vendredi 28 août 2015

Conte de Blanche-Neige revisité



Il était une fois une jeune fille au teint de lys, aux cheveux noirs comme l'ébène et aux lèvres rouge sang, qui s'appelait Blanche Neige. Un jour qu'elle cherchait du travail, elle trouva au détour d'une forêt une petite entreprise, qui ne payait pas de mine, mais qui ne nécessitait pas non plus de gros investissements de départ. Ayant réuni ses maigres économies, obtenu l'aide aux demandeurs d'emploi repreneurs d'entreprise, et convaincu un banquier entreprenant, elle la racheta et se lança dans l'aventure d'en faire une entreprise saine.

Car là était bien la difficulté : si la production était acceptable, la maintenance laissait franchement à désirer, entraînant des défauts de qualité en cascade. Le premier problème qu'il lui fallait résoudre était donc d'obtenir de son personnel un effort important sur l'hygiène corporelle et l'ordre des locaux. Le "staff" comprenait 7 personnes, plus notre héroïne ; elle eut vite fait de s'apercevoir que parmi eux, il y avait :
  •        un ingénieur maison pontifiant
  •          un hypocondriaque allergique
  •          un introverti maladif
  •          un extraverti exubérant
  •          un contestataire né
  •          un imbécile congénital
  •          et un endormi tire-au-flanc

Elle eut fort à faire pour remettre chacun à son travail, et obtenir d'eux qu'ils se lavent et nettoient l'atelier. A l'ingénieur, elle fit des schémas mettant en évidence les vertus de l'hygiène ; à l'hypocondriaque, elle démontra l'influence de la poussière sur le rythme de ses éternuements ; à l'introverti, elle parla au creux de l'oreille et en tête à tête ; à l'extraverti, elle raconta une histoire drôle; elle embrigada le contestataire en le mettant publiquement au défi de se laver ; l'imbécile, elle le prit par les sentiments ; quant à l'endormi, elle laissa faire les autres…

Au bout d'une semaine, elle était exténuée, mais ils étaient propres, et l'atelier rutilait. Ces difficultés de maintenance levée, la production retrouva son meilleur niveau, et les indicateurs passèrent au beau fixe. Elle put par la suite revendre l'entreprise en engrangeant une jolie plus-value, et se constituer ainsi une dot tout à fait séduisante pour un beau prince charmant… mais ceci est une autre histoire !


Conclusion de cette fabulette : sachez vous arranger du savoir-être de ceux qui vous entourent.  

Source : APL

vendredi 21 août 2015

Histoire du méchant petit garçon

Il y avait une fois un méchant petit garçon qui s’appelait Jim. Sa mère ne se tourmentait pas outre mesure à son sujet. Elle avait coutume de dire que s’il se cassait le cou, ce ne serait pas une grande perte. Elle l’envoyait coucher d’une claque, et ne l’embrassait jamais, pour lui souhaiter bonne nuit. Au contraire, elle lui frottait les oreilles quand il la quittait pour dormir.

Avec lui, rien ne se passait comme dans les livres d’histoire. 

Un jour ce méchant petit garçon vola la clef de l’office, s’y glissa, mangea de la confiture, et remplit le vide du pot avec du goudron, pour que sa mère ne soupçonnât rien. Il n’eut aucun remords, comme il est de tradition dans les livres de contes, et se mit à rire. Quand elle découvrit la chose, il affirma qu’il ignorait ce qu’il en était. 

Un autre jour, il grimpa sur le pommier du fermier voisin, pour voler des pommes. La branche ne cassa pas. Il ne tomba pas et ne se cassa pas le bras. Oh  non ! Il prit autant de pommes qu’il voulut, et descendit sans encombre. Rien de semblable jamais dans les livres d’école.

Il déroba, une autre fois, le canif du maître d’école, et, pour éviter d’être fouette, il le glissa dans la casquette de Georges Wilson, le fils de la pauvre veuve Wilson, le jeune garçon moral, le bon petit garçon du village. Quand le canif tomba de la casquette, et que le maître en colère l’accusa, on ne vit pas apparaître soudain, l’attitude noble, au milieu des écoliers, un improbable juge de paix, pour dire : « Épargnez ce généreux enfant. Voici le coupable et le lâche. »  Non. Les choses se seraient passées ainsi dans les livres, mais ce ne fut pas ainsi pour Jim. Aucun juge ne tomba là pour tout déranger. Et l’écolier modèle Georges fut battu.  

Il y avait dans la vie de Jim, quelque chose de magique. C’est sans doute la raison. Rien ne pouvait lui nuire. Il donna même à un éléphant de la ménagerie un paquet de tabac au lieu de pain, et l’éléphant, avec sa trompe, ne lui cassa pas la tête. Il alla fouiller dans l’armoire pour trouver la bouteille de pippermint, et ne but pas par erreur du vitriol. Il déroba le fusil de son père et s’en alla chasser; le fusil n’éclata pas en lui emportant trois ou quatre doigts.

Et il grandit et se maria, et eut de nombreux enfants. Et il s’enrichit par toutes sortes de fourberies et de malhonnêtetés. Et à l’heure actuelle, c’est le plus infernal damné chenapan de son village natal, il est universellement respecté, et fait partie du parlement.

Mark twain (1835-1910)

vendredi 14 août 2015

Soyez chasseur d'images !


Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son cœur pur, son corps léger comme un vêtement d’été. Il n’emporte point de provisions. Il boira l’air frais en route et reniflera les odeurs salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d’ouvrir les yeux. Les yeux servent de filets où les images s’emprisonnent d’elles-mêmes.

La première qu’il fait captive est celle du chemin qui montre ses os, cailloux polis, et ses ornières, veines crevées, entre deux haies riches de prunelles et de mûres.

Il prend ensuite l’image de la rivière. Elle blanchit aux coudes et dort sous la caresse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le ventre, comme si on jetait une pièce d’argent, et, dès que tombe une pluie fine, la rivière a la chair de poule.

Il lève l’image des blés mobiles, des luzernes appétissantes et des prairies ourlées de ruisseaux. Il saisit au passage le vol d’une alouette ou d’un chardonneret.

Puis il entre au bois. Il ne se savait pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd aucune sourde rumeur, et, pour qu’il communique avec les arbres, ses nerfs se lient aux nervures des feuilles.

Bientôt, vibrant jusqu’au malaise, il perçoit trop, il fermente, il a peur, quitte le bois et suit de loin les paysans mouleurs regagnant le village.

Dehors, il fixe un moment, au point que son œil éclate, le soleil qui se couche et dévêt sur l’horizon ses lumineux habits, ses nuages répandus pêle-mêle.

Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe et longuement, avant de s’endormir, il se plaît à compter ses images.

Dociles, elles renaissent au gré du souvenir. Chacune d’elles en éveille une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente s’accroît de nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour chantent le soir, à l’abri du danger, et se rappellent aux creux des sillons.



Jules Renard  (1864-1910)

jeudi 6 août 2015

Conte de la lune

Une histoire extraite d’un très beau livre (Prix Pulitzer 2014, le prix le plus prestigieux aux USA)


Ma mère m’a raconté, datant de l’époque où elle accompagnait ses parents aux concours hippiques quand elle était petite : « c’était beaucoup de déplacements, dix heures de traversée d’un pays parfois difficile. Des grandes roues, des arènes de rodéo couvertes de sciure, le tout dans l’odeur du pop-corn et du fumier. 
Un jour, on était à San Antonio (USA) et j’ai eu un petit élan de nostalgie –je voulais ma chambre, mon chien, mon lit-  alors papa m’a soulevée en l’air sur le champ de foire et m’a suggéré de regarder la lune. Quand tu te sens nostalgique, m’a-t-il dit, lève les yeux parce que la lune est la même où que tu ailles. 
Alors après sa mort (ses parents sont morts dans un accident), quand j’ai du aller chez tante Bess (la tante qui l’a recueillie) et même maintenant, en ville, quand je vois une pleine lune, c’est comme si elle me disait de ne pas regarder en arrière ni de me sentir triste, je suis chez moi là où je me trouve. »