mercredi 31 mars 2021

L’ours que personne n'écoutait


J’ai un petit problème, dit l’ours. Je peux…

— Mais bien sûr ! Sois le bienvenu ! s’écria l’inventeur. Ne me dis rien, je sais exactement ce dont tu as besoin. Un gros ours comme toi rêve de légèreté !

Il fit le tour de son atelier et saisit deux belles ailes qu’il attacha solidement dans le dos de l’ours.

— Hum, marmonna l’ours au bout d’un moment.

Et il se remit en route.

 

— J’ai un petit problème, dit l’ours. Je peux…

— Entre, entre ! s’écria le tailleur. Je vois qu’on a déjà des ailes, c’est la grande mode, très chic. Ne me dis rien, je sais exactement ce dont tu as besoin.

Rapide comme l’éclair, il enroula une longue écharpe en soie autour du cou de l’ours.

— Hum, marmonna l’ours au bout d’un moment.

Et il se remit en route.

 

— J’ai un petit problème, dit l’ours. Je peux…

— Quelle tête ! Mais regardez-moi cette tête ! s’écria le chapelier. Ne me dis rien, je sais exactement ce dont tu as besoin. Avec une tête pareille, il te faut…

Il regarda un à un les chapeaux exposés sur ses étagères, et s’empara d’un chapeau en forme de couronne, dont il coiffa la tête de l’ours.

— Hum, marmonna l’ours au bout d’un moment.

Et il se remit en route.

 

... 


Arrivé au sommet d’une petite colline, l’ours fit une pause.

Il contempla longuement les prés, les champs, les toits de la ville.

Il était fatigué.

L’ours détacha ses ailes.

Il enleva son chapeau et ses lunettes.

Il ôta son écharpe et son porte-bonheur.


 

Puis il soupira.

 

— Ça ne va pas ? demanda une petite voix près de lui.

Posée sur un brin d’herbe, une mouche le regardait avec curiosité.

— Ah, je n’ai pas besoin de tout ça ! dit l’ours. Seulement voilà, personne ne m’écoute jamais.

— Moi, je suis là, dit la mouche, et je t’écoute. Alors, qu’est-ce qui ne tourne pas rond ?

— J’ai un petit problème… dit l’ours. J’ai peur dans le noir, tout seul dans ma tanière. Et je ne connais pas un ours alentour, ni personne d’autre, qui veuille bien dormir avec moi. Alors toute la journée, je pense à la nuit qui m’attend.

— C’est vrai que c’est un problème, dit la mouche. Mais je crois avoir la solution. Figure-toi que je cherche justement un endroit où habiter. Une tanière d’ours, ce doit être confortable. Je suis partante ! Qu’est-ce que tu en penses ?

— Hum, marmonna l’ours au bout d’un moment. J’avoue que je me sens déjà mieux depuis que tu es près de moi.

 

La mouche se posa sur l’épaule gauche de l’ours et ils se mirent en route, tous les deux.

 

 Source : Retrouvez lensemble du texte et les merveilleuses illustrations dans le livre : 
Heinz Janisch
L’ours que personne n’écoutait 
Zürich, NordSud, 2009

jeudi 25 mars 2021

Gulnara la guerriere


Gulnara et ses sœurs vivaient dans une yourte (une tente arrondie) de la vaste plaine de Mongolie en Asie, en compagnie de leur père et d’un cheval alezan. Un jour, un messager vint ordonner à tous les hommes de partir combattre dans  l’armée du Grand KHAN.

-       Mais je suis un vieil homme, dit le père de Gulnara. Je ne vous serai jamais d’aucune utilité.

-       Un ordre est un ordre, répondit le messager. Obéis ou les hommes du Khan viendront te trancher la gorge.

-       Ne vous inquiétez pas père ! dit alors sa fille aînée. J’irai à votre place.

 

Elle prit l’arc et l’épée de son père, sauta sur le cheval alezan et partit au galop. Elle chevaucha jusqu’à la Montagne de Fer. Mais un renard noir maléfique avec une queue de trois lieues (12 km) de long lui barra soudain le passage.  Le cheval alezan recula de terreur et retourna au grand galop à la yourte.

-       Laissez-moi y aller, père ! dit la deuxième fille.

Elle prit à son tour l’arc et l’épée de son père, sauta sur le cheval alezan et partit au galop.  Elle arriva à la Montagne de Fer.  Un énorme loup avec une queue de trois lieues de long lui barra le passage. Pris de terreur, l’alezan retourna à nouveau à la yourte.

Le père se mit à gémir.

-       Ce n’est pas un travail de femme. Et si je n’y vais pas, les hommes du Khan me trancheront la gorge.

Gulnara s’avança alors.

-       Bien que je sois la plus jeune, dit-elle, je suis plus grande et plus forte que mes sœurs. Je suis sure de pouvoir franchir la Montagne de Fer.

Armée de l’arc et des flèches, Gulnara sauta sur l’alezan et partit au galop.

Elle était arrivée à la Montagne de Fer lorsqu’un cerf immense lui barra la piste. Sa monture se cabra.

-       Reste tranquille, murmura Gulnara, afin que je puisse placer une flèche sur mon arc. Ses mots calmèrent son cheval. Gulnara visa et toutes ses flèches touchèrent leur but.  La créature s’écroula, morte.  Triomphante, Gulnara s’engagea dans le passage. Soudain, le ciel s’assombrit ; un immense cygne descendit vers elle. Gulnara saisit une flèche mais le cygne lui dit :

-       Ne me tue pas ! je viens te remercier d’avoir tué le cerf maléfique qui me retenait. Prends une de mes plumes et tu auras mes pouvoirs. Gulnara vit une plume tournoyer et tomber. Elle la ramassa et la glissa sous sa chemise, puis traversa la montagne.


Le Grand Khan festoyait dans sa tente de fer lorsque Gulnara y pénétra.

-       Quelle déesse es-tu, hurla-t-il, pour ne pas t’incliner devant moi ?

-       Je ne suis pas une déesse, je suis une jeune fille et je ne m’incline devant personne. Je suis venue combattre comme vous l’avez ordonné.

-       Je n’ai demandé aucune femme. De toute façon, mes armées sont déjà en route pour combattre Kuzlun Khan.

-       Alors je ferais bien de me dépêcher pour les rattraper, dit-elle.


Elle se précipita hors de la tente et partit au grand galop.  A la tombée de la nuit, elle rejoignit l’armée du Grand khan au bord d’une rivière aux eaux déchainées.  Sur l’autre rive se trouvaient les tentes de l’armée de Kuzlun Khan.

-       Comment traverserons-nous ? s’inquiétaient les généraux.

Gulnara serra la plume qu’elle avait reçue du cygne, s’envola au-dessus de la rivière et alla se poser près de la tente de Kuzlun Khan. Celui-ci parlait avec sa femme. 

-       Nous traverserons la rivière par le pont en crin de cheval, au Peuplier de Fer, disait-il.

-       Mais que se passera-t-il si les hommes du Grand Khan trouvent le pont en premier ? demanda-t-elle.

-       Alors, je transformerai nos armées en cendres, moi-même en chameau, toi-même en fer et notre fille en bouleau (arbre).


Gulnara revint sur l’autre rive et reprit sa forme humaine.  Elle réveilla les généraux et guida l’armée jusqu’au pont. Dans le camp ennemi, ils ne trouvèrent que des cendres, un chameau, du fer et un bouleau.

-       Tu t’es moquée de nous ! rugirent les généraux.

Alors Gulnara attacha le chameau à son cheval, glissa le fer dans sa poche, les cendres dans les fontes (poches) de sa selle, et prit le bouleau sous son bras. Puis elle alla les présenter au Grand Khan et tout reprit forme humaine : Kuzlun Khan, sa femme, sa fille et ses soldats.

-       Gulnara, que devons-nous faire ? demandèrent les Khans.

-       La paix vaut mieux que la guerre ! dit-elle. Soyez amis.

Alors, les deux Khans devinrent amis, et Gulnara put rentrer chez elle sur son cheval alezan.

 

Source : enseignons.be

vendredi 19 mars 2021

Les trois vérités du serin


Un chasseur prit au piège un petit oiseau couleur jaune, un serin. Il allait le tuer pour le faire cuire lorsque le petit oiseau s’adressa à lui : 

– Regarde-moi ! Vois ! Tu ne feras de moi qu’une bouchée. Laisse-moi la vie sauve et je te révélerai trois vérités qui te seront utiles dès demain et tout au long de ton existence. 

– Comment te croirai-je ? répliqua la chasseur. Ce n’est qu’une ruse, un mensonge éhonté de ta part, pour avoir la vie sauve !

– Non, non ! jura l’oiseau. Je t’assure ! Je te dirai la première vérité lorsque je serai encore dans ta main; la deuxième une fois perché sur ton épaule et tu pourras toujours m’attraper facilement; et la troisième dès que je serai là-haut sur la branche, dans l’arbre, toujours à ta portée. 

Le chasseur jugea le marché équitable.

– C’est d’accord, fais-moi entendre la première vérité. 

– Si tu perds quelque chose, lui dit le serin, tu ne dois jamais le regretter, car la vie doit aller de l’avant, et non s’encombrer du passé. Que demain ne soit pas l’otage d’hier, car vivre dans le passé, être dans la nostalgie, c’est oublier le présent et se fermer les portes du futur… Vivre, c’est vivre l’instant présent. 

Le chasseur réfléchit et trouva que c’était une bien belle vérité. Combien de gens ne cessent de ressasser le passé “avant, c’était mieux !”. Et il en faisait partie…

Il tint donc parole et laissa l’oiseau s’envoler vers l’arbre voisin.

– Si l’on te raconte quelque chose d’absurde ou d’invraisemblable, lui cria le serin, refuse toujours de le croire, à moins qu’on ne t’en donne une preuve éclatante. Fais confiance mais vérifie par toi-même et multiplie tes sources. 

Le chasseur acquiesça avec force car combien de ses semblables ne prennent plus le temps de réfuter, de vérifier, d’argumenter et d’arrêter de vivre des “abrégés du vrai”…

Sur ce, l’oiseau s’envola hors d’atteinte et commença à rigoler, à rire et à se moquer du chasseur. 

– Comme tu es bête et comme je t’ai bien eu ! Sache qu’il y a dans mon cœur deux diamants pesant chacun plus de cinquante grammes. Non seulement si tu me tuais, ils étaient à toi… tu serais riche, et en plus tu te serais fait plaisir en te délectant de ma chair tendre et parfumée… Mais tu m’as laissé partir !

Fou de rage, le chasseur s’en arracha les cheveux en regrettant de ne pas avoir tué l’oiseau. Puis il dit au serin : 

– Je le savais, je le savais ! Tu vois, la vie n’est qu’un mensonge. Mais au moins, tu as la vie sauve, en contrepartie, révèle-moi au moins la troisième vérité !

– Pour quoi faire, lui répliqua le serin, puisque tu n’es qu’un idiot qui ne met pas en pratique ce que nous venons de dire ? Je t’avais dit de ne jamais rien regretter, et tu regrettes déjà ton geste de m’avoir libéré. Je t’avais dit de ne pas croire des choses invraisemblables, et tu as cru qu’un petit oiseau comme moi, qui ne pèse pas plus de quinze grammes dans ta main, peut renfermer deux diamants de cinquante grammes. Pauvre fou ! 

Mais voici tout de même la troisième vérité qui te concerne plus que tout autre et concerne tous tes semblables : tu crois à ce que tu as envie dentendre et cest comme cela que tu taveugles et que tu tabuses tout seul. 

Sur ces belles paroles, le petit serin s’envola à tout jamais…

 

Source : https://apprendreaeduquer.fr/

jeudi 11 mars 2021

Conte de mars



Mars est un mois qui n’a pas un bon nom.
En fait, les gens le croient un peu fou mais en réalité, Mars est comme un jeune garçon quelque peu inconstant tel Jean qui rit ou Jean qui pleure. A certains moments, il fait très beau, à d’autres, il fait tempête. Il ne faut jamais s’y fier et nul ne peut jamais prévoir ce qu’il nous réserve comme surprises.
Pour vous faire connaître son caractère, je vais vous raconter l’histoire de Mars aux prises avec un berger ou mieux encore, un berger aux prises avec Mars.
Alors qu’il s’en allait faire paître son troupeau de moutons, un berger rencontra Mars sifflotant et tout guilleret en ce début de mois. Il venait de succéder à Février et il était heureux d’être là.
- " Bonjour pasteur, dit le mois nouveau. Vers quels verts pâturages t’en vas-tu avec tes moutons ? "
- " Aujourd’hui, répond le vieil homme, je vais dans la montagne. "
- " C’est très bien ! " lui dit Mars avec une étincelle coquine dans le regard.
Mais le pasteur qui est un très vieil homme plein d’expérience se méfie et comprend sans peine les intentions de Mars. Au lieu de monter dans la montagne, il s’en va dans la plaine.

Le soir en rentrant vers la bergerie, il rencontre Mars trempé des pieds à la tête et avec les cheveux en bataille.
- " Alors, quelles nouvelles de cette journée ? " demande Mars au pasteur.
- " Rien de bien spécial. Je suis allée dans la plaine et il a fait un temps superbe. ".
Mars se mord les lèvres pour ne rien dire et avec son plus joli sourire il demande au pasteur :
- " Et demain ? Où comptes-tu aller ? "
- " Demain ? Je retourne dans la plaine. L’herbe est grasse et mes brebis semblent l’apprécier. "
- " Tu fais bien. " dit le jeune homme sur un ton malicieux.

Le lendemain matin, Mars se précipite vers la plaine afin d’y faire une tempête. Mais notre pasteur au lieu d’aller dans la plaine, grimpe dans la montagne avec son troupeau. Le soir, lorsqu’il retrouve Mars, celui-ci est tout refroidi. Mais il essaye de n’en laisser rien paraître. Il lui demande sur un ton suave :
- " Et alors, aujourd’hui ? Comment cela a-t-il été ? "
- " Aussi bien que possible. Je suis allé sur la montagne et il y avait un très beau soleil. "
Mars fait la moue.
- " Et demain ? Où iras-tu ? " demande-t-il ?
- " Demain, je retourne dans la plaine ; j’ai vu ce soir certains nuages derrière la montagne et il se pourrait qu’il pleuve. Je ne veux pas prendre de risques. "
- " Bien pensé ! " dit le jeune homme.

Le jour suivant il va donc dans la plaine pour y faire des bourrasques alors que notre berger grimpe allègrement dans la montagne avec ses moutons. Cela dure pendant trente jours et jamais Mars ne parvient à surprendre le pasteur avec une bonne averse.
Le soir du trentième jour, le pasteur dit à Mars :
- " A présent, il n’y a plus à se méfier du temps. Demain Avril commence et je peux dormir tranquille. J’irai dans la montagne. A présent, le temps est bon. On va vers la bonne saison. "
Mars en entendant ces paroles se précipite chez son frère et lui demande de lui faire un plaisir, un cadeau, juste pour une fois.
- " Prête-moi un jour, mon cher frère. J’ai besoin de voir un pasteur demain et je voudrais lui faire un présent. "
Avril qui est un mois très serviable et qui a un cœur bon accepte sans se douter du dessein de son frère.
- " Prends-le ce jour, je te l’offre, pour toujours. "

Le lendemain, Mars va dans la montagne. Il amène avec lui la grêle, le vent, la pluie et même la neige. Il déchaîne les éléments et notre pasteur se retrouve tout trempé et ses moutons avec lui.
Le soir, lorsque Mars s’approche du feu auprès duquel le berger se réchauffe et fait sécher ses vêtements, il ne peut s’empêcher d’arborer un superbe sourire.
- " Eh bien, berger ! Comment c’est passée ta journée ? "
- " Mal, très mal, répond le berger tout dépité. Il a fait du vent, de la pluie de la grêle et même de la neige. Je ne comprends pas comment le mois d’Avril... "
Mais il ne peut terminer sa phrase car Mars part d’un éclat de rire et lui raconte tout en hoquetant sous l’effet de son rire comment son frère lui a donné un jour.
-" Maintenant, dit-il, je n’aurai plus trente jour mais bien trente et un. Souviens t’en berger pour l’année prochaine... "

Et il s’en va laissant la place au mois d’avril.

 

Source : http://www.contes.biz/conte-374-Le_mois_du_mars.html

 

mercredi 3 mars 2021

La soupe aux cailloux (version Zen)




 Une variante Zen d’une histoire russe (ou l’inverse)

 

Trois moines, Hok, Lok et Siew, cheminaient sur une route de montagne parlant de tout et de rien, de la couleur du soleil, des vertus de la générosité. 

    « Siew, qu’est-ce qui rend heureux ? » demanda Hok, le plus jeune des moines. 

    « On va voir », répondit le vieux Siew, le plus avisé des trois. 

    Le tintement d’une cloche attira leur attention sur les toits d’un village situé en contrebas. L’apercevant de tout là-haut, ils ignoraient que ce village avait connu bien des malheurs. La famine, les inondations, la guerre avaient frappé ses habitants, qui se méfiaient désormais de tout étranger, leurs voisins eux-mêmes leur paraissant suspects. 

    Ces villageois travaillaient dur, mais chacun pour soi. 

    Il y avait un fermier. 

    Un marchand de thé. 

    Un lettré. 

    Une couturière. 

    Un médecin. 

    Un menuisier… 

    … et bien d’autres encore. 

    Mais ils ne communiquaient guère entre eux. 

    Quand les moines arrivèrent au pied de la montagne, les habitants avaient disparu. Chacun était rentré chez soi, personne ne vint les accueillir à la porte de l’enceinte. Et, lorsqu’on les vit entrer dans le village, chacun ferma soigneusement ses volets. Les moines frappèrent pourtant à la porte d’une première maison. Mais ils n’obtinrent aucune réponse, et les lumières s’éteignirent. Ils frappèrent à une autre porte, sans plus de résultat. Et il en fut partout de même. 

    « Ces gens ne savent pas être heureux », se dirent-ils alors. 

    « Mais aujourd’hui, ajouta Siew, le visage radieux, nous allons leur apprendre à faire la soupe aux cailloux. » 

    Ils ramassèrent des brindilles et des branches, puis allumèrent un feu, sur lequel ils placèrent une petite marmite d’étain qu’ils avaient remplie d’eau tirée au puits du village. 

    Une petite fille qui les observait s’approcha courageusement. 

    « Que faites-vous ? » demanda-t-elle. 

    « Nous ramassons du petit bois », répondit Lok. 

    « Nous faisons du feu », précisa Hok. 

    « Nous faisons de la soupe aux cailloux et nous aurions besoin de trois pierres rondes et polies », ajouta Siew. 

    La petite fille aida les moines à trouver dans la cour les bonnes pierres qu’ils mirent ensuite à cuire dans l’eau. 

    « Ces pierres feront une excellente soupe, dit Siew, mais j’ai bien peur qu’on ne puisse pas en faire beaucoup dans cette petite marmite. » 

    « Ma mère en a une plus grosse », remarqua la fillette. 

    Et la petite fille courut chez elle. Comme elle emportait la marmite, sa mère lui demanda ce qu’elle faisait. 

    « Les trois étrangers font de la soupe aux cailloux, répondit-elle. Ils ont besoin de la plus grosse de nos marmites. » 

    « Hum, dit la mère, les pierres, ça se trouve facilement. J’aimerais bien savoir comment ils font. » 

    Les moines attisaient le feu. Comme la fumée se répandait, les voisins mirent le nez à la fenêtre. Ce feu et cette grande marmite au milieu du village, c’était une vraie curiosité ! Un à un, les villageois sortirent de chez eux pour voir ce que pouvait bien être cette soupe aux cailloux. 

    « Évidemment, la vraie soupe aux cailloux doit être bien assaisonnée avec du sel et du poivre », dit Hok. 

    « C’est exact, approuva Lok, tout en brassant l’énorme marmite emplie d’eau et de pierres. Mais nous n’en avons pas. » 

    « Moi, j’en ai », dit le lettré, les yeux brillants de curiosité. 

    Et il disparut avant de revenir avec du sel, du poivre et même quelques autres épices. 

    Siew goûta la soupe. « La dernière fois que nous avons eu des pierres à soupe de cette taille et de cette couleur, nous y avons mis des carottes qui en ont fait un potage délicieux. » 

    « Des carottes ? dit une femme derrière eux. Je dois en avoir quelques-unes ! Mais juste quelques-unes. » 

    Elle partit en courant puis revint avec autant de carottes qu’elle pouvait en porter et les jeta dans la marmite. 

    « Croyez-vous que ce serait meilleur avec des oignons ? » demanda Hok. 

    « Oh oui, un oignon donnerait sans doute du goût », dit un fermier, qui disparut aussitôt. Peu après, il revint avec cinq gros oignons qu’il jeta dans la soupe bouillonnante. « Voilà une bonne soupe ! » dit-il, et tous les villageois approuvèrent, car l’odeur était très agréable. 

    « Si seulement nous avions quelques champignons ! » dit Siew en se frottant le menton. Plusieurs villageois se pourléchaient déjà. Certains s’éclipsèrent alors et revinrent avec des champignons frais, des nouilles, des cosses de petits pois et des choux. 

    Quelque chose de magique naissait dans l’esprit des villageois. L’un avait à cœur de donner, le suivant donnait plus encore. La soupe enrichissait au fur et à mesure, et son odeur était de plus en plus délicieuse. 

    « L’Empereur, j’imagine, suggérerait qu’on y ajoute des boulettes », dit un villageois. 

    « Et du tofu ! » fit un autre. 

    « Pourquoi pas des champignons noirs, des haricots mungo et des ignames ? » crièrent plusieurs autres. 

    « Et des taros, du melon d’hiver, du maïs nain », ajoutèrent d’autres encore. 

    « De l’ail ! » « Du gingembre ! » « De la sauce de soja ! » « Des boutons de lys ! » 

    « J’en ai ! J’en ai ! » hurlaient les gens, et ils couraient chercher tout ce qu’ils pouvaient rapporter. Les moines brassaient la soupe bouillonnante. Comme elle sentait bon ! Comme elle allait être délicieuse ! Comme les villageois étaient devenus généreux ! 

    Enfin la soupe fut prête. Et tous se réunirent. Ils apportèrent du riz, des petits pains, des litchis, des gâteaux, du thé, et allumèrent des lanternes. 

    Puis ils se mirent à table. Même en remontant très loin dans leurs souvenirs, ils ne se rappelaient pas s’être jamais réunis pour une telle fête. Après avoir bien mangé, ils se racontèrent des histoires, chantèrent des chansons et firent la fête jusque tard dans la nuit. Enfin, ils ouvrirent leurs portes, invitant les moines chez eux et leur offrant des chambres confortables pour y dormir. 

    Le lendemain, par un joli matin de printemps, tous se réunirent près de saules pour se saluer. 

    « Merci de nous avoir invités, dirent les moines, vous avez été très généreux. » 

    « Merci à vous, répondirent les villageois. Avec tout ce que vous nous avez donné, nous ne manquerons jamais de rien. Vous nous avez montré que le partage nous rend tous plus riches. » 

    « Eh oui, firent les moines, être heureux, c’est aussi simple que de faire la soupe aux cailloux. »

 

Source : https://contesarever.wordpress.com/2013/02/10/la-soupe-aux-cailloux/