mardi 23 décembre 2008

Pittoresque !


Il y a une vingtaine d'années, aller chez Mc Do était une expérience originale et pittoresque : un personnel aimable et empressé, des locaux modernes et entretenus, des toilettes en bon état, bref un changement d'univers du café-bar à la française.

Aujourd'hui, tout cela s'est banalisé et plus grand monde ne voit Mc Do comme un lieu différent. Les jeunes cadres préfèrent aller chez Starbucks, les ados viennent y traîner leur ennui. Seuls les jeunes enfants en font encore un lieu de fête.

C'est au moment où vous croyez qu'il n'y a plus rien de pittoresque nulle part qu'il peut réapparaître de manière inattendu. Ce lundi, je me trouve dans un quartier animé de Paris en avance sur l'heure d'un rendez-vous. Où me réfugier en attendant le bon moment. Face à moi, un Mac Do et un café fermé. Un rapide regard dans Mc Do m'en fit m'éloigner (il y a de tout chez Mc Do, des bonnes choses comme des mauvaises, mais là c'est la foule qui m'a fait reculer). Je me rapproche du café fermé. Tout semble éteint, personne aux tables que je vois derrière les fenêtres. Toutefois, en m'approchant de plus près, je distingue deux personnes à l'intérieur, apparemment en train de consommer.

Je tente ma chance et je tire la porte : elle s'ouvre ! Le café est quasiment vide. En cherchant une table où m'installer confortablement (une table pour quatre, pas trop près de la baie vitrée, mais avec suffisamment de lumière du jour), je croise une date entre deux âges qui m'accueille aimablement. Je la salue, continue ma quête dans le dédale des coins et recoins et finalement m'affale sur un siège qui me convient.

La femme croisée vient me voir pour me demander ce que je souhaite. Un dialogue étonnant s'engage sur la base de la demande d'un thé.
"Un thé ? Quel thé ? J'en ai dix sept à vous proposer !"
"Disons un thé à la bergamote"
"…." (Avec une moue sur le manque d'originalité)
"Ou un thé russe"
"Il n'y a pas de plantation en Russie ! Voulez-vous un thé noir ? Un thé vert ? Un thé blanc ? Vous le voulez fort ? Relevé ? …"
Finalement j'hérite d'un Earl Grey (thé noir de Chine parfumé à la bergamote) un peu particulier avec un dernier conseil : "laissez infuser quatre minutes. Cela n'augment pas la teneur en théine, mais favorise le goût".

Etonné par ce service diligent et précis, j'observe le lieu où je suis. Peu de monde, de nombreuses personnes s'agglutinent contre la vitrine se demandant tout comme moi si le café était ouvert (deux couples vont même entrer et m'interroger à ce sujet).

Le service continue de la même manière. Ainsi, un homme entre et sans attendre un mot de la patronne-serveuse, lui déclare : "bonjour, je vais d'abord aux toilettes.." et la réplique fuse aussi sec : "C'est occupé, asseyez-vous, cela n'arrive pas plus vite de toutes façons". L'homme interloqué s'assoit et lâche un sonore "pittoresque !" avant de s'entendre dire : "l'habitude est de s'asseoir et de commander".

Un autre client demande un verre d'eau en complément de sa commande : "l'eau passe par le ballon d'eau chaude et le robinet. C'est pourquoi je ne sers pas de verre d'eau imbuvable".

La qualité est quand même bien là : à une jeune femme qui demande un crème, je suis étonné par la réponse "fort en lait ou fort en café ?" Cela vous parait normal ? Demandez un crème prochainement dans un café; Vous en connaissez beaucoup de cafés où le serveur vous demande votre dosage ?

Pittoresque le lieu !

PS : le thé était très bon.

samedi 20 décembre 2008

J'habite une ville où le piéton est virtuel

Connaissez-vous Second Life, cet univers où vous pouvez vous créer une identité virtuelle et rêvez d'une nouvelle vie ? Cet environnement virtuel vous permet d'agir (presque) à votre guise, de vivre et de faire vivre autour de vous des situations qui vous permettent d'exprimer vos talents ou vos désirs.

J'habite moi-même dans un endroit encore plus extraordinaire : une ville où le citoyen, le quidam, l'usager, le piéton sont virtuels. Une ville où toutes sortes d'expérience sont menées dans ce domaine. Une ville qui n'est sur internet ou dans un royaume imaginaire, une ville qui n'est pas la lubie d'un magnat quelque part dans le monde ou la création fantastique de Walt Disney & consorts, non, une vraie ville située à proximité de Paris.

De quoi suis-je en train de parler, me direz-vous ? Est-ce que je fabule, je rêve, je m'invente un monde imaginaire ? Peut-être, en tout cas il a la tête d'un univers bien réel et bien vivant.

Quelques exemples ?

Il était une fois une route très passante avec au bout un pont. Donc, quelques soient les moyens employés, il fallait passer le pont dans un sens ou dans un autre. Le trafic important causait parfois des accidents et mettait en danger la traversée par les piétons. "Situation inadmissible", dirent les élus ! "Qui va payer les impôts à leur place ?". De réunion en réunion, il fut décidé de mettre en œuvre de grands moyens avec notamment la construction d'un rond point à l'entrée de ce pont et des feux tricolores. Superbe ! Le trafic fut ralenti et les piétons purent traverser en paix. Malheureusement, ce ralentissement créa de gigantesques bouchons de part et d'autre. Il fallait choisir entre le trafic et les piétons. Il fut alors décider de supprimer le piéton, en lui interdisant de traverser au feu rouge. Les voitures pouvaient passer avec le flèche orange, quand au piéton, charge à lui de faire un grand détour par un passage souterrain. Disparu le piéton.

Il était une fois une gare de RER. Dans un souci d'améliorer la qualité du service, la Retepe décide de supprimer le guichet de vente (que les piétons usagers se débrouillent avec les sympathiques distributeurs) afin que ses agents puissent se consacrer entièrement à leur tâche de fond : l'information. Cela a duré quinze jours. Depuis ce temps, le guichet "information" est quasiment vide jour et nuit. Quasiment, car le guichetier est remplacé par un écran informatique qui affiche "pour les billets, utilisez les distributeurs automatiques à droite". Comme cela, le taux de mécontentement des usagers a baissé de 100% : il n'y a plus de mécontents puisqu'il n'y a plus d'agents pour les recevoir. Donc, voilà une gare vide, sans agents. Enfin, presque. Ils sont là, mais derrière une porte blindée. Un truc pour les voir ? Vous sonnez à l'interphone qui ouvre le large passage d'accès au quai pour les poussettes (entre autres). L'agent vous répond, éventuellement vient, puis redisparaît dans son trou. Qu'y fait-il ? Mystère ! En tout cas, la mairie appelle cela de l'amélioration de la qualité de service. Une précision : le fameux bouton d'appel ne se trouve pas à la hauteur du guichet d'information, mais à l'autre bout du hall; De quoi prendre le temps de réfléchir avant d'appeler…

Je vous ai dit que le piéton était un gêneur. Tenez prenez les vélos. Ce sont des voitures en plus écologiques. Donc il faut promouvoir le vélo. Oui, mais les vélos sont en danger sur la rue et gênent les voitures. Moralité : il faut leur donner de la place…sur les trottoirs. Ceux-ci sont alors découpés en deux, à charge pour les piétons de raser les murs, d'éviter les crottes de chien et de céder le passage aux vélos quand ils doivent empiéter sur la partie vélo pour éviter les poteaux divers qui se trouvent sur la partie "marche à pied".

Le piéton doit se faire rare dans ces conditions, me direz-vous. Surtout lorsque tout se met en œuvre pour limiter son intérêt à sortir. Prenez la Poste. Quand je suis arrivé dans cette commune, elle était ouverte de 8h à 19 h. Puis les horaires se sont progressivement réduits. A partir de Novembre, dans un souci de "meilleure qualité de service du public", une nouvelle avancée va permettre au bureau d'être ouvert de 9h à 12h et de 14h. à 18h30. Comme cela, ceux qui travaillent dans cette ville ne sont pas tentés d'aller se promener à la Poste à l'heure du déjeuner. Cela favorise la circulation des autos et des vélos. J'espère que le trafic va diminuer, sinon nous risquons une réduction de l'amplitude horaire.

Je vous rassure tout de même : les impôts ne sont pas virtuels.

vendredi 12 décembre 2008

Tant qu'il y aura des hommes


Tant qu'il y aura des hommes, il y aura besoin de se nourrir, de se vêtir, de voyager, de consommer. Tant qu'il y aura des hommes, il y aura une manière de consommer qui ne sera pas forcément écologique ou biodégradable. Alors ils jetteront leurs épluchures, déchets, emballages partout où ils seront. Bien sûr, il peut y avoir des poubelles, des tris sélectifs, des incitations à la propreté, à la bonne éducation, au civisme, au respect des autres…mais tous n'y seront pas sensibles. Certains feront tout de travers par mépris, d'autres par distraction, d'autres par indifférence, d'autres par vengeance…qu'importe, le résultat sera le même : il y aura des détritus un peu partout, dans la rue, dans les cages d'escaliers, dans les monuments, dans les lieux publics, dans les aéroports, dans les voitures,… bref, partout où vous êtes chez vous sans que cela vous appartienne en propre.

Cela arrive même dans les gares. Prenez une belle et grande gare. Pour rassurer le public et être plus disponible, l'agent a fait place à de belles machines automatiques : voulez-vous un billet ? L'automate est là, toujours souriant et accueillant ! Voulez-vous boire ? Des distributeurs de boissons vous tendent les bras ! Voulez-vous un renseignement ? Des panneaux immenses vous informent ! Vous cherchez votre wagon ? Un panneau lumineux vous indique où stationner sur le quai au centimètre près ! Et puis si après cela, vous êtes encore perdu, les autres voyageurs soudés par le destin de leur rencontre fortuite se feront un plaisir de vous guider, épauler, conseiller, orienter, accompagner…

Pourtant, au travers de cet univers automatique, les déchets continuent leur rôle de lien social. Je dirai même favorise l'élévation des hommes. Voulez-vous un témoignage ? Vous voici un matin de décembre dans une grande gare de province attendant votre train. Vous avez apprécié la courtoisie du distributeur automatique de billet, été charmé par les informations du panneau lumineux, ri jaune au composteur de billet, remercié le gentil indicateur d'emplacement des wagons qui vous a assigné une place sur le quai. Bref, la vie humaine chaleureuse et réconfortante comme vous l'aimez. Vous voilà maintenant attendant votre train où vous trouverez le même accueil : une place réservée indiqué par un numéro lumineux (nous sommes loin des petits billets disposés un par un dans le wagon), des annonces par haut parleur…

Soudain, comme venu d'un autre temps, deux personnes traversent votre champ de vision : un homme avec un gilet jaune muni d'une longue pince marche tranquillement sur les voies et ramasse avec sa longue canne les mille et un déchets de notre civilisation de la consommation : papiers, mégots, cannettes… A côté, mais lui sur le quai, son compère avec une veste qui a du être blanche, un drapeau rouge à la main et un cor sur le dos, l'accompagne, le surveille, le protège. Ces deux hommes remontent tranquillement la voie. Ils saluent au passage des collègues qui se hâtent fébrilement vers quelques destinations, s'excusent auprès de futurs usagers du train à venir de devoir leur demander de s'éloigner de vingt centimètres de leur point de rassemblement et continuent leur petit bonhomme de chemin.

Dans une époque où tout s'automatise, ils sont la présence rassurante que tout ne peut être automatisé. Grâce au déchet de notre consommation, nous donnons du travail aux uns et du lien aux autres. C'est promis, demain je jetterai mes déchets à même le trottoir. Je contribuerai ainsi au travail de mes congénères et à permettre au lent déplacement du balayeur dans l'espace de nous montrer la voie du travail à vitesse humaine.

dimanche 7 décembre 2008

C'est la faute au faux hêtre


- Chef, on a volé un arbre.
- Agent des jardins publics Gontran, buvez moins. Rappelez-moi quand vous sera à jeun.
- Chef, je n'ai pas beaucoup bu ce matin, enfin pas plus que d'habitude. Je vous écoute, chef. Mais on a réellement volé un arbre. J'ai regardé. J'ai même cherché à le toucher pour voir si ce n'est pas le brouillard ou un effet d'optique.
- Quel arbre a-t-on volé ?
- Le faux hêtre du Chili.
- Quoi ! Celui inauguré récemment par le ministre de l'écologie et de l'environnement, le maire de Paris et l'Ambassadeur du Chili ! Cela fait à peine un mois. A quelle heure avez-vous constaté cela ?
- Dans le milieu de la matinée. En faisant un tour, j'avais l'impression qu'il manquait quelque chose. J'ai trouvé. C'est cet arbre.
- Il faisait quelle taille déjà ?
- Trois mètres de haut ! Il avait fallu deux équipes de jardiniers et un camion grue pour l'installer.
- Alors, comment a-t-il pu se volatiliser ? Vous vous êtes renseignés si quelqu'un a vu quelque chose ?
- Personne n'a rien vu.
- Je préviens la police. Il y a un grand trou à la place ?
- Non, chef, pas de trou et c'est bizarre : la terre est dure.
- J'arrive !
Une heure plus tard, le responsable des parcs arrive accompagné de policiers. Ils ne peuvent que constater la disparition de l'arbre. L'enquête démarre mollement.
Le lendemain, tout s'accélère. La nouvelle étant parvenue jusqu'au ministère, le responsable des parcs reçoit un appel d'un conseiller du ministre :
- C'est quoi cette plaisanterie ?
- Ce n'est pas une plaisanterie, monsieur le conseiller. Un arbre a disparu.
- Vous vous rendez compte du scandale !
- Oui, mais nous faisons le nécessaire pour le remplacer.
- Vous n'y êtes pas ! Ce n'est pas un arbre comme les autres. En fait, le Chili hésite à nous acheter des chars Leclerc, ce char extraordinaire que nous n'arrivons à vendre personne. Même l'armée française n'a pas les moyens (ni l'envie d'ailleurs) de l'acheter. Tous les ministères sont mobilisés là-dessus. Cet arbre fait partie de notre stratégie pour amadouer les chiliens. Pour cela, nous avions choisi le jardin de l'Atlantique. Vous voyez le symbole ?
- "Oui, oui", dit le responsable en transpirant à grosses gouttes, "mais…je ne savais pas que le Chili était au bord de l'Atlantique ?"
- Oui, euh non, enfin ce n'est pas important, c'est un symbole. Ah, ça y est ! Oui effectivement, c'est sur le Pacifique. Vous avez un square du Pacifique ?
- Euh, non, mais on peut en changer un de nom, peut-être ?
- Trop tard. Je préviens l'Elysée.
Dès potron-minet le lendemain, plusieurs cars de gendarmes mobiles encerclent les lieux. Des hordes d'inspecteurs s'abattirent dans les logements et les bureaux qui entourent le parc, interrogeant toutes les personnes. Des spécialistes de la police scientifique analysent le sol à la recherche d'empreintes. Le mystère est total. Personne n'a rien vu. Le jardin est clos la nuit par de grandes grilles surplombées par des immeubles. Les films des caméras de vidéosurveillance sont formels : rien à signaler.


Dans le même temps, une équipe de professeurs du muséum des sciences naturelles sont convoqués : où et comment trouver un autre arbre similaire ? Leur réponse est unanime : cet arbre ne pousse qu'au Chili. En France (et en Europe), il y a de vrais hêtres, pas des faux. Donc il faut en acheter là-bas. Les services secrets reçoivent l'ordre de trouver un faux hêtre. Des avions-cargos militaires français partent discrètement en opération sur place, dans le cadre d'un soutien à des pécheurs de baleine en difficulté dans la région.

Malheureusement, suite à un banal contrôle de police, les agents se font prendre sur place avec l'arbre. Or, c'est une espèce protégée. Les mouvements écologistes montent au créneau parlant du piratage des arbres. Le scandale devient retentissant. Finalement, le Président de la République monte au créneau ("faut que je m'occupe de tout, ce n'est pas possible !") désavoue les ministres concernés (qui n'osent dire qu'ils ont suivi ses ordres) et finalement s'envole vers le Chili pour en finir avec cette querelle. Moyennant le prêt (gratuit) de deux chars Leclerc, la présidente du Chili accepte d'oublier l'incident et de regarder d'un œil favorable la candidature de la France à l'appel d'offres de l'armée chilienne. Les choses s'annoncent bien, parce que le choix du char est restreint à peu de concurrents : les Américains, les Russes, les Brésiliens, les Israéliens, les Chinois, les Anglais, les Allemands, les Indiens et Wallis et Futuna.

Sur ordre du Président, le ministre de l'environnement va rendre visite à l'Ambassadeur du Chili pour lui demander un nouvel arbre. Il s'engage à ce que l'arbre soit gardé 24/24 par l'armée. Celui-ci sourit et lui répond : "En fait, nous vous avions offert un faux hêtre. J'ai reçu l'ordre de l'acheter à Jardiland."
- Mais c'est du vol ! reprend le ministre.
- Quel vol ? Il y a bien marqué "faux hêtre du Chili" ? vous auriez replanté un hêtre français, il serait devenu naturellement un faux hêtre du Chili !

lundi 1 décembre 2008

Le grand chaperon rouge

Nul ne sait qui fut le plus surpris : le grand chaperon rouge ou le loup accompagné de son gardien lorsqu'ils se revirent bien des années plus tard. Depuis l'histoire du petit chaperon rouge et du grand méchant loup (vous en avez sûrement vu les images à la télévision à cette époque), il s'est écoulé de nombreuses années. Le petit chaperon rouge avait grandi et était devenue une superbe jeune fille, le grand chaperon rouge. Quant au loup, il était détenue dans un zoo de la région. Mais jamais, au grand jamais, le chaperon rouge avait eu envie de le revoir.

Et les voilà tous deux aujourd'hui qui se rencontre dans la salle d'attente des Perrault & Andersen, psychiatres, anciens chefs de clinique du même hôpital, celui de Grimm.

Malgré les années passées, ils se reconnurent au premier coup d'œil. Le loup avait vieilli, bien sûr, mais son œil et ses dents étaient toujours aussi vifs. Le petit chaperon rouge avait grandi de 30 centimètres, mais ils se revoyaient tous deux comme la dernière fois.

Ce fut le loup qui parla le premier. Le gardien du zoo qui l'accompagnait voulut le faire taire, mais le grand chaperon rouge, d'un petit geste, l'invita à parler.

- "Me voici maintenant devenu vieux; à l'heure de la fin, je voudrai trouver la sérénité en comprenant pourquoi j'ai voulu vous croquer, vous et votre grand-mère. Ce drame est arrivé il y a de nombreuses années, me tourmente toujours. Je suis content que vous alliez bien. Je me faisais du souci à ce sujet. Depuis, je cherche à comprendre pourquoi, au lieu e me contenter des animaux habituels, je me suis attaqué à vous, un enfant alors. Certains disent que c'est la nature. Cela ne me suffit pas. Pour moi et mes congénères, l'enfant est sacré, innocent et naïf. Ce n'est pas un acte de courage que de s'y attaquer. Notre code d'honneur ne nous en donne l'autorisation qu'en période de grande disette. En récompense de mon attitude au zoo, le directeur m'a permis d'avoir des séances chez un psychiatre renommé pour y voir plus clair. Et vous-même, pourquoi êtes-vous là ? "(vous observez que le loup vouvoyait le grand chaperon rouge.)

- "Je repense tout le temps à ce qui est arrivé." Répondit le grand chaperon rouge. " Je vais bientôt me marier et je ne veux pas transmettre mes peurs à mes enfants. Aussi, et c'est aussi ma première séance, je veux comprendre pourquoi cette méchanceté des animaux et de vous en particulier."

- "Ecoutez-moi, gardez ce qui fait votre fraîcheur et votre ouverture, c'est-à-dire votre innocence et votre candeur. Ne sous-estimez pas les conseils d'un vieux loup repenti. Prenez garde aux adultes humains. Beaucoup sont bons et quelques-uns sont très méchants. Nombre d'entre eux sont bons et méchants à la fois. Nous les animaux, nous agissons par instinct. Eux, ils se vengent souvent sur vous des malheurs de leur vie, voire de leur enfance. Ils profitent de votre ingénuité pour déverser leur agressivité sur vous. J'ai peut-être un regard noir, mais je sais ce dont je parle.

Je m'appelle "le loup". Aussi loin que je puisse remonter, je n'ai pas d'autres noms. Je viens ici pour sortir cette hargne, cette agressivité contre les autres. Il y a des millénaires que vos semblables disent que tout est de ma faute, que je suis la mal incarné. Et pourtant, j'aime les enfants. Mais à force de me faire chasser, de recevoir des pierres, des flèches ou des coups de fusil, je suis devenu méchant. Si j'ai mangé votre grand-mère et vous ai attaqué, c'est pour me venger de ce que vous avez fait de moi.

- "Ce que dites me touche beaucoup. Depuis cette période, j'ai beaucoup observé les gens autour de moi. Je regarde mes camarades, les autres enfants et les adultes qui vivent autour de nous. Je me pose la question : le vrai coupable es-ce bien vous ? Nous autres êtres humains sommes nous tous bons ? La violence des adultes est parfois pire que celle des loups. Vous, vous ne savez que mordre et croquer. Mais l'adulte humain ? Avec la voix, le ton, le verbe, il fait parfois beaucoup plus de mal. Les mots ne sont que des mots, mais ils vous touchent, ils vous blessent, ils entrent profondément en vous. C'est parfois très agréables à entendre. D'autres fois, c'est sacrément douloureux.

Vos morsures, les docteurs peuvent les soigner, les faire se cicatriser et les faire disparaître. Les coups de pattes de vos frères ou les coups de bâtons des adultes vous pouvez les esquiver. Les mots, eux, ils entrent en vous. Vous pensez les avoir oubliés, mais 10 ans, 20 ans, 30 ans plus tard ils sont toujours là. Ils agissent sournoisement au moment où vous y attendez le moins."

- "Ca c'est bien vrai" reprit le gardien du zoo qui écoutait attentivement la discussion."Je trouve que les animaux sont bien plus clair que nous autres adultes. Quand je vois comment les hommes tancent leurs enfants dans le zoo, je trouve que la violence des adultes est cruelle. L'oursonne, elle, demande simplement à manger et à dormir. Elle s'occupe de sa progéniture et ne les bat que s'ils désobéissent aux règles ancestrales. Les parents qui visitent le zoo continuent souvent leurs disputes familiales au sein du zoo et ce sont leurs enfants qui en pâtissent."

- "Comment faites-vous chez vous les loups pour éviter cette violence sous toutes ces formes ?" continua le grand chaperon rouge.

- "Nos parents nous enseignent la vie en communauté, la solidarité et surtout, surtout d'en parler. Ils nous apprennent à reconnaître les phases d'alarme et d'escalade quand l'émotion nous submerge et peut nous conduire à des gestes irraisonnées. C'est grâce à cela que nous autres, animaux, nous nous battons parfois pour savoir qui sera le chef, mais nous ne nous entretuons pas."

- "Nos parents nous enseignent" reprit le chaperon rouge"de nous taire et de respecter le adultes. Ils ont toujours raison, disent mes parents. Du coup, lorsque je me sens insultée ou méprisée, j'évite d'en parler, je veux même l'oublier et je culpabilise. Est-ce sain ? Est-ce comme cela que je veux élever mes enfants? Dois-je leur apprendre à exprimer par des mots cela ? C'est cela que je viens savoir. Je ne connais pas le docteur Perrault mais j'en ai eu de bons échos; Il paraît que c'est une femme. Elle saura me comprendre. Et vous, qui venez-vous voir ?"

- "Je viens voir aussi le docteur Perrault. L'ours qui vit près de moi au zoo s'est fait soigner par elle. C'est effectivement une femme. L'ours avait des complexes d'aimer trop le miel. Maintenant, il est plus à l'aise avec sa gourmandise."

A ce moment, la porte s'ouvrit, le docteur entra et avant d'avoir pu inviter la patiente suivante à entrer, le grand chaperon rouge se leva et cria "Oh grand-mère !!!".