh qui l'avait épargné et lui avait pardonné, quand il avait tué son fils.  
Le cheikh, entendant le chant du troubadour et son invocation en sa faveur, se tourna vers ses compagnons : Il prie pour moi à distance, dit-il, et appelle la pluie sur ma terre, alors que je suis venu le tuer ! Cela ne saurait être. Et ta femme ? répliquèrent ses compagnons. Que dira-t-elle ? Nous devons le tuer pour qu'elle se console du meurtre de Jâbir.

Le cheikh se tut et, sans répondre, retourna avec ses compagnons à l'endroit où ils logeaient, attendant le matin pour prendre une décision sur le sort du troubadour.  
Le lendemain matin, on envoya quelqu'un signifier au troubadour que le cheikh allait venir le voir. Les hommes sont les bienvenus, dit-il, même s'ils me veulent du mal !

Il avait bien compris que le cheikh, convaincu par les autres, venait pour le tuer. Il alla néanmoins vers lui comme son honneur et sa dignité le lui dictaient, et se prépara à le recevoir comme un invité. Lorsque le cheikh entendit les paroles de bienvenue qu'il lui avait adressées, à lui et à ses hommes, il reconnut son sens de l'honneur et s'exclama : Comment pourrais-je le tuer, quand il me souhaite la bienvenue de la sorte, et quand il appelle sur moi la bénédiction du ciel alors qu'il se trouve au bout du monde ? Pardieu, le troubadour n'a pas moins d'honneur que moi !


Les compagnons du cheikh ne purent alors s'opposer à sa volonté et le cheikh raccompagna le troubadour au village pour qu'il y vive avec eux.

Adapté d'un conte trouvé sur http://cy.revues.org/74

samedi 14 juin 2014

Les baguettes chinoises


Quand un paysan chinois pauvre est affligé de six filles (des « baguettes », bien fragiles et qui ne sont que peu d’usage à leur famille), il regrettera toute sa vie de n’avoir pas engendré une « poutre », un garçon qui, lui, peut soutenir le toit familial La romancière chinoise Xinran montre dans ce livre plein d’humour que l’évolution très rapide de la Chine peut bouleverser les conceptions traditionnelles.

Une histoire parmi tant d’autres : il était une fois un petit garçon qui avait un devoir à faire pour son école primaire. il devait rédiger une phrase avec les mots Nation, Parti, Société et Peuple. Comme il ne saisissait pas bien le sens des mots, il interrogea son père lors du dîner. 

Celui-ci, après avoir longuement réfléchi, lui   répondit : «Image que ces mots s’appliquent à notre famille : ta grand-mère est la Nation : sans elle nous ne serions pas là ; papa est le Parti : c’est lui qui fait la loi. Maman est la Société. Elle s’occupe de tout, mais quand elle se met en colère, plus rien ne tourne rond. Toi, tu es le peuple : tu dois obéir au Parti, aider la Société et faire honneur à la Nation.    

Le petit garçon retourna dans sa chambre, mais quand plus tard, il voulut mettre sur le papier ce que lui avait dit son père, il ne se rappela plus très bien l’ordre des mots. Il alla voir sa grand-mère, mais elle dormait déjà. Il poussa la porte de la chambre de ses parents, mais il se fit morigéner par son père en plein ébats avec sa mère. 

Trop petit pour comprendre il retourna en pleurant dans sa chambre et finit son devoir tant bien que mal.
Le lendemain soir, son instituteur appela son père pour savoir s’il avait fait son devoir seul. Le père s’inquiéta d’être taxé de contre-révolutionnaire, mais l’instituteur le rassura et le félicita pour la qualité du travail de son fils.

Le père demanda à son fils de lui montrer son cahier d’exercices et lut ceci : « Quand la Nation dort et que le Parti joue avec la Société, le Peuple pleure ».         

vendredi 6 juin 2014

Un conte d'Andersen : l'escargot et le rosier




Le jardin était entouré d'une haie de noisetiers et au-dehors s'étendaient des champs et des prés. Au milieu du jardin fleurissait un rosier, et sous le rosier vivait un escargot. Et qu'y avait-il dans l'escargot ? Eh bien, lui-même. 
- Attendez un peu que mon temps arrive ! disait-il. Je ferai des choses bien plus grandioses que de fleurir, porter des noisettes ou donner du lait comme des vaches et des moutons. 
- A vrai dire, j'attends de vous de grandes choses, approuva le rosier. Mais puis-je vous demander quand les ferez-vous ? 
- Je prends mon temps, répondit l'escargot. Vous êtes toujours si pressé. Attendre est plus excitant. 
Un an plus tard, l'escargot était presque au même endroit sous le rosier et se réchauffait au soleil. Le rosier eut beaucoup de boutons cette année-là, qui devinrent des fleurs toujours fraîches et toujours nouvelles. L'escargot s'avança. 
- Tout est exactement comme l'année dernière. Aucun progrès nulle part. Le rosier a toujours ses roses, cela ne va pas plus loin. 
L'été passa, l'automne aussi et le rosier avait toujours ses boutons et ses fleurs et il en eut j'usqu'à la première neige. Le temps devient froid et pluvieux. Le rosier se pencha et l'escargot se cacha sous la terre. Puis, une nouvelle année commença et réapparurent et les petites roses et l'escargot. 
- Vous êtes déjà vieux, Monsieur le rosier, dit-il, vous devrez bientôt penser à dépérir. Vous avez déjà donné au monde tout ce que vous pouviez. Que cela ait servi à quelque chose est une autre question, je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir. Mais il est évident que vous n'avez rien fait du tout pour votre épanouissement personnel sans quoi vous auriez produit bien mieux que cela. Vous mourrez bientôt et vous ne serez plus que branches nues. 
- Vous m'effrayez, dit le rosier. Je n'y ai jamais réfléchi. 
- Evidemment, vous ne vous livrez jamais à la réflexion. N'avez-vous jamais essayé de comprendre pourquoi vous fleurissiez et comment seulement cela se produit ? Pourquoi cela se passe ainsi et pas autrement ? 
- Non, répondit le rosier. Je fleurissais joyeusement, car je ne pouvais pas faire autrement. De la terre montait en moi une force, et une force me venait aussi d'en haut, je sentais un bonheur toujours neuf, toujours grand, et c'est pourquoi je devais toujours fleurir. C'était ma vie, je ne pouvais pas faire autrement. 
- Vous avez mené une vie bien facile, dit l'escargot. 
- En effet, tout m'a été donné, acquiesça le rosier, mais vous avez reçu encore bien davantage ! Vous êtes de ces natures qui réfléchissent et méditent et vous avez un grand talent qui, un jour, étonnera le monde. 
- Ce n'est absolument pas dans mes intentions, répondit l'escargot. Le monde ne m'intéresse pas. En quoi me concerne-t-il ? Je me suffis amplement. 
- Mais nous tous, ne devrions-nous pas donner aux autres le meilleur de nous- mêmes ? Apporter ce que nous pouvons ? Je sais, je ne donne que mes roses, mais vous ? Que donnez-vous au monde? 
- Ce que j'ai donné ? Ce que je lui donne ? Je crache sur le monde ! Il ne sert à rien ! Je me fiche de lui ! Vous, continuez à faire éclore vos roses, de toute façon vous ne savez pas mieux faire. Que le noisetier donne ses noisettes, les vaches et les brebis leur lait, ils ont tous leur public. Moi, je n'ai besoin que de moi. 
Et l'escargot rentra dans sa coquille et la referma sur lui. 
- C'est bien triste, regretta le rosier. Moi, j'ai beau faire, je ne peux pas rentrer en moi, il faut toujours que je forme des boutons et que je les fasse éclore. Les pétales tombent et le vent les emporte. J'ai vu pourtant une femme déposer une petite rose dans son missel, une autre de mes roses a trouvé sa place sur la poitrine d'une belle jeune fille et une autre reçut des baisers d'un enfant heureux. Cela m'a fait bien plaisir, un vrai bonheur. Voilà mes souvenirs, ma vie ! 
Et le rosier continua à fleurir dans l'innocence et l'escargot à somnoler dans sa petite maison, car le monde ne le concernait pas. 
Des années et des décennies passèrent. L'escargot et le rosier devinrent poussière dans la poussière. Même la petite rose dans le missel se décomposa ... mais dans le jardin fleurirent de nouveaux rosiers et à leurs pieds grandirent de nouveaux escargots ; ils se recroquevillaient toujours dans leurs maisons et ils crachaient ... le monde ne les concernait pas. Allons-nous relire cette histoire une nouvelle fois ? ... Elle ne sera pas différente.