vendredi 28 juin 2019

La petite fille qui ne trouvait jamais les mots pour le dire

Il était une fois une petite fille qui ne trouvait pas les mots pour dire ce qu'elle ressentait. Chaque fois qu'elle tentait de traduire ce qui se passait à l'intérieur d'elle, les mots avaient l'air de se bousculer dans sa bouche mais n'arrivaient pas à se mettre ensemble pour faire une phrase. Dans ces moments-là, elle devenait agressive, violente, presque méchante. Et des phrases toutes faites, coupantes, cinglantes sortaient de sa bouche.

D'autres fois, elle préférait s'enfermer dans le silence. Mais tout au fond d'elle-même, elle était malheureuse, désespérée. Un jour, elle entendit un poète qui disait à la radio : -Il y a chez tout être humain un Chemin de Mots qu'il appartient à chacun de trouver. 

Et, dès le lendemain, la petite fille décida de partir sur le Chemin des Mots qui était à l'intérieur d'elle. La première fois où elle s'aventura sur le Chemin des Mots, elle ne vit rien. Seulement des cailloux, des ronces, des branchages, des orties et quelques fleurs piquantes. 

La seconde fois où elle chemina sur le chemin des mots, le premier mot qu'elle vit sur la pente d'un talus fut le mot "Oser". 

Quand elle s'approcha, ce mot osa lui parler. Elle lui répondit - Je crois que je vais te prendre avec moi. 

Le deuxième mot qu'elle rencontra fut le mot « Vie ». Elle le ramassa, le mit contre son oreille. Elle perçut comme un petit chuchotement : -Prends, soin de moi. 

 Un peu plus loin sur le Chemin des Mots, elle trouva un petit mot tout seul, tout frileux comme s'il avait froid. Il avait vraiment l'air malheureux, ce mot là. Elle le ramassa, le réchauffa un peu et lui dit : -Comment tu t'appelles, toi ? Et le petit mot lui dit d'une voix nouée : -Moi, je suis le mot "Seul". Je suis vraiment tout seul. Elle serra le petit mot contre elle, l'embrassa doucement et poursuivit sa route. 

Sur le Chemin des Mots, elle vit un mot à genoux, les bras tendus. Elle s'arrêta, le regarda et c'est le mot qui s'adressa à elle : -Je m'appelle "Toi", lui dit-il. Je suis un mot difficile à rencontrer car il faut me différencier sans arrêt des autres. La petite fille le prit en disant : -J'ai envie de t'adopter, "toi", tu seras un bon compagnon pour moi. 

Sur le Chemin des Mots elle rencontra d'autres mots qu'elle laissa à leur place. Elle chercha un mot tout joyeux, tout vivant. Elle le trouva au creux d'une petite clairière. Elle s'approcha de lui, lui sourit et dit : -. Veux-tu venir avec moi ? Ce mot qu'elle avait trouvé, était le mot « Vivra ». Quand elle rassembla tous les mots qu'elle avait recueillis sur le Chemin des Mots, elle découvrit avec stupéfaction qu'ils pouvaient faire la phrase suivante : "Ose ta vie, toi seule la vivra." 

Depuis ce jour, la petite fille prit l'habitude d'aller se promener sur le Chemin des Mots. Elle fit ainsi des découvertes étonnantes, et ceux qui la connaissaient furent surpris d'entendre tout ce que cette petite fille avait à l'intérieur d'elle. Ainsi se termine le conte de la petite fille qui ne trouvait jamais les mots pour le dire.

Source : adapté d’un texte de J. Salomé

vendredi 21 juin 2019

Le bocal de M. Redfish

Monsieur Redfish est un poisson rouge tout à fait ordinaire. Le matin, il se lève tôt et mange trois tartines avant de se rendre à son bureau. Et le soir, il regarde la télévision jusqu’à dix heures, boit une tisane aux algues, puis va se coucher... Or, un samedi matin, comme M. Redfish s’ennuie un peu dans sa vie bien réglée, il décide de prendre un animal de compagnie. Le voilà̀ donc qui entre dans une boutique située à quelques pas de chez lui. 
– « Bonjour », lance M. Redfish en s’adressant au vendeur qui est un vieux poisson rouge au visage aimable. « J’ai­merais un petit animal rigolo, sans plumes ni poils, car je suis allergique. Et qui n’exige surtout pas trop de soins. Avez­-vous quelque chose comme cela ?» 

Le marchand réfléchit : « Je dois avoir ce qu’il vous faut. Je pense que ça va vous plaire. Juste une minute, j’arrive... » 
Le vieux marchand se retire dans son arrière-boutique, et revient chargé d’un gros bocal. Il le pose délicatement sur le comptoir avec un sourire malin. « Alors, qu’en pensez-vous ? » 
M. Redfish se penche pour bien voir. Le bocal est complètement fermé. A l’intérieur, il y a un petit bonhomme qui le regarde fixement avec les poings sur les hanches. Il y a aussi une petite maison, un petit jardin, un petit lac, et des petits sapins. 
– « C’est vraiment très joli !» s’exclame M. Redfish avec admiration. « Ça coute combien ?» 
– « A l’usage, c’est très économique. Il n’y a absolument rien à ajouter, ni rien à changer. Le bocal contient tout ce qu’il faut pour assurer l’équilibre écologique. L’air, les plantes, le lac, tout est en parfaite harmonie : vous pouvez ainsi partir en vacances l’esprit tranquille... » 
Lorsque M. Redfish sort du magasin avec son bocal dans les bras, il a le sourire de celui qui est sûr d’avoir fait une bonne affaire. Une fois arrivé chez lui, il place son bocal dans le salon, près de la fenêtre, afin que les petits arbres et le petit jardin puissent recevoir de la bonne lumière, comme le lui a indiqué́ le vieux marchand. 

M. Redfish passe le reste de son week­end devant la boule de verre, oubliant même de regarder la télévision. Le petit bonhomme s’agite beaucoup : il bricole sans arrêt, plante des patates dans son jardin, se baigne dans le lac, récolte un peu de bois pour faire sa cuisine. Il a l’air heureux – mais pas autant que M. Redfish, absolu­ment ravi de son achat. 
Les deux mois qui suivent se déroulent sans problème. Le petit bonhomme et les plantes du bocal sont en parfait équilibre. L’eau qui s’évapore durant la journée, sous l’action du soleil, retombe en pluie légère quand vient le soir. Ainsi, lorsque M. Redfish décide de partir en vacances pour quinze jours, il n’a aucune inquiétude... 

Deux semaines plus tard, au moment où̀ M. Redfish ouvre sa porte, il est surpris par une drôle de pétarade. Une grande agita­tion règne dans le bocal : le petit bonhomme s’est construit une petite voiture en bois et tourne à toute vitesse en frôlant la paroi de verre. « Incroyable ! Il est vraiment intelligent !», se dit M. Re­dfish, très fier. Pour confectionner sa voiture, le petit bonhomme a abattu deux sapins. Et pour la faire avancer, il a construit un moteur à vapeur en utilisant le fourneau de sa petite maison. Il l’a placé à l’arrière du véhicule, et il y brûle du bois pour chauffer l’eau qui produit la vapeur. 

Cela fait maintenant trois jours que le petit bonhomme effectue tous ses déplacements avec sa voiture. Pour se rendre au jardin, il fait auparavant trois tours de bocal. Et il doit bientôt couper un autre sapin pour fournir de l’énergie à son engin. En consultant le thermomètre placé dans le bocal, M. Redfish constate que la température s’est élevée. La pluie aussi a changé́. Ce ne sont plus de fines gouttelettes qui tombent le soir, mais de grosses précipitations qui s’abattent n’importe quand dans la journée, noyant le jardin et les patates. Inquiet, M. Redfish prend son téléphone et appelle le marchand. 

– « C’est normal si tout va mal», lui explique le vieux poisson rouge. « Votre petit bonhomme brûle trop de combustible et coupe trop d’arbres. Quand on fait du feu ou quand on utilise sa voiture, on dégage du gaz carbonique dans l’air. Et c’est parce qu’il y a trop de ce gaz qu’il fait trop chaud. C’est ce qu’on appelle l’effet de serre. Votre bonhomme devrait s’en rendre compte et poser sa voiture pour laisser à nouveau pousser les arbres : eux seuls sont capables de capter ce gaz carbonique et de le transformer à nouveau en bois... » 
Quand M. Redfish repose son téléphone, il pense que son protégé́ n’est pas si intelligent que ça. «Il va quand même réagir !», se dit-il. Mais non ! le lendemain, le petit bonhomme coupe encore un sapin. Et il trouve même le moyen de bricoler sa voiture pour aller encore plus vite : il fait maintenant quatre tours de bocal pour se rendre au jardin. « Mon Dieu », s’écrie M. Redfish en regardant le thermomètre qui ne cesse de s’élever et les gouttes qui coulent sur la paroi du bocal: «On ne voit bientôt plus rien là-dedans!» 

Trois jours plus tard, M. Redfish rend le bocal au vieux poisson rouge. Tout est gris et triste, à l’intérieur. Il n’y a plus d’arbres, les plantes du jardin ont pourri sur pied, et il fait tellement chaud que l’atmosphère ressemble à celle d’une sauna. Le pe­tit bonhomme suffoque et pleure de rage au volant parce qu’il ne peut plus avancer. « Je vous le rends, dit M. Redfish, je ne veux pas le voir mourir. Vous n’auriez pas autre chose, également sans plumes ni poils, mais en beaucoup moins bête ? » 
Le marchand le regarde avec un air désolé́ : « Prenez donc des escargots. Ils ne sont pas pressés, et il n’y a pas de risque qu’ils coupent les arbres pour se faire une belle carrosserie : ils en ont déjà̀ une sur le dos ! »  

Source : https://www.energie-environnement.ch/fichiers/contes/conte_redfish.pdf

vendredi 14 juin 2019

L’épreuve du café


Il y avait, en des temps très anciens, un jeune homme qui possédait autant de beauté que de vertu. Mourad traînait les cœurs après lui et peuplait les rêves des jeunes filles en mal d’amour. Parmi elles, il fit la connaissance de deux demoiselles qui lui plurent toutes les deux et surent prendre son cœur.
Le hasard voulut qu’il les rencontre la même semaine et qu’elles habitent toutes les deux dans la même rue. Mis à part cela, tout les différenciait. Yasmine était brune. Mounira était blonde. La première était grande et impériale, la seconde menue et fine.

Mourad était captivé par le charme des deux jeunes filles et leur fit une cour assidue, déjeunant chez l’une, soupant chez l’autre, se promenant sur les rives du fleuve avec Yasmine, errant dans le souk aux parfums avec Mounira.

Les parents des deux filles s’inquiétaient de l’indécision du jeune homme, d’autant plus que Mounira et Yasmine se languissaient d’amour pour le beau Mourad. Il était temps que Mourad choisisse, qu’il renonce à l’une et fasse de l’autre sa compagne. 

Le jeune homme était désemparé. Il s’en ouvrit à sa mère. Après avoir longuement écouté son fils, la vieille dame lui tint ces propos étranges :
— Rends-toi chez l’une et l’autre des jeunes filles et demande à chacune de te préparer un café. Observe bien comment elles s’y prendront et viens ensuite me raconter ce que tu auras vu. Je pense pouvoir t’aider alors à choisir celle qui te conviendra le mieux.
Mourad avait l’habitude des idées originales de sa mère ; il mit son plan à exécution.

Dès le lendemain matin, il alla chez Mounira et lui demanda de lui préparer un café parfumé à la cardamome. La jeune fille fit bouillir de l’eau, y plongea le café et la cardamome qu’elle avait préalablement pilée, baissa le feu, recouvrit la petite casserole d’une soucoupe et revint s’asseoir auprès du jeune homme.
Elle était fébrile et ne cessait de se lever pour vérifier si le feu était à la bonne puissance, si le café chauffait bien, sans bouillir surtout, sans bouillir. Puis, lorsque la boisson fut prête, elle versa le café en trois fois dans la petite tasse. Il était délicieux, parfumé à souhait, chaud, fort et corsé, comme l’aimait Mourad.

Quelques heures plus tard, le jeune homme rendit visite à Yasmine et lui adressa la même demande. Elle aussi courut à la cuisine, pila la cardamome et fit bouillir l’eau. Elle aussi recouvrit la casserole d’une soucoupe après y avoir versé le café et baissa le feu. Puis elle retourna s’asseoir auprès du garçon et ils conversèrent un moment. Puis elle se leva et alla, comme sa rivale, verser le café dans la tasse, en trois temps bien distincts. Le café de Yasmine était tout à fait au goût de Mourad, aussi bon mais pas meilleur que celui de Mounira.

Le jeune homme était déconcerté et intrigué. Il raconta à sa mère en n’omettant aucun détail, comment les deux jeunes filles avaient procédé. Quand il eut fini, sa mère lui déclara que son choix devait se porter sur   Yasmine : cela ne faisait aucun doute.
La vieille dame expliqua alors que Mounira s’était montrée impatiente, faisant d’incessants va-et-vient entre la cuisine et le salon, alors qu’elle savait fort bien que le café devait chauffer lentement. Cette précipitation n’augurait rien de bon. Alors que Yasmine avait su prendre son temps ; elle avait su attendre alors qu’elle devait être tout autant troublée et tout aussi émue.
— Crois-moi, mon fils, la patience n’est pas une mince qualité ! Le temps est notre meilleur ami lorsque nous acceptons de tenir compte de lui.
Mourad écouta sa mère et, quelque temps plus tard, on fêta le mariage de Mourad ibn Hamed et de la brune Yasmine.





jeudi 6 juin 2019

La lune est tombée dans le puits



Par une nuit de pleine lune, Nasredin Hodja allait, tenant d’une main un seau, jusqu’à son puits. Il souleva le couvercle de bois et fut illuminé : la lune se reflétait tout au fond.
"Ne bouge pas, tiens bon" lui dit-il.

Il revint en courant avec un grappin au bout d’une corde et fit descendre celle-ci avec précaution pour ne pas blesser la lune.

Quand le grappin s’accrocha au fond, il tira de toutes ses forces, le crochet ripa sur la paroi et il s’affala de tout son long.

Allongé, le nez vers les étoiles, il vit avec bonheur les bienfaits de son sauvetage : la lune avait regagné le ciel.

samedi 1 juin 2019

Tu entends ce que tu veux écouter


C’est l’histoire d’un amérindien et de son ami américain qui se baladent au cœur de New-York à l’heure du déjeuner. Un moment en pleine agitation et de brouhaha citadin.

Soudain l’amérindien s’exclame : « J’entends un grillon ! » et son ami lui répond : « Comment pourrais-tu entendre un chant de grillon au milieu de tout ce vacarme ? ». Sûr de lui, l’amérindien tend l’oreille pendant un moment puis traverse la rue et se dirige vers une grosse jardinière en béton. Il soulève les branches des arbustes et trouve là un grillon.

Son ami, fort étonné, lui demande « Posséderais-tu un don sur-humain pour entendre des sons de si loin ? »  L’amérindien répond : « Mes oreilles ne sont pas différentes des tiennes et je ne possède pas de don particulier. En vérité, tout dépend de ce que tu cherches à entendre. Tout dépend de ce qui est vraiment important pour toi. Je vais te le prouver. »

Il fouille alors dans son sac et en sort une poignée de pièces de monnaie, qu’il jette discrètement sur le trottoir. Là, chose étonnante, malgré le vacarme environnant, toutes les têtes alentour se tournent pour regarder ce qui se passe. Certains mettent même la main dans leur poche pour voir si ce n’est pas leur argent, tandis que d’autres s’arrêtent de marcher pour comprendre ce qui se passe.

L’américain bluffé regarde son ami, qui lui répond : « Tu comprends mieux maintenant ? Tout dépend de ce qui est important pour toi ! »