mercredi 30 janvier 2008

Les murs en tremblent encore


Les murs en tremblent encore et moi aussi; il fat que le débat a été passionné. Ce soir, on parlait de géopolitique (c'est du moins ce que j'ai compris). Il faut dire qu'ils avaient mis les petits plats dans les grands. Plein de monde. Ils ont même rappelé en renfort certains de mes collègues en congés.

La salle s'est vite remplie. Cela a commencé tambour battant. Ah oui, au fait, j'ai oublié de me présenter. Je suis la "114" ! Oui, la "114", enfin la chaise "114" si vous préférez. Pourquoi je m'appelle comme cela ? Parce que je suis étiqueté "114" à l'inventaire. C'est cela l'état civil des chaises mobiles.

Revenons à notre débat. Donc un monsieur (je ne vois rien, surtout lorsque quelqu'un s'installe sur moi, mais j'entends) a annoncé la soirée en précisant que l'orateur fait de la géopolitique et qu'il avait besoin de sous (lui ou le géopoliticien ?) Puis, un autre homme, que tout le monde appelait le "maire" a refait le même discours; lui n'avait pas besoin de sous, mais de voix. Enfin, une dame a représenté le géopoliticien, en précisant qu'elle avait de sous et de voix (adhésion). Après tout cela je me demandais ce qu'allait raconter l'orateur.

Premier constat, l'orateur n'avait besoin ni de sous, ni de voix. Deuxième constat : ce qu'il a dit était passionnant, vu que la salle est restée silencieuse durant son discours, ce qui n'a pas empêché les uns et les autres de se trémousser sur leur siège en signe d'accord et de désaccord (je sais reconnaître cela à la manière dont nous grinçons).

Essayons de résumer : Il y a une ville qui est convoitée par beaucoup de monde depuis longtemps. Chaque tendance a ses partisans, ses ennemis et une foule d'arguments. Qui a raison ? Cela n'a aucune importance, a-t-il dit, parce que cela dépend de la représentation qu'on s'en fait. Qu'est ce que cela veut dire ? C'est simple : il y a des moments où tout le monde a autre chose à faire et à penser et la ville végète. Il y a aussi des périodes où pour trouver un dérivatif à une situation ou unir les gens autour ou contre une idée, posséder cette ville devient un enjeu essentiel et tous proclament qu'ils la veulent depuis toujours. En fait, cette ville s'est créée sans intéresser personne. Puis, un jour des groupes ont rattaché leur histoire à cette ville à tel point qu'ils se demandent comme ils peuvent vivre sans. Pour rendre cela possible, ceux qui étaient intéressés en ont fait une représentation glorieuse qui donné envie aux autres. Cela ne les a pas empêché quelques années ou quelques siècles plus tard de s'en désintéresser totalement. Leur objectif était ailleurs.

Donc, aujourd'hui, il y a deux clans principaux et un outsider. Situation cocasse : les deux clans (ou du moins leur noyau central) voudraient bien négocier, mais leurs vieux amis ("méfiez vous des amis de 30 ans" dit le dicton) sont plus intransigeants qu'eux et les forcent à ne rien céder. Après, il y a eu des questions et le débat s'est terminé tranquillement. La preuve ? Je n'ai été ni renversé, ni bousculé (cela arrive parfois).

Qu'est-ce que j'en ai retenu ? Je suis une représentation. On me donne l'importance que l'on veut. Si le débat est long, je suis importante. Si le débat est court, je suis plutôt une gêneuse et reléguée dans un coin. Et ainsi de suite. Je vais faire, moi aussi, de la géopolitique…de chaise.

samedi 26 janvier 2008

L'art brut nous envahit



En arrivant à la station de métro "Courcelles", j'ai un choc : des murs nus, grossièrement travaillés, le panneau de station qui pend au bout d'un fil et les plans de métro posés contre le mur. Que se passe-t-il ? "C'est le nouveau décor de la station" me répond-t-on, la RATP investit l'Art. Il y a eu Georges Pompidou avec son ensemble de tuyaux colorés (NDR : "Centre Georges Pompidou" à Beaubourg), Mitterand et sa pyramide de verre au milieu des pierres du Louvre, Jacques Chirac et son musée des Arts Primitifs (Pense-bête : il faut que j'aille le visiter) et maintenant la RATP qui fait dans l'art brut. Cela me fait tout à coup penser : qu'a fait Valery Giscard d'Estaing ? Que fera Sarkozy ? Mystère…

Bon, donc la RATP se lance dans l'art brut. Pourquoi pas ? On ne peut poser dessus (quoique j'ai entendu dire qu'il y a un photographe qui adore coller ses affiches en suivant les découpes des murs.), mais cela peut être tagué. Danger !

J'interroge les quelques personnes présentes sur le quai. Leurs réponses sont au départ politiquement correctes : "c'est beau", "c'est étonnant", puis très vite cela dérape : "c'est la mode : après la télé sans pub, voici le métro sans affiches". La discussion s'anime : les pour, les contre : "qui va payer pour compenser l'absence d'affiches ?", "qui va en profiter ?"….Les gens sont tellement pris par leur discussion qu'ils en oublient les métro qui passent. Les employés de la station s'en inquiètent; ils quittent le confort et l'abri de leurs guichets et viennent s'enquérir de ce qui se passe.

"Je ne veux pas que France 2 soit privatisé" leur dit une dame BCBG. Un agent de la RATP s'en étonne : "mais madame, la RATP n'est pas actionnaire de France 2". "Justement" lui répond-t-elle, "vous en prenez le chemin". Devant cet ensemble de quiproquo, j'essaye de m'esquiver en sautant dans une rame. Les voyageurs sur le quai m'en empêchent : "c'est trop facile. Vous ne nous avez pas encore donné votre avis : pour ou contre ?" N'osant me prononcer de peur de ranimer le débat, j'esquive en interpellant les agents : "Ce sera fait dans toutes les stations ?" "Bien sûr que non" me répond celui qui paraît le plus gradé, "comment voulez-vous faire cela dans une station en plein air ? Le décor est laissé à l'appréciation du chef de station." Ses collègues s'insurgent : "Et nous ? On n'est pas consulté ? On va en parler aux syndicats !"

Nous voilà, alors, les "usagers" obligés de séparer les employés qui s'emportent. Je profite de ce mouvement pour m'esquiver discrètement.
Un conseil : évitez quelques temps la station !

mardi 22 janvier 2008

Un jour, je serai (peut-être) grand



Au Maroc, le taxi est une institution. Il y a le petit taxi, le taxi pour les grandes distances, le taxi collectif... Malgré le développement de la vente des voitures et des deux roues, le taxi reste le moyen le plus économique pour se déplacer...

Je suis taxi, ou plus exactement un "petit taxi". C'est d'ailleurs écrit sur le porte-bagage sur le toit. Pourquoi "petit taxi" ? Parce qu'il y a des grands taxis ! Oh, bien sûr, ils ne s'appellent pas "grand taxi", mais tout simplement "taxi". Eux, ce sont de grandes voitures Mercedes blanches. Et moi, je suis tout rouge (ici, dans cette ville, parce que dans d'autres villes je suis bleu…). Ces "taxis" font de la route et desservent l'aéroport. A eux, l'espace et les grands voyages. A moi, la ville et la proche banlieue. On se regarde, on s'épie, on s'envie mutuellement.

Je ne me plains pas. Pourtant, quand je suis dans les embouteillages, je les envie parfois. Je rêve de m'élancer et de faire tourner à bon régime mon moteur au lieu de piétiner et de m'étouffer. J'aime bien mon métier. Je fais cela depuis longtemps, pratiquement en permanence. En fait votre vie dépend de votre chauffeur. J'en ai plusieurs avec chacun leur caractère. Il y a celui qui conduit doucement et me bichonne en me nettoyant à chaque arrêt. C'est à la fois agréable et en même temps, je m'endors presque avec lui. Il y a celui qui transpose sur moi ses problèmes familiaux et de fin de mois. Il n'y a qu'à voir comment il me fait démarrer le matin pour savoir comment s'est passé la soirée (ou la nuit) et s'il est de bonne humeur ou non. Cela varie aussi dans la journée. Celle-ci peut bien commencer, puis à la suite d'un appel téléphonique, il devient fou et j'en prends pour mon grade : mon moteur hurle, mes freins crissent, ma carrosserie tremble…

Remarquez, il n'y a pas que moi qui en subit les conséquences. Mes passagers du moment aussi. Ils sont d'ailleurs souvent les premiers à me défendre. C'est de leur sécurité qu'il s'agit ! Je pourrai faire un roman sur ces passagers. Il y a ceux qui sont familiers et montent à côté du chauffeur, ceux qui s'installent, je devrais dire "se vautrent" à l'arrière. Il y a ceux qui me respectent et ceux qui mangent et boivent à l'intérieur (merci pour mes sièges). Les pires sont ceux qui fument. Quelle odeur après ! Il y a ceux qui se taisent, ceux qui parlent tout seul (ou avec le chauffeur), ceux qui se disputent avec quelqu'un qui les accompagne (ou au téléphone). Il y a ceux qui montent en chemin, font connaissance avec les autres passagers et redescendent un peu plus loin. Il y a ceux qui montent les mains vides et ceux qui arrivent avec des couffins, des objets encombrants, voire des animaux (je déteste les poulets, vivants ou morts !) Un véritable kaléidoscope social !

Pendant ce temps, je parcours la ville, ses grandes avenues, ses ruelles. Mon moment préféré ? Le port et le bord de mer. Ma zone détestée ? L'autoroute qui traverse la ville. Je suis bousculé par les camions, les 4x4 et autres fous du volant. J'en ai pris mon parti comme de celui qu'un jour je devrai prendre ma retraite. Je les entends en parler. Quand je dis "les", c'est parce qu'en fait j'ai plusieurs patrons. D'abord, il y a mon (ou mes) conducteur(s). Parfois j'en ai un seul, parfois deux ou trois qui se relaient. Il y en a un qui a acheté la voiture et un autre des fois qui possède la licence. Etonnez-vous après que je roule en permanence. Il faut bien nourrir tout le monde. Bon, ce n'est pas tout, il faut que j'y aille ! Direction "hôtel Riad Salam" ? C'est parti ! A l'arrivée. N'oubliez pas le chauffeur…et sa voiture ! A bientôt !

dimanche 20 janvier 2008

Où suis-je tombé ?


La vie associative réserve parfois des surprises.

J'vais reçu un billet il y a quelques jours me disant : "RDV dimanche 20 janvier à 15h30 au lieu que vous connaissez", le tout signé "PetC". Etonné, curieux et peut-être aussi à la fois naïf et aventureux, je décide de m'y rendre. Je reçois alors des indications ésotériques : "près du vieux pont, remontez la rue jusqu'à "Shalluf". Dès la première étape, vous serez arrivé". Pour moi qui a lu "le pendule de Foucault" et "Da Vinci code", décoder le message est simple : je comprends qu'il s'agit du Pont Neuf et qu'il faut que je trouve le nom de "Shalluf". Une fois cela fait, j'entre dans un vieil immeuble. Dès le premier palier, je sais que je suis arrivé : happé dans un étroit boyau sombre, rempli déjà de monde, on me conduit, invite et pousse à m'asseoir dans un coin contre le mur.

La réunion a déjà commencé. Une jeune femme, dont le visage m'est masqué à la fois par l'obscurité et la forte lumière d'un vidéoprojecteur évoque des âmes présentes ou absentes. Je comprends vaguement que le gang des Lyonnais est présent, mais que la représentante de celui de Nice est absente. Les gens utilisent des codes bizarres pour s'appeler les uns les autres : Cerise, Mamie du japon, l'"Autre Cerise"…Bref, tout semble fait pour garder l'anonymat des personnes présentes.

Que raconte l'intervenante ? Une opération vient d'être réalisée. En fait, sous couvert de l'anonymat, des bébés ont été importés illégalement en Angleterre. Par le truchement d'une loterie illégale, huit bébés ont été attribués à des familles aux quatre coins de Londres. L'opération de l'Arche de Noé me vint tout de suite à l'esprit. Une opération à l'envers, puisque dans ce cas, ce sont des bébés français, transportés clandestinement par de fausses nurses, qui ont abouti à Londres. Après un bizarre jeu de piste, les familles d'adoption ont reçu le bébé qui leur a été remis discrètement. L'intervenante parle de rendez-vous mystérieux, suivis de voyages tout aussi secrets vers d'autres lieux. Bref, tout parait avoir bien fonctionné. Les personnes ici présentes ont investi la moitié de l'argent nécessaire. D'où vient le reste de l'argent ? Mystère ? Est-ce que Denis Gautier- Sauvagnac serait impliqué dans cette histoire ? Il a toujours dit que l'argent de son syndicat était destiné à des fins sociales.

Une nouvelle opération se prépare : il s'agit de ventes de fausses reliques au Japon. Ainsi, semble-t-il, la relique de Madonna serait vendue prochainement. Pour toute explication, un texte en japonais nous est présent : personne ne dit un mot, sauf quelqu'un qui attire notre attention sur une faute d'orthographe susceptible de compromettre l'opération. L'auditoire approuve. Je commence à être inquiet des conséquences de telles actions. Je prends des photos discrètement, sans utiliser le flash. Un grand escogriffe, situé près de l'entrée s'en aperçoit et me confisque l'appareil. Surprise ! Alors que je pense qu'il va effacer les photos ou fracasser l'appareil, à ma grande surprise, il prend à son tour des photos. Il me rendit l'appareil en me soulignant que je suis sur les photos. Me voilà devenu complice. En a-t-il gardé une copie ?

La lumière revient sur ces entrefaites. On nous distribue une boisson gazeuse. De peur qu'il s'agisse d'un élixir de l'oubli, je refuse discrètement les trois ou quatre coupes que l'on me propose. Je pars le plus discrètement possible en prenant quelques documents au passage. Où suis-je donc tombé ?
Dehors, je lis fébrilement les documents et voit une adresse internet : wwww.prune-art.com. Je me précipite dans un cyber café et tout s'explique : il s'agit d'une sculptrice qui explique son oeuvre. Ouf !

samedi 19 janvier 2008

Je suis soldé !


Ce matin, étonnante découverte, j'apprends que je suis en soldes ! Pas qu'un peu ! -30%, -50%. Rien ne semble arrêter la baisse. J'entre dans la boutique. La vendeuse me regarde tristement : "Eh, oui, monsieur, tous les pareils à pareille époque, c'est la même chose. Prenez toutefois le bon côté des choses, vous êtes demandé ! Depuis le 9 janvier, il y a beaucoup de monde".

Je n'avais pas réalisé que cela avait commencé depuis quelques jours. C'est vrai que je savais que nous étions en période de soldes; vu le matraquage publicitaire, c'était difficile de ne pas le savoir. J'envisageais même de m'acheter un costume, mais de là à me faire tailler un costard, il y a un monde !

Je me dis intérieurement : "pourvu que mes clients habituels ne le sachent pas. Ils en profiteraient. J'ai bien reçu des derniers jours des demandes de devis, mais personne n'a fait allusion à ces remises".

Je m'interroge aussi sur les remises de -30 % et de -50%. La vendeuse semble comprendre mon questionnement. Elle me dit tranquillement : "ce qui est le plus demandé est à -30%. Profitez-en, ce sont de bonnes affaires, des éléments permanents. Par contre, ce qui n'est plus de saison ou dans le coup est à -50%. Là, il faut être moins regardant. Remarquez, on en a toujours l'usage".

Je fais rapidement une évaluation : qu'est-ce que je ne renouvelle pas ? Qu'est-ce qui n'est plus dans le coup ? Est-ce un effet de l'âge ? C'est de ma faute. J'aurais du faire, comme on me l'a déjà suggéré, mon inventaire en début d'année. C'est d'ailleurs ce que les détaillants font avant…les périodes de soldes. J'aurais eu ainsi une réponse à ma question. Maintenant, il faut que j'attende les clients éventuels pour le savoir.

Justement, une cliente entre dans la boutique. "GR est bien en soldes ?" "Oui, madame" lui répond la vendeuse. J'attends anxieusement la suite. Elle sera inattendue. "Allez-vous faire une seconde démarque ?" continue la cliente. Alors que je m'attendais à une dénégation de la vendeuse, celle-ci continue dans cette voie : "ce ne sera pas avant début février".

Une fois la cliente repartit, je me renseigne, avec un ton que je veux le plus neutre possible, sur le montant de la démarque : "oh, cela ira jusqu'à 70% pour les nanars qui resteront". Je me vois déjà réduit en pièces. Que restera-t-il de moi à cette date ? La fin s'annonce proche et douloureuse. Il faut que je m'y prépare. Je me vois déjà rangeant mes affaires et annonçant à mes proches mon "départ" quand soudain mon interlocutrice continue : "Soyez patient, GR, au printemps, a une offre superbe."

Devant mon air éberluée, elle ajoute : "dès la fin février, nous mettrons en place le nouveau GR. Fini les soldes, place au printemps et à l'été". Je vois tout d'un coup la vie sous un autre angle. Tel le phénix, je disparais en février pour mieux renaître au printemps ! Vivement fin février !

mardi 15 janvier 2008

Blouse bleue, toujours ?


Du nord au sud du Maroc, le parking est assuré et gardé par des personnes en blouses bleues (la nuit, elles ont souvent un gilet réfléchissant…sous la blouse bleue). Moyennant quelques dirhams, elles gardent votre véhicule en votre absence. Ce sont des personnes incontournables.


"Stop ! Serrez à gauche ! Attendez ! C'est bon, allez-y ! Voilà mon prince, vous êtes bien garé. A tout à l'heure. Promenez-vous en paix. Votre voiture est en sécurité. J'y veillerai."

"Un instant ! Attendez un moment avant de reculer. Je vais bloquer le trafic pour que vous puissiez reculer sans danger. Allez-y je fais un rempart de mon corps. Merci, princesse et bonne route."

Voilà, j'ai deux minutes pour vous parler. Mais attention : je dois garder l'œil sur mon trottoir. Qu'y suis-je ? Que fais-je ? Pourtant cela se voit : je suis une "blouse bleue" ! Cela ne vous dit rien ? On voit que vous n'êtes pas d'ici. Je suis un parcmètre ambulant; Je suis responsable d'un bout de trottoir. J'aide les véhicules (voitures et motos) à se garer, puis à repartir. En l'absence de leurs propriétaires, je les surveille. Lorsque je suis de bonne humeur, je nettoie les pare-brises. Avec le vent et la pollution, ce n'est pas un luxe.

Une blouse bleue (on nous appelle ainsi, parce que nous sommes reconnaissables à celle-ci), cela joue un rôle social : j'ai un travail utile et je gagne ma vie honnêtement. En même temps, j'apporte de la sécurité puisque j'ai à la fois l'œil sur les véhicules, la circulation…et le trottoir.

Comme devient-on blouse bleue ? Certains sont désignés par la municipalité (ils ont un badge officiel), mais le plus grand nombre, comme moi, s'est approprié un bout de trottoir. C'est cela la philosophie ici : le travail donne la fierté à l'homme. Chez vous, mon rôle n'existe pas. Vous préférez le parcmètre automatique, l'alarme sur la voiture et… payez les chômeurs à ne rien faire. Il parait que c'est cela chez vous la dignité : ne faire que les travaux dits nobles. Où sont les valeurs humaines ? Ici, je fais tout et en plus, je vous offre de la cordialité, de l'hospitalité et le sourire. Il y a même des blouses bleues femmes. Elles n'ont pas la vie facile et doivent se battre pour s'imposer.

Nous sommes un peuple chaleureux. Nous aimons partager, échanger et sourire. Vous, vous êtes un peuple froid, vous regardez les autres de haut et vous mettez la technique entre les uns et les autres. Pourtant, vos rues ne sont pas plus sûres et vos voitures sont quand même détériorées, voire volées.

Pourtant, notre avenir est sombre : les municipalités se sont mises en tête d'installer des parcmètres. Elles ont tant besoin d'argent. Mais si nous perdons notre gagne-pain, elles auront encore plus besoin d'argent. On a les conducteurs de voiture avec nous parce que nous sommes compétitifs tant en termes de service que de prix par rapport au parcmètre : avez-vous ceux-ci vous sourire ?

Qui gagnera ? Le sourire ou la machine à sous ? Dur, dur… Je vous laisse, une voiture va partir : "Attention avant de reculer…"

vendredi 11 janvier 2008

Le voyageur léger


Amiens, Caracas, Pékin, Aubervilliers, Nairobi… j'en vois du pays. Pas directement, bien sûr, mais plutôt par le truchement des courriers et des colis que je transporte. Oh moi, je voyage un peu : Gare de Lyon, Marseille (eh oui, je prends le TGV), Paris Brune… On me charge de sacs de courriers, je prends le camion ou le train, direction la salle de tri et au boulot. Les postiers me vident sans ménagement, trient mon chargement, remettent en sac et me recharge. Pas le temps de souffler, direction une nouvelle destination, tri à nouveau, etc. Pas question de voir le paysage. Il n'y a pas de fenêtres dans les transports ou les salles. Alors, je ne sais jamais où je suis.

Aujourd'hui, je suis gardien de places de stationnement devant le bureau de poste. C'est le Pérou. Je suis à l'air. Je regarde à droite, à gauche. Je vois passer les piétons, les touristes ("c'est moi qui porterait votre courrier"), les voitures. En face de moi, un musée (Bibliothèque historique de la ville de Paris) . Celui-ci parle des livres à Paris. L'affiche me fait envie, j'aimerais bien le visiter. Pourtant, je ne fais guère d'illusion. Je n'ai jamais vu de chariot y entrer, ni en sortir d'ailleurs. Ce n'est pas de ma faute, je suis curieux. Je m'intéresse à tout ce qui m'entoure, j'écoute les gens parler, je discute avec les sacs postaux et les timbres. Les timbres français, bien sûr, parce que je ne suis pas polyglotte.

J'aimerai bien voyager plus loin. Des sacs m'ont raconté leur voyage en avion. L'arrivée dans des pays chauds, les cris, les senteurs, la chaleur. Ah, c'est cela la vie.

Et moi, pendant ce temps là je fais le pied de grue sur un trottoir. Dans quelques minutes, un camion jaune arrivera. Le chauffeur descendra, me bousculera et me propulsera sur le trottoir. D'autres de ses collègues viendront l'aider à décharger ses sacs et à repartir avec d'autres. Avec un peu de chance, je serai parmi ces derniers et une nouvelle aventure commencera à 10 minutes ou à 10 heures d'ici. Sinon, ce sera la nuit dans un rebut, collé les uns aux autres.

C'est cela la vie de postier : être utile, voir du pays, rencontrer du monde… Pour rien, je n'en changerai.
Quand vous ouvrirez votre courrier, ayez une pensée pour moi. Je fais partie de la chaine !

Ecrit le 7 janvier à Paris

mardi 8 janvier 2008

Le Livre

J'accueille aujourd'hui un texte de mon ami Robert Serge Hanna. Un vrai poête et un écrivain de nouvelles auprès de qui j'ai beaucoup à apprendre.

Déambulant nostalgique sur les quais d'une seine nonchalante, je flânais les bouquinistes, cultivant ma paresse matinale sous un timide soleil d'avril.

Je caressais du bout des yeux ces vieux livres de l'hospice du courant d'air dont certains n'avaient jamais été ouverts, et je me mis à penser au mauvais sort que le hasard leur avait réservé. Le propre d'un livre n'était-ce pas d'être lu ? L'avoir écrit suffisait-il à son auteur ? Quoi de plus frustrant que l'écho d'un message qui ne vous reviendrait pas ?

Une brise légère de printemps m'apportait des senteurs. Non pas des parfums mais une atmosphère de lieu, propre aux bords de seine à cette époque de l'année. L'une d'entre elles particulièrement exacerbait ma sensibilité en éveil, attisant ma curiosité juvénile, tant je savais que derrière elle se cachait la vie des hommes et de leurs idées : l'odeur si caractéristique et envoûtante des vieux papiers, la mémoire des mots, l'âme de l'écriture.

Poussant plus loin ma réflexion, je me dis qu'il fallait faire le distinguo entre l'action d'acheter un livre, sans raison, pour le titre, pour l'auteur et pourquoi pas pour l'image et son enluminure, et acheter un livre simplement, pour le lire certes, mais quand ?

En attendant, en nous attendant, posé sur son étagère, il est là comme une œuvre d'art qu'on regarde sans comprendre ce que l'artiste a voulu exprimer, sans ressentir l'émotion qu'il aurait aimé nous transmettre et qui se trouve au coeur des formes, des lignes et des couleurs comme de mille mots choisis.

Et puis un jour, parce que plus disponible ou plus ouvert, plus sensible à ce qui nous entoure, on se pénètre enfin du charme qui s'en dégage. Et ce n'est plus par hasard que nos mains se portent vers le livre endormi. Celui justement qu'on n’avait jamais ouvert. Et page après page, bien au delà des mots et des phrases, on comprend le message de sa fidélité attentive : Sa présence rassure, le livre est un ami.

Les choses sont ainsi, pourquoi les contrarier ? Ce qui doit se faire ou bien être accompli le sera. Il y a un temps pour contempler, pour réfléchir, pour comprendre et pour lire. A chaque instant sa nécessité.

C'est pourquoi aujourd'hui, lorsque je vois un livre qui repose, recouvert de poussière, sur une étagère engourdie, je me dis qu'il est sage de savoir attendre et qu'un jour ou l'autre il sera lu : à chacun sa destinée.
En attendant, de retour d'une poètique promenade, j'ai acheté des étagères en bois joli … au bazar de l'hôtel du diable ! Des fois qu'il me prendrait l'hypothétique envie d'acquérir des livres à regarder grandir sur le sapin verni et à lire plus tard ! Sait-on jamais ? Pour connaître ma vérité. <<>>

Car il en est des livres comme des hommes : l'enveloppe, l'aspect, l'apparence, s'estompent dès lors qu'on cherche au cœur, qu'on touche à l'âme.

Tant qu'il ne répond pas aux questions, l'imbécile est un homme intelligent. Ce n'est qu'une opinion. Je vous la livre telle que je ne l'ai pas lue … pas encore !

Mais elle est sur mon "étagère" et elle ne perd rien pour attendre ! Je ne suis pas tellement pressé de savoir qui je suis, et quand bien même ?

Le pire qu'il puisse nous arriver, dans la compréhension des hommes et des choses qui s'y rapportent, c'est qu'il soit trop tard pour appliquer ce qu'on croit avoir compris. Ce serait comme découvrir la source … après être mort de soif !

Mes livres, pas assez nombreux, ont trop attendu pour s'ouvrir à moi. Celui de ma vie aux senteurs enivrantes et si diverses, paginé de désespoir d'espérance et d'amour, pourra tout me dire … lorsque je serai devenu sourd ou que je ferai semblant car il arrive un âge où la vérité trop dure à entendre n'a plus sa nécessité, sa raison d’être, dès lors que rien ne peut plus être changé.

Alors je m'endormirai doucement au milieu de ces pages que je n'ai jamais lues et qui font parties de mes regrets comme ce livre que je n'ai jamais écrit et auquel j'ai souvent pensé lorsque seul et malheureux, fouillant dans ma mémoire, j'y cherchais un refuge pour cacher mon désespoir.

samedi 5 janvier 2008

Charenton – Casablanca




Depuis trois ans circulent dans Casablanca des autobus recyclés de la RATP. Celle-ci a pris 20% de participation dans une nouvelle compagnie " M'dina bus" qui a repris des concessions de lignes existantes. Dans une vile où les bus circulaient dans un état de délabrement avancé, l'arrivée de ce matériel en bon état a provoqué un choc.



Bonjour ma petite dame, comment allez-vous ? Ben, oui, je suis votre "24". Vous savez, celui qui faisait "Saint Lazare- Maisons-Alfort Ecole vétérinaire". Cela me fait plaisir de vous voir ici ! Ben quoi, ne me regardez pas les yeux écarquillés et la bouche ouverte ! Bien sûr qu'on se connait ! Et pas qu'un peu ! Vous vous rappelez ? Lorsque j'étais de service entre St Lazare et Maisons Alfort, je vous attrapais souvent au vol sur les quais et vous déposais à Charenton. Départ : 19h19 au Pont des Arts. Arrivée : 19h59. Le respect des horaires, cela me connaît.

C'était le bon temps. Votre sourire illuminait mes soirées. Pour moi qui avait une vie un peu monotone, c'était un petit coin de ciel bleu dans ma journée. Vous savez, la vie d'un autobus parisien est rythmée. Je pars tôt le matin et cela dure jusqu'en fin de matinée. Après la sieste, je suis nourri et rapidement nettoyé avant de reprendre le travail jusqu'au soir. Puis, c'est la grande toilette avec le repas en sus.

Ah, Paris ! Ses monuments, ses beaux paysages (j'adorais regarder les quais de Paris avec les bouquinistes, la Seine, le Louvre, les touristes…) Quelle vie ! Des fois, je faisais aussi de la banlieue. Cela roulait mieux, mais le paysage était moins plaisant (du moins les miens). C'est vrai que les embouteillages me polluaient la vie et me détraquaient mon moteur. Heureusement qu'il y avait quelques lignes droites dégagées pour me décrasser. Et puis, quelle pollution ! D'accord, j'y contribue, mais mettez-vous à ma place : respirez des gaz d'échappement toute la journée, ce n'est pas drôle. On ne peut pas tout avoir.

Un jour, j'ai eu droit à une visite médicale approfondie. Des personnes que je n'avais jamais vues sont venues d'examiner de pied en cap. Puis, j'ai été envoyé, avec quelques collègues dans un grand garage. On nous a fait toutes sortes de choses : peinture, carrosserie, habillage de sièges, mécanique… Après, sans crier gare, je me suis retrouvé, toujours avec mes collègues dans le ventre d'un gros bateau. Quelques jours avec le mal de mer et j'ai débarqué ici au port.

Je n'ai pas à me plaindre. Je savais que je ne roulerais pas éternellement à Paris. Quand j'ai commencé à travailler, je me suis souvent demandé ce qu'il adviendrait de moi. Certains de mes prédécesseurs partaient vers Cuba. Le mot seul suffisait à me faire rêver. D'autres de mes collègues sont partis à la ferraille suite à des accidents ou des problèmes de santé. Triste sort.

Ici, quelle surprise en arrivant : du bruit, des couleurs, de la chaleur !

Après quelques jours d'acclimations, j'ai pris du service. Une nouvelle aventure commençait. Casablanca est une grande ville. L'habitat est moins dense qu'à Paris, mais la ville et mes parcours sont aussi étendus. Maintenant, je traverse la ville, longe la mer et finit dans les faubourgs. Ah, la mer ! Je ne la connaissais qu'au travers des publicités placées sur mes flancs. C'est bizarre la mer : elle est là, elle n'est pas là. Elle change sans arrêt de place. En tout cas, cela change de la Seine, si calme, trop calme à mon goût.

Par certains côtés, la vie, ici, me rappelle Paris : du bruit, de la pollution. Mais aussi de la joie, de la gaîté : ici, les gens sont plus chaleureux que les Parisiens. Je ne parle pas de vous, bien entendu, mais de la moyenne de vos compatriotes qui finissent leur nuit le matin lors de nos voyages et récupèrent de leur journée le soir à bord. Ici aussi, les gens partent et reviennent fatigués. Mais ils sont plus vivants, parfois trop quand il y a des matchs de foot. La hantise de mes collègues locaux, c'est la desserte du stade de football. Les retours de match sont quelquefois "chauds" : 95 de mes collègues* ont été vandalisés en 2005 par des supporters furieux de la défaite de leur équipe.

Mes nouveaux collègues sont agréables. Au début, on se regardait avec un peu de méfiance. Nous, les nouveaux; eux, les anciens, très anciens. Evidemment, ils nous enviaient. Même les clients nous regardaient avec étonnement et surprise. Ils n'osaient pas monter, voire s'asseoir. Et puis, petit à petit, nous avons appris, avec nos collègues à nous connaître, à nous apprécier, à respecter ce qu'ils avaient vécu. Et nos clients ont eux aussi pris leurs aises. Maintenant, ils sont comme chez eux… et nous aussi.

Alors, ma petite dame, je vous emmène faire un tour, comme au bon vieux temps ?


* juin 2005 suite au match Raja-Far.

mercredi 2 janvier 2008

La salle 11



Ils sont venus, ils sont tous là regroupés dans le quasi sous-sol de l'aérogare. Bien sûr, ce n'est pas un cachot, encore moins une cave, mais simplement une salle austère avec des fauteuils impersonnels et quatre comptoirs d'embarquement par bus.

Leur crime : prendre des destinations sans saveurs, ni odeurs = Lorient, Avignon, Limoges, Quimper…
Donc, pour leur peine, pas de grands halls, de montée en avion par une passerelle, de lumière naturelle…Pas de vie trépidante ou de magasins autour d'eux. Non, simplement la salle 11 dans un coin de l'aéroport. Pour y arriver, ils ont traversé le grand hall, passé le contrôle des bagages et puis là, soudain, on les a dirigés discrètement vers un petit escalier discret et ils se sont retrouvés à l'écart de tous dans cette salle. Ils se tiennent tranquille et n'osent pas se faire remarquer de peur de…ne pas partir. D'ailleurs, c'est ce qui vient d'arriver aux passagers du vol de Limoges. Les quelques passagers encore présents (mais étaient-ils nombreux ?) négocient qui un taxi (pour Limoges ?), qui un billet de train (un avion vaut-il une première classe ?) ou un remboursement. La situation doit être grave : il y a deux fois plus de personnel pour s'occuper d'eux que de personnes concernées.

De temps en temps, le silence de la salle est interrompu par des appels sonores : les vols de Madrid, de Séville…mais cela concerne d'autres personnes dans d'autres salles. Soudain, les gens se lèvent et vont vers leur comptoir. Pourtant, il n'y a pas eu d'annonces. Les hôtesses ne s'affolent pas plus qu'avant. Quand les premiers passagers sortent monter dans le bus à l'extérieur, le gros de la foule suit. D'autres restent sagement assis ou s'inquiètent : "c'est quel vol ? C'est pour où ? A-t-il été annoncé ?"

Dans le flot, vous croisez des hommes ou des femmes d'affaires, reconnaissables à leurs uniformes (costumes ou tailleurs), des "loisirs" avec leurs bagages et quelques exotiques comme ce passager en short et chemise à manches courtes, les bras pleins de fleurs exotiques. Il doit venir (ou revenir) de loin, quand il fait ici 8°. J'en oublierai presque les petits enfants qui s'énervent dans ce lieu clos.

La sortie de salle est tout aussi instructive. Rien ne fonctionne au niveau du comptoir : ni l'ordinateur, ni le mangeur de cartes d'embarquement. Finalement rien ne vaut la bonne vieille méthode manuelle : les passagers sont pointés sur une liste et les cartes déchirées à la main (à quand le retour des poinçonneurs dans le métro ?). La libération de la salle se termine par un circuit touristique en bus, avec un groupe serré comme dans une boite à sardines. Ils n'apprécieront que mieux le confort relatif de l'avion.

Le summum : après avoir fait trois fois le tour de l'aéroport, le bus s'arrête devant un petit avion perdu quelque part entre deux gros avions sérieux. La sortie se fait par petits groupes et par une seule porte. Peut-être que la piste ne tient pas le choc. Finalement, tous les passagers accèdent à l'avion. Le confort (écartement des sièges) est rustique, mais l'aventure est devant. Alors, tout va bien.