jeudi 25 janvier 2018

Conte chinois : L'essentiel du geste


Un empereur aimait la peinture. Un jour, l’envie lui vint d’orner la salle du trône du portrait d’un coq de combat. Il fit quérir le meilleur peintre du royaume. Le maître parmi tous les maîtres se présenta devant lui.

« Combien de temps faudra-t-il pour peindre ce tableau ?
- Majesté, si vous voulez la meilleure présentation de cet animal, vous devrez m’accorder six mois. ! »

L’empereur accepta, et le peintre s’enferma dans son atelier. Une fois les six mois écoulés, le souverain réclama son tableau. Le maître lui annonça qu’il n’avait pas terminé et demanda encore six mois. Très en colère, l’empereur accéda néanmoins à sa demande. Il attendit donc 24 semaines dans un état qui tournait à l’obsession, puis le jour dit, suivi d’un impressionnant cortège, il se rendit à l’atelier. L’artiste se confondit en excuses et demanda trois mois de plus. L’empereur s’empourpra de fureur : « Soit, mais si après ce dernier délai, mon tableau n’est pas prêt, je te ferai couper la tête ! ».

Au bout des 90 jours, le souverain, suivi de ses bourreaux, courut chez le peintre. Celui-ci le fit entrer dans son atelier où il n’y avait qu’une grande toile blanche.     
« Comment, vociféra l’empereur, Tu n’as encore rien fait ? Cette fois, c’en est fini de toi ! Qu’on lui coupe la tête ! »

Le peintre, sans un mot, saisit son pinceau et d’un seul trait à une vitesse vertigineuse, peignit le plus beau coq qu’on ait jamais vu dans le royaume. La beauté de cet oiseau était si intense que l’empereur, ravi, tomba à genoux devant ce chef d’œuvre. Une fois remis de son émotion, la colère le saisit de nouveau.

« Tu es le meilleur, je te l’accorde, mais tu mérites d’être décapité ! Pourquoi m’avoir fait attendre si longtemps alors que tu aurais pu me donner satisfaction en quelques minutes ? Tu t’es joué de moi ! »

Le maître invita alors le souverain à visiter sa maison. Il y découvrit des milliers et des milliers de dessins et d’esquisses de coqs, des études anatomiques, des coqs empaillés, des ossements de ce volatile de combat, d’innombrables tableaux le représentant, des pages et des pages de notes, ders livres spécialisés sur son élevage, et un enclos plein de coqs vivants.

L’expérience, l’observation et le travail acharné conduisent à l’essentialisation du geste.  C’est aussi à cela que nous sert l’orientation vers un but, qui va tracter tout le travail dans une direction vitale pour la personne


Source : Alexandro Jodorowsky, La famille un trésor, un piège, Pocket 2011  

jeudi 18 janvier 2018

La fonction de l'obstacle

Un paysan reçoit la visite de son Dieu. Il s’agenouille devant lui et le remercie avec ferveur de lui avoir accordé le don de la vie. « Je te dois tout, mais cependant je veux te présenter mes doléances : je travaille pour fertiliser mes terres et faire pousser du blé en abondance, et pourtant tu m’envoies des ouragans, des sécheresses, des oiseaux voraces, des souris, des pluies torrentielles, des épidémies. Ne pourrais-tu pas pour une fois m’éviter ces maux ? »

Le Dieu satisfait la prière du paysan. Après les semailles, nul ouragan ne soulève la terre ; le climat reste favorable toute l’année, il pleut juste ce qu’il faut, aucune souris n’apparaît, ni le moindre oiseau, aucun insecte nuisible...

Par manque d’obstacles à vaincre, affaiblies, les graines pourrissent dans leur bonne terre, sans même germer. 


Source : Conte cité par Alexandro Jodorowsky dans "La famille, un trésor, un piège" (Pocket, 2011)

vendredi 12 janvier 2018

Conte féministe iranien : Tante Cafarde


Un conte qui dénonce le mauvais traitement fait aux femmes

Un père juste avant de mourir dit à sa fille : « toi, Tante cafarde, fille trop bavarde à la langue acérée, qui voudra t’épouser ? Va donc à Hamedan voir Ramedan peut-être lui, en souvenir de notre amitié passée, te trouvera-t-il un mari. »
La jeune fille mit sur sa tête un tchador rouge et à ses pieds des souliers couleur rubis et aussitôt partit.

Sur la route elle rencontra un marchand qui lui demanda :
« Où vas-tu donc Tante Cafarde ? »
« Tante Cafarde est le nom maudit que m’a donné mon père, ne m’appelle pas ainsi ! Dis :
"Tante Ghézi avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis, où vas-tu donc ainsi ?"Et alors je répondrai à ta question ! »
Le marchand, surpris, obéit et elle répondit :
« Je vais à Hamedan rencontrer Ramedan pour qu’il me trouve un mari gentil ! »
« Tante Ghézi, me veux-tu pour mari ?» demanda le marchand.
« Cela se pourrait si tu me disais avec quoi tu me battrais si un jour contre moi tu te fâchais. »
« Avec mon poignard d’argent » répondit le marchand
« Et tu m’ôterais la vie ! Non merci ! » Et elle partit.

La même scène se reproduisit avec un berger qui lui dit qu’il la battrait avec un bâton. Elle rencontra un cavalier qui lui parla de sa cravache. Puis ce fut le tour d’un paysan qui la menaça d’une pierre. Finalement elle vit, au bord d’une rivière, une souris qui lui dit que jamais il ne la battra, mais plutôt la chatouillerai avec sa queue.

« Alors, s’il en est ainsi, marions-nous ! »
La jeune fille vécut très heureuse avec monsieur souris.
Mais un jour qu’elle était allée laver du linge à la rivière la plus belle chemise de monsieur souris fut emportée par le courant.
Monsieur souris arriva juste à ce moment-là et elle vit à sa mine déconfite qu’il était très contrarié mais au lieu de se mettre en colère il lui dit : « Je suis désolé parce que cette chemise c’est ma mère qui me l’avait cousue. Mais quoique j’ai pu faire elle ne m’a jamais grondé et encore moins frappé. Elle disait toujours que peur et douleur sont les alliées du malheur alors que confiance et indulgence sont celles de l’espérance. » Et en même temps qu’il parlait, il la chatouillait du bout de sa queue pour la faire rire et lui changer les idées.
Ils se sont bien amusés mais le pied de la jeune fille a glissé sur une pierre savonneuse, elle est tombée dans la rivière et le courant violent l’a emportée.

Alors monsieur souris, affolé, s’est mis à hurler : « Où es-tu partie ? »
Un corbeau l’entendit : « Croa croa qu’est-ce qui te fait crier ainsi ? »
« Ma femme dans la rivière est tombée et le courant l’a emportée ! »
"Quel malheur s’écria le corbeau, j’en suis tellement retourné que je vais me taper la tête contre ce rocher ! »

Une vache qui passait par là demanda au corbeau :« Pourquoi te cognes-tu la tête ainsi corbeau ? »
« Tante Ghézi, la femme de monsieur souris, est tombée dans la rivière et le courant l’a emportée, alors je me tape la tête contre ce rocher et monsieur souris court le long de la rivière en criant « Tante Ghézi ! Ma douce amie, avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis où es-tu partie ? ».
« Que c’est triste dit la vache, puisque c’est ainsi je ne donnerai plus de lait ! »

Quand le vacher voulu traire la vache celle-ci ne donna pas son lait.
« Qu’as-tu la vache à garder ton lait ? »
« Tante Ghézi, la femme de monsieur souris, est tombée dans la rivière et le courant l’a emportée, alors je ne donne plus mon lait, le corbeau se tape la tête contre un rocher et monsieur souris court le long de la rivière en criant « Tante Ghézi ! Ma douce amie, avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis où es-tu partie ? ».
« Quel malheur dit le vacher, je vais casser mon bâton ! »

Arriva le berger qui s’étonna :
« Pourquoi casses-tu ton bâton vacher ? »
« Tante Ghézi, la femme de monsieur souris, est tombée dans la rivière et le courant l’a emportée, alors je casse mon bâton, ma vache ne me donne plus son lait, le corbeau se tape la tête contre un rocher et monsieur souris court le long de la rivière en criant « Tante Ghézi ! Ma douce amie, avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis où es-tu partie ? ».
« Quelle horreur dit le berger, puisque c’est ainsi je vais déchirer mon gilet. ».

Comme il déchirait son gilet les moutons s’inquiétèrent :
« Pourquoi détruis-tu ton gilet berger ? ».
« Tante Ghézi, la femme de monsieur souris, est tombée dans la rivière et le courant l’a emportée, alors je déchire mon gilet, le vacher casse son bâton, sa vache ne lui donne plus son lait, le corbeau se tape la tête contre un rocher et monsieur souris court le long de la rivière en criant « Tante Ghézi ! Ma douce amie, avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis où es-tu partie ? ».
« Quelle tragédie dirent les moutons, puisque c’est ainsi nous allons perdre notre laine »

Comme les moutons faisaient tomber leur laine, un arbre leur demanda :
« Pourquoi laissez-vous votre laine tomber ainsi moutons ?
« Tante Ghézi, la femme de monsieur souris, est tombée dans la rivière et le courant l’a emportée, alors nous perdons notre laine, le berger déchire son gilet, le vacher casse son bâton, sa vache ne lui donne plus son lait, le corbeau se tape la tête contre un rocher et monsieur souris court le long de la rivière en criant « Tante Ghézi ! Ma douce amie, avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis où es-tu partie ? ».
Quelle douleur dit l’arbre, puisque c’est ainsi je vais faire tomber mes feuilles »

Et les feuilles de l’arbre tombèrent comme autant de larmes dans la rivière qui s’inquiéta :
« Arbre pourquoi toutes tes feuilles tombent-elles sur moi ? »
« Tante Ghézi, la femme de monsieur souris, est tombée dans la rivière et le courant l’a emportée, alors je fais tomber mes feuilles, les moutons perdent leur laine, le berger déchire son gilet, le vacher casse son bâton, sa vache ne lui donne plus son lait, le corbeau se tape la tête contre un rocher et monsieur souris court le long de la rivière en criant « Tante Ghézi ! Ma douce amie, avec ton tchador yezdi et tes souliers rubis où es-tu partie ? ».
« Quelle catastrophe dit la rivière, puisque c’est ainsi je vais arrêter de couler ! »
Et c’est ce qu’elle fit.

A l’instant même, Tante Ghézi qui s’était accrochée à une pierre au milieu de la rivière courut vers la rive pour rejoindre monsieur souris qui arrêta de hurler, le corbeau cessa de se cogner la tête contre un rocher, la vache redonna du lait, le vacher se tailla un nouveau bâton, le berger se confectionna un autre gilet, la laine revint sur les moutons, les feuilles retournèrent sur l’arbre et la rivière se remit à couler.

Et toute leur vie monsieur souris et tante Ghézi vécurent heureux ensemble !