jeudi 28 novembre 2019

Marcher est à nul autre pareil



Quatre personnages anonymes, une femme, un soldat, le joueur et le vieil homme, réunis par l'aventure de l'espace quotidien le découvrent au fur et à mesure qu'il s'étend devant eux : le plus proche devient un paysage lointain, un terrain vague devient l'immensité, une étendue dénudée le désert. A chaque pas naissent des paysages inconnus, c'est le regard qui les fait apparaître. Les endroits les plus banals deviennent des terres inconnues. Lors de ce périple, à l’initiative du vieil homme, il quitte le confort du voyage en voiture pour marcher. 


Il dit « la partie de plaisir est terminée. A partir de maintenant le voyage continue à pied. A partir d’ici, nous allons marcher et non plus rouler. Dans tous ces véhicules, il n’y a aucun départ, aucun changement de lieu, nulle sensation d’arriver. En roulant, même lorsque c’était moi qui conduisais, je n’étais pas vraiment en route. 

Quand je roulais, jamais ce qui me fait être moi ne m’accompagnait. Rouler me réduit à un rôle qui m’est contraire : en voiture, figure pour vitre-arrière, en vélo, porte-guidon et tourne-pédale. Marcher. Fouler le sol. Rester les mains libres. Rouler ou n’être véhiculé qu’en cas de nécessité. Les endroits vers lesquels on m’a roulé, je n’y suis jamais allé. On ne peut les retrouver qu’en marchant. Ce n’est que dans la marche que les espaces s’ouvrent et que dansent les espaces intermédiaires. Ce n’est qu’en marchant que je tourne avec les pommes dans l’arbre. 

Une tête ne pousse que sur les épaules de celui qui marche. Seul le marcheur sent un élan qui lui traverse le corps. Seul le marcheur saisit le grand arbre dans l’oreille – le silence ! Seul le marcheur se rattrape et s’atteint lui-même. Seul vaut ce que pense le marcheur. Nous allons marcher. La marche veut qu’on marche. Il ne faut pas que vous marchiez comme marchent ceux, la plupart, dont on voit que la marche est contrainte et fortuite. 

Marcher, c’est le plus libre des jeux. Allons. Partons d’ici. La bénédiction du lieu est une bénédiction de marche. O mon immortel appétit de marcher, de sortir de l’endroit, de continuer à marcher de toute éternité ».  

Source : Peter Handke, L’absence, Folio (1993)

mercredi 20 novembre 2019

Journalistes humains, j’adore l'expression

Un extrait du très beau livre « Croire au merveilleux » de Christophe Ono-dit-Biot (Gallimard, 2017)

"A l’Entreprise (magazine où travaille le personnage principal du livre), on cherchait des idées. Mais ouvrir des horizons dans un pays obsédé par ses racines et persuadé de sa décadence était une tâche de Sisyphe. A l’heure de la dépendance à l’immédiateté, l’information n’informait plus. 

Et trop vite l’actualité devenait inactuelle : la suivre, c’était mourir d’essoufflement. Il fallait donc la devancer, couper par d’autres chemins moins autoroutiers. Être buissonnier, peut-être pirate, proposer un regard, un ton, un style, des histoires différentes. 

Notre monde en regorgeait. Et le besoin de récits, d’oxygène narratif, n’avait jamais été aussi grand dans un monde paradoxalement rétréci par l’hyper communication. Il fallait juste prendre le temps, écouter, en finir avec l’impatience qui épuisait, le désenchantement qui gagnait. Prendre de la hauteur ou voler sous les radars, avoir l’œil de l’aigle. 

Certains de mes collègues, essorés par les cadences et le manque à gagner, s’étaient rendus à la prophétie selon laquelle notre métier allait disparaître. Dans une conférence de rédaction, une jeune pigiste du servi High-Tech avait rétorqué à ces Cassandre qu’il fallait se réjouir que des programmes soient aujourd’hui capables de rédiger 36.000 articles en une soirée pour donner les résultats d’une cantonale à mesure qu’ils tombaient. « Ça libère du temps pour que les journalistes humains puissent se consacrer aux analyses ». 

Journalistes humains, j’adorais l’expression."    

jeudi 14 novembre 2019

Le symbole

Dans l’Antiquité, on appelait « symbole » un fragment de poterie qui liait deux êtres humains. 

Lors d’un serment d’amitié ou la conclusion d’un contrat, on brisait le fragment en deux et chacune des parties prenait un morceau précieusement transmis de génération en génération, et voué à être réuni à l’autre moitié quand les aléas de la vie -revers de fortune ou besoin d’assistance- l’imposeraient. Leur emboîtement parfait attestait d’une origine commune. 

On ne voulait rien savoir d’autre. 

Avec les dieux pour témoins, personne n’aurait osé mettre en doute le « symbolon »

Source : Christophe Ono-Dit-Biot « Croire au merveilleux », Gallimard (2017)

jeudi 7 novembre 2019

La vie est comme une tasse de café

Un groupe de jeunes gens, dont chacun menait une brillante et prospère carrière, décida un jour de rendre visite à leur vieux professeur d’université. Très rapidement la conversation tourna autour du stress au travail et dans la vie, et chacun s’en plaignait amèrement.
Voulant leur offrir du café, le professeur se rendit dans la cuisine et revint avec une cafetière pleine et une grande variété de récipients et de tasses, en porcelaine, en plastique, en carton, en verre et en cristal. Certaines de ces tasses avaient une forme quelconque et d’autres semblaient plus raffinées et de valeur. Le professeur leur demanda de se servir eux-mêmes du café.
Lorsque tous les étudiants eurent leur tasse de café entre les mains, le professeur leur dit ceci : « Vous remarquerez que vous avez tous choisi les tasses les plus raffinées ou les plus chères, laissant de côté les plus ordinaires ou celles qui n’ont aucune valeur. Même si c’est normal de vouloir choisir ce qu’il y a de mieux pour vous-même, ce choix est la source de vos problèmes et de votre stress. Il est évident que la tasse en elle-même n’apporte aucune qualité supplémentaire à la saveur de votre café. La tasse est souvent une dépense inutile et parfois elle cache ce que l’on boit ».
« Ce que vous vouliez vraiment c’était du café, mais pas la tasse. Pourtant vous avez choisi consciemment les plus belles tasses, puis vous avez aussitôt comparé votre tasse à celle des autres. Apprenez que la vie est comme le café, alors que le travail, l’argent, et le statut social sont des tasses. Celles-ci ne sont que des outils pour mieux comprendre la vie, et le type de tasse que nous possédons ne peut pas changer la qualité de la vie que nous désirons vivre ou que nous vivons ».
« Parfois, nous nous concentrons tellement sur la tasse, que nous oublions la saveur du café. Donc apprenez à savourer le café et pas la tasse !  Les personnes les plus heureuses ne possèdent pas toujours ce qu’il y a de mieux dans la vie. Elles jouissent cependant de tout ce qu’elles possèdent et ceci sans envie ni jalousie. Vivez donc avec simplicité et aimez avec générosité. Parlez avec gentillesse et respect ».