dimanche 27 décembre 2015

La ronde sous la cloche


Douze magiciens dansaient une ronde sous la grosse cloche de Saint-Jean. Ils évoquèrent l'orage l'un après l'autre, et du fond de mon lit je comptai avec épouvante douze voix qui traversèrent processionnellement les ténèbres.

Aussitôt la lune courut se cacher derrière les nuées, et une pluie mêlée d'éclairs et de tourbillons fouetta ma fenêtre, tandis que les girouettes criaient comme des grues en sentinelle sur qui crève l'averse dans les bois.
La chanterelle de mon luth, appendu à la cloison, éclata ; mon chardonneret battit de l'aile dans sa cage ; quelque esprit curieux tourna un feuillet du Roman de la Rose qui dormait sur mon pupitre.

Mais soudain gronda la foudre au haut de Saint-Jean. Les enchanteurs s'évanouirent frappés à mort, et je vis de loin leurs livres de magie brûler comme une torche dans le noir clocher.

Cette effrayante lueur peignait des rouges flammes du purgatoire et de l'enfer les murailles de la gothique église, et prolongeait sur les maisons voisines l'ombre de la statue gigantesque de Saint-Jean.

Les girouettes se rouillèrent ; la lune fondit les nuées gris de perle ; la pluie ne tomba plus que goutte à goutte des bords du toit, et la brise, ouvrant ma fenêtre mal close, jeta sur mon oreiller les fleurs de mon jasmin secoué par l'orage.


C’est en 1842, dans l’indifférence générale et grâce au sculpteur David d’Angers que fut publié « Gaspard de la nuit », recueil de poèmes en prose d’Aloysius Bertrand (1807-1841)   

vendredi 18 décembre 2015

La nuit avant Noël


Voici le tout premier conte du Père Noël, d'après Clément Clarke Moore, publié pour la première fois dans le journal Sentinel, de New York, le 23 décembre 1823. Le dessin ci-dessus est l’une des premières représentations imagées du Père Noël (dessin de Robert Weir en 1838).

C'était la nuit avant Noël, dans la maison tout était calme. Pas un bruit, pas un cri, pas même une souris !
Les chaussettes bien sages pendues à la cheminée attendaient le Père Noël. Allait-il arriver ?
Les enfants blottis dans leur lit bien au chaud rêvaient de friandises, de bonbons, de gâteaux.
Maman sous son fichu, et moi sous mon bonnet et tous prêts à dormir toute une longue nuit d'hiver.


Dehors, tout à coup, il se fit un grand bruit!
Je sautais de mon lit, courais à la fenêtre, j'écartais les volets, j'ouvrais grand la croisée.
La lune sous la neige brillait comme en plein jour.
Alors, parut à mon regard émerveillé, un minuscule traîneau et huit tout petits rennes conduits par un bonhomme si vif et si léger qu'en un instant je sus que c'était le Père Noël!
Plus rapides que des aigles, ses coursiers galopaient, lui il les appelait, il sifflait, il criait:
"Allez Fougueux, allez Danseur, Fringant et puis Renarde, En avant Comète! Cupidon en avant, Tonnerre, Éclair, allons, allons Au-dessus des porches, par delà les murs ! Allez ! Allez plus vite encore !"


Comme des feuilles mortes poussées par le vent, passant les obstacles, traversant le ciel, les coursiers volaient au-dessus des toits, tirant le traîneau rempli de jouets
Et, en un clin d'oeil, j'entendis sur le toit le bruit de leurs sabots qui caracolaient. L'instant qui suivit le Père Noël d'un bond descendait par la cheminée.
Il portait une fourrure de la tête aux pieds, couverte de cendres et de suie, et, sur son dos, il avait une hotte pleine de jouets comme un colporteur avec ses paquets.
Ses yeux scintillaient de bonheur, ses joues étaient roses, son nez rouge cerise, on voyait son petit sourire à travers sa barbe blanche comme neige.
Un tuyau de pipe entre les dents, un voile de fumée autour de la tête, un large visage, un petit ventre tout rond qui remuait quand il riait; il était joufflu et rebondi comme un vieux lutin. Je n'ai pu m'empêcher de rire en le voyant et d'un simple clin d'oeil, d'un signe de la tête il me fit savoir que je ne rêvais pas : c'était lui !
Puis, sans dire un mot, il se mit à l'ouvrage et remplit les chaussettes. Il se retourna, se frotta le nez et d'un petit geste repartit par la cheminée.
Une fois les cadeaux déposés, il siffla son attelage, puis reprit son traîneau et les voilà tous repartis plus légers encore que des plumes
Et dans l'air j'entendis avant qu'ils disparaissent : "Joyeux Noël à tous et à tous une bonne nuit"



Un petit point d’histoire : le Père Noël va concurrencer ou prendre la place de Saint Nicolas qui est représenté avec une grande barbe et une cape de couleur rouge.  Cette légende de saint Nicolas se greffe sur le mythe germanique du Dieu Odin, capable de voler dans les airs sur son cheval à huit pattes… Ce qui va inspirer le fameux traîneau du Père Noël, tiré par huit rennes.

vendredi 11 décembre 2015

Conte africain : trous blancs, trous noirs...


Tierno Bokar est un maître spiritel soufi d’origine africaine. Ses œuvres, pleines de sagesse ont été traduites par Amadou Hampaté Bâ..

 « Les hommes, dit le sage, sont entre eux comme des murs situés face à face. Chaque mur est percé d’une multitude de petits trous ou nichent des oiseaux blancs et des oiseaux noirs. Les oiseaux blancs représentent nos bonnes pensées et paroles, alors que les oiseaux noirs sont à l’opposé, les mauvaises pensées et mauvaises paroles. Les oiseaux blancs, en raison de leur forme, ne peuvent entrer que dans des trous d’oiseaux blancs, et il en va de même pour les oiseaux noirs qui ne peuvent nicher que dans les trous d’oiseaux noirs.

Prenons deux ennemis Youssouf et Ali. Un jour, Youssouf, persuadé qu’Ali lui veut du mal, se sent empli de colère à son égard et lui envoie une très mauvaise pensée. Ce faisant, il lâche un oiseau noir et, du même coup, libère un trou correspondant. Son oiseau noir s’envole vers Ali et cherche, pour y nicher, un trou vide adapté à sa forme. Si de son coté, Ali n’a pas envoyé d’oiseau noir vers Youssouf, c’est à dire qu’il n’a émis aucune mauvaise pensée et qu’aucun des trous noirs n’est vide. Ne trouvant pas à se loger, l’oiseau noir de Youssouf sera obligé de revenir vers son nid d’origine, ramenant avec lui le mal dont il était chargé, mal qui finira par ronger et par détruire Youssouf lui-même.

Mais imaginons qu’Ali a lui aussi émis une mauvaise pensée. Ce faisant, il a libéré un trou où l’oiseau noir de Youssouf pourra entrer afin d’y déposer une partie de son mal et y accomplir sa mission de destruction. Pendant ce temps, l’oiseau d’Ali volera vers Youssouf et viendra se loger dans le trou libéré par l’oiseau noir de ce dernier. Ainsi les deux oiseaux noirs auront atteint leur but et travailleront à détruire l’homme auxquels ils étaient destinés.

Mais une fois leur tâche accomplie, ils reviendront chacun à leur nid d’origine, car il est dit: « Toute chose retourne à sa source ». Le mal dont ils étaient chargés n’étant pas épuisé, ce mal se retournera contre leurs auteurs et achèvera de les détruire.

L’auteur d’une mauvaise pensée, d’un mauvais souhait ou d’une malédiction est donc atteint à la fois par l’oiseau noir de son ennemi et par son propre oiseau noir lorsque celui-ci revient vers lui. La même chose se produit avec les oiseaux blancs.

Si nous n’émettons que de bonnes pensées envers notre ennemi alors que celui-ci ne nous adresse que de mauvaises pensées, les oiseaux noirs ne trouveront pas de place ou loger chez nous et retourneront à leur expéditeur. Quant aux oiseaux blancs, porteurs de bonnes pensées que nous lui avons envoyées, s’ils ne trouvent aucune place libre chez notre ennemi, ils nous reviendront chargés de toute l’énergie bénéfique, dont ils étaient porteurs…. »


vendredi 4 décembre 2015

Conte russe :le petit poisson d'or



 Jadis vivaient un vieil homme et sa femme. Ils logeaient dans une masure en terre battue.  Le vieil homme était pêcheur. Pendant qu'il pêchait, sa femme filait, assise à son rouet. Au moment où commence cette histoire, rien n'allait. Le vieil homme avait beau s'obstiner, il ne pêchait plus rien. Un matin, il jeta son filet.  
Le filet fut si lourd à remonter que le vieil homme faillit tomber à l'eau en tentant de le sortir. Quelle ne fut pas sa déception lorsqu'il ne vit frétiller au milieu des mailles qu'un tout petit poisson, pas plus gros que le petit doigt, mais brillant comme s'il était d'or pur. 
 « Laisse-moi retourner dans la mer », dit alors le poisson, « je te récompenserai en exauçant chacun de tes voeux ». Le vieil homme sursauta.
  « Eh bien, soit, va-t'en ! Nage où bon te semble, dit-il en jetant le petit poisson dans les vagues bleues. Le vieil homme rentra chez lui. Sa femme l'attendait. Il lui raconta sa rencontre avec le poisson doré.
  « Quel imbécile tu fais ! » s'écria-t-elle.  « Tu pouvais au moins demander un baquet neuf ! »
Le vieil homme retourna sur le rivage.   « Joli petit poisson doré », appela- t-il en direction des vagues. « Viens, je t'en prie, je dois te parler. » La mer s'agita et le petit poisson doré sortit des profondeurs.
  «. Ma femme, soupira le vieil homme, dit que nous avons besoin d'un baquet ».
  « Rentre chez toi, dit le poisson, un baquet se trouve facilement ». En approchant de sa masure, il la vit laver le linge dans un magnifique baquet neuf. Mais au lieu d'avoir l'air réjouie, elle était furieuse.
  « Triple sot ! Tu ne pouvais pas au moins demander une maison neuve ?» Le vieil homme soupira et retourna lentement au bord de la mer. 
  « Poisson, joli petit poisson doré, murmura- t-il, ma femme désire une maison neuve ».
  « Rentre chez toi, répondit aimablement le poisson, j'espère que ta femme sera satisfaite ».
  Le vieux pêcheur se dépêcha de rentrer. A la place de leur vieille masure en terre battue, il vit une belle maison de bois avec un toit solide. Sa femme l'attendait, furieuse, à l'entrée, assise sur un banc.
   « Tu n'es qu'un nigaud ! Qu'il garde sa maison, je préfère un château ! »
 Le vieil homme retourna vers la mer.
 « Poisson, joli poisson, appela-t-il d'une voix timide, ma femme veut un château ».
« Retourne chez toi, dit le petit poisson, ta femme sera satisfaite ». Le vieil homme rentra chez lui tout penaud. De loin, il aperçut le palais. Il était tout de marbre et d'albâtre. Sa femme, fière comme un paon, donnait des ordres à une multitude de valets.  
 « C'est moi », lui dit-il d'une voix tremblante en serrant son chapeau dans ses mains. « Es-tu satisfaite maintenant ? » La vieille femme le regarda avec mépris.
  « Que veux-tu, misérable ? Retourne à l'écurie ! Change le fumier, porte de l'eau et de la nourriture aux chevaux ». Les yeux du pauvre pêcheur se remplirent de larmes. Qu'était devenue sa douce épouse ? Une harpie sans coeur ! Mais, déjà, obéissant aux ordres de la méchante femme, un valet le frappait à coup de fouet, et il dut se rendre à l'écurie. Une semaine passa... puis une autre... Cette nouvelle vie plaisait infiniment à la femme du pêcheur. Un jour, elle en eut assez de changer sans cesse de parures et fit chercher le vieux pêcheur à l'écurie.
  « Par ta faute, dit-elle d'une voix désagréable, je ne suis qu'une comtesse insignifiante. Tu aurais dû demander au poisson de me faire tsarine ! »
 Le pauvre pêcheur n'avait plus qu'à obéir.
   « Poisson, joli poisson doré, ma femme veut devenir tsarine », dit-il en rougissant de honte.
  « Je vais t'aider », répondit le poisson, « Ta femme le sera, mais c'est la dernière fois, je ne veux plus jamais entendre parler d'elle ».
En rentrant chez lui tout heureux, devant lui se dressait un palais merveilleux, tout de dorures, brillant de mille feux.
  « Tsarine, dit-il avec respect à sa femme devenue la tsarine, j'espère que vous êtes satisfaite de votre vieux et stupide mari. Je pense que vous saurez récompenser mes efforts.  
  « Disparais de ma vue, misérable ! » hurla la vieille femme à son adresse. « Ne vois-tu pas que je gouverne ? » Elle claqua des doigts et des gardes attrapèrent le vieil homme par le col et le jetèrent dehors. Une semaine passa... puis une autre... et la vieille femme se lassa d'être tsarine. Elle ordonna aux gardes d'aller chercher son mari.
  « Retourne voir ton poisson doré », hurla- t-elle dès qu'il eut franchi la porte, « Dis-lui que je veux devenir reine de toutes les mers et de tous les océans ! »
Que faire ? Il avait honte, mais n'avait pas d'autre solution que d'obéir à sa femme. À voix basse, il appela le poisson. L'horizon devint noir comme l'encre, le vent hurla et la mer se déchaîna.
  « Que me veux-tu encore ? » demanda le poisson en colère.
  « Ma désire devenir la reine de la mer. » Le poisson ne répondit pas, il donna un coup de nageoire sur l'eau et disparut. Un éclair alors illumina le ciel et un violent coup de tonnerre retentit.
  « Ma femme va être contente », se dit le vieux pêcheur en prenant le chemin du retour, le joli petit poisson doré va sûrement exaucer son voeu. Il dut se frotter les yeux pour le croire : là où se dressait le palais aux magnifiques coupoles, il n'y avait plus qu'une pauvre masure en terre battue ! Sa vieille femme, vêtue de guenilles, lavait dans un baquet troué quelques linges déchirés. Elle ne se lamentait pas, elle ne criait pas. Sur son visage ridé coulaient des larmes amères. La vie est ainsi faite : qui veut trop, n'a rien.



Conte d’Alexandre Sergueïevitch  POUCHKINE