mardi 31 mai 2022

Pourquoi lire ?



Dans le livre « La décision » de Karine Tuill (Gallimard,2022), nous vivons le quotidien d’une juge antiterroriste, confrontée chaque jour à des décisions graves à prendre : faut-il relâcher ou non un suspect ?  La pression est forte et les enjeux considérables (risque d’attentats). 

 

Un de ses modes de décompression préféré ? La lecture, parce que pour l’héroïne, « Lire, c'était se confronter à l'altérité, c'était refuser les représentations falsifiées du monde. La littérature exploite et révèle la complexité des êtres ». 

 

La très grande majorité de ceux qui lisent ce post ne sont pas confrontés à des décisions aussi dramatiques, heureusement. Mais nous vivons tous, plus ou moins, cette pression, notamment celle du temps. Trop de choses à faire dans l’urgence et un temps incompressible.

 

il n’est pas étonnant que sursollicités par toutes sortes de média (tv, réseaux sociaux, téléphone mobile, mails…), notre consommation de livre a fortement diminué ces dernières décennies, d’autant que le goût de la lecture est lié à notre tempérament, mais aussi à notre éducation, notre entourage…

 

Selon une étude datant de 2020, plus on prend de l’âge, plus on lit : 12 livres par an au format papier sont lus en moyenne dans la tranche d’âge 15-44 ans, 21 pour la tranche 45 ans et plus… Cela ne donne pas le sentiment de s’améliorer, notamment chez les jeunes, mais d’un autre côté, avec le covid et les temps de confinement, la vente de livres a augmenté en 2021 (+19%). Alors, sursaut occasionnel ou nouvelle tendance ?

 

Que chercher dans un livre ? Le livre peut être une évasion, un partage, une ouverture sur le monde. Le livre peut se « consommer » en papier, ebook, audio…

 

Pour ma part, et c’est ce qui m’a interpellé dans la citation extraite du livre, le livre est aussi une ouverture vers l’altérité. Nous vivons dans des univers cloisonnés, que ce soit en termes de localisation ou d’univers sociaux des personnes rencontrées. Notre pensée est façonnée par nos rencontres, souvent les mêmes, et les médias : je pense notamment aux médias sociaux comme Google actualités qui nous donnent à digérer que des contenus que nous préférons. 

 

Nous désapprenons le regard critique et l’écoute, avec des pensées toutes faites qui nous sont transmises insidieusement. 

 

Dans ce contexte, la lecture est une des voies pour, à la fois, nous ouvrir à d’autres vies, et nous rappeler que l’être humain, dixit l’auteur, « n’est pas un bloc monolithique mais un être mouvant, opaque et d’une extrême ambiguïté, qui peut à tout moment vous surprendre par sa monstruosité comme son humanité ». Le livre, par sa longueur et sa lenteur peut prendre le temps d’explorer ces multiples facettes où se mêle le visible et l’invisible. 

 

Même avec un bon scénario et des acteurs de talents, un film ne peut rendre compte en 90’ dans ce qui évoqué dans un livre de 400 pages, sauf à regarder le film plusieurs fois. 

 

La lecture devient alors une bibliothérapie et 30’ / jour peut suffire. 

 

Alors, à tester ? 

mardi 24 mai 2022

La double contrainte de la transmission



« La transmission n’est jamais d’évidence. Elle est un rapport social périlleux, à cause des doubles contraintes auxquelles sont soumis parents et enfants, qui doivent assumer à la continuité et la rupture, l’identité et l’altérité. » 

 

Cette phrase extraite du livre de Christian Baudelot et Roger Establet (Seuil, 2000) souligne bien que tout comme dans la relation parents-enfants, la transmission de savoir et savoir-faire au sein de toute organisation n’est jamais gagné d’avance. Ce qui est proposé par le sachant n’est pas forcément saisi par les apprenants, qui peuvent être des collègues, des collaborateurs ou… des supérieurs. Le contexte de ce qui doit être transmis peut être parfois si discret que ceux à qui cela est destiné ne perçoivent pas toujours ce qu’elle pourrait receler et ce qu’elle exprime en fait. 

 

Ainsi vous avez, par exemple, un collègue, un collaborateur… qui quitte son poste (retraite, mutation). Vous n’avez guère fait attention à ce qu’il faisait. Vous vous rendez compte, après son départ, qu’il jouait un rôle discret et efficace dans l’organisation et que tout un équilibre est rompu alors. Pourtant il y avait une procédure, des modes opératoires, mais cela ne suffit pas. 

 

En fait, celui qui prend la relève (volontairement ou non, développe son propre questionnement sur la manière de faire et d’interpréter les actions à conduire. Il y a continuité, mais il y a aussi rupture : sur le plan formel, cela peut fonctionner comme avant, mais à côté de cela, il y a tout l’informel. Chacun avec sa propre sensibilité va mettre en œuvre la procédure, d’autant que le contexte change : celui qui est parti était compris à demi-mot par ses collègues. Comment cela va-t-il être repris par le successeur ? 

 

Une fonction a une identité, mais la représentation que s’en fait quelqu’un, conduit à une appropriation et à une nouvelle construction identitaire. On se croit donc légataire d’une fonction, d’un rôle, d’une tâche, mais prenons-nous en compte la compréhension du rôle et l’autonomie de celui à qui est confié cette mission ? 

 

Cette double contrainte est souvent la cause de l’échec de nombre de transmissions. 

 

A méditer !

mercredi 18 mai 2022

Ecrire pour ne rien dire




Je me suis plongé ces derniers jours dans le livre de Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » (Éditions de la Découverte, 2020). Cette historienne a mené une longue enquête sur ce que les appelés du contingent qui ont servi en Algérie entre 1956 et 1962 ont raconté à leurs familles, épouses, enfants, petits-enfants de cette période. Le sous-titre de ce livre le résume : « enquête sur un silence familial ». 

 

Et pourtant, compte tenu de l’éloignement et des moyens de communication de l’époque, le téléphone est rare et coûte cher, et du danger de la situation, il fallait garder le lien et cela se faisait sous forme de courrier. 

 

Des extraits du livre : « La base du « pacte épistolaire » est la réciprocité. Pourquoi écrivez-vous ? « Pour qu’ils me répondent ! ». La réciprocité donne aux lettres échangées l’allure d’une conversation dans laquelle on pose des questions et on se répond. Qu’importe presque le contenu : la lettre est preuve de vie, preuve d’amour, preuve de lien, preuve qu’on n’est pas oublié. Ils sont nombreux à l’affirmer : ils écrivaient pour ne surtout rien dire d’important. C’est cette banalisation même qui témoigne le mieux de la réussite de la correspondance.  Alors que la réciprocité est gage du lien, la fréquence est révélatrice de l’intensité des liens. Une routine se met en place, qui devient vite un rituel. Or il n’est pas de rituel sans définition d’un espace particulier, plus ou moins coupé du tissu quotidien. »

 

A la lecture de ce paragraphe, trois idées sont venues à mon esprit :   

 

La première est que dans notre cocon d’aujourd’hui et de notre vie hyperactive, nous avons perdu du contact avec l’autre, rien que pour le plaisir d’échanger des banalités. Même nos SMS et WhatsApp sont laconiques et envoyés en masse à « terre entière ». 

 

La deuxième est que l’épreuve du Covid que nous avons vécu pendant deux ans, nous souligné, lors des périodes de confinement, les risques d’une telle situation avec les déprimes associées par exemple. « Plus jamais cela » ont dit certains. Les entreprises ont invité les managers à appeler leurs collaborateurs juste pour le plaisir d’échanger. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Dans les rues, les immeubles, les quartiers, nous prenions des nouvelles des uns et des autres. Qu’en reste-t-il ? 

 

La troisième est que nous, Français, nous avons beaucoup à apprendre sur ce plan d’autres cultures. Je travaille avec diverses entreprises internationales et j’ai souvent l’occasion d’animer des réunions internationales entre collègues. Que nous reprochent souvent ces interlocuteurs distants ? Le manque d’échange et de prise en compte de l’autre. Nos échanges, en tant que Français, sont souvent du style « Bonjour, ça va ? » et on passe directement au sujet à traiter.  Ce qui nous semble un exemple de convivialité est perçu par nombre de personnes comme un mode de relation froid et distant. Ces derniers aiment le « small talk » avant d’en venir aux sujets professionnels 

 

Faudra-t-il une guerre, une épidémie ou tout autre malheur pour que nous prenions soin de nos relations avec les autres ?  

mardi 3 mai 2022

Etes-vous un fou, un amoureux ou un poète ?



Il est bon de lire / relire des classiques. Dans « Le songe d’une nuit d’été » (Acte 5, scène 1) de William Shakespeare (1564-1616), je suis tombé en arrêt sur cette phrase : « le fou, l’amoureux et le poète sont tous faits d’imagination ». A chacun son style d’imagination ou plutôt à chaque moment sa forme d’imagination ?  

 

Allons plus loin dans la phrase de William Shakespeare : « Le fou, l’amoureux et le poète sont tous faits d’imagination. L’un voit plus de démons que le vaste enfer n’en peut contenir, c’est le fou ; l’amoureux, tout aussi frénétique, voit la beauté d’Hélène sur un front égyptien ; le regard du poète, animé d’un beau délire, se porte du ciel à la terre et de la terre au ciel et, comme son imagination donne un corps aux choses inconnues, la plume du poète leur prête une forme et assigne au néant aérien une demeure locale et un nom. »

 

Dans toute situation, nous pouvons y voir du noir, de l’utopie ou sortir des sentiers battus. Cela dépend de notre humeur et aussi de notre vécu. Qui a raison ou tort ? Personne et tout le monde. 

 

Pour ma part, je crois que celui qui a su le mieux involontairement interpréter cette phrase, c’est Edward de Bono (1933-2021) avec sa méthode des chapeaux.  Celui-ci estime que dans tout travail en groupe, les participants doivent porter successivement une série de six chapeaux : le chapeau blanc permet de traiter les faits, le rouge les émotions, le noir les risques, le jaune les avantage, le vert la créativité et le bleu la prise de recul. L’ordre dépend du sujet et de l’animateur. L’intérêt de cette approche est qu’elle permet de faire participer tous les participants en même temps sur tous les aspects d’une question. Gain de temps et de partage. Ça marche et je l’utilise régulièrement. 

 

Revenons à Shakespeare et à notre citation. Et si nous faisions appel successivement, seul ou en groupe, à ces trois dimensions de la créativité ?  Cela nous permettrait d’élargir notre regard. 

 

A tester ?