vendredi 30 octobre 2015

Les trois cosmonautes

      

Il était une fois la Terre et il était une fois la planète Mars. Les hommes qui habitaient sur la Terre auraient bien aimé aller sur Mars et sur les autres planètes, mais elles paraissaient si lointaines !
      Malgré tout, ils se mirent au travail avec ardeur. Tout d’abord, ils lancèrent des satellites qui tournaient autour de la Terre pendant deux jours puis redescendaient. Ensuite, ils lancèrent des fusées.   Au début, on mit des chiens dans ces fusées. Ensuite, on trouva des hommes courageux qui voulaient bien être « astronautes, cosmonautes ou taïkonautes ».
      Un beau matin, trois fusées partirent de la Terre, de trois endroits différents.   Dans la première, se trouvait un Américain, dans la deuxième, il y avait un Russe et dans la troisième, un Chinois. Chacun des trois voulait arriver le premier sur Mars pour montrer qu’il était le plus fort. Comme ils ne se comprenaient pas, ils se croyaient différents.
       Ils étaient tous les trois très forts et arrivèrent sur Mars en même temps.
      Ils descendirent de leurs astronefs … et découvrirent un paysage merveilleux mais inquiétant : le sol était sillonné de longs canaux pleins d’une eau vert émeraude.
      Les cosmonautes contemplaient le paysage et s’observaient, mais chacun restait de son côté, tant ils se méfiaient les uns des autres. Puis la nuit vint. Il régnait un silence bizarre et la Terre brillait dans le ciel comme une étoile lointaine. Les cosmonautes se sentaient tristes et désemparés.   Ils comprirent tout à coup qu’ils pensaient la même chose et qu’ils éprouvaient le même sentiment. Alors ils se sourirent, se rapprochèrent, allumèrent ensemble un grand feu, et chacun chanta des chansons de son pays. Cela les réconforta et, en attendant le matin, ils apprirent à se connaître.
      Le matin arriva enfin. Il faisait très froid.
      Soudain, un Martien surgit d’un bouquet d’arbres. Il était vraiment horrible à voir ! Il était tout vert, il avait deux antennes à la place des oreilles, une trompe et six bras.
      Il les regarda et fit : « GRRRR ! » Dans sa langue, cela voulait dire : « Mon Dieu, qui sont ces affreuses créatures ? »  Mais les Terriens pensèrent que c’était un cri de guerre.
      Le Martien était tellement différent d’eux qu’ils ne cherchèrent ni à le comprendre ni à l’aimer. Ils tombèrent tout de suite d’accord pour l’attaquer.
      En face de ce monstre, leurs petites différences ne comptaient plus. Quelle importance s’ils ne parlaient pas la même langue ? Ils étaient tous trois des êtres humains. L’autre non. Il était trop laid.
      Et les Terriens pensaient qu’une créature aussi affreuse était forcément méchante.
      Ils décidèrent alors de le tuer avec leurs désintégrateurs atomiques.
      Mais tout à coup, dans le silence glacé du matin, un petit oiseau martien, sans doute échappé du nid, tomba sur le sol, tout tremblant de peur et de froid. Il piaulait désespérément, un peu comme un oiseau de la Terre. Il faisait vraiment pitié. L’Américain, le Russe et le Chinois, en le voyant, ne purent retenir une larme.
      À cet instant se produisit un fait étrange. Le Martien lui aussi s’approcha de l’oiseau, le regarda et laissa échapper deux filets de fumée de sa trompe. Et les Terriens comprirent soudain que le Martien pleurait. À sa façon, bien sûr, comme pleurent les Martiens.
      Puis on le vit se pencher sur l’oisillon et le prendre dans ses six bras en cherchant à le réchauffer.
      Le Chinois se tourna alors vers ses deux compagnons. « Vous avez compris ? leur dit-il. Nous croyions que ce monstre était différent de nous, et voilà qu’il aime les animaux, qu’il est capable d’être ému. Il a un cœur, et certainement aussi un cerveau ! »
           La leçon était claire : ce n’est pas parce qu’on est différent qu’on doit être ennemi. Ils s’approchèrent du Martien et lui tendirent la main.
      Et lui, qui en avait six, serra d’un seul coup la main des trois amis et, de ses mains encore libres, leur fit un grand salut.
      Puis, montrant la Terre, là-bas dans le ciel, il leur fit comprendre qu’il désirait y faire un voyage pour rencontrer ses habitants.  Tout contents, les Terriens dirent oui à ce projet.
      Et pour fêter l’événement, ils lui offrirent une petite bouteille d’eau bien fraîche qui venait de la Terre. Le Martien, tout heureux, aspira la boisson, et déclara que cette boisson lui plaisait beaucoup, même si elle lui faisait un peu tourner la tête.

      Mais désormais les Terriens ne s’étonnaient plus de rien…  Ils avaient compris que sur la Terre comme sur les autres planètes chaque être est différent des autres. Il suffit d’arriver à se comprendre.


 Source : Umberto Eco ; Eugenio Carmi, Les trois cosmonautes et autres contes, Grasset-Jeunesse, 2008

vendredi 23 octobre 2015

Conte du Burkinabe : les trois sourds


C’est l’histoire d’une femme. Elle était sourde, tellement sourde qu’elle n’entendait rien. Tous les matins elle portait son enfant sur son dos et elle se rendait à son champ. Elle avait un immense champ d’arachides. Et un matin qu’elle était là, tranquillement à travailler dans son champ, arrive un monsieur. Un monsieur tellement sourd qu’il n’entendait rien. Et ce monsieur cherchait ses moutons. Il s’adressa à la dame :  « Madame, je cherche mes moutons, leurs traces m’ont conduit jusqu’à votre champ. Est-ce que vous ne pourriez pas m’aider à les retrouver ? D’ailleurs, on les reconnaît bien mes moutons, parmi eux, il y a un mouton blessé. Madame si vous m’aidez à retrouver mes moutons, je vous donnerai ce mouton blessé, vous pourrez toujours vous en servir. »
Mais elle, n’ayant rien entendu, rien compris, elle a pensé que ce monsieur lui demandait juste jusqu’où son champ s’arrêtait. Elle se retourna pour lui dire : « Mon champ s’arrête là-bas. » Le monsieur a suivi la direction indiquée par la dame et par un curieux hasard il trouva ses moutons en train de brouter tranquillement derrière un buisson. Tout content il les rassembla et est venu remettre à la dame le mouton blessé.
Mais celle-ci, n’ayant rien entendu, rien compris, elle a pensé que ce monsieur l’accusait d’avoir blessé son mouton. Alors elle s’est fâchée : « Monsieur, je n’ai pas blessé votre mouton. Allez accuser qui vous voulez mais pas moi. D’ailleurs des moutons, je n’en ai jamais vus. »
Le monsieur quand il a vu que la femme se fâchait, il a pensé que cette femme ne voulait pas de ce mouton mais qu’elle voulait d’un mouton plus gros. Et à son tour, il se fâcha : « Madame, c’est ce mouton que je vous ai promis. Il n’est pas du tout question que je vous donne le plus gros de mes moutons. »
Tous les deux il se fâchèrent, ils se fâchèrent à un tel point qu’ils finirent par arriver au tribunal. Et le tribunal dans cette Afrique d’il y a longtemps, cela se passait sur la place du village, à l’ombre d’un grand arbre, l’arbre à palabres le plus souvent un baobab. Et le juge, lui qui était en même temps le chef du village il était là entouré de tout ces gens qu’on appelle les notables. La dame et le monsieur sont arrivés tout en continuant leur querelle.
Après les salutations c’est elle qui parla la première : « Ce monsieur m’a trouvé dans mon champ, il m’a demandé jusqu’où mon champ s’arrêtait. Je lui ai montré et j’ai repris mon travail. Ce monsieur est parti et quelques instants après il est revenu avec un mouton blessé m’accusant de l’avoir blessé. Or moi je jure que des moutons j’en ai jamais vus. Voilà pourquoi on est ici monsieur le juge. »
C’était au tour du monsieur : « Je cherchais mes moutons, dit-il, et leurs traces m’ont conduit jusqu’au champ de cette dame. A cette dame j’ai dit que si elle m’aidait à retrouver mes moutons je lui donnerais un d’entre eux mais j’ai bien précisé le mouton blessé. Elle m’a montré mes moutons, c’est ce mouton blessé que je lui ai donné. Elle veut un mouton plus gros. Pensez-vous que je vais lui donner le plus gros de mes moutons à deux pas de la fête des moutons ? »
Le juge se leva. Il était aussi sourd qu’un pot. Et quand il a vu l’enfant sur le dos de sa mère il a pensé qu’il ne s’agissait là que d’une petite querelle de ménage. Alors il s’adressa au monsieur: « Monsieur. Cet enfant est votre enfant. Regardez d’ailleurs comment il vous ressemble. A ce qu’il me semble vous êtes un mauvais mari. Et vous madame, des petits problèmes comme cela. Ce n’est pas la peine de venir jusqu’ici étaler ça devant tout le monde. Rentrez chez vous ! Je souhaite que vous vous réconciliez. »
Ayant entendu ce jugement, tout le monde éclata de rire. Et le rire contamine le juge, la dame et le monsieur. Que firent-ils ? Ils éclatèrent de rire bien que n’ayant rien compris. Et c’est à partir de là que le conte pose sa question : Le conte voudrait savoir, lequel de ces trois est le plus sourd ?
La Leçon
Il vaut mieux ne pas se dépêcher de donner une réponse. On conseille quelque part en Afrique, d’avoir le cou aussi long que celui du chameau, afin que la parole avant de jaillir puisse prendre tout son temps.


Source : http://www.bonaberi.com

vendredi 16 octobre 2015

Le bâton parfait


Walden ou la Vie dans les bois (titre original Walden; or, Life in the Woods) est un récit publié en 1854 par l'écrivain américain Henry David Thoreau (1817-1862). Le livre raconte la vie que Thoreau a passée dans une cabane pendant deux ans, deux mois et deux jours, dans la forêt jouxtant l’étang de Walden


Il était un artiste en la cité de Kouroo disposé à chercher la perfection. Un jour l’idée lui vint de fabriquer un bâton. Ayant observé que dans une œuvre imparfaite le temps entre pour élément, alors que dans une œuvre parfaite le temps n’entre pour rien, notre homme se dit : Il sera parfait de tout point, ne devrais-je faire d’autre chose en ma vie. Il se rendit sur l’heure dans la forêt en quête de bois, résolu à ne pas employer de matière mal appropriée ; et dans le temps qu’il cherchait, rejetant branche sur branche, ses amis un à un le délaissèrent, attendu qu’ils vieillissaient au milieu de leurs travaux et mouraient, alors que lui pas un moment ne prenait d’âge. L’unité de son dessein et de sa résolution, jointe à une piété élevée, le dotait, à son insu, d’une perpétuelle jeunesse. N’ayant fait aucun compromis avec le Temps, le Temps se tenait à l’écart de sa route, soupirant seulement à distance, incapable qu’il était de le soumettre. Il n’avait pas trouvé de souche de tout point convenable que la cité de Kouroo était une ruine chenue, et c’est sur l’un de ses tertres qu’il s’assit pour peler la branche. Il ne lui avait pas donné la juste forme que la dynastie des Kandahars était à son déclin et que du bout de la branche il écrivit le nom du dernier de cette race dans le sable, puis se remit à l’ouvrage. D’ici à ce qu’il eût adouci et poli le bâton Kalpa n’était plus l’étoile polaire ; et il n’y avait pas encore mis la virole ni la pomme adornée de pierres précieuses que Brahma s’était-il éveillé puis endormi maintes fois. Mais pourquoi m’attardé-je à parler de ces choses ? Lorsque la dernière touche fut mise à son œuvre, celle-ci soudain s’éploya sous les yeux de l’artiste surpris en la plus pure de toutes les créations de Brahma. En faisant un bâton, il avait fait un nouveau système, un monde de larges et belles proportions ; dans lequel toutes passées que fussent cités et dynasties anciennes, de plus pures et plus glorieuses avaient pris leurs places. Et voici qu’il s’apercevait au tas de copeaux encore frais à ses pieds, que, pour lui et son œuvre, le premier laps de temps avait été une illusion, qu’il ne s’était écoulé plus de temps que n’en demande un simple scintillement du cerveau de Brahma pour tomber sur l’amadou d’une cervelle humaine et l’enflammer. La matière était pure et son art était pur ; comment le résultat pouvait-il être autre que merveilleux ?

lundi 12 octobre 2015

Conte russe : une punition terrible


Un moujik s’en alla au marché et acheta de la viande ; mais on le trompa sur le poids et la qualité.
Aussi en s’en allant injuriait-il le marchand.

Le tzar le rencontra et lui demanda : "pourquoi l’injuries-tu ? "
Le moujik répondit : " parce que l’on m’a trompé ; j’ai payé le prix de trois livres de viande et l’on ne m’en adonné que deux, et encore de la mauvaise."
Le tzar lui dit : « retournons au marché : tu me montreras qui t’a trompé »
Le moujik revint avec le tzar et lui désigna le marchand.   
Le tzar fit peser devant lui la viande et constata que le poids n’y était pas. Le tzar dit alors : « eh bien, comment veux-tu que je punisse de ce marchand ?
-          Ordonne, répondit le moujik, qu’on prélève sur lui la quantité de viande qu’il me doit.
-           C’’est bien, dit le tzar, prends ce couteau et ôte une livre au dos du marchand. Seulement, fais bien attention que le poids soit juste, car si tu coupes plus ou moins de viande, tu seras puni ! »
Le moujik ne répondit rien et s’éloigna.


Extrait des Contes de Leon Tolstoï (1828 – 1910)  

lundi 5 octobre 2015

Conte de Sicile : les mangeurs de mots


La Sicile accueille en ce moment beaucoup de migrants. Avant d’être une terre d’accueil, la Sicile a longtemps été elle-même une terre de migrants qui partaient chercher fortune ailleurs dans l’espoir de survivre. Ce conte nous le rappelle.     

Cinq pêcheurs vivaient dans un petit village sur une île de la Méditerranée. Ils se connaissaient depuis l’enfance, étaient amis et travaillaient ensemble sur le même bateau. Cette année-là, le poisson était devenu rare et les cinq hommes ne ramenaient que des filets vides.

Pour déjeuner, ils devaient se contenter d’un morceau de pain accompagné de quelques olives, qu’ils mâchaient le plus longuement possible pour se donner l’illusion qu’ils faisaient un long repas.

Un jour, l’un des cinq pêcheurs raconta aux autres sa soirée de la veille : "Comme vous le savez tous, ma femme est une excellente cuisinière. Elle connaît mille recettes, toutes meilleures les unes que les autres. Hier au soir, elle en avait utilisé une dont elle a le secret pour préparer un poulet à la tomate. C’était si délicieux, que j’en ai repris 3 fois ! Il suffit que j’en parle, pour en avoir encore l’eau à la bouche !"

Les quatre autres se regardèrent sans comprendre. Comment leur ami parvenait-il à s’offrir du poulet, quand la pêche rapportait si peu ?!
Le lendemain, à l’heure du déjeuner, ce dernier déclara qu’il n’avait pas faim.
- Hier, dit-il, ma femme avait cuisiné un gros lapin en sauce accompagné de polenta. J’en ai tellement mangé que je ne peux plus rien avaler aujourd’hui !... Les autres pêcheurs s’interrogèrent encore.
Comment leur ami pouvait-il s’acheter du lapin, alors que les filets étaient constamment vides ?

Giuseppe, ainsi s’appelait-il, prit alors l’habitude de raconter chaque jour son dîner de la veille. Tous les meilleurs plats y sont passés. Au bout d’un mois, les quatre autres n’en pouvaient plus.
Ils en parlèrent à leurs épouses. Celles-ci eurent alors l’idée d’aller voir la femme de Giuseppe.

A leur retour, les maris furent immédiatement informés que chez Giuseppe le feu n’avait pas été allumé depuis un mois !
Alors, quand vint l’heure du déjeuner, le lendemain sur le bateau, les quatre hommes demandèrent à Giuseppe, pourquoi il leur racontait des histoires. 


Giuseppe eut si honte, que des larmes lui sont montées aux yeux.
- Si je vous ai menti, leur dit-il, c’est parce que je n’avais rien et que je rêvais de festins ! Je croyais presque à ce que je vous racontais et ainsi, j’étais moins malheureux !...
- Nous ne t’en voulons pas et nous te comprenons, car nous souffrons de ce même manque !

Pour finir, les cinq pêcheurs décidèrent que chacun à tour de rôle, ils raconteraient ce qu’ils n’avaient pas eu la chance de manger la veille.
C’est ce qu’ils firent en attendant que leurs filets fussent de nouveau lourds de bons poissons.
Et durant cette période difficile, ils trompèrent leur faim ... en se gavant de mots !



Source : http://lartdubonheur.over-blog.com/article-mangeurs-de-mots-conte-sicilien-84179886.html