vendredi 25 décembre 2009

La rue Poubelle

Le maire de la ville était en pleine réflexion : "Mes administrés veulent des rues propres. Oui mais pour cela, il ne suffit pas de balayer les rues, il faut aussi éduquer les gens, voire même leur faire signer une charte. Cela signifie savoir lire, mais aussi comprendre. Donc, l’âge pour signer ne doit pas être jeune, ni trop élevé d’ailleurs, parce que les personnes âgées ont du mal à changer leurs habitudes.

Et les étrangers ? Ils ne parlent pas forcément, ni ne lisent le français. Peut-être faut-il le traduire en anglais, espagnol, italien, allemand…Oui, mais que vont dire les Chinois, Coréens, Arabes, Russes ? Seulement trop d’écrits vont gâcher la rue. Alors, il vaut mieux ne rien écrire et utiliser le langage des signes : des pictogrammes. Que faire des aveugles ? Ils vont protester auprès de La Halde ! Peut-être faut-il un « aboyeur public » à l’entrée de la rue. Seulement, il y a plus de sourds que d’aveugles….Pas simple.

Il va falloir aussi interdire la rue aux animaux non accompagnés. Possible pour les chats et les chiens, mais les moineaux et les pigeons : mettre un filet au-dessus de la rue ? Cela ne va pas être du goût des défenseurs des animaux. Pas écolo, vont-ils dire ! Ecolo, écolo, un vol de pigeons c’est combien d’éco-carbone ? Moins qu’un pigeon aux petits pois, pour sûr. Interdisons toujours la rue aux animaux, on verra après.

Les poubelles. Combien de poubelles faut-il prévoir ? Nous avons fait une étude. Les gens fouillent leurs poches ou sacs en mains en marchant : il faut huit pas pour explorer sa poche et en sortir ce qui est inutile (et quatorze pas pour le sac à main). Huit pas, cela correspond à une distance de 3, 50 mètres. Donc, le rapport préconise des poubelles tous les 3,50 mètres. A condition de partir du bon pied, sinon on peut se retrouver systématiquement entre deux poubelles.

Résumons : une campagne d’éducation, une charte à signer, des pictogrammes, des filets, des brigades de la SPA… Au bout du compte, serons-nous sûrs d’avoir une rue propre ? Non, parce que nous n’entrons pas tous les paramètres : le vent, la pluie, les poussières…

Alors pourquoi tant d’efforts ? Fermons la rue et dès lors les passants admireront une rue propre, une rue modèle…

Comment l’appellerons-nous ? La rue Poubelle…

samedi 19 décembre 2009

La mise en pointillé de la solidarité


Il était une fois un homme qui recherchait quelque chose sous un réverbère. Un quidam le vit et lui proposa son aide. L'homme le remercia et lui dit qu'il cherchait ses clefs. D'autres passants et même un sergent de ville se joignirent à eux. Devant leur insuccès, le sergent de ville insista pour savoir si c'était bien là qu'il avait perdu ses clés. "Je ne sais pas" répondit l'homme, "mais ici, il y a de la lumière."

Le sergent de ville remonta l'histoire au commissaire qui fit à son tour un rapport au maire. Ce dernier rassembla le conseil municipal pour analyser la situation. Les élus de la majorité (de la ville) proposèrent de créer un marquage au sol pour délimiter les zones où les pertes de clés seraient autorisées. L'opposition s'en émut. Elle estima qu'il s'agissait d'un manque de liberté : "chacun a le droit de perdre ses clés où il veut". Le débat aurait pu tourner court si les élus de tendances extrêmes ne s'étaient mis de la partie. Certains voulaient de la lumière partout pour créer un avenir radieux où perdre ses objets seraient un jeu. D'autres, au contraire, qui rêvaient du Grand Soir, voulaient supprimer tous les réverbères.

Voyant le débat mal parti, la majorité et l'opposition modérée s'unirent pour choisir un tracé en pointillé. L'accord se fit autour du texte suivant :

Article 1 : dans le souci d'assurer la sécurité des citoyens, le conseil municipal a décidé de marquer au sol la zone de lumière des réverbères.
Article 2 : il est recommandé aux citoyens de perdre leurs objets uniquement dans la zone délimitée au sol.
Article 3 : compte tenu de l'inégalité des administrés en termes de vision nocturne, il a été décidé de peindre une zone en pointillé. Les personnes de plus de cinquante cinq ans ou détenteur d'un certificat médical sont tenus de perdre leurs objets uniquement à l'intérieur de la zone délimitée. Les autres personnes peuvent aller, dans la limite du raisonnable, aller au-delà de cette zone.
Article 4 : les habitants doivent noter que l'allumage et l'extinction des réverbères peuvent être parfois en décalage avec le lever du soleil ou la tombée de la nuit. Aucune réclamation ne sera acceptée pour des objets perdus entre chien et loup ou loup et chien.

L'ordre étant ainsi assuré, les élus se congratulèrent mutuellement pour à la fois leur prise en compte des intérêts des habitants de la ville et leur contribution au développement économique. En effet, ce travail relança la production de peinture, ce qui créa des emplois, réduisit le chômage et l'argent dépensé facilita la consommation.

Bien sûr quelques esprits chagrins observèrent que la peinture achetée au mieux disant avait été produite ailleurs, que les emplois créés étaient temporaires et que les investissements faits avaient bénéficié à des entreprises et personnes vivant hors de la ville. "Qu'importe" leur répondirent les élus, "nous faisons tous partie de la même communauté. C'est cela la solidarité".

PS : l'histoire ne dit pas si la personne a retrouvé ses clés.

jeudi 10 décembre 2009

Les deux mains


Nous sommes les deux mains qui accompagnent le pianiste, celles que vous n’applaudissez jamais, celle qui n’existent qu’un temps dans la soirée et pourtant nous assurons la magie de la soirée.

Vous ne nous voyez que le temps d’un reflet sur le rabat du couvercle du clavier. Pourtant notre rôle est majeur : nous aidons le pianiste et sommes, pour nombre d’auditeurs, le reflet de son œuvre. Sans nous, l’artiste serait réduit à un dos tourné. Grâce à nous, il devient réel : vous voyez ses mains (en fait, les nôtres).

Nous sommes des artistes à notre manière. Nous devons suivre chacun des mouvements de notre maître. Ce n’est pas toujours facile, surtout lorsque nous avons affaire à des personnes un peu fantasques. Il faut le suivre : « et je mets mes mains, et je les retire… ». Pas simple, quand vous devez vous concentrer sur une œuvre. Vous vous apprêtez à jouer le concerto XY de Chopin… et il change d’avis.

Nous sommes la mémoire du pianiste, les souffleurs, les répétiteurs. Il nous regarde à peine, mais il sait que nous sommes là. Parfois l’éclairage nous éblouit et nous disparaissons à vos yeux dans un océan de lumière. C’est terrible pour nous, parce que nous ne voyons plus rien. C’est terrible pour vous, parce que vous ne voyez plus les mains de l’artiste. C’est terrible pour ce dernier parce qu’il lui est renvoyé le reflet de la lumière et que cela l’aveugle.

Alors, la prochaine fois que vous allez écouter du piano, ayez une petite pensée pour nous, un regard, un clin d’œil, un geste de la main. Cela nous suffit et nous fait plaisir.

dimanche 22 novembre 2009

Je suis liftier à la Défense


C’est le retour des petits emplois. Les garçons d’ascenseur reviennent à la mode ! Il fut un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître où le public n’était pas jugé apte d’appuyer sur les boutons de l’ascenseur. Mon père travaillait autrefoisdans un grand magasin. Toute la journée, il marmonnait : « 1er étage, ceci cela, 2ème étage, voici, voilà… » et le tout en six langues différentes. La grande époque. Vinrent alors les ascenseurs automatiques avec une voix électronique, puis sans voix : il n’y a qu’à lire…

Les temps ont changé depuis. Le chômage est monté et la grippe mexicano-porcine-H1N1-A-Espagnol est arrivée. Ne touchez plus au bouton de l’ascenseur : c’est une source de transmission du virus. D’ailleurs, l’ascenseur lui-même est devenu dangereux pour cette même raison. Alors, pour combiner la lutte anti-chômage et celle de l’anti-grippe, les politiques ont poussé à la création de postes de garçon d’ascenseur.

Grâce à mes antécédents (nous sommes liftiers depuis quatre générations dans ma famille) et quelques bonnes relations, j’ai pu obtenir le premier poste disponible. Me voici sur la photo : je conduis un ascenseur vide pour éviter toute promiscuité et en plein air pour limiter les risques de propagation du virus.

Certains dénigrent cela en l’appelant un monte-charge. Ce n’est pas vrai : j’embarque parfois des passagers. D’autres disent que c’est un métier sans intérêt. Pas du tout, je mets 20 minutes à monter jusqu’au sommet. J’en profite pour écrire des poèmes :

L’ascenseur a le vertige
En voyant le sol si près, si loin
Qu’il s’élève tout doucement

Vous aimez ? Moi pas, mais je suis sûr qu’un jour l’inspiration viendra.

Alors, en attendant, je continue mon périple sur le toit du CNIT.

jeudi 12 novembre 2009

Aimez-vous Bach ?

Résumons la situation : un musicien se tient debout dans l’entrée d’une station de métro. C’est un matin froid de janvier. Il est huit heures du matin et l’homme va jouer du violon pendant quarante-cinq minutes. Durant cette période, plus de mille personnes vont passer devant lui, certains l’écoutant quelques instants, quand la grand majorité passera sans un regard, ni un geste vers le petit pot où il recueille de l’argent. Enfin, n’exagérons pas : les enfants auraient bien voulu l’entendre plus longtemps mais leurs parents n’en avaient cure.

Les comptes sont là : mille personnes passent, sept se sont vraiment arrêtées et une vingtaine lui aura donné de l’argent tout en continuant de marcher. Recette du « concert » : 32 dollars.

Des dollars, parce que la scène se passe à Washington aux USA. Le musicien est Joshua Bell, un des plus grands violonistes actuels. La moindre place à ses concerts vaut 100 dollars. Les morceaux joués : du Bach et du Schubert. Son violon : un stradivarius de 1713 estimé à 3,5 millions de dollars. Les morceaux joués : Il joue ce matin-là dans le métro dans le cadre d’une étude faite par le quotidien « Washington Post » sur la perception, les goûts et les priorités des gens.

Une analyse rapide de cet article peut être que si nous ne pouvons reconnaître un véritable artiste, ni ne nous donnons pas le temps d’écouter de tels chefs d’œuvres, à combien de d’autres choses passons-nous ?

D’autres aspects sont à prendre en compte : cette perte de la capacité à apprécier la beauté n’est pas seulement liée à notre rythme de vie trépidante, mais aussi à la surabondance de la beauté. Les médias (télévision, journaux, internet) et les voyages ont mis à notre portée plein d’occasions de côtoyer des objets, sons, sites… magnifiques. Alors, sommes-nous peut-être blasés ?
Ou bien, pouvons risquer d’être en retard pour cause de violon ?
Peut-être aussi que les personnes pressées ont apprécié les quelques secondes entendues en passant devant lui.
Pour apprécier la musique faut-il être en état de disponibilité ? Vous pouvez apprécier la bonne cuisine et être un fin gourmet, tout en vous nourrissant d’un sandwich quand vous n’avez pas le choix. A huit heures du matin, un jour d’hiver…

Dostoïevski disait : « la beauté sauvera le monde ». Si vous ne trouvez pas de raison pour prioriser vos actions et gagner du temps, en voici une qui mérite votre attention : prioriser son temps, c’est décider ce que l’on veut faire de son temps et en gagner un peu, juste de quoi se donner le droit de s’arrêter pour écouter et voir le monde qui nous entoure.

Et pour finir un morceau de violon :

jeudi 5 novembre 2009

La maison enceinte

Vous me voyez sur la photo avec mon gros mur bien gonflé. Il n’y a pas de mystère. Je suis enceinte. L’accouchement est prévu dans quelques mois, c’est ce que m’ont dit mes médecins, les docteur Architecte et Monumentshistoriques. Ils ont même fait venir un spécialiste, M. Entreprisedubatiment pour expertiser mes besoins.

C’est un grand évènement. J’ai vécu à cet endroit pendant plusieurs centaines d’années. J’en ai vu passer du monde, des révolutions, des envahisseurs, mais rien n’a troublé ma sérénité. J’ai vu mes voisines être détruites, de nouvelles constructions arrivées et nous avons toujours vécu en bonne entente.

Puis, récemment (à mon âge on ne compte plus), le monsieur en rouge sur la photo et m’a brandi une lettre de promoteurs qui voulaient me raser pour bâtir un hôtel de luxe à ma place. La seule solution m’a-t-il dit est de tomber enceinte. Mon état intéressant arrêterait les velléités de travaux, reporterait les travaux peut-être à jamais. Il m’a convaincu, tant et si bien que j’ai fait une insémination artificielle et voilà…

Je vais bientôt accoucher d’un studio ou d’une studette. La pression de ce nouveau-né sur mes vieux tuyaux est telle que je risque de perdre mes eaux. Pour éviter tout désagrément, ils envisagent de me cercler, c’est vous dire.

Pour mon calme et ma tranquillité, un nouveau règlement a été édicté à mes abords et en mon sein : ne plus taper du pied, parler doucement, voire chuchoter. Ils projettent même de dévier la circulation le grand jour.

Je suis émue. Sara, la femme d’Abraham a eu son à près de 100 ans. Moi, je vais l’avoir à 400 ans. Quel miracle !

dimanche 1 novembre 2009

Que la joie soit dans vos coeurs !



Avec novembre commencent les jours raccourcis, les temps gris, froids et maussades. Avec un climat économique et social morose, je vois tous les jours converger vers ma station des gens tristes et la tête basse. Pourtant, autour de moi, sur la place où je suis située, ce sont de beaux bâtiments, un théâtre, un jardin tranquille, … bref, des éléments propres à faire oublier ses soucis et à penser à autre chose. Et bien, NON ! Cela ne marche pas : les passants ne les regardent pas (ou plus).



Alors, j’en ai eu assez. J’ai cherché une idée pour contribuer à la bonne humeur de tous. Plus facile à dire qu’à faire ! Comment réveillez les badauds ? J’ai eu l’idée de me faire peindre en couleurs pastelles, mais la pollution aurait vite fait d’affaiblir mes couleurs. Puis j’ai eu envie de tendre un piège : créer une fausse entrée, un trompe l’œil, mais je ne suis pas sûr que tout le monde ait le sens de l’humour. Je me suis renseigné discrètement si des confrères avaient trouvé l’IDEE, mais cela n’a rien donné.



Un jour, au moment où je m’y attendais le moins, je l’ai vu mon idée. Elle est passée devant moi et j’aurais pu la rater si elle ne s’était arrêtée pour acheter un journal. C’était un homme d’apparence anodine, mais avec … un nez rouge. Un petit nez rouge pincé sur son propre nez qui lui donnait une immense différence. Enlevez-lui son nez et il sera semblable à tous les passants. Cela m’a interpellé : pourquoi chercher compliqué quand une touche de différence suffit à vous faire remarquer ?



Alors, j’ai gardé ma couleur verte, mon escalier, mon plan de métro et je me suis fait faire le nez que vous voyez sur la photo. Un peu kitsch pour certains, mais en tout cas passe-partout. Regardez le badaud sur la photo. Il serait entré machinalement dans une station de métro, mais là, il hésite : c’est quoi ? Un métro ? Une galerie d’art ? Une entrée de parking ? Les quelques secondes perdues à cela me font plaisir. J’existe enfin aux yeux de mon visiteur. Peut-être m’aura-t-il oublié dans quelques minutes, mais qu’importe. « Je suis vu, donc je suis » aurait pu écrire un philosophe.


Finalement, il entre dans la station avec un petit sourire en coin et la tête levée. Que la joie soit dans votre cœur, monsieur l’inconnu

mercredi 21 octobre 2009

Photographie


Je m’appelle Wilhelm Albert Włodzimierz Apolinary de Wąż-Kostrowicki et je suis gardien de square. Ce n’est pas mon vrai métier, mais vu là où je suis, je fais « fonction de ». Le vrai gardien, lui, ne vient ici que quelques heures par jour, voire par semaine. Il a d’autres sites à garder. Alors, comme je suis face à l’entrée, il me demande ma collaboration : « qu’ai-je vu ? Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ? La vigne est-elle intacte (eh oui, il y a un des ceps pas loin de moi) ? Dora est-elle toujours là ? »

Il faut que je vous dise que madame Maar (Dora pour les intimes) est ma voisine. Nous discutons tranquillement tous les deux (C’était l’égérie d’un grand peintre et sculpteur : c’est d’ailleurs lui qui a fait mon buste). C’est une personne charmante qui un jour a fait l’objet d’un rapt. Elle a été retrouvé abandonner dans un fossé en banlieue. Depuis, elle est un peu inquiète (et le gardien aussi). Je m’occupe d’elle est garde l’œil ouvert.

C’est une image parce que je ne peux pas fermer les yeux. Pas très pratique pour me reposer, ni quand j’ai le soleil dans les yeux. Bien plus, je ne peux tourner la tête ou regarder de côté. Rien de plus désagréable quand on parle vous dans votre dos.

Parce qu’on parle de moi. Je ne sais trop si c’est pour mes œuvres ou parce que mon buste a été réalisé par un grand artiste. Mon sculpteur, espagnol de naissance est assez jaloux et n’apprécie guère ma proximité avec son ex-amie Dora (même s’il l’a quitté depuis bien longtemps). Tout cela fait beaucoup de commérages. Il faut savoir passer au-dessus.

Pour encore compliquer les choses, le square où je suis s’appelle Laurent Prache. Je ne le connais pas ce monsieur. Il a beau avoir été mon contemporain, je ne pense pas l’avoir croisé. Son grand fait d’armes : « avoir été un député antimaçonnique » disent mes visiteurs. Je ne sais pas ce que cela veut dire. En tout cas, je n’ai rien contre les gens du bâtiment.

Je passe donc mes journées, comme je vous le dis, à surveiller, à échanger avec ma voisine, à poser pour les visiteurs qui veulent me photographier... Il ne me reste plus beaucoup de temps pour écrire des poésies. Tenez, en voici une pour vous, que j’appelle justement « Photographie »

Ton sourire m'attire comme Pourrait m'attirer une fleur Photographie tu es le champignon brun De la forêt Qu'est sa beauté Les blancs y sont Un clair de lune Dans un jardin pacifique Plein d'eaux vives et de jardiniers endiablés Photographie tu es la fumée de l'ardeur Qu'est sa beauté Et il y a en toi Photographie Des tons alanguis On y entend Une mélopée Photographie tu es l'ombre Du Soleil Qu'est sa beauté

Cela vous a plu ? Tant mieux. Une dernière chose : arrêtez d’écorcher mon nom, cela me fait mal aux oreilles. Appelez-moi plus simplement Guillaume, Guillaume Apollinaire. C’est plus simple ? J’en suis fort aise. A bientôt .

samedi 17 octobre 2009

Le mois de l’Art français en Afrique


Ici, en Afrique, le pays est coloré par une nature exubérante, les tenues des femmes sont pleines de couleurs, les maisons sont peintes (parfois simplement par a terre rouge ou ocre), en bref, nous baignons dans la couleur sous le soleil. Pourtant, aujourd’hui, je viens de faire une rencontre qui m’a donné l’impression de vivre dans un univers grisâtre. Ma ville entre dans le mois de l’Art français, un mois où de nombreux artistes français viennent décorer les rues. C’est bien ; c’est un moyen d’ouvrir nos esprits à d’autres formes d’art et de culture et c’est une débauche de formes et de couleurs

Les œuvres d’art sont plus que saisissantes, quoique des fois un peu incompréhensible. Ainsi, me voici sur la photo sur le quai de la gare en train de regarder une œuvre. Qu’est-ce que c’est ? Un homme m’a dit que c’est une femme portant des paniers. Un autre, que c’est une Parisienne. J’avoue que je ne comprends guère. Pas de tête : peut-être porte-t-elle les paniers sur la tête ou a-t-elle les épaules rentrées ? Son corps est maigre : un simple tube. Je préfère les formes arrondies de nos femmes africaines. Ces occidentales, à force de régime, elles n’ont plus que la peau sur les os. Elle est petite : est-ce un enfant ou l’artiste n’a-t-il plus d’argent ? Cela expliquerait mieux sa maigreur. Feraient-ils travailler des enfants en leur faisant porter de grands paniers ? Heureusement, ses paniers sont vides. Cela symbolise-t-il la crise ? Regardez-les : ils flottent au vent. Quel gaspillage : ils sont en plastique ! Ils veulent nous apprendre l’écologie et ils consomment du pétrole.

Quelle vie terne ce doit être dans ces pays occidentaux. Ils pensent faire de l’Art, mais cela est froid et triste. Ils utilisent du métal et des produits chimiques alors que la nature recèle de produits naturels colorés. Ils voient « petit » : quelle mesquinerie ! C’est mono-couleur. Ce vert uniforme aussi me choque. Nous, nous sommes habitués au mélange des couleurs, des sons et des odeurs.

Je vais emmener mes enfants voir cette sculpture pour qu’ils saisissent la grandeur de notre esprit et de notre culture. Pauvres français !

jeudi 8 octobre 2009

Big Sister vous rappelle à l’ordre


« C’est qui, celui-là ? Non, mais vous avez vu comment il est habillé ? On ne devrait pas laisser des gens comme cela circuler ici ! Je vais demander à mes collègues de le suivre. Et s’il revient dans un tel état, gare à lui. Bien sûr, je ne suis pas là pour me faire l’arbitre de la mode, mais quand même !

Moi, mon rôle est de m’assurer que tout va bien. Je remplace en quelque sorte les caméras de vidéosurveillance. Je suis visible, intégrée dans le décor et je regarde. Je suis, en quelque sorte, votre bonne conscience, vous savez le petit ange blanc qui est sur votre épaule droite (pour les droitiers) et je vous protège des mauvaises influences, celles du petit diablotin qui est sur l’autre épaule.

Bien sûr, je suis nouvelle à Paris. Je fais partie d’un test qui a déjà eu lieu dans diverses villes du monde, avec succès. Je regarde, c’est tout, je ne dresse pas de contravention, je n’avertis personne (à la différence de Big Brother), mais je vous susurre à l’oreille : « attention ! Tiens –toi correctement. Pense à toi, à ta famille, à ton entourage. Qu’est-ce qu’on va dire de toi et de nous ? Etc. » Enfin, tout ce que votre mère, grande sœur, grand-mère (et j’en passe)… vous ont répété des années durant avec le peu de succès que l’on sait. Moralité : voyez ce qui se passe dans les écoles où votre gouvernement envisage de donner des primes d’assiduité.

L’opposition a décidé de réagir d’une manière différente en nous postant à des points clés… pour les autres. En effet, « ils » auraient pu nous coller à la sortie des écoles, devant les cafés branchés, les boites de nuit…mais non : ils ont préféré nous reléguer sur une île avec en face de moi une voie rapide. Peut-être qu’ils veulent que les gens s’habituent à nous avant de nous rapprocher des lieux clés. Peut-être aussi qu’ils ne veulent pas trop que nous nous impliquions dans leurs affaires, du style « dites aux gens de ne pas faire ceci ou cela, mais non nous voulons continuer

En attendant, je surveille les piétons de jours et les pigeons. La nuit, je ne préfère pas en parler. Quant aux voitures sur la voie express, je dois faire très attention : un jour, j’ai eu une grosse poussière dans l’œil. J’ai cligné de l’œil et…boum ! Il y a eu un carambolage : sûrement quelqu’un qui n’en croyait pas ses yeux et qui a du freiner. Maintenant, j’attends une accalmie dans la circulation pour le faire.


Bon, ce n’est pas tout cela, j’ai été très contente d’échanger avec vous et je vous souhaite une bonne journée. Au plaisir de vous revoir. »

jeudi 1 octobre 2009

L’orthographe est sauvée !


Devant la dégradation croissante de l’orthographe et de la grammaire parmi les nouvelles générations, de nombreuses initiatives ont été prises tant au niveau des écoles que des universités (ex. Réintroduction des cours de français dans les écoles d’ingénieurs) ou des entreprises (le DIF fait un malheur sur ces sujets).

Pouvons-nous encore sauver l’orthographe ? Certains en doutent et passent déjà à une nouvelle étape. Nous en voulons pour preuve l’initiative de la RATP qui nous convertit à de nouveaux langages.

Prenez par exemple la circulation des trains. Si vous souhaitez aller à Chatou, prenez XUTI ou ZEBU, mais pas ZARA. Pour St Germain, c’est ZARA (une forme de sponsoring déguisée) ou ZEBU : en bref, des mots simples, sans piège d’orthographe. Pour aller de Chatelet à Gentilly, choisissez SVIT ou KNUT, mais surtout pas PAPY !

Devant le succès de la méthode, la RATP est en train de passer à une nouvelle étape : les signes. Vous trouvez en photo un panneau testé à Auber. Les deux premières lignes indiquent les trains pour St Germain. La troisième ligne, ceux pour Cergy. Les traits en vert, les retards. Compliqué ? Pas plus que de savoir si le « h » est aspiré dans un mot ou non. Et puis, nos férus de l’informatique auront tôt fait de nous trouver une solution.

D’ailleurs, avec une population plus âgée et donc avec une moins bonne vue, n’est-ce pas plus facile de reconnaître sa destination habituelle par la longueur des traits. Cela vous surprend ? En fait, vous achetez comme cela dans les supermarchés : c’est le code couleur et la taille du paquet qui vous tape à l’œil, pas le nom. De nombreux distributeurs ont copié les codes couleurs des grandes marques (cf. Un procès entre Unilever et Intermarché il y a quelques années).

Alors, attendez-vous, lors de la prochaine campagne présidentielle, à un féroce débat autour du thème : « nous avons sauvé l’orthographe ! » (Peut-être que ce dernier mot ne s’écrira plus ainsi mais « orthographe ».

vendredi 25 septembre 2009

Le pont des papouilles


Il y a des ponts pour chemin de fer, d’autres pour des voitures, d’autres encore pour des piétons, et bien d’autres formes encore…Mais connaissez-vous le pont à papouilles ? Un pont comme bien d’autres, mais qui est exclusivement réservé aux papouilles. Attention, il ne s’agit pas d’un pont pour romantiques, du style « pont des soupirs » à Venise ou d’un pont pour intellectuels (type « pont des Arts » à Paris). Allez sur ce pont et vous verrez qu’au centre de celui-ci des passants viennent se faire papouiller.

Ce n’est pas un acte gratuit, cela n’est pas médical, voire remboursé par la sécurité sociale. C’est le plaisir de se faire papouiller par un étranger (= quelqu’un que vous ne connaissez pas) et en ressortir allégé financièrement et peut-être physiquement.

J’ai fait ma petite enquête auprès des adeptes. Voici leur verbatin :

« C’est super, avec l’eau qui nous entoure, cela m’a reposé, moi qui venais de marcher pendant des heures »
« Cela fait hurler mon copain. C’est bien »
« Je vais faire cela sur le pont de ma ville. Il faut que je trouve d’autres pratiquants, parce que toute seule… »
« Charlatan ! »
« Très bien »

J’ai alors interviewé les « papouilleurs » :

« Il y a à cet endroit un courant, une énergie qui associe l’eau (en dessous), le terre (sur l’ile) et le ciel (avec la cathédrale à proximité). Ce lieu est une vraie révélation »
« Avant je faisais des croquis des passants, maintenant je les chatouille. C’est plus rapide, moins fatiguant et aussi rentable. »

J’ai moi-même fait le test : je reconnais que cela m’a reposé, mais est-ce le fait d’être assis à ne rien faire ou la technique de ma papouilleuse ?

Un intellectuel m’a alors expliqué : « cela a commencé par les centres où les gens se prennent dans les bras l’un de l’autre, les écoles du rire et maintenant cela arrive au stade individuel. C’est une pratique bio (sic) ! »

A quand l’inscription de cette pratique dans le programme des écologistes ? A proposer à nos politiques peut-être...

dimanche 20 septembre 2009

Haïku en veux-tu en voilà



Quelques Haikus* de Robert Serge Hanna pour goûter les saisons.





*Le haïku, est un petit poème très court comportant un verset de 17 syllabes sur seulement 3 lignes : respectivement 5, 7, 5, syllabes. Donc très court mais très évocateur.
Ils sont intuitifs, un moment de la vie, un instant de nature, rappelant toujours une saison.

Le jour se lève
Des fleurs à ma fenêtre
Déjà le printemps.

Le vent soufflera
Des feuilles à peine jaunies
Quand viendra l'automne.

Larmes de nuages
Font déborder la rivière
Grossir la mousson.

Le grain a germé
La fleur de blé au grenier
Du pain pour l'hiver.

Banc sous les lilas
Le printemps dans le jardin
Mon cœur se réjouit.

Giboulées de mars
Des nuages noirs de pluie
Je te salue mon printemps.

samedi 12 septembre 2009

Quelle chaise êtes-vous ?


Nous faisons des chaises à notre image : elles ont un dos, des pieds, une assise, des coudes. Certains angles saillants sont appelés des oreilles. D'autres ont carrément une tête humaine qui les surplombe.

Les chaises ont une vie sociale. Faire asseoir quelqu'un sur un fauteuil ou un tabouret n'a pas le même sens. Les chaises voyagent qu'elles soient pliantes ou disposées au hasard dans un jardin.

La chaise est aussi un substitut de l'homme : il est courant dans certains rites de laisser une chaise vide, symbole de la personne venue ou à venir… et en politique, la politique de la chaise vide (dans les négociations) sont très explicites.

La chaise est aussi un symbole d'ordre ou de désordre. Leur disposition qu'elle soit rangée, ordonnée, empilée ou renversée envoie un message clair.

Si cela ne nous suffit pas, nous leur donnons du caractère : une veste sur le dossier ou un chapeau dessus informent sur le propriétaire.

De nombreuses populations continuent à se passer de chaises et à vivre assis sur le sol. Un professeur soudanais a observé que les gens qui vivent sans chaise ont moins d'hémorroïdes et de varices, mais d'autres ont constaté des problèmes de colonne vertébrale chez les personnes obligées de se courber. Rien n'est parfait. Au Japon, le combat continue entre les deux écoles : vivre sur les tatamis ou assis.

Ces dernières années, ce qui le plus fait progresser la forme des chaises, c'est l'enseignement … et les ordinateurs, en bref, tout ce qui suppose une longue assise.

Les chaises nous rendent malades…voilà un nouveau sujet d'inquiétude : faut-il supprimer les chaises ou corriger le maintien de ceux qui sont dessus ?

vendredi 4 septembre 2009

Comment regardez-vous la vie, la rue ?


la La vie pour certains, c’est comme une longue rue droite avec des hauts murs de part et d’autre. Au bout, un léger coude empêche de voir la fin du parcours. Sécurisant ou stressant ?

D’autres observent une rue avec des ouvertures. Il y a des portes visibles (à droite) ou cachés par les murs, des fenêtres… d’autres chemins possibles si besoin ou envie…?

Il y a aussi ceux qui regardent l’environnement. La rue, déserte à cette heure, est un lieu de passage. Il suffit de patienter pour faire des rencontres.

Il y a encore ceux pour qui le regard porté ne suffit pas. Ils tournent la tête à droite, à gauche et derrière eux. Pour eux, il est possible de changer de direction à tout moment, le tout est de le vouloir.

Et puis vous avez ceux qui regardent au-dessus d’eux, à leurs pieds…

Et vous ?

dimanche 30 août 2009

Vive le réchauffement de la planète !


Je suis un arbre d’une espèce nouvelle. Je ne perds pas de feuilles ou d’épines, mais je n’en gagne pas non plus. Je n’ai guère besoin d’eau mais j’en fournis. Je m’intègre discrètement dans le paysage et de loin je suis quasi invisible. Je pousse immédiatement à ma taille adulte et je n’en bouge plus. Qu’est-ce qu’un jardinier pourrait demander de plus ?

Je suis un mutant de l’écologie. Grâce au réchauffement de la planète, je suis de plus en plus courtisé. Avant, vous me trouviez à des altitudes d’environ 1.000 mètres, puis progressivement, mes tuteurs m’ont planté à 1.500, 1.800, 2.000 et aujourd’hui vous me trouvez couramment à 2.200 / 2.500 mètres. Vive le réchauffement de la planète. A chaque fois que je vous vois arriver dans mes montagnes en voiture ou en train, je suis content parce que je vais gagner quelques mètres d’une année sur l’autre.

Remarquez, je fais des envieux. Les sapins qui n’arrivent pas à dépasser les 2.000 mètres sont jaloux. J’ai beau leur dire de se renseigner, ils ne veulent pas m’entendre. Pourtant en 25 ans, les oliviers ont remonté (pour la culture) de plus de 300 kilomètres en France. Encore 50 ans et la Normandie sera le pays de l’olivier ! C’est une belle image n’est-ce pas ? Alors les sapins, remuez-vous !

En fait, je crois que les sapins me jalousent pour mon utilité. Quand vous faites du ski, un sapin (ou plutôt une forêt de sapins), cela évoque le froid, l’ombre, les plaques de verglas et le risque de se cogner contre (et cela fait mal). Mais moi, je suis discret, toujours isolé et je fournis de la neige fraîche en abondance. Quand à se cogner contre moi, il faut y mettre beaucoup de mauvaise volonté (surtout que je suis entouré de protections par mes tuteurs).

Laissons les sapins à leur vie. Pensons à vous. Rappelez-vous les phrases de l’Ecclésiaste (dans la bible) : « profitez de la vie ». Donc utilisez voiture, moto, camion, construisez des centrales thermiques à charbon, produisez et polluez et je gagnerai mètre par mètre sur les flancs de vos montagnes.

Rendez-vous bientôt sur les pistes de ski à 3.500 mètres pour profiter de la rare neige qui reste (et en plus monter à cette altitude vous fera encore plus polluer !).

C’est cela le progrès. Vive l’écologie !

jeudi 20 août 2009

L’enfance d’un leader (3)


Jery, au bout de quelques temps, revient voir son père : « j’ai déterminé la direction vers où je veux emmener mon équipe. Je les ai emmenés en haut du bâtiment et je la leur ai montrée. Ils s’en moquent et préfèrent faire leur travail au quotidien. Le futur et surtout la direction où les emmener ne les concerne pas ils ont sûrement raison. A quoi sert d’être un grand chef maintenant ? Cela viendra en son temps. Pourquoi se presser ? On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux. »

Son père l’écoute attentivement, l’invite à s’asseoir et lui raconte l’histoire suivante : « Il était un roi qui régnait sur une belle contrée. Il gouvernait sagement et cherchait le bonheur de ses sujets. Il faisait bâtir pour son usage et celui de ses sujets divers bâtiments par son architecte principal, un homme de grande expérience et respecté.

Celui-ci vint le voir pour lui qu'il souhaitait arrêter sa charge d'architecte royal. Il sentait que sa santé déclinait et il n'avait plus la force et le courage de courir d'un bout à l'autre du royaume pour gérer les chantiers. Il lui précisa qu'il avait formé de nombreux jeunes architectes qui sauraient prendre la relève et répondre aux désirs de sa Majesté.

Le roi s'en désola, lui dit qu'il le regretterait et lui demanda un dernier service : construire une dernière résidence pour lui. L'architecte refusa, lui proposant des remplaçants pour cette tâche, puis devant l'insistance du roi, finit par accepter.

L'architecte y mit au début tout son cœur, mais petit à petit, s'en désintéressa, le cœur n'y étant plu. Les entrepreneurs et les ouvriers en profitèrent pour tricher sur la qualité des matériaux et bâcler les finitions. L'architecte, peu présent, n'y vit que du feu.

Les travaux terminés, le roi vint inaugurer le nouveau petit palais. Il parcourut rapidement le bâtiment, s'extasia devant la qualité apparente et prit à part son architecte pour lui dire : "Ce palais est …pour toi ! C'est mon cadeau pour te témoigner ma reconnaissance".

L'architecte remercia le roi et dut vivre dans son palais. Très vite, les imperfections lui sautèrent aux yeux et il s'en désola. Quand il rencontrait le roi ou un de ses principaux ministres, il ne pouvait rien en dire. Il était maintenant condamné à vivre dans le bâtiment qu'il avait lui-même laissé construire.

Tu vois, mon fils, il en est de même de notre travail et de notre avenir. Nous les construisons progressivement au fil du temps, profitant parfois d'opportunités qui nous détournent de notre chemin, prenant des raccourcis, reportant au lendemain des décisions de fond… Un beau jour, nous réalisons que nous avons à vivre avec ce que nous avons bâti et que nous ne pouvons aller en arrière. Bien sûr, nous pouvons modifier son cours, mais au prix de quels efforts…

Alors, si tu reste un petit chef, tu as peu de chances d’être reconnu comme un grand chef plus tard. Chaque jour, lorsque tu dois décider et agir, imagine que ce que tu fais t’engage : une pierre pourrie dans une construction suffit pour amoindrir celle-ci. »

vendredi 14 août 2009

L'enfance d'un leader (2)


Quelques jours plus tard, Jery revient voir son père : « J’ai suivi tes conseils. Je ne prends plus l’ascenseur. Je prends l’escalier avec mes collaborateurs. Seulement, quand nous arrivons au sommet du bâtiment, je ne sais pas de quel côté regarder. Tu m’as dit qu’il fallait voir loin pour être un leader, mais ce la ne me dit voir quoi. »

Son père lui demande ce qu’il voit du sommet de son bâtiment. Jery lui explique qu’il peut regarder aussi bien du côté de la ville, avec ses immeubles et ses maisons, que du côté du quartier sur la colline avec son côté village, ou encore vers les champs de manioc et les rizières. « Est-ce que je dois regarder partout à la fois ? Tirer au sort un des endroits ? Laisser mes collaborateurs choisir ce qui leur plaît ? » lui demande-t-il.

Son père réfléchit quelques instants et lui répond : « Je vais te raconter une histoire. Toky est un jeune garçon qui s’est perdu sur les plateaux. Il cherche son chemin. Il grimpe sur une petite colline et voit au nord une ville, à l’ouest des rizières, au sud un village et à l’est des champs de manioc. Il ne sait pas de quel côté diriger ses pas. Il interroge un lézard qui se chauffe au soleil sur sa direction. Le lézard lui demande ce qu’il cherche. Toky réalise qu’il ne sait pas très bien. Il est parti à la recherche de nourriture pour sa famille. Il ne sait trop s’il doit d’abord retrouver son village, puis repartir chercher de quoi manger ou l’inverse. Le lézard lui dit que toutes les directions sont bonnes puisqu’elles lui permettent de rejoindre des habitations ou de trouver de la nourriture : « si tu cherches le savoir pour réfléchir et décider, va plutôt vers la ville où sont rassemblés les gens savants. Si tu cherches la compagnie et l’entraide humaine, va vers le village. Si tu veux trouver des provisions rapidement, va vers les champs de manioc. Celui-ci pousse facilement quelque soit le sol ou la pluie. Si tu veux des aliments plus riches mais qui demande plus de temps, de soin et d’eau va vers les rizières. »

Le visage de Jery s’illumine : « je dois donc savoir ce dont les personnes de mon équipe ont besoin pour réussir et les tourner dans la bonne direction. Oui, mais savoir quoi pour quoi ? Je sais et ils savent ce qu’ils doivent faire aujourd’hui. Donc tout va bien.»

Son père hoche la tête et lui demande : « Et demain ? Quel sera ton travail demain ? Quel sera le leur ? Si je continue mon histoire, Toky peut aller effectivement aujourd’hui dans n’importe quelle direction. Mais à terme, quel serait le meilleur choix ? Si sa famille a faim, à quoi sert de retourner les mains vides au village ? Si ce n’est pas le cas, à quoi sert de trop s’éloigner ?»
« D’accord » répond Jery, « mais qui peut prédire l’avenir ? »

« Toi » lui répond son père. « Si tu ne sais pas l’avenir, cherche-le et si tu ne le trouves pas, écris-le. Les choses changent lentement : regarde autour de toi, écoute, lis, agis = tout cela te dira ce qui sera la situation dans un an. »

« Donc » conclut Jery, « avant de faire monter l’escalier à son équipe, il faut savoir pourquoi et vers où on les emmène. Je vais y réfléchir, écouter et observer autour de moi.»

jeudi 6 août 2009

L’enfance d’un leader (1)


Jery vient de devenir « chef ». Pas un grand chef, mais un « chef » simplement : le responsable au sein de son entreprise de quelques personnes. Une belle promotion qui consacre le travail acharné de Jery. Il en est très fier. Son responsable lui a donné des objectifs et l’a encouragé à venir lui demander conseil si nécessaire. Jery va diriger ses anciens collègues. Il connaît son travail, il connaît ses collègues avec leurs qualités et leurs points d’amélioration. Donc, il a tous les atouts pour réussir.

Seulement Jery est aussi un perfectionniste. Il ne veut pas se contenter d’être un « chef », il veut être un « bon chef », un « grand chef », un « leader » comme disent les médias. « Mais, au fait, c’est quoi un leader ?» se demande-t-il. Les leaders dont parlent les médias sont de grands présidents, des hommes (ou femmes) reconnus pour leurs talents et drainant derrière eux des milliers, voire des millions de personnes. Lui, Jery, il a 5 personnes sous ses ordres.

Il en parle à son responsable. Celui-ci sourit et lui dit : « si tu atteins tes objectifs, tu seras un leader ». Cela ne lui plaît guère. Il consulte ses amis. Leurs avis divergent. Certains disent que c’est leur patron le leader, d’autres qu’il n’y a qu’un leader dans une entreprise (« dommage » se dit Jery, « la place est prise »), … mais tout cela ne le convainc pas.

Il va alors voir son père. Celui-ci l’écoute, réfléchit en silence et l’emmène sur le balcon de leur maison. Il lui dit « regarde cet immeuble de bureaux tout bleu. Que vois-tu ? » Jery, qui connaît ce bâtiment depuis longtemps, ne voit rien de particulier, voire de nouveau. Son père insiste et lui demande de dire ce qu’il voit sur la façade. Jery se concentre et voit un reflet sur la partie basse : « je vois une ombre. On dirait un village fantôme. Mais au dessus, il n’y a rien à voir ».

Son père lui explique : « une entreprise c’est une communauté humaine. C’est comme un grand village avec des chefs de ceci, de cela, comme toi actuellement. Toutefois, les chefs sont souvent débordés par tout ce qu’ils ont à faire. Ils restent en proximité des personnes qu’ils dirigent et vivent avec eux au village. Cela a l’avantage qu’ils sont au contact des gens, mais l’inconvénient qu’ils vivent dans les détails et les soucis de chacun.»

Après un temps de silence, Jery l’interroge « Et les leaders ? ». Son père reprend : « les leaders sont ceux qui s’élèvent au dessus de la mêlée et regardent au loin. Dans cet immeuble, imagine les leaders comme ceux qui sont montés dans les étages supérieurs pour être plus au calme du quotidien et regarder au loin. Ils ne se contentent pas de gérer le quotidien, mais entraîne ceux qui les suivent dans une direction. Toutefois, ne confond pas le niveau d’étage et la capacité à être leader. Certains peuvent monter trop vite et oublier ceux qui sont en bas. Il en résulte que personne ne comprend où ils vont et les ordres sont mal interprétés. D’autres montent trop lentement et n’arrivent pas à se dégager du contrôle quotidien de ceux d’en bas. C’est comme si ils avaient emmenés tout le monde avec eux. »

« J’ai compris » dit Jery, « un grand chef ne prend pas l’ascenseur. Il prend les escaliers pas trop vite pour que ses collaborateurs puissent le suivre et lui les entendre, mais avec une suffisamment grande marge d’avance pour avoir du temps pour regarder au loin. Je vais essayer.»

jeudi 30 juillet 2009

Le téléphone du futur


- Madame Isabelle T., vous société de télécommunications est devenue en quelques années un des grands du marché de la communication. Pourtant, vous ne possédez ni réseau, ni technologie spécifique, ni installation fixe. Comment expliquez-vous alors vos 18 millions de clients mensuels et votre croissance de 19,56 % par an ?
- Tout est parti du constat qu’il y avait une absence de réponse à trois besoins fondamentaux : téléphoner partout sans danger avec convivialité et dans un souci de favoriser le travail pour le plus grand nombre. .
- Commençons d’abord par le fait de téléphoner sans danger. Etes-vous de ceux qui militent contre les antennes relais ?
- Il y a quelques années, j’ai été parmi les premières militantes à protester contre les antennes relais. Il est un fait que notre corps absorbe tout ou partie des radiations émises par ces antennes. J’ai pensé à un moment qu’il fallait aller au-delà de la lutte contre les antennes et proposer une solution alternative : la cabine alternative. Il s’agit de points où les gens peuvent téléphoner à partir d’un poste fixe pour un coût très modique.
- Vous avez en somme réinventée les cabines téléphoniques.
- Justement non. Les cabines, plus personne n’en veut. Elles sont inconfortables, souvent sales parce que certains s’en servent comme lieux de stockage ou de poubelle et surtout, surtout vous y êtes seul.
- Pourtant, lorsque les gens téléphonent, il me semble qu’ils recherchent justement un peu d’intimité.
- Oui, parfois, pour ceux qui savent qui appeler et quoi leur dire. En réalité, le plus grand nombre ne sait pas toujours comment appeler, atteindre leur interlocuteur et gérer les milles et un détails de l’entretien téléphonique.
- Pouvez-vous développer ces trois points ?
- Savoir comment appeler : vous devez appeler la Belgique. Vous êtes dans une cabine. Trouvez-vous facilement l’indicatif de la ville de Charleroi ? Non ! Atteindre leur interlocuteur : nombre de personnes sont perdues avec les aiguillages automatiques des serveurs téléphoniques. Un exemple d’un grand service public : « tapez le 1 si vous ne voulez pas ceci, tapez 2 si vous ne voulez pas le 1 ou tapez 3 pour revenir au point de départ ». vous avez compris ? moi non et mes clients non plus ! En fin gérer les détails : avez-vous remarqué que les papiers et les crayons disparaissent toujours de vos poches ou de votre table quand vous téléphonez ? C’est cela la force de notre réseau : la convivialité. Un opérateur présent physiquement vous aide à trouver l’information, à vous aiguiller dans les dédales des serveurs vocaux et vous fournit papier et crayon. En bref, quand tous les opérateurs passés créaient des bulles d’isolement, nous pour notre part, nous réinventons la convivialité.
- Vous nous avez parlé de votre présence de proximité…
- Nous avons des téléphones pratiquement tous les 30 mètres dans les grandes artères et notre objectif est d’arriver à 20 mètres en 2011.
- Vous avez aussi évoqué la bienveillance. Qu’entendez-vous par favoriser le travail du plus grand nombre ?
- Dans un pays avec es millions de chômeurs, je ne pouvais rester les bras croisés. Mes stands téléphoniques m’ont permis de faire travailler noblement des centaines de milliers de gens.
- Qu’entendez-vous par travailler « noblement » ?
- Mes employés aident autrui à téléphoner, échangent avec eux et se voient remercier par leurs clients. Cela change du travail à la chaîne et des cadences infernales.
- Madame Isabelle T., un dernier mot. Avez-vous vous-même un téléphone portable ?
- En tant que mère de famille (j’ai trois enfants), j’ai besoin d’être rassurée qu’ils peuvent me joindre à tout moment.
- N’est-ce pas un peu contradictoire avec la philosophie de votre entreprise ?
- Je n’écoute pas directement mon téléphone, ni n’utilise des écouteurs.
- Alors comment faites-vous ?
- J’ai des petits baffles portatifs que je garde soigneusement à distance et moi et parle un peu plus fort de loin.
- Merci madame Isabelle T. pour votre témoignage. Ici, Matignon où notre invitée vient d’être décorée de la croix de la santé publique.

vendredi 24 juillet 2009

Le pays où les rêves sont permis


Je reviens d’un pays où vous pouvez exaucer des rêves fous. C’est l’histoire d’un homme qui a toujours rêvé de faire des bateaux. Pas de petits bateaux, pas des barques ou des canoës, non des 28 pieds capables de faire de longues traversées avec un moteur puissant et tout ce qu’il faut pour que vous y trouviez du plaisir.

Vous me direz que cela est à la portée de tout le monde. Bien sûr, faire un bateau est à la portée de chacun (moyennant un bon paquet de billets d’euros et…du temps). Toutefois lorsque l’aventurier est un amoureux de la montagne, l’histoire se corse (façon de parler, cela ne se passe pas en Corse.). Donc, il souhaitait faire cela à 1.500 mètres d’altitude. « Et alors », me diriez-vous, « les Suisses construisent des bateaux qui vont sur leurs grands lacs ». J’attire toutefois votre attention que leurs lacs ne sont pas à 1.500 mètres d’altitude et que les bateaux de mon aventurier sont construits à 1.500 mètres d’altitude pour aller…sur la mer.

« C’est simple, il suffit de les emmener au bord de la mer ave un camion et le tour est joué.» Un détail qui peut vous intéresser : la mer est à 12 heures de route ! D’accord, je reconnais, c’est une question de transport, mais un long transport. Non pas pour les douze heures de route, mais simplement parce que ces bateaux ne sont pas destinés à cette mer locale, mais à d’autres mers situées à des milliers de kilomètres de là.

Imaginez des ouvriers qui n’ont peut-être jamais vu la mer construire des bateaux pour des plaisanciers qui vivent dans des lieux qu’ils ne connaîtront peut-être jamais et naviguent sur des eaux dont ils n’ont idées. « C’est tout le phénomène de l’export » pourriez-vous continuer. « Après tout, les ouvriers dans les usines fabriquent des produits pour des gens qu’ils ne verront jamais. Et alors ? » Alors, la différence est importante : des hommes construisent avec amour et passion (Note : la construction d’un tel bateau prend trois semaines : c’est du travail artisanal) des objets qui peuvent leur sembler étranges et inutiles. Chez eux, il n’y a que des barques à rame pour deux personnes.

Le plus étonnant est que ces bateaux se vendent bien et que ce chantier naval se développe.
A quand le transfert du chantier naval de St Nazaire à Tignes et la reconversion des vachers en fabricant de jonques ?

lundi 13 juillet 2009

Qui choisit de faire ?


Désiré aimait tout faire lui-même. Ce n’était pas une question de refus de partager, simplement un souci de bien faire les choses. C’est vrai que Désiré faisait bien les choses. Il avait beaucoup de savoir, de savoir-faire et surtout un goût de la perfection pour répondre aux besoins d’autrui. En bref, il ne se faisait pas plaisir, il ne faisait pas de la surqualité mais répondait pour le mieux au besoin des autres.

Seulement voilà, Désiré avait beaucoup trop de demandes et pas assez de temps pour bien y répondre. Tout le monde lui disait : « délègue certaines tâches, ne fais pas tout tout seul. » Seulement, Désiré avait du mal à le faire. Oh, il avait bien essayé. Il avait donné certaines tâches à d’autres, en précisant la procédure, le résultat attendu, le délai imparti et en invitant son interlocuteur à venir le voir si besoin. Cela ne marchait pas : certains ne suivaient pas la procédure, d’autres oubliaient le délai ou ne venaient pas le voir et le résultat n’était pas au rendez-vous. Désiré, avec un grand soupir (d’épuisement ou de soulagement ?) reprenait l’ensemble des tâches jusqu’à la prochaine surcharge de travail.

Puis, un jour, il se retrouva à confier une sous-tâche à Tiana. Désiré était convaincu d’avance que cela ne servirait à rien, mais puisqu’il n’avait pas le choix à court terme, il s’y résigna et lui expliqua ce qu’il attendait d’elle. Seulement celle-ci ne réagit pas comme ses prédécesseurs. Au lieu de simplement dire qu’elle avait compris ou non à chaque interrogation de son tuteur, elle demandait à chaque fois : « si je ne fais pas cette étape comme prévue, que se passera-t-il ? » Désiré était un peu déstabilisé. Il n’avait jamais pensé de cette manière. Il n’en voyait pas l’intérêt. Toutefois, il essaya de répondre à ses questions. Parfois c’était facile : une loi ou une contrainte extérieure obligeait à respecter ce qu’il avait demandé = la conséquence pouvait être une amende ou un rejet de la demande par exemple. D’autres fois, les contraintes étaient plus en termes de service et de rapport aux autres. C’était comme dans un restaurant où l’addition arriverait avant le dessert. Faire les choses dans un certain ordre était logique pour l’utilisateur final (même si le fait de payer n’était pas une gêne pour manger son dessert). Seulement, Désiré dut reconnaître qu’il existait des situations où les demandes de Tiana étaient pleines de bon sens. Le délai qu’il acceptait parfois était exagéré ou bien il y avait des manières plus simples de faire telle ou telle action.

Désiré mit deux fois plus de temps à expliquer à Tiana ce qu’elle devait faire. Il y gagna au final parce qu’elle fit la tâche plus rapidement qu’il ne l’aurait fait. Cela l’interpella : « comment a-t-elle pu faire mieux que les autres et même que moi ? » Il s’en ouvrit à cette dernière. Celle-ci lui dit simplement : « j’ai fait ce que j’avais envie de faire ». Désiré s’en étonna : « tu as fait ce que je t’ai demandé. Tu es donc la première personne à vouloir faire comme moi ! ».

« Non », lui répondit-elle, « tu m’as dit de faire ce que tu voulais que je fasse. Je n’ai pas compris grand-chose sur le moment de ce que tu m’as expliqué. Si je ne t’avais pas posé mes questions, je l’aurai fait mécaniquement et il y aurait eu de grandes choses que je mésinterprète une de tes exigences ou que je ne m’adapte pas à une situation inattendue. Par contre, grâce à tes réponses, j’ai pu faire le libre choix de ce que je voulais faire. Ce n’est pas toi qui m’as ordonné de faire comme ceci ou comme cela, mais moi qui ait choisi parce que j’estimais que c’était la meilleure solution ».

Désiré, qui était bon joueur, reconnut que lui aussi avait appris quelque chose : « si tu avais voulu m’imposer une autre méthode, je n’aurais pas compris. Par contre, tes questions m’ont fait progresser. Je sais maintenant pourquoi je n’ai pas réussi à déléguer des tâches auparavant : je veux que les autres soient mon reflet. Ils ont leur propre reflet».

dimanche 5 juillet 2009

La porte


Petit Emile se tient devant la porte. Pourquoi ne l’ouvrent-ils pas ? se demande-t-il. Pourquoi ont-ils enfermé des gens et des voitures derrière ? Parce qu’il y a des voitures derrière, il les entend. Et des gens aussi. Il les entend parler. Et même un facteur, il voit le courrier tomber dans la boite à lettres. Alors pourquoi ?

Il va en parler à son grand-père. « Rien » lui répond-t-il « ou alors je ne m’en rappelle plus. Tu sais, dans la vie, tu en verras des portes. J’ai vu la porte de la ferme, puis celle de la caserne, après celle de l’usine et d’autres portes encore. Ce sont toujours des portes. »

Petit Emile n’est pas convaincu. Ici, moi, je suis libre, se dit-il en regardant derrière lui le potager, le jardin, la rivière… Pourquoi cacher tout cela à ceux qui sont derrière ? Bien sûr, Petit Emile sort souvent de sa cour. Il voit la porte de la voiture, la porte de l’école, la porte de l’épicerie : ce sont des portes qui s’ouvrent, mais pas celle-là ! Pourquoi ?

Il va en parler à son père. Celui-ci s’arrête dans sa tâche, s’essuie le front, s’assoit et réfléchit longuement avant de parler : «J’ai vu la porte de la maison, de l’église, de la maison de ta mère, des bureaux. Les portes s’ouvrent sur de nouvelles voies. Celle-là s’ouvrira quand ce sera le moment. »

Petit Emile ne sait justement quand ce sera le moment. Il interpelle sa mère à ce sujet. Celle-ci hausse les épaules : « Un jour, cette porte s’ouvrira. Patiente ! »

Petit Emile court dans le jardin, dans les champs, le long de la rivière, mais il n’est pas heureux. Cette porte l’obsède. En fait, il a tout pour être heureux, mais il sait qu’il ne le sera vraiment que quand il saura ce qu’il y a derrière cette porte.

Petit Emile attendra longtemps (pour son âge) que cette porte s’ouvre. Ce sera pour aller à l’école. Là aussi, très vite, il trouvera une porte mystérieuse et il se demandera ce qu’il y a derrière cette porte.

Petit Emile passera ainsi sa vie à attendre qu’une porte s’ouvre. A chaque fois qu’elle s’ouvrira, elle le conduira vers une nouvelle porte et l’attente recommencera. Comment peut-on se centrer sur une porte et ne pas saisir la réalité autour de soi ?

lundi 29 juin 2009

Si j'avais connu le personal branding…


Je m'appelle Jules T. Je suis né à Paris vers 1800. Toute mon enfance a été bercée par les guerres napoléoniennes. Si, pour vous, cela évoque de grandes victoires (et quelques sanglantes défaites) ou des avenues de Paris, pour ma part, j'en ai plutôt gardé le souvenir de morts et de disparus dans ma famille et dans celles de mon voisinage; La chance a voulu que Waterloo arrive à temps pour m'éviter de partir à la boucherie. Je ne suis pas royaliste ou napoléonien, bourboniste ou Louis-philippard, je suis antimilitariste, c'est tout. Je suis maçon et mon plaisir est de construire de belles maisons.

Jeune homme, j'ai fait mon tour de France comme compagnon, puis je suis revenu à Paris, me suis marié et ai eu deux beaux enfants. Ma vie aurait été simple et tranquille, si ma belle-sœur n'était pas tombée d'un escabeau. Je ne parle pas au sens figuré, mais au sens propre. Elle faisait le ménage chez M. François lorsque cela lui est arrivé. Sa chute a été spectaculaire, mais sans gravité. Cela a suffi pour faire sortir M. François de son atelier pour s'enquérir de ce qui s'était passé. C'est un grand monsieur, M. François Rude, un sculpteur réputé. Elle le croisait de temps à autre, mais ils ne s'étaient jamais adressés la parole. Cette fois-ci, après s'être enquis de sa santé, il lui demanda si elle connaissait un homme en pleine force de l'âge pour lui servir de modèle pour un visage. Elle a pensé à moi, parce que j'étais entre deux chantiers.

J'ai été voir M. François, mon visage lui a plu et il en a fait quelques croquis. Je n'y ai plus pensé pendant quelques années jusqu'au jour, où mon député m'a fait venir chercher pour me féliciter. J'ai alors découvert que mon visage avait été intégré dans une sculpture "révolutionnaire". Je suis devenu, malgré moi, un héros révolutionnaire, un grand républicain, un guerrier qui a défendu la Patrie, moi le pacifiste !

J'ai eu beau me défendre, je me suis retrouvé avec tous les royalistes contre moi et les républicains-napoléoniens qui me célébraient. Je ne vous dis pas les bagarres que cela a occasionnées. Ma famille, mes amis, mon voisinage ont commencé à raconter des histoires sur moi : j'ai été un des volontaires pour défendre la Révolution (je n'étais pourtant pas encore né), j'ai sauvé la Patrie, j'ai fait des combats héroïques (moi qui ait été réformé et n'a jamais tenu un fusil de ma vie dans mes mains)…

J'avais beau m'en défendre, personne ne me croyait. Pensez donc, j'étais la gloire de ma famille, du quartier. Même mes enfants, puis mes petits-enfants s'y sont mis. A la fin, j'ai accepté de jouer ce rôle, c'était moins épuisant que de me justifier et j'ai brodé là-dessus.
Remarquez, cela n'a pas que des désavantages. Quand le prince Louis Napoléon est venu au pouvoir, j'ai eu la légion d'honneur et une pension d'ancien combattant.

Plus tard, mes descendants ont pris l'habitude, tous les cinq ans, de se réunir devant la sculpture où je suis représenté pour m'honorer. L'année dernière, un de mes petit-petit fils a même dit que j'étais un modèle de "personal branding" (il parait que cela veut dire celui qui a su créer son image).

Mais moi, je n'ai pas créé mon image, ce sont les autres qui l'ont créé pour moi. Si j'avais su qu'on pouvait créer son image, j'aurais créé celle d'un maçon de génie ! En attendant, si vous passez place de l'Etoile, venez me dire bonjour. Je suis sur la sculpture "la Marseillaise", à droite en tournant le dos aux Champs Elysées.

samedi 20 juin 2009

L’architecte bâtisseur


Il était un roi qui régnait sur une belle contrée. Il gouvernait sagement et cherchait le bonheur de ses sujets. Il faisait bâtir pour son usage et celui de ses sujets divers bâtiments par son architecte principal, un homme de grande expérience et respecté.

Celui-ci vint le voir pour lui qu'il souhaitait arrêter sa charge d'architecte royal. Il sentait que sa santé déclinait et il n'avait plus la force et le courage de courir d'un bout à l'autre du royaume pour gérer les chantiers. Il lui précisa qu'il avait formé de nombreux jeunes architectes qui sauraient prendre la relève et répondre aux désirs de sa Majesté.

Le roi s'en désola, lui dit qu'il le regretterait et lui demanda un dernier service : construire une dernière résidence pour lui. L'architecte refusa, lui proposant des remplaçants pour cette tâche, puis devant l'insistance du roi, finit par accepter.

L'architecte y mit au début tout son cœur, mais petit à petit, s'en désintéressa, le cœur n'y étant plu. Les entrepreneurs et les ouvriers en profitèrent pour tricher sur la qualité des matériaux et bâcler les finitions. L'architecte, peu présent, n'y vit que du feu.

Les travaux terminés, le roi vint inaugurer le nouveau petit palais. Il parcourut rapidement le bâtiment, s'extasia devant la qualité apparente et prit à part son architecte pour lui dire : "Ce palais est …pour toi ! C'est mon cadeau pour te témoigner ma reconnaissance".

L'architecte remercia le roi et dut vivre dans son palais. Très vite, les imperfections lui sautèrent aux yeux et il s'en désola. Quand il rencontrait le roi ou un de ses principaux ministres, il ne pouvait rien en dire. Il était maintenant condamné à vivre dans le bâtiment qu'il avait lui-même laissé construire.

Il en est de même de notre existence. Nous la construisons progressivement au fil du temps, profitant parfois d'opportunités qui nous détournent de notre chemin, prenant des raccourcis, reportant au lendemain des décisions de fond… Un beau jour, nous réalisons que nous avons à vivre avec ce que nous avons bâti et que nous ne pouvons aller en arrière. Bien sûr, nous pouvons modifier son cours, mais au prix de quels efforts…

Alors, chaque jour, lorsque vous devez décider et agir, imaginez que ce que vous faites vous engage : une pierre pourrie dans une construction suffit pour amoindrir celle-ci.

dimanche 14 juin 2009

La quête du sens


Dans la bonne ville de V… sur M… au sein d'une grande agglomération, vous pouvez voir sur belle pelouse face à la mairie, un embranchement ferroviaire. Pas de liaison, pas de gare, pas de train, pas de projet prévu, non un simple croisement ferroviaire au milieu d'un espace vert. Cela a-t-il du sens ? Laissez-moi vous conter son histoire.

Il était une fois un Maire qui voulait se faire réélire. Il se tourna vers un de ses conseillers municipaux et lui dit : "la mode est à l'écologie. Il faut réduire la circulation automobile. Pour cela, nous allons construire un petit train qui desservira la ville depuis la gare (parce qu'il existait un vrai train qui reliait la ville aux autres communes). Je te charge de réaliser le premier tronçon. Pour moi, créer un petit train pour protéger ma ville, cela a du sens. " Le conseiller était fou de joie. Pour lui, cela avait un autre sens : il allait réaliser l'œuvre de sa vie, réaliser un vrai train.

Il en parla à sa femme, sa famille, ses amis, ses voisins….L'histoire arriva aux oreilles d'une vieille femme qui lui dit : "Mon pauvre, ton projet n'a pas de sens, tu vas passer sept épreuves, mais ce sera un lieu de repos pour ton grand âge." Notre conseiller la prit pour une folle et ne l'écouta pas.

Pourtant, les épreuves arrivèrent sans tarder. La première fut celle de la délibération du conseil municipal. Aux cris de "liberté pour les vélos", l'opposition mena campagne contre le petit train. Pour celle-ci, faire un réseau de chemin de fer n'avait pas de sens, à une époque où tout le monde a un vélo. L'épreuve suivante fut liée à l'hostilité des riverains. Conduits par M. Bobo, un écologiste libéral ouvert aux nouvelles idées tant que cela ne le dérangeait pas dans son quotidien, les riverains manifestèrent contre le manque de sens de perdre de la place de stationnement avec les travaux occasionnés par le futur réseau. Il fallut négocier, faire des compromis et surtout s'éloigner du domicile de M. Bobo, qui était pour le progrès, mais pas devant chez lui. Notre conseiller municipal crut que le projet allait mourir quand les agents du (vrai) chemin de fer se mirent en grève en parlant de la fin du sens du service public. Il réussit à les calmer en leur offrant la gratuité sur le futur réseau à eux et à leur famille. De compromis en compromis, son projet était déjà bien écorné.

Pourtant, notre conseiller gardait la foi. "Il vaut mieux commencer petit. Plus tard, ils comprendront." D'autres épreuves l'attendaient : la rébellion des commerçants de la gare qui disaient du projet qu'il n'avait pas de sens et qu'il allait les asphyxier, la colère des chauffeurs de taxi qui bloquèrent les rues parce qu'ils donnaient à ce projet le sens qu'ils allaient perdre leur gagne-pain et la trahison du Maire. Lorsqu'il fut l'heure de recevoir le matériel, notre conseiller ne reçut en tout et pour tout que cet embranchement. "Comprends-moi" dit le Maire, il faut faire rêver sans faire de désordre avant les élections. Donner du sens, c'est cela qui est important. Dès les élections finies, tu auras le reste." Le reste ne vint jamais parce que le Maire fut battu aux élections.

Il ne restait plus qu'une épreuve à subir pour notre pauvre ex-conseiller : se battre contre le responsable des espaces verts pour trouver un lieu pour son aiguillage qui ait du sens pour les élus, les riverains, les commerçants, les cheminots, les écologistes de tous poils….et le chef jardinier.

Et c'est ainsi que cet aiguillage est posé là. Face à lui, un banc permet à notre conseiller retraité de venir régulièrement méditer sur le sens du progrès, du chemin de fer, de l'écologie…et de la politique.

La petite vieille avait eu raison. Le réseau n'existait pas, mais cela avait du sens pour ses vieux jours.

samedi 6 juin 2009

Pourquoi Nicolas rencontre Barack le 6 juin ? Ce que vous ne lirez pas de sitôt dans vos journaux.


Tout commence un triste samedi de fin d'hiver. Un grand-père promène ses petites filles dans les rues de la vieille ville de Tours. Comme il se met à pleuvoir, il se réfugie dans la cathédrale St Gatien. Il en fait le tour tranquillement, mais cela n'inspire guère les enfants. Il passe alors dans le cloitre attenant qui a avec un beau déambulatoire et un superbe escalier. Celui-ci les conduit jusqu'à la salle des enluminures où sont consignés les précieux manuscrits écrits patiemment pendant des siècles. La visite aurait pu s'achever là si une des petites filles n'avait élevé son doigt vers un des vitraux de la pièce : "oh, regarde la caméra !". Le grand-père lève la tête et distingue en effet un projecteur et une bobine de film. Il lui répond gentiment : "effectivement, ce doit être un vitrail récent et l'artiste s'est amusé".

La visite se termine pour les enfants. Quelques jours plus tard, le tourangeau intrigué retourne à la cathédrale et apprend que les vitraux sont d'époque et qu'aucun n'a été remplacé, à la limite nettoyé. Il explique ce qu'il a vu et insiste. Le conservateur, prévenu, l'accompagne et constate la même chose : "je suis passé 2.000 fois devant ce vitrail, je les ai tous regardés et examinés et c'est la première fois que je le vois sous cet angle" s'exclame-t-il !

La nouvelle fait vite le tour de la ville et dans les heures qui suivent, le maire, les députés locaux, les sénateurs, le préfet et tout ce qui s'estime important défilent devant ce travail. Des historiens spécialisés sont réquisitionnés séance tenante et confirme l'ancienneté du vitrail. Quelle affaire ! Le cinématographe aurait-il été inventé il y a quelques siècles en Touraine ? Comme Leonard de Vinci a séjourné dans cette région, serait-ce une de ses découvertes ? En tout cas, à court terme, le maire et l'évêché décident la fermeture de la salle sous un prétexte de travaux. La France d'en haut, ceux qui savent se demande quel effet aurait l'information sur la France d'en bas. Les "gens qui savent" décident de garder le secret provisoirement.

Que faire ? Que dire ? Le maire voit tout de suite l'impact sur le tourisme pour la ville. Il imagine de nouveaux hôtels, un musée, des retombées financières importantes. Le Préfet s'inquiète pour l'ordre public, la circulation qui va grossir, les rentrées pour l'Etat. Les députés et sénateurs du bord opposé au maire parlent déjà d'un kidnapping électoral, que ce bien appartient à tout le monde, que l'argent doit être redistribué à qui de droit (sous-entendu à leurs électeurs…). La réunion de crise à la Préfecture est mouvementée. Le Préfet décide de remonter l'information à Paris et de demander des consignes.

Les ministères des Affaires Culturelles, de l'intérieur (qui est en charge des religions) et de l'Education Nationale décident de se concerter. Ils ont à peine chercher à créer un consensus que l'affaire leur est retirée et passe aux Affaires Etrangères et au ministère de l'économie. En effet, si le film a été inventé en Touraine, les possesseurs de droits comme Kodak, société américaine, par exemple perdent leur brevet et doivent indemniser l'Etat français et italien (pour Leonard de Vinci). Le sujet est sensible : à qui appartiennent les droits : aux sociétés américaines ? À l'Italie ou à la France ?

Le dossier remonte d'un cran à l'Elysée qui estime le dossier clé et… dangereux pour les bonnes relations atlantiques. Il faut en désamorcer les effets.

Et c'est ainsi qu'un juin un certain Barack O. rencontre discrètement un émissaire de l'Elysée Nicolas S. sur une plage de Normandie (tout est fait pour tromper les journalistes) pour en débattre. En attendant la salle est toujours fermée et le grand père prié de se taire…en échange d'une légion d'honneur au 14 juillet ou à la fin de l'année.

Silence, on travaille !

vendredi 29 mai 2009

Les deux roues m'ont tuée


90 ans de bons et loyaux services et me voila murée. 90 ans pendant lesquels j'en ai accueilli du monde : les travailleurs du matin et du soir, les sans-logis de la nuit, les touristes de la journée… 90 ans de vie dure et laborieuse entre les journées froides de l'hiver, la canicule de certains étés, les jours sans fin, les guerres, les grèves et les joyeux défilés.

Me voilà maintenant murée et condamnée à me taire. Mon silence est éloquent : ne descendez pas ! Je suis un cul de sac ! Le comble de l'histoire, c'est l'hypocrisie dont je fais l'objet : mes escaliers sont entretenus, mes rambardes repeintes et je reste propre et coquette dans la limite des graffitis qui sont tracés sur mes murs. Encore s'il s'agissait d'œuvres artistiques. Le plus souvent ce sont des signes de passage comme les chiens qui pissent pour marquer leur territoire. Je rêve comme au marché de Belleville d'authentiques artistes qui me donnent une note originale, qui donnent envie de faire un détour pour venir me voir et me donnent une singularité.

Le pire, ce sont les deux roues. C'est à cause d'eux que j'ai été fermée. Mes clients ont préféré un beau jour se déplacer à l'air libre. Parlons-en de l'air ! De l'air polluée, une circulation d'enfer, des chutes et accidents quotidiens (je le vois bien sur le boulevard qui me jouxte). Parlez-moi de la convivialité, chacun sur un deux roues à se faufiler sans un mot, sans un regard. Pas étonnant que les gens se plaignent de la solitude. De mon côté je peux être fière des rencontres que j'ai facilitées, dans mes escaliers, mes couloirs, mes quais. De nombreux amours brefs ou éternels se sont noués (et parfois dénoués) ici. Certains reviennent nostalgiques pour fêter qui l'anniversaire d'une rencontre, qui revivre un moment de poésie. Je le vois bien à leur regard, je les reconnais mes amoureux.

Il n'y a plus de respect aujourd'hui. Non content de m'avoir contraint à la retraite, regardez-les ces deux roues qui encerclent mon entrée. Ils sont agressifs, me cognent ma belle rambarde et me projettent leurs gaz. Ils se disputent les places entre eux et s'invectivent à grand coup de poignée d'accélérateur. Leurs propriétaires me traitent de vieux débris, de places perdues et font des pétitions pour que je sois remplacée par une grande surface goudronnée pour pouvoir garer encore plus de leurs engins maudits. Et ils se disent "écologiques".

C’est quoi l'écologie ! Chaque rame de métro transporte des centaines de gens discrètement. Mes escaliers et mes couloirs contribuent à la bonne santé de tous grâce à l'exercice demandé et ce sont les deux roues qui se proclament écologiques. Quand il pleut, qu'il neige ou qu'il fait très chaud, ils sont pourtant bien contents ces écologistes gazeux de m'emprunter.

Pourtant, je crois à mon retour sur le devant de la scène. La canicule presque chaque été, le prix de l'essence et le retour en vogue des trams et autres transports collectifs me font dire qu'ils me rouvriront. Après tout, le travail des seniors est d'actualité : travailler plus longtemps, disent-ils. Je suis d'accord. Je me sens encore très verte.

Alors, merci de m'avoir écouté. Si vous le souhaitez, vous pouvez signer la pétition pour ma réouverture. D'avance merci

"Oui, je souhaite la réouverture de la station"

Nom date Signature .

samedi 23 mai 2009

Où sont-ils passés ?


Cela fait bientôt deux ans que j'habite en banlieue. Ce n'est pas de gaîté de cœur, mais j'y trouve quelques avantages : mon travail aussi est en banlieue, alors cela m'en rapproche. Je n'ai plus que 40 minutes de trajet pour quatre petits kilomètres. J'ai même maintenant un petit coin de pelouse que je partage, il est vrai, avec le reste de la copropriété.

Deux ans, durant lesquelles le hasard a fait que je n'ai pas été à la Ville Lumière, deux ans au cours desquels j'ai fréquenté les cinémas et les théâtres de mon quartier. J'y trouve bien du plaisir à vivre ici : c'est plus calme, plus aéré et j'ai toujours la possibilité de monter à la ville en 20 minutes de train. Le plaisir à portée de main.

J'aurai pu attendre encore pour y retourner parce que rien ne m'y obligeait. Pourtant des rumeurs et des bribes de conversation pêchées qui chez le boulanger, qui à un arrêt d'autobus me laissaient penser que des choses avaient changé et que ce n'était plus comme avant. Le ton employé aussi est bizarre : il n'est pas joyeux ou triste, mais feutré, énigmatique, empreint d'étonnement et de résignation.

Alors, un samedi, je n'y tiens plus : je décide d'y aller. J'arrive dans ma gare de banlieue déserte. Personne au guichet, des machines automatiques m'invite en quatorze langues à prendre un billet que je peux payer en carte bancaire ou en 18 espèces différentes. Le train arrive. Du monde, du silence et là première surprise : je constate que la panoplie des journaux lus par mes voisins est devenue étonnement variée : des caractères des quatre coins du monde me frappent aux yeux. Nous sommes devenus polyglottes.

Arrivé à la Ville lumière, je déambule dans les rues. A première vue, rien de particulier : les autobus et le métro sont là, les commerçants aussi, le trafic est toujours soutenu et bruyant. Pourtant, il me suffit de lever le nez pour m'apercevoir des changements. Une plaque apposée sur un immeuble m'interpelle avec ses idéogrammes et son numéro de téléphone en chiffres latins. Est-ce un pied de nez de son propriétaire ? Un rébus ? Une manière de dissuader les opportuns ? Je continue mon périple et rencontre de nombreuses plaques ou enseignes similaires. Je me dis qu'il s'agit d'un hasard. Je descends alors dans le métro et décide de changer de quartier.

A mon grand étonnement, le métro n'a pas de conducteur et semble très bien s'en porter. J'en sors au hasard quatre stations plus là et je reprends ma balade. Là, à première vue, tout semble plus habituel, je peux lire les plaques et les enseignes (sans forcément les comprendre). Je passe devant une école et pense à toutes ces petites têtes blondes qui ânonnent l'alphabet et paieront ma retraite demain. Le choc n'en est que plus grand : le panneau d'information comprend un long texte en signes bizarres avec en petit, à côté, un texte en français (la traduction je suppose). Qu'apprend-t-on dans cette école ? Qu'y forme-t-on ? Pourtant, j'ai beau regarder dans tous les sens, il s'agit bien d'une école publique et son panneau d'affichage est aux normes de la municipalité.

"Reste calme", me dis-je ! Je me rappelle d'un film de James Bond où le méchant lui explique que croiser quelqu'un une fois, c'est la vie, deux fois c'est le hasard, mais que trois fois, c'est une provocation. "Donc c'est le hasard, change vite de quartier et tout redeviendra normal" me répéte-je. Je change de métro, compte dix stations et me voici dans un nouveau quartier. Je regarde attentivement autour de moi : à priori tout semble normal. Je décide de vivre comme un "étranger" (qu'est-ce qu'un banlieusard aux yeux d'un parisien ?) : je me promène en regardant à droite et à gauche (le Parisien, lui, fonce tête baissé). Je regarde les étals et les vitrines. Je me sens heureux et détendu jusqu'au moment où je passe devant une agence immobilière dont… je ne peux lire les annonces. Je cours frénétiquement en voir une seconde, puis une troisième. Le même phénomène se reproduit. J'essuie mes lunettes, je ferme les yeux quelques instants, je me pince pour m'assurer que je ne rêve pas… Peine perdue ! Je ne peux lire les panneaux (sauf les chiffres). Cela ne semble gêner personne autour de moi. Les passants regardent ces mêmes vitrines, commentent les offres et continuent paisiblement leur chemin.


C'en est trop ! Je retourne dans ma banlieue, là où je peux tout lire. Je me demande : "où sont-ils passés ?" Je dois penser tout haut parce que mon voisin dans le train me répond sans me regarder : "ils sont en RTT". Tout s'explique !

samedi 16 mai 2009

Offrezvousunestation.com


Lundi 11 mai 2009
Je vous remercie d'être venu en nombre à notre présentation sur "offrezvousunestation.com".
La RATP vous offre la possibilité de personnaliser la station de votre choix au nom que vous souhaitez. Trois formules vous sont proposées :
- la location temporaire pour une semaine. Exemple : M. Aite à sa femme Geneviève pour son anniversaire la station Rue de la Pompe. La station s'appelle alors Rue de la pompe-Aite.
- la location annuelle où la station prend votre nom à titre principal et le nom "historique" à titre secondaire. Le Parti Socialiste loue la station Jean Jaurès. Cela devient Parti Socialiste Jean Jaurès.
- La location pour cinq ans. Votre nom est le seul dans la station. La bière Hoegaarden loue la station Bir Hakeim. Elle s'appellera Hoegaarden.
La station peut être nue ou équipée. Vous voyez ici une maquette d'une station livrée "nue". La décoration est à votre charge.

Cette action a pour objectif de faire du métro votre métro. En effet, les Parisiens ont massivement déclaré dans notre dernière enquête que les noms des stations étaient difficiles à retenir ou à écrire. Ils ont même souhaité que les stations soient rebaptisées du nom de séries télévisées ou d'acteurs / actrices du show business, des noms connus ! Qui connaît aujourd'hui Louis Blanc ou Dupleix ? Qui accepte, à l'heure du positivisme, qu'une station soit marquée du nom d'une défaite (Alésia) ? Qui saurait situer sur une carte Bir Hakeim ou Campo-Formio ?

Il faut simplifier la vie des Parisiens, rendre la lecture de la carte de métro plus attractive et faire de la circulation dans celui-ci un plaisir : Aller de Pigalle à Trocadéro via Etoile est commode. Y aller de Préservatifs Durex à Couscous Garbit en passant par Vivendi, cela devient un jeu et un outil pédagogique.

De nombreux industriels, ambassades et même particuliers nous ont déjà fait part de leur intérêt pour cette démarche.

La suite des évènements

Mardi 12 mai
Le Ministère des Affaires Etrangères fait sienne la protestation de l'Ambassade du Maroc contre le souhait de la Tunisie de rebaptiser la station Jasmin "Jasmin de Tunisie". Cela pourrait remettre en cause l'achat d'Airbus…
Mercredi 13 mai
Le Parti Communiste Français appelle à une manifestation contre la proposition de troquer le nom de Stalingrad pour "Kinder surprise".
Jeudi 14 mai
Les habitants de Neuilly s/ Seine descendent dans la rue pour empêcher que la station "Les sablons" ne devienne "Les bidochons"
Vendredi 15 mai
La mairie du XVème lance une souscription dans son arrondissement pour que la station "Convention" continue à s'appeler du même nom.
Samedi 16 mai
Dans un bref communiqué, la RATP annonce la suspension de l'opération "offrezvousunecstation.com" devant l'engouement du public. De nouvelles offres sont à l'étude. Une commission va être nommée à ce sujet.