vendredi 29 janvier 2016

La partie d'échec


Un guerrier fatigué d'errer s'en fut un jour rendre visite, au fond d'une forêt bruissante d'oiseaux, à un ermite réputé pour sa sagesse imperturbable. Dans la hutte où il fut reçu il conta ses aventures au saint homme et lui confia qu'il était fatigué des méchancetés terrestres : "Je ne veux plus que vous pour maître, lui dit-il. Enseignez-moi ce savoir qui rend belle la vie". L'ermite lui apprit l'art de méditer, de maîtriser son souffle et de conduire ses pensées.

Une année passa. Celui qui avait décidé d'atteindre la sagesse s'engagea sur le chemin tracé mais se perdit dans les labyrinthes de son âme. Il se plaignit auprès du saint homme : "Malgré mes efforts, lui dit-il, je n'ai fait aucun progrès. Je suis toujours aussi avide, toujours aussi incapable d'amour. Comment pourrais-je aimer les autres ? Je ne m'aime pas moi-même !" L'ermite, patiemment, lui donna de nouvelles leçons. Une année encore passa. Le guerrier demeura dans son malheur confus. 

A l'aube de la troisième année, un jour de printemps parfumé : "Je crains fort, dit-il au saint homme, que vous ne soyez qu'un imposteur". 

L'autre ne s'offusqua pas, au contraire, il parut s'amuser beaucoup. Il s'en fut prendre, dans un coin de sa hutte, un jeu d'échecs : "Jouons ensemble une partie, dit-il, mais qu'elle soit définitive et sans pitié. Celui qui la perdra devra mourir. Son vainqueur lui tranchera la tête. Es-tu d'accord pour cet enjeu ?" Le disciple regarda son maître, vit luire dans ses yeux un éclat de défi : "D'accord" dit-il.

Ils posèrent l'échiquier à l'ombre d'un grand arbre, s'assirent face à face et la partie commença. Le guerrier se trouva bientôt en mauvaise posture. Après six coups joués, son roi se trouva dangereusement découvert. Il prit peur, et donc joua de plus en plus mal. Après douze coups il était au bord de la débâcle. Il regarda son adversaire. Il le vit impassible. Assurément, cet homme n'hésiterait pas à le tuer s'il perdait. Il se dit alors qu'il était temps de réfléchir sans faute. 

Il se souvint que d'ordinaire il était de bonne force aux échecs, et lui vint l'évidence que seul le spectre de la mort l'empêchait de donner toute sa mesure. "Je dois d'abord me débarrasser de mon épouvante si je veux avoir une chance de survivre" se dit-il. Il s'efforça de respirer comme il avait appris. Puis il pensa : « Quoi qu'il arrive, il me faut pleinement jouer. Voilà l'important ». Il s'absorba dans la contemplation de l'échiquier. Il vit comment sauver son roi. Il reprit espoir. Après dix-huit coups, sa situation était assez rétablie pour qu'il envisage avec confiance une longue bataille d'usure. Après vingt-quatre coups il découvrit une faille dans le jeu de son adversaire. Il poussa un rugissement de triomphe : "Tu as perdu" dit-il.

Il tendit la main pour engouffrer sa reine dans la brèche ouverte, mais la laissa suspendue au-dessus du jeu. Il regarda l'ermite. Il le vit aussi impassible qu'à l'instant de sa victoire proche. Il se dit : «pourquoi tuerais-je ce brave homme ? En vérité je suis sûr qu'il aurait pu facilement gagner la partie quand la peur me tenaillait. Il ne l'a pas fait. Quelle sorte de fauve serais-je si j'abattais mon sabre sur son cou ? » Son exaltation aussitôt le quitta. Il grogna, baissa la tête et poussa un pion inutile. 
Alors l'ermite renversa l'échiquier dans l'herbe : "Il faut vaincre d'abord la peur. Ensuite peut venir l'amour dit-il. As-tu compris ?
Son disciple, enfin délivré, éclata de rire.

Source : © Henri Gougaud Site : [->www.henrigougaud.com]


http://www.cles.com/chronique/la-partie-d-echecs

vendredi 22 janvier 2016

Se soutenir comme...*


Il y avait une fois un petit arbre couvert de feuilles aiguës.
« Ah ! disait-il, mes voisins ont des feuilles agréables à voir.
Les miennes sont comme des aiguilles. Je voudrais avoir...
des feuilles d'or. »

La nuit vient, le petit arbre s'assoupit, et le lendemain
matin il était transformé. Mais, à l'approche de la nuit,
arrive un homme qui détache les feuilles d'or, les met dans
son sac et s'enfuit.
« Ah ! dit le petit arbre, je regrette ces belles feuilles. Je
voudrais avoir des feuilles de verre. »

Le soir, il s'endort, et le lendemain matin il est de nouveau
transformé. Mais le vent se lève, un orage éclate, et toutes
les feuilles de verre sont brisées.
« Hélas ! murmure-t-il. Mieux vaudrait un vêtement de
bonnes feuilles vertes et parfumées. »

A nouveau, le lendemain matin il est vêtu comme il l'a
désiré. Mais l'odeur de ces feuilles fraîches attire les
chèvres, qui viennent les ronger et le laissent entièrement
nu.

En s'endormant ce soir-là, il regrette ses premières feuilles.
Le lendemain matin il se réjouit de les voir reparaître sur
ses rameaux.

On veut souvent ce qu'on n'a pas, ce que l’on ne possède
pas. Nous pouvons également nous concentrer sur ce qui
est présent chez nous et nous en réjouir.

* Extrait de notre livre autour des arbres "Se soutenir comme..." en vente sur Amazon (4,11 € en broché, 1,99 € en kindle)

vendredi 15 janvier 2016

Cire et brique


La Cire gémissait d’être molle et de céder facilement au coup le plus léger. Voyant au contraire que les briques faites d’une argile beaucoup plus molle encore parvenaient, grâce à la chaleur du feu, à une dureté telle qu’elles duraient des siècles entiers, elle se jeta dans la flamme pour arriver à la même résistance, mais aussitôt elle fondit au feu et se consuma.   
Ne cherchez pas à être ce qui n’est pas votre vraie nature

Fable d’Esope (vers 620-564 av. J.C.)

vendredi 8 janvier 2016

Dans quel sens souffle la vérité ?


Au pied d’un pommier, trois hommes se disputent à propos de la vérité. Face à leurs divergences d’opinion, les trois hommes décident d’emprunter trois chemins différents. 

Le premier homme, dont la foi en l’existence de la vérité est apparemment la plus certaine, suit la direction du vent. Il croit donc qu’il la rencontrera certainement à un moment ou un autre. 
Le deuxième homme, dont le pragmatisme est sûrement le plus vigoureux, s’en va contre le vent. Il espère découvrir l’origine de la vérité. 
Le troisième homme, dont le scepticisme est le plus influent, s’assied au pied de l’arbre, du côté où il ne peut pas sentir le vent.

Malgré la force du vent dans son dos, le croyant se demande si et quand il apercevra la vérité. Il doute. Mais ce doute renforce sa croyance. Il sent la proximité de sa confirmation : la vérité existe et est atteignable. Elle est aussi subjective, pense-t-il.
Contre le souffle de la vérité, le scientifique essaye de vérifier si la vérité existe, et si oui, si elle est abordable et originelle. Quoi qu’il arrive, si la vérité existe, elle doit être expérimentale et universelle, considère-t-il. Autrement, l’absence de vérité discréditerait son empirisme. 
La quiétude du sceptique semble paisible. Mais ses pensées ne trompent personne, pas même lui-même. La véracité, comme l’irréalité de la vérité, poserait un nombre infini de problématiques irrésolues, selon lui. Si la vérité se vérifie, par conséquent, seule l’expérience peut découvrir la vérité. Cependant, si la vérité est comparable au néant et si le néant se réduit à l’absence de réalité, alors la vérité est... absurde car indémontrable.

Le vent change de direction.


(Source : texte d'Alexandre Delearde sur Short-edition.com)

dimanche 3 janvier 2016

L'intelligence collective, c'est l'avenir


« Père Noël, vous avez 33 heures (compte tenu des fuseaux horaires) pour délivrer tous les cadeaux dans le monde entier. Or, depuis cinquante ans, le nombre d’enfants a augmenté de 60% et cet accroissement s’est fait surtout dans des pays très loin de vos bases. Comme vos rennes ne peuvent guère aller plus vite et que votre traîneau est de plus en plus lourd, votre système de livraison est condamné à moins que vous n’accordiez une plus grande place à la technologie : calcul par GPS des itinéraires, entrepôts régionaux de stockage, accords locaux pour les échanges…»
Très fier, un collaborateur d’Hercule Martin* présente au Père Noël la synthèse des travaux réalisés en équipe sur le thème : « la technologie peut-elle sauver le Père Noël ? »
Le Père Noël applaudit des deux mains et félicite l’équipe : « Merci pour toutes ces idées. Tout cela est utile, mais il y a un préalable pour que cela fonctionne.
En effet, j’ai constaté que toute équipe (et j’y inclus mes rennes et mes lutins) peut perdre, avec le temps, un peu de son enthousiasme chaque année. Donnez de l’attention, de l’humanité et manifestez de la compréhension pour redonner du souffle à chacun. 
Favorisez le travail en équipe : que chacun se sente libre et reconnu d’apporter son regard et sa créativité. Retenez que c’est dans le travail collectif que les petites idées font les grandes rivières.
C’est ainsi que les rennes et les lutins parviennent chaque année à m’aider à réussir mon action de la nuit de Noël. C’est aussi grâce à l’aide de tous les parents du monde et des distributeurs de jouets que nous réussissons à organiser des points locaux et le S.A.V.  
S’ils ne croyaient pas en mon projet m’aideraient-ils autant ? 
Alors arrêtez de porter le monde sur vos épaules ou de vous reposer uniquement sur la technique. Oui, la technologie peut m’aider !  Je suis aussi convaincu que la motivation de tous passe d’abord par l’intelligence collective !"
Et, c’est sous les applaudissements de tous, que le Père Noël prit congé de ses amis.        
* Chaque année, le Père Noël s’invite au pot du nouvel an organisé par Hercule Martin, Manager, pour son équipe. (cf. notre billet pour 2015 http://goo.gl/xFCgKO ).

Inspiré librement d’un billet de Frontier Economics