dimanche 29 mars 2009

Tout s’explique


- Iorana* papa, où sommes-nous ?
- Ola* mon fils. Nous sommes à Paris, en Europe. Chut ! Ne parle pas trop fort.
- Que faisons-nous ici ?
- Nous sommes venus voir les cousins. Tu sais, ils sont dans une exposition ici. Tu dormais à notre arrivée, sinon tu aurais vu les affiches dans les rues et le métro.
- C’est quoi l’Europe ? Il y a des terres sur la mer qui nous entoure ?
- Mon fils, les habitants d’ici appellent notre ile, l’ile de Pâques. Loin de notre ile, à plus de 4.000 km, commencent d’autres terres appelées Chili, Tahiti… Ici nous sommes à plus de 15.000 km sur une terre appelé Europe. Ce sont des gens venus d’Europe il y a près de trois siècles qui ont conquis notre ile et emportés nos cousins. Depuis, nous nous battons pour garder les liens familiaux en organisant des rassemblements.
- Ah oui, je me rappelle maintenant. Nous sommes venus comment ?
-Dans grands oiseaux de fer qu’ils appellent des avions. Nous avons voyagé dans des caisses bien protégés. Nous, les Moai, avons l’habitude de cela. C’est pour cela que nos grands frères ont le regard tourné vers le ciel. Depuis des siècles, nous surveillons les oiseaux et les fusées. Ici, c’est différent, tu le verras. Les gens marchent la tête basse, le regard vers le sol. D’ailleurs ils circulent en sous-sol dans des chenilles de fer appelés « métro ».
-Comment allons-nous retrouver nos cousins ?
- Pas de problèmes. Le 19 mars, ils vont organiser une très grande manifestation. Nous nous perdrons dans la foule et nous irons vers le lieu de rassemblement, un espace EDF qui se sera mis en grève pour nous laisser tranquille.
-Que diront les gens ici ?
-Ne t’inquiète pas, ils ne nous verront pas. Ils ne parleront que de la manifestation.
-Pourquoi ne nous verront-ils pas ?
- Il y a une très vieille légende ici qui dit ceci : un homme cherchait une nuit quelque chose au pied d’un réverbère. Un passant lui demande ce qu’il cherche. « Mes clefs » lui dit-il ; « Ah ! Vous les avez perdues ici ? ». « Non, répond le chercheur, mais ici il y a de la lumière ». Alors les habitants verront la manifestation, en parleront et comme cela nous passerons incognito.
- Pourquoi nous laissent-ils faire ce rassemblement ?
- Notre ile s’appelle dans notre langue Rapa Nui, c'est-à-dire le nombril du monde. Les hommes ici croient que nous pouvons les aider. Ils ont fait des bêtises financières et économiques, ils ne savent pas comment s’en sortir et ils n’osent pas le dire aux habitants Ils pensent que nous avons un savoir ancien et mystérieux.
- C’est vrai ?
-Nous savons une chose, c’est que la vérité est en nous. Eux, ils croient qu’elle est ailleurs ou que c’est la faute des autres. Alors, ils achètent des vérités, se font la guerre ou jettent de l’argent par les fenêtres. Tant mieux pour nous, c’est une occasion de voyager gratuitement.
- Et s’ils comprennent que nous n’avons rien à leur dire ?
- Eh bien, ils organiseront de nouvelles manifestations, des concerts, feront des élections européennes pour distraire les gens le temps qu’ils trouvent ou non une solution.
-Comment rentrerons-nous chez nous ?
- Tout est prévu. Nous, par exemple, sommes les ambassadeurs du Chili. A la fin, nous repartons grâce à notre passeport diplomatique dans une belle caisse.
-Riva riva* Ils sont fous ces européens !
- Tout s’explique mon fils. Nana les européens !
*Leçons de vocabulaire en pascua (vrai lexique)
Bonjour : iorana
Très bien : riva riva
Salut : ola !
Comment vas-tu ? peke koe ?
Au revoir : nana

samedi 21 mars 2009

Les adieux de l'artiste


Il y avait des vieux et des jeunes, des hommes et des femmes, des biens habillés et des mal fagotés…
Ils avaient des belles voitures et des poubelles, des engins propres et d'autres avec lesquelles on a peur d'attraper des maladies, les biens garées et celles stationnées de travers….
il y avait dans l’assistance des gens que je reconnaissais pour avoir été des gens de bonne foi et des agressifs, des hurleurs et des pleurnicheurs, des dédaigneux et des injurieux…

Il y avait aussi les témoins de la scène au quotidien : des piétons, des habitants du quartier, des commerçants, des concierges, des enfants connus tous petits et qui deviennent un jour des clients comme les autres : ils furent tous tour à tour spectateur, témoin, procureur, avocat de la défense…

Et puis, il y a moi, la contractuelle, la pervenche, l'aubergine…matricule 266.472 Z qui circule depuis près de 20 ans sur la scène du théâtre de mon quartier. J'ai été ailleurs avant, mais c'est le passé, n'en parlons plus.

C’est aujourd’hui mon départ à la retraite. Ils sont tous cotisés pour faire une fresque immortalisant ma vie dans le quartier.

Le quartier, ce quartier, mon quartier, je peux dire que je le connais. J’y ai cheminé ainsi 215 jours par an à raison de sept par jour (avec une pause d'une heure le midi et trente minutes de coupure par demi-journée. Je faisais rituellement les six kilomètres de mon circuit habituel, ce qui me prenait 2h30 en moyenne. Je déambulais souvent seule, parfois avec des collègues tout au long des rues de mon quartier. J'y étais connue, aimée, détestée, respectée, haïe…

Je verbalisais en moyenne 123 voitures par jour. Faites le compte : je faisais 3.926 km par an et verbalisais toutes les 3'35 minutes ou tous les 150 mètres. Mon travail peut vous paraître monotone, routinier, pénible (par -10° ou + 33°), mais je l'aimais bien. Cela peut vous paraître surprenant : comment aimer un tel métier ? Pour vous, il semble simplement alimentaire. Vous espérez peut-être que je vous dise que ma vraie vie était ailleurs, que je chantais et dansais dans une troupe de théâtre, bref, que je savais m'évader de cette grisaille quotidienne…

Eh non ! S'il fut un temps où j'ai détesté ce métier, j'ai appris progressivement à l'aimer au fil du temps. Comment cela peut arriver ? Comme dans la vie habituelle… par coup de foudre ou par habitude. La rue est pleine de mille et un petits détails du quotidien qui vous font apprécier à la fois la sécurité offerte par la routine et les imprévus qui pimentent votre journée.

A vous tous qui êtes ce soir pour fêter mon départ, je voulais vous dire merci parce que vous avez été mes témoins, collègues, mes clients et mes fournisseurs parce que je faisais mes courses avant de partir. Moi aussi, je vous ai aimé ou détesté selon les jours. Finalement, nous avons cohabité. Ma remplaçante arrive demain. Je ne l’ai pas rencontré, je ne lui ai pas parlé. Je vous laisse la découvrir et vous souhaite une bonne coexistence avec elle. Aussi longtemps qu’avec moi ? Je vous le souhaite, quoique je ne sache pas s’il y aura autant de voitures demain. Peut-être plus de vélos, des rollers, des trottinettes,… d’autres formes de clients. A elle de s’adapter, moi je m’en vais loin d’ici habiter dans un espace piétonnier.


Merci pour tout !

dimanche 8 mars 2009

Le mystère du tram


"Mesdames, messieurs, nous vous remercions d'avoir accepté de venir ici discrètement de nuit sur les lieux d'un grand mystère. En tant qu'adjoint au Maire, c'est un honneur pour notre ville d'accueillir aussi bien le commissaire Maigret de la police judiciaire française, qu'Hercule Poirot de la police Belge, l'inspecteur Derrick de la police allemande et Sherlock Holmes, détective indépendant. Vous avez bien voulu prêter votre concours à la résolution de cette énigme. voici en quelques ce que nous savons. Là même où vous vous trouvez, les rails se croisent, disparaissent et le tramway avec. Pourquoi ? Comment ? Où sont passés les passagers ? Mystère ! Nous n'en avons plus de nouvelles depuis deux jours. Pour l'heure, nous avons demandé aux médias d'étouffer l'affaire. Nous ne pourrons pas garder le silence indéfiniment. Nous sommes prêts à répondre à vos questions."

Les policiers se regardèrent quelques instants. Ce fut Sherlock Holmes qui prit la parole le premier : "un bref regard sur vos rails me fait penser que c'est un modèle ATX 345, qu'il a été construit en 1998, qu'il transportait 26 passagers au moment de sa disparition et que son traminot portait une chemise verte et un caleçon à fleurs."

Hercule Poirot qui ne tenait pas en place renchérit aussitôt : "J'ai été confronté à Bruxelles, il y a une quarantaine d'années, à une histoire similaire. En fait, il s'agissait d'un tram à impériale fabriqué en Flandre. or les rails wallonnes ne le supportaient pas."

Le commissaire Maigret opina de la tête : "dans ce cas, il faut chercher la femme."
Derrick qui s'était mis à quatre pattes pour examiner de près le sol l'appuya : "je pense qu'elle est blonde" dit-il en exhibant au bout de sa pince un cheveu.
"Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois" demanda brusquement Maigret à l'édile. "Avant hier soir à 18h32. Je m'en souviens. Elle est sortie à l'heure de mon émission préférée à la télévision. Mais… attendez ! Pourquoi moi ? Je suis innocent !" dit fébrilement l'adjoint au Maire.
Sherlock Holmes continua sans prêter attention aux paroles de l'élu. : Bravo, mon cher Maigret, le tramway doit être maintenant à Rochester (USA), ville jumelle de celle-ci où un tramway passera plus inaperçu qu'à Bandiagara."
Poirot sourit : "L'affaire est close" dit-il. "En 1934, chez Miss Douglas, dans le Surrey, j'ai vu un cas semblable. Votre femme est partie avec le traminot. Ils ont utilisé les liens privilégiés de la ville avec des cités dans le monde pour partir loin d'ici."

L'édile, tout pâle, bredouilla : "Ce n'est pas vrai, elle avait un amant, mais il était responsable du métro."
Derrick regarda fixement le suspect : "Le métro n'est-il pas en panne ? A quelle heure cet arrêt a-t-il commencé," L'édile devint tout rouge : "A 19h30, avant-hier…à la même heure où le tram et ma femme ont disparu".
Maigret regarda autour de lui : "Il règne une drôle d'atmosphère ici. Quelle est le montant de subvention que verse la ville pour le tram ?".
l'édile reprit : "Une coquette somme".
Derrick déclara négligemment : "Je me suis laissé dire qu'il y avait eu une grève des traminots ces derniers jours et que certains d'entre eux avaient touché des enveloppes pour reprendre plus vite le travail."
Le maire adjoint dit d'une petite voix : "je ne suis pas au courant"

Sherlock Holmes regarda Maigret d'un air entendu : "La pipe, n'est-ce pas ?". "Eh oui", reprit Maigret, "nous autres fumeurs de pipe, sentons les choses et attirons à nous les confidences".
Poirot s'en étonna; Maigret reprit : la femme du buraliste chez qui j'ai été acheté mon tabac parlait avec le gendre de la nièce d'un traminot…"
L'édile s'étrangla : "et les autres passagers, où sont-ils ? Pourquoi n'entend-t-on personne en parler ?"
"Appelez la mairie de Rochester : ils vous confirmeront que des traminots avec leurs épouses ou maitresses font la fête depuis deux jours." dit tranquillement Hercule Poirot.
"De toutes façons, ils seront là à temps pour la reprise du service demain matin" dit négligemment Sherlock Holmes.
"C'est peut-être vous-même qui les avez incité à partir. Vous nous avez invité pour donner le change" continua Derrick "Nous allons devoir prendre votre déposition…"

Sur ces mots, le maire-adjoint se réveilla en transe. Sa chambre était dans le noir. Sa femme dormait paisiblement. Il rangea les livres policiers qui étaient par terre et partit prendre son café dans la cuisine. "Plus de café le soir, cela me fait faire des cauchemars.". Il ouvrit la radio et entendit "Un accident bizarre de tramway hier soir…"

samedi 7 mars 2009

Paidoyer pour les invisibles


- Chef, il y a un problème
- Qu'est-ce qu'il y a encore ? tonne au téléphone le chef de la brigade de surveillance de la Retepe.
- Il y a cinq usagers qui ont une carte Navigo avec une photo blanche.
- Et alors ? Article 2.357.890 du code des chemins de fer. Carte non valide, l'amende est de 1.650,75 euros. Je ne vois pas où est le problème….ou alors c'est vous le problème ! Vous avez bu quoi ce matin ?
- Rien, Chef, enfin si peu. Ils disent que la photo est bonne.
- Vous vous fichez de moi ? Demandez-leur où sont leurs yeux, leurs nez… que sais-je encore ? C'est pour cela que vous me dérangez ? Qu'est-ce qu'il vous arrive aujourd'hui ?
- Oui, chef, rien chef, mais la photo leur ressemble parce que…
- parce QUOI ?
- Parce qu'ils n'ont pas de tête. Ils nous entendent, nous parlent, et bougent en nous suivant dans nos déplacements. Ce sont des hommes invisibles.
- Agent de surveillance 27.654, qu'avez-vous pris au petit déjeuner ce matin ? demande de manière douce le chef.
- Un café et du pain, chef.
- Je vous invite à aller voir un médecin.
- Ecoutez, chef, je vous comprends. Je ne suis pas seul. Mes collègues voient la même chose ou plutôt rien. Nous avons pensé la même chose que vous. Que ce sont des prestidigitateurs, qu'ils ont rentré leur tête dans leur col, qu'ils ont un masque. Nous leur avons même demandé leurs papiers. Ils ont une carte d'identité sans photo.
- (silence)
- Et puis il commence à y avoir un attroupement autour de nous.
- Mauvais, cela, mauvais; dites-moi, qu'est-ce qu'ils font dans la vie, ces lascars ? Ils ne peuvent pas se déplacer impunément avec un tel style.
- Je leur ai demandé, chef. Ils sont mannequins.
- Vous avez vu des défilés sans tête ? Des défilés de sacs d'os presque transparents, oui, mais complètement transparents, non.
- Ce ne sont pas des mannequins qui défilent. Ils travaillent dans des vitrines. Ils prennent la pose et ne bougent plus. Ils m'ont même montré leur fiche de paie. C'est mieux qu'à la Retepe. Et eux, ils travaillent 20 heures par semaine dans une vitrine de la station.
- Vous croyez que c'est le moment de parler augmentation et conditions de travail ? Dites un peu, votre femme, elle aimerait être avec un homme invisible ? Comment cela se fait que votre brigade ne les a jamais rencontrés dans ce secteur ? Il va falloir que j'épluche vos tournées.
- En fait, ils ne travaillent que l'hiver, se déplacent de nuit et prennent place dans les vitrines dès le premier métro. Chef, la foule commence à gronder; et eux, ils signent des autographes. Attendez ! (temps de silence). Non, ils font circuler une pétition parce que nous empêchons des honnêtes travailleurs de gagner leur pain. Chef, cela devient mauvais…
- Allo, allo…laissez tomber, laissez tomber !

(Quelques heures plus tard, un flash de l'AFP annonce : des voyageurs irascibles enferment des contrôleurs de la Retepe dans une vitrine. Il a fallu faire appel aux pompiers pour les y déloger. Très traumatisés, les contrôleurs disent qu'ils y ont été enfermés par des hommes invisibles. La direction se refuse à tout commentaire. le syndicat "anti tout", syndicat majoritaire dénonce pêle-mêle la direction et sa course à la productivité à tout prix, les conditions dangereuses de travail et demande plus de sécurité pour le personnel."
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