vendredi 26 décembre 2014

Conte australien : Marakata !


En arrivant chez Hercule pour sa visite traditionnelle d’échange de vœux*, le Père Noël le trouve assis, avec un visage las. Hercule lui explique qu’il était difficile d’être joyeux dans un univers violent. « Que ce soit sur la route, dans mon quartier ou même dans mon entreprise, j’ai l’impression que les gens ont des trop plein d’agressivité à décharger en permanence. Vous n’auriez pas une solution, Père Noël, pour arrêter cela ? »

Le Père Noël sourit et dit : « Marakata ! ».

Sous le regard interrogateur d’Hercule, le Père Noël s’assoit tranquillement et commence à parler :  
« Chez les Aborigènes (Australie), lorsque des membres de deux tribus ont accumulé des griefs et doléances les uns contre les autres, ils pratiquent le « marakata ».

Passé le seuil de tolérance, l’une des deux tribus vient camper à proximité de l’autre. La première nuit, des membres de chaque tribu qui se connaissent bien se rencontrent. Puis le lendemain, un groupe d’hommes de chaque camp se fait face. Un des « assaillants » interpelle une personne en face et déverse sur lui toutes ses récriminations. Lorsqu’il est à bout de souffle, l’agressé prend la parole et lui répond  sans être interrompu. Puis vient le tour d’un deuxième « agresseur » qui s’adresse à quelqu’un d’autre et ainsi de suite.

Une fois les diatribes terminées vient le jet des lances. Le lanceur vise toujours quelqu’un en particulier en prenant soin de ne pas l’atteindre. Si par mégarde quelqu’un est blessé, tout s’arrête.
Après une nouvelle bordée de protestations des deux camps, la séance est levée.
Observez que les reproches sont toujours adressés à quelqu’un en particulier et pas au groupe. Cette méthode permet aussi d’éviter que trop de rancunes soient accumulées.  Enfin, il n’y a quasiment jamais de mort dans ces cérémonies.     

Alors, la prochaine fois que vous sentez la tension monter en vous et/ou chez les autres, pratiquez le marakata et cela va mieux se passer ».

Toute l’équipe de DALETT se joint à moi pour vous souhaiter plein de bonheur et de marakata en 2015

* Voir le dernier ou le premier texte de chaque année sur notre blog. Allusion à note héros, Hercule Martin, personnage emblématique de notre 1er livre.   

vendredi 19 décembre 2014

Conte japonais : le mariage du canard et du riz


Les fêtes en général, sont l’occasion de faire de bons repas. Alors, si vous mangez du canard et/ou du riz,  pensez que cela peut être l’occasion de contribuer à la beauté de notre planète.

Voici une histoire vraie, presque un conte de Noël qui se déroule au Japon.   

Au village de Fukuoka, le fermier japonais Takao Furuno passait de longues heures à entretenir ses rizières et à enlever laborieusement les mauvaises herbes qui l’envahissent. Un jour, il trouve par hasard un vieux livre qui raconte qu’autrefois les cultivateurs avaient coutume de faire patauger des canards dans les rizières. Pourquoi ? se demande-t-il.

Esprit curieux, il lâche des canards dans ses rizières et comprend vite : les canards se nourrissent des mauvaises herbes et des insectes parasites, mais ne touchent pas aux plants de riz. De plus, remuant le fond des rizières inondées, ils oxygènent l’eau. En guise de bonus, leurs déjections constituent un excellent engrais.    

Au printemps, donc,  il assèche ses terres, puis en avril il pratique un «faux semis» pour feinter les mauvaises herbes. Elles ont un cycle jumeau du riz, alors lorsqu’il inonde ainsi sa terre, elles commencent à pousser. Fin mai, il sème son riz. Le plant pousse très vite pour survivre, retrouver l’air, tandis que les mauvaises herbes, pourrissent en partie sous l’eau. Il attend quelques jours et lâche ses canetons, âgés de 15 à 20 jours. Ils vont grandir avec le riz, mangeant les herbes qui ont survécu, picorant les germes restés dans le sol.

Pourquoi le canard se concentre-t-il sur les indésirables en épargnant le riz ? Parce que ce dernier est chargé de silice. Ses feuilles deviennent rêches, coupantes, peu appétissantes. Le canard raffole au contraire des mauvaises herbes des rizières : la panisse, sorte de cresson qui recouvre les rizières d’une pellicule vert vif, très belle mais encombrante. Les canards picorent, piétinent ces nuisibles, et comme leur comportement social les pousse à se suivre en file indienne depuis leur jeunesse, ils voyagent entre les plants de riz sans trop les abîmer, se contentant de troubler l’eau, ce qui gêne un peu plus la germination des mauvaises herbes.

Non seulement, Takao se passe de produits chimiques, mais son rendement est supérieur à celui de ses voisins. Le pompon est qu’il vend en plus son riz « bio » 30% plus cher que ces derniers.
D’autres paysans en Asie ont repris ces méthodes qui aujourd’hui arrivent en Camargue*.
Qui aurait dit que le canard et le riz étaient faits pour s’entendre ?   


* source : Matthieu Ricard (Plaidoyer pour l’altruisme) & Libération (http://www.liberation.fr/vous/2014/11/14/)

vendredi 12 décembre 2014

Conte haïtien : l'homme au grand savoir et l'enfant


Nèg save, un homme au grand savoir, parcourait le pays, offrant trois sacs d'argent à celui qui lui poserait des énigmes qu'il n'arriverait pas à résoudre. Il tombe, un jour, sur un jeune garçon qui jouait devant la case de ses parents. 

- Papa n'est pas là, maman non plus, mais moi je peux te poser des énigmes, dit l'enfant. 
- Pas de problème, répond Nèg Save, mais où est donc ta mère ? 
- Maman est allée chercher ce qu'elle n'a pas semé. 
- Et ton père ? 
- Il est allé ouvrir un trou pour en boucher un autre, mais le trou reste béant. 
- As-tu un frère et où est-il ? 
- Mon père a envoyé mon frère à la chasse en lui recommandant d'abandonner tout le gibier qu'il trouvera ; tout ce qu'il ne trouvera pas, il le rapportera.


Nèg Sav n'en croyait pas ses oreilles et il en avait le bec cloué. Il remet les trois sacs d'argent à l'enfant qui, après les avoir mis à l'abri, lui propose de lui donner les réponses qu'il n'a pas su trouver. 
- Tu m'as demandé où était ma mère ? Elle est allée chercher ce qu'elle n'avait pas semé. Maman est une matrone qui aide les mères à mettre leur petit au monde mais qui n'est jamais présente lorsqu'elles les conçoivent. 
- Et ton père ? 
- Papa est allé ouvrir un trou pour en boucher un autre, mais le trou reste béant. Il a été emprunté des sous pour rembourser quelqu'un mais, en vérité, il est toujours endetté. 
- Ça c'est bien vrai. Dis-moi, ton frère ? 
- Mon frère avait beaucoup de chiques* aux pieds. Alors papa l'a envoyé à la rivière pour s'en débarrasser mais il a rapporté toutes celles qu'il n'avait pas vues. Voilà pourquoi je t'ai répondu qu'il avait envoyé mon frère à la chasse en lui recommandant d'abandonner tout le gibier qu'il trouvera ; tout ce qu'il ne trouvera pas, il le rapportera.
- Pour être fort, tu es fort en vérité, trois fois s'exclama Nèg Save en réalisant que l'enfant était peut-être bien, bien, bien plus fort que lui en matière d'énigmes.


Le soir, à leur retour, le père et la mère de l'enfant, en écoutant les exploits du jour et en découvrant les trois sacs d'argent furent convaincus que leur plus grand bonheur n'était pas tant de posséder trois sacs d'argent que d'avoir un fils plein d'esprit.

*les chiques sont des insectes parasitiques. Le frère de l'enfant va "chasser" (chercher) les chiques, il enlèvera ceux qu'il trouve, et il rapportera ceux qu'il n'a pas réussi à trouver.


http://www.conte-moi.net/contes/homme-au-grand-savoir-et-enfant

vendredi 5 décembre 2014

Legende italienne : la pizza

L'origine de la pizza remonte à 3000 ans, venant des anciens pains plats ou tartes préparées sur les pierres brûlantes. Le terme de pizza vient du mot latin “pinsa” qui est le participe passé du verbe latin “pinsere”, signifiant “étaler”.
Deux évènements ont joué dans l'introduction de la tomate et de la mozzarella en Italie. Après la chute de l'Empire Romain, l'invasion du sud de l'Italie par les Lombards conduit à l'introduction des troupeaux de buffle en Italie. Puis le lait de buffle a été utilisé par la population locale pour produire la “mozzarella”. L'importation des tomates venant d'Amérique du Sud (Pérou) et d'Europe était due à la découverte du nouveau monde (l'Amérique).
Durant le XVIII siècle, les pizzas étaient cuites au four (construit en briques ou en pierres volcaniques) et vendues dans les rues de Naples Durant le jour, les garçons marchaient dans les rues de Naples, vendant les pizzas cuites avec différents assaisonnements et ingrédients, à ceux qu'ils rencontraient dans la rue. Cela en criant en même temps afin d'attirer l'attention du plus de monde possible.
La première pizza « moderne » a été faite à Naples en 1780 par Pietro Colicchio. Il appela sa pizzeria « Pietro e basta Così ». Après plus de 200 ans, cette pizzeria existe encore, mais a été rebaptisée « Ancienne Pizzeria Brandi ». La succession de la pizzeria « Pietro e basta Così » fût prise par Enrico Brandi. En 1889, Raffaele Esposito (le mari de la fille d'Enrico Brandi), qui était considéré comme le meilleur pizzaïolo de son temps, était invité au palais royal de Capodimonte (à Naples), pour faire des pizzas pour le roi d'Italie, Umberto I of Savoia, et sa femme, la reine Margherita.

La reine apprécia et fut ravie du goût des pizzas au point de le remercier par écrit. Raffaele Espostio, en retour, remercia la reine en donnant son nom, Margherita , à une de ses pizza ‘ Pomodoro e Mozzarella '. La lettre de remerciement a été conservée par la pizzeria ‘Ancienne Pizzeria Brandi'.

La pizza vue par Alexandre Dumas

La pizza est une espèce de talmouse comme on en fait à Saint-Denis ; elle est de forme ronde et se pétrit de la même pâte que le pain. Elle est de différentes largeurs, selon le prix. Une pizza de deux liards suffit à un homme ; une pizza de deux sous doit rassasier une famille.
Au premier abord, la pizza semble un mets simple ; après examen, c’est un mets composé. La pizza est à l’huile, la pizza est au lard, la pizza est au saindoux, la pizza est au fromage, la pizza est aux tomates, la pizza est aux petits poissons ; c’est le thermomètre gastronomique du marché : elle hausse ou baisse de prix, selon le cours des ingrédients sus-désignés, selon l’abondance ou la disette de l’année. Quand la pizza aux poissons est à un demi-grain c’est que la pêche a été bonne ; quand la pizza à l’huile est à un grain, c’est que la récolte a été mauvaise.
Puis une chose influe encore sur le cours de la pizza, c’est son plus ou moins de fraîcheur ; on comprend qu’on ne peut plus vendre la pizza de la veille le même prix qu’on vend celle du jour ; il y a pour les petites bourses des pizze d’une semaine ; celles-là peuvent, sinon agréablement, du moins avantageusement, remplacer le biscuit de mer.



(Histoire de la pizza : http://www.food-info.net/fr
 texte d'Alexandre Dumas  trouvé sur l'Apps : "Un texte, un jour") 

vendredi 28 novembre 2014

Conte russe : le sens de la vie (d'après une nouvelle de Tolstoï)


Le roi d'un petit royaume se posait de nombreuses questions concernant le sens de sa vie. Ces questions le tracassaient et l'empêchaient de goûter à un sommeil réparateur. Il dit à chambellan ce qui l’inquiétait : 

1 - quel est le meilleur moment pour chaque chose?
2 - quelles sont les personnes les plus importantes dans ta mission?
3 - quelle est la chose la plus importante à faire à tout moment?

Le grand chambellan fit annoncer dans tout le royaume que ceux qui pourraient répondre aux questions du roi seraient récompensés. Tous les sages du royaume se dirigèrent vers le palais et chacun y alla de ses réponses, mais aucune ne satisfit le roi.

Le chambellan se rappela qu’un vieil ermite n'était pas venu. Alors il conseilla au roi d'aller le trouver. Arrivé à destination, seulet déguisé en paysan, le roi vit l'ermite qui labourait son jardin en suant à grosses gouttes. Il était très vieux et ce travail lui était pénible. Voyant son visiteur, l'ermite interrompit son travail. Le roi le salua et lui posa immédiatement ses trois questions. L'ermite l'écouta, lui sourit, resta silencieux et se mit à bécher.

Etonné, le roi dit alors au vieil homme : le travail que vous faites est pénible, laissez-moi vous remplacer pour un moment. L'ermite lui tendit la bèche et s'assit à l'ombre. Après avoir travaillé un certain temps, le roi s'arrêta, se tourna vers l'ermite et lui répéta ses trois questions. Celui-ci ne répondit pas, se leva et dit au roi : «reposez-vous donc un moment, je vais reprendre le travail, mais le roi refusa et continua à bécher. Cela devait faire deux bonnes heures qu'il labourait le sol, et lui-même suait à grosses gouttes étant bien peu habitué à ce type d'exercice. Finalement, il posa la bèche et dit à l'ermite : je suis venu vous poser trois questions, si vous ne pouvez pas me répondre, dites-le moi que je puisse rentrer chez moi».

A ce moment-là, un homme qui semblait blessé courait avec des yeux hagards dans la direction du roi ; juste avant d'arriver près de lui, il perdit conscience et tomba. Ouvrant sa tunique, le roi vit une grande plaie qui saignait. Il alla chercher de l'eau, la nettoya, arrêta le saignement et revêtit l'homme de sa propre chemise. Puis, aidé de l'ermite, il étendit l'étranger sur le lit dans le petit ermitage. La nuit était tombée. Fatigué, le roi s'assoupit, assis par terre dans la cabane. Lorsqu’il se réveilla, le soleil était déjà haut dans le ciel. Il vit l'ermite donner à boire au blessé qui avait repris connaissance. Lorsqu’il vit le roi s'approcher, l'étranger dit :  Sire, pardonnez-moi, je vous en supplie !
Mais pourquoi donc avez-vous besoin de mon  pardon? demanda le roi.

Alors l'étranger raconta l'étrange histoire suivante : « Votre Majesté, vous ne me connaissez pas, moi je vous connais. Vous n'aviez pas pire ennemi que moi, dans l'une de vos batailles, vous avez tué mon frère et pris tous mes biens. Quand j'ai su que vous veniez voir l'ermite sans votre escorte, j'ai décidé de venir vous tuer. Vos soldats m'ont reconnu et m'ont blessé à la poitrine. Si vous n'aviez pas pris soin de moi, je serais probablement mort à l'heure actuelle. Je vous suis reconnaissant que moi et ma maison, nous vous servirons pour toujours. ! »

Le roi était émerveillé de la facilité avec laquelle il était prêt à pardonner à cet ancien ennemi.
Non seulement il lui pardonnait, mais il lui promit de lui restituer ses biens Appelant son escorte, il fit transporter l'étranger dans son palais pour qu'il puisse être soigné. 

Le roi, avant de partir, décida de poser une dernière fois ses trois questions à l'ermite. Il s'approcha du vieil homme qui nourrissait les oiseaux. L'entendant, l'ermite lui dit : «Mais vous avez déjà la réponse à vos trois questions! Hier, si vous n'aviez pas eu la compassion pour la faiblesse due à mon âge et si vous n'aviez pas commencé à bécher, vous auriez été attaqué par votre ennemi.
Ainsi, le moment le plus important était le temps passé à labourer mon jardin, la personne la plus importante était moi et la chose la plus importante était de m'aider.

Lorsque l'étranger blessé est arrivé, le moment le plus important était celui que vous avez passé à soigner sa blessure, si vous ne l'aviez pas fait, il aurait saigné toute la nuit et il serait mort, vous auriez manqué l'occasion de vous réconcilier avec un ennemi. La personne la plus importante était cet étranger et soigner la blessure était la chose à faire. Souvenez-vous, Majesté, de ceci :


-    le seul moment important, c'est maintenant.  
-    la personne la plus importante est celle avec qui vous êtes
-    la tâche la plus importante, c'est de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour permettre à cette personne qui est à vos côtés d'être heureuse.
C'est dans la réponse à ces trois questions que réside le sens de la vie.


Subjugué par ces réponses, le ri retourna dans son palais, apprit à mettre en pratique ce que l'ermite lui avait enseigné et lui-même et tous les sujets de son royaume vécurent dans l'harmonie les jours de leur vie».   



Source : http://www.herault-tribune.com/articles/4572/le-sens-de-la-vie-d-apres-un-conte-de-tolstoi/

vendredi 21 novembre 2014

Conte Yaqui (Mexique) : un homme de savoir


En 1961, un étudiant en anthropologie rencontre un vieil indien Yaqui (Nord du Mexique). Ce dernier va progressivement l’initier à ses mystères. Ce livre (et les suivants) vont connaître un succès étonnant. Est-il réel ou nous interpelle-t-il au plus profond de nous-même ? La question reste entière.    
Ici le vieil indien explique ce qu’est un homme de savoir.

Un homme de savoir est un homme qui, sans hâte et sans hésitations, est allé aussi loin qu’il a pu dans la recherche des secrets de la puissance et du savoir. Pour y parvenir, il doit affronter et vaincre quatre ennemis naturels.

Lorsqu’un homme commence à apprendre, ses objectifs ne sont jamais clairs, son dessein est vague et ses intentions imparfaites. Il commence lentement à apprendre et bientôt ses pensées se heurtent, ce qu’il apprend n’est pas ce qu’il avait imaginé. Il prend peur parce que chaque étape soulève une nouvelle difficulté. S’il cède devant la peur, il ne pourra plus apprendre et espérer devenir un homme de savoir.

Pour aller plus loin, il faut défier sa peur et avancer dans le savoir, pas à pas. La peur reculera et l’homme commencera à se sentir plus sûr de lui, son dessein deviendra délibéré.
La peur chassée, une clarté de l’esprit la remplace. C’est son deuxième ennemi, parce que la clarté peut aveugler. Elle pousse l’homme à ne jamais douter, à pouvoir faite tout ce qu’il veut. S’il est aveuglé, la précipitation remplacera la patience et il ne pourra plus rien apprendre.
Aller plus loin, cela signifie défier la clarté, ne l’utiliser que pour voir et avancer pas à pas patiemment en préparant soigneusement ses pas.  Il attendra ainsi la puissance et le pouvoir. Il fera ce qu’il voudra.

C’est le plus puissant de tous ses ennemis. L’homme commence par prendre des risques calculées, continue en dictant des règles et finit, s’il ne parvient à surmonter cet ennemi, par devenir capricieux et cruel.
Pour continuer son chemin, il doit se dominer à chaque instant et manier avec précaution et fidélité tout ce qu’il a appris.   

L’homme arrive alors au terme de voyage à travers le savoir, là où il va rencontrer son dernier ennemi, la vieillesse, le seul qu’il ne pourra vaincre, mais seulement tenir en respect.
On n’éprouve plus de peur, la clarté d’esprit ne provoque plus d’impatience et la puissance est maîtrisée, mais on est aussi pris du désir opiniâtre de se reposer. Si l’on s’y abandonne totalement, son ennemi l’abattra comme un homme âgé.


Si l’homme surmonte sa fatigue et accomplit son destin, on l’appellera homme de savoir, même s’il n’a pu qu’un bref moment repousser son dernier ennemi. Ce moment de clarté, de puissance et de savoir aura suffi.   

vendredi 14 novembre 2014

Conte berbère : les deux frères, la marmite et le baton


Il était une fois deux frères : l'un était pauvre, l'autre avait du bien.
Le premier avait quatre filles ; le riche était sans enfant.
Le pauvre, pour pouvoir nourrir sa famille, coupait du bois qu'il vendait à la ville. Un jour, c'était jour de fête ; il n'avait chez lui rien à manger. Il partit couper du bois.

Un jujubier sauvage lui dit : « Que me veux-tu aujourd'hui ?
— J'ai faim, dit le bûcheron ; donne-moi de quoi manger, sinon je te coupe.
— Prends cette marmite, répondit le jujubier, et garde-la ; elle te nourrira jusqu'à ta mort. Quand tu voudras quelque chose, dis-le-lui ; elle te le donnera. »
Le bûcheron emporta la marmite chez lui, la tourna par terre et lui dit : « Donne-moi du bien.
— Voilà », dit-elle, en faisant apparaître un tas de pièces d'or.
Le pauvre, qui l'était moins maintenant, en profita pour acheter des habits à ses enfants. Mais une de ses filles, en visite chez son oncle, raconta l'incroyable histoire.
Le frère se rendit chez le bûcheron : « Donne-moi la marmite que tu possèdes.
— Je ne te la donnerai pas, car c'est elle qui fait vivre mes enfants.
— Si tu ne me la donnes pas, je te tue. »
Le bûcheron eut peur. Il donna la marmite à son frère et se mit à pleurer. « Demeurez en paix, dit-il à ses enfants ; puisque je ne peux subvenir à vos besoins, je m'en vais errer dans le pays. »

Le pauvre homme partit, resta absent pendant trois mois sans revenir à la ville. Lorsque le jour de fête arriva de nouveau, il se rendit à l'endroit où se trouvait le jujubier sauvage qu'il frappa de sa hache tranchante.
Une femme en sortit, le salua et dit : « Pourquoi n'es-tu pas rassasié ?
— La marmite que tu m'as donnée m'a été prise par mon frère ; je n'ai pas pu l'en empêcher.
— Attends-moi ici », dit-elle. Puis elle rentra dans l'arbre et apporta un grand bâton.
« Quand tu seras près de la ville, tu t'arrêteras jusqu'à ce que les gens soient dans la mosquée ; alors lâche ton bâton et dis-lui : "Prends mon droit à ceux qui m'ont lésé." »
Le bûcheron prit le bâton et se rendit à la porte de la mosquée.


Lorsque les gens sortirent de la prière, le bâton lui échappa et frappa tous les assistants sans exception. Chacun s'en retourna à la mosquée et les chefs dirent : « L'injustice est descendue dans la ville. Dieu pèse sur nous ; que celui qui a été lésé se présente ; nous lui rendrons son dû.
— Le propriétaire du bâton est à la porte de la mosquée et pleure, dit quelqu'un.
— Entre, lui dit-on ; indique-nous celui qui t'a pris ton bien.
— C'est mon frère qui m'a enlevé de force ma marmite.
— Demande ce que tu veux.
— Rendez-moi ma marmite et partagez la fortune de mon frère entre lui et moi, car j'ai des enfants et il n'en a pas. »

On lui donna ce qu'il voulait, et l'on invoqua Dieu qui envoya une forte pluie parce que la justice avait triomphé.

Source : Collectif, Contes Berbères, ill. Delphine Bodet, rue des enfants

vendredi 7 novembre 2014

Conte berbère : Anzar, le dieu de la pluie


Anzar est le nom masculin de la pluie. Anzar apparaît comme l'élément bienfaisant qui renforce la végétation,  donne les récoltes et assure le croît du troupeau. 
La pluie, elle-même assimilée à la semence, entre donc dans les pratiques de magie sympathique. Pour obtenir la pluie longue à venir, il faut solliciter Anzar et tout faire pour provoquer son action fécondante. 
Tout naturellement et sans doute depuis un temps très ancien, les Berbères ont pensé que la plus efficace des sollicitations était d'offrir à Anzar une « fiancée » qui, en provoquant le désir sexuel, créerait les conditions favorables à l'écoulement de l'eau fécondante.

Autrefois, il y a bien longtemps,  vivait dans un village perché une belle jeune femme. La belle fille avait l’habitude de se baigner dans la rivière à l’extérieur du village comme elle était née. Elle était tellement belle qu’Anzar, le dieu des eaux, tout en haut, dans son trône, ne pouvait plus se retenir.  Prenant la forme d’un homme, il apparut à la fille qui, surprise et épouvantée, enfouit son corps  sous l’eau. Anzar s’excusa de l’intrusion et se présenta à elle. La jeune nubile, intimidée et confuse, était émerveillée, mais refusa de le suivre dans sa demeure. 
Sur ce,  Anzar, le dieu des eaux, se retira dans son trône, là-haut et bouda, ce qui arrêta les eaux et la pluie, Le lendemain, les hommes se réveillèrent sur les fontaines qui tarirent, les rivières qui n’émirent plus un murmure; il n’en restait plus que des galets qui on dirait n’avaient jamais bu une goutte de pluie. Bientôt, il ne resta plus rien dans le silo pour le mettre sous la dent. C’est ainsi que la jeune nubile, n’en pouvant plus de taire le pesant secret, alla tout raconter à sa mère.
 La nouvelle se répandit dans tout le pays. Dès le lendemain arrivèrent de tous les villages des processions d’hommes et de femmes pour  supplier la belle jeune femme d’accéder à la demande d’Anzar afin que coule la vie à nouveau et que ne rôdaille plus la terrible malédiction.
La jeune fille fut alors parée par la matrone du village.  La jeune femme suivie d’un grand cortège, où l’on entendait les rires des enfants, des youyous, des chants nuptiaux, le sourire rayonnant sur sa son visage, fut élevée sur la crête d’où l’on pouvait surplomber l’arc-en-ciel. Soudain, quand la jeune femme finit de monter sur la crête, un magnifique arc-en-ciel se dessina au lointain et la happa soudainement. On sut alors qu’Anzar, était revenu prendre sa fiancée qui habitait désormais dans sa demeure au ciel. Aussitôt après, les nuages s’assombrirent, les rivières firent couler leurs serpents repus qui chatoient en dévalant la montagne, la verdure habilla à nouveau les collines, le duvet escalada les arbres d’où émanèrent bientôt de doux ramages et de tendres gazouillis; la malédiction fut chassée loin de la terre des hommes et des bêtes.
Aujourd’hui encore, pour solliciter la pluie, on habille de chiffons une poupée de bois, simplement suggérée par un pilon ou une louche et dont les bras sont figurés par deux cuillers destinées à recevoir et à conserver symboliquement l'eau de pluie tant attendue.


samedi 1 novembre 2014

Contes du Mexique : l'histoire insolite du chewing-gum


Le Mexique est le berceau natal du chewing-gum tel que nous le connaissons.  En espagnol, le mot pour le désigner est « Chicle ». Il vient d’un mot Maya « Tzicli » et aujourd’hui les Indiens du Yucatan ont l’habitude de mâcher la substance gommeuse qu’ils tirent des fruits verts d’un arbre de la région : le sapotillier. Il existe aujourd’hui de grandes plantations de cet arbre même si aujourd’hui la majeure partie de la gomme mâchée est produite synthétiquement (= en langage claire, tiré du pétrole).

Tout débuta lorsque Thomas Adam apprit que les Indiens de cette région mâchonnaient des boules gommeuses extraites de cet arbre. Il en importa deux tonnes et commença un fructueux business. Plus tard, sa suprématie fut mise en cause par Philippe Wrigley qui eut l’idée lumineuse de faire en sorte que la gomme ne colle pas aux dents. Il conçut un mélange avec l’extrait d’un autre arbre de la même famille qui pousse à quelques centaines de kilomètres de là.

Pas simple, la récolte ! Le « chiclero » grimpe le long des troncs et incise le tronc (et il faut grimper le long de l’arbre !). Puis il plonge dans l’eau bouillante pendant deux heures le latex récolté et le laisse refroidir. Il n’oublie pas de marquer de ses initiales les pains de latex pour se faire payer.
Dès les années 1940, la gomme a été produite progressivement à partir de produits de synthèse. Grâce au pétrole, le sapotillier redevient simplement l’arbre majestueux qu’il était, contribue à l’oxygénation de la planète et les « chicleros »  perdent leur emploi (de forçat).

Sommes-nous vraiment gagnants ?

En tout cas, bon appétit, lorsque la prochaine fois, vous mâcherez du chewing gum ! 

vendredi 24 octobre 2014

Conte du Mexique : le destin des Kunkaaks


Un jour, Issaack, la Lune, décida de se baigner dans la mer. Mais les eaux étaient glacées et elle dut errer vers le sud, jusqu’au moment où elle put trouver de l’eau tiède.  Elle en fut si heureuse qu’elle se transforma en une île, Té’ewj. Sur cette terre, elle donna naissance à sa race élue : les Kunkaaks.

Les siècles passant, ils furent décimés par les populations limitrophes qui les obligèrent à se retirer dans des zones désertiques. Ils reculèrent, mais sans plier l’échine. Même les espagnols ne réussirent, de gré ou de force à les convertir. De 5.000 vers 1600, ils sont aujourd’hui à peine 300. 

Connus sous le nom de Seris (« ceux qui vivent dans le sable » en langue Opata), ils viendraient d’Asie, bien avant les Mongols (dont descendent les Amérindiens). Leur langue a de nombreuses ressemblances (mots, sons et sens) avec le Tibétain. Ils sont aussi plus grands que la moyenne des peuples voisins.

Leur société est de type matriarcal. La femme est non seulement la chef de famille, mais elle rend aussi la justice à l’intérieur de la tribu. La peine la plus grave est la trahison envers la race (se marier avec quelqu’un d’une autre race). L’homicide est réparé par la compensation : l’assassin doit céder l’un de ses enfants à la famille de la victime, pour ne pas mettre en danger la lignée. Enfin les différents conjugaux sont toujours à l’avantage de la femme.


Leur religion tourne autour de la Lune. Pendant longtemps, ils furent protégés par la mer et ses tempêtes soudaines qui font chavirer facilement les canots. Agg, la Mer est un dieu généreux qui permet leur survie, mais qui sait être cruel par caprice. Pour un Kunkaak, prononcer la phrase « je vais pêche » est l’équivalant d’un espoir et d’une prière adressée aux dieux pour qu’ils soient bienveillants sur le chemin du retour. 

samedi 18 octobre 2014

Conte du mexique : la légende du chocolat


Voici une première légende datant du temps des Toltèques, brillante civilisation indienne du nord de Mexico aujourd’hui disparue (9ème siècle après JC).

Quetzalcoatl, divinité barbue représentée par un serpent à plumes, détenait toutes les richesses du monde en or, argent et pierres précieuses. Vénéré par son peuple, il possédait surtout la science et la sagesse.

Quetzalcoatl était également jardinier du paradis. Ce qui lui permit d’offrir à l’humanité un cadeau des plus précieux : le cacaoyer. Les hommes apprirent ainsi à cultiver l’arbre qui prodiguait force et richesse, et qui surtout, servait à préparer la fameuse boisson des Dieux… Grâce à l’ancêtre du chocolat, Quetzalcoatl régnait sur un monde prospère et idyllique.

Mais toutes les bonnes choses ayant une fin, le temps de la félicité des Toltèques s’acheva. On raconte que trois sorciers jaloux de l’empire de Quetzalcoatl complotèrent pour le forcer à quitter son royaume. L’un d’entre eux, le magicien Titlacauan, déguisé en vieillard, lui dit : « Seigneur, je t’apporte un breuvage qui est bon et qui enivre celui qui le boit; il t’attendrira le cœur, te guérira et te fera connaître la route de ton prochain voyage au pays où tu retrouveras la jeunesse ».

Quetzalcoatl bût le breuvage, s’enivra et perdit la tête. Notre Dieu devenu fou fît brûler son joli pays, et alla jusqu’à enterrer ses trésors dans la montagne et dans les lits des rivières. Et comble de l’histoire, il transforma les cacaoyers en une autre espèce d’arbres, qui ne donnait pas de fruits.

Envoûté par l’idéal d’une jeunesse éternelle, notre Dieu déchu s’éloigna vers l’est (en direction du soleil levant) sur un radeau paré de plumes et entrelacé de serpents. Mais en partant, Quetzalcoatl promis à son peuple qu’il reviendrait lors d’une année placée sous le signe du roseau, et qu’il leur ramènerait tous les trésors du paradis.

La suite n’est pas une légende : 1519. Civilisation des Aztèques, année placée sous le signe du roseau.

Moctezuma, roi des Aztèques, attend avec impatience le retour de Quetzalcoatl. Et voilà que débarquent par la mer des hommes dont les armures étincelantes ressemblent à s’y méprendre aux écailles de serpents. Dont les têtes sont coiffées de plumes et dont le chef porte une barbe… Plus aucun doute pour Moctezuma, Quetzalcoatl est de retour ! Emerveillé, le roi Aztèque lui offre le meilleur accueil et lui remet son royaume…

Vous connaissez la suite de l’histoire… ou comment Hernán Cortés l’espagnol partit conquérir l’Amérique se retrouva couvert d’or et à la tête de ce qui pour les Aztèques valait tout l’or du monde : des plantations de cacoyers…


Il existe une autre légende aztèque, plus romantique :

Une princesse gardant le trésor de son époux parti à la guerre, fut attaquée par des voleurs. Refusant de leur dévoiler l’endroit où était caché le trésor, les voleurs la tuèrent. Son sang se répandit sur le sol d’où poussa une plante. La légende raconte que cette plante donne des fruits qui cachent un trésor de graines, amères comme les souffrances de l’amour, fortes comme la vertu et rosées comme le sang de la princesse. Les Aztèques reçurent cette plante comme un cadeau du Dieu Quetzalcoatl : c’était le cacaoyer.

vendredi 10 octobre 2014

Conte mongol : entre pouvoir et devoir


Dans les prairies mongoles il y avait un chasseur au grand cœur du nom de Hailibu. Après chaque chasse, il partageait la viande entre les villageois et ne gardait qu'une petite portion pour lui-même. Son attention pour les autres lui valait un grand respect dans le village.

Un jour, alors qu'il chassait dans les bois, Hailibu entendit des cris venant du ciel. Levant le regard, il vit une petite créature capturée par un vautour vorace. Il visa rapidement le prédateur avec sa flèche. Blessé par la flèche, le vautour lâcha sa proie.

La créature lui dit : " Respectable chasseur, vous avez sauvé ma vie. Je suis la fille du roi dragon et je suis sûre que mon père vous remerciera. Vous pouvez lui demander une pierre précieuse qu'il tient dans sa bouche. N'importe qui, qui tient cette pierre dans sa bouche, sera capable de comprendre les langages de tous les animaux. "

Le roi dragon fut content d'apprendre que Hailibu ait sauvé sa fille et il lui offrit la pierre précieuse qui était dans sa bouche. Sur le départ, la fille du dragon répéta à Hailibu: “souvenez-vous de ne pas dire à quiconque ce que les animaux disent. Autrement, vous vous transformerez immédiatement en une pierre. "

Ayant la pierre précieuse dans sa bouche, Hailibu fut capable de chasser plus de viande et de donner davantage aux villageois.

Plusieurs années passèrent rapidement. Un jour, dans la montagne, il entendit un groupe d'oiseaux parler de quelque chose avec urgence : “Nous devons partir ailleurs rapidement. Ce soir, la montagne va s'effondrer et l'inondation va submerger toutes les terres. Beaucoup de gens pourraient mourir. "

Hailibu se précipita chez lui et il révéla ces paroles aux villageois : " Nous devons partir ailleurs immédiatement ; nous ne pouvons plus rester ici ! " Tous furent surpris : " Nous vivons bien ici ; pourquoi partir ? " Hailibu continuait de répéter ces paroles, mais personne n'écoutait. Un vieillard essaya de calmer Hailibu: “ Tu dois nous dire pourquoi ; partir n'est pas une chose facile. "

Hailibu ne vit aucun autre moyen de sauver les villageois. Devenant sérieux, il dit aux villageois : " Ce soir, la montagne va s'écrouler et une grande inondation va submerger cette terre. Vous voyez, les oiseaux s'en vont. " Alors il raconta comment il avait obtenu la pierre précieuse.

Alors qu'il racontait son histoire, le bas de son corps, depuis les pieds, commença à se transformer en pierre. Quand il eut fini de raconter toute l'histoire, son corps tout entier était devenu pierre.

Les villageois furent choqués et en pleurs. Emportant l'essentiel et leurs troupeaux de bétail, avec leurs vieillards et leurs enfants, ils marchèrent vers un pays éloigné. Bientôt la pluie tomba comme jamais tombé auparavant. Dans la direction de leur village, ils entendirent un grondement de tonnerre venant de l'effondrement de la montagne.


Des générations ont passé depuis. On dit que le descendant de ce village se souvient encore d' Hailibu le chasseur au grand cœur et parle de rechercher cette pierre.

jeudi 2 octobre 2014

Conte des mille et une nuits : la leçon de la 774ème nuit



Savez-vous que Shéhérazade se mit à raconter ses contes afin de ne pas être tuée par le Sultan ? Et comme il devait la faire tuer au matin, elle commençait une histoire dans la nuit mais ne la terminait pas au lever du jour. Voulant connaître la fin de l'histoire, le Sultan faisait reporter l'exécution. La nuit suivante, Shéhérazade finissait le conte, mais en commençait un autre tout de suite après. Cela dura mille et une nuits. Tant et si bien qu'il est raconté que le Sultan épargna Shéhérazade.

Lorsque fut la sept cent soixante-quatorzième nuit, Shéhérazade dit :

On raconte que dans une ville d'entre les villes, où l'on enseignait toutes les sciences, vivait un jeune homme beau et studieux. Bien que rien ne lui manquât, il était possédé du désir de toujours apprendre d'avantage. Il lui fut un jour révélé, grâce au récit d'un marchand voyageur, qu'il existait dans un pays fort éloigné, un savant qui était l'homme le plus saint de l'Islam et qui possédait à lui seul autant de science, de sagesse et de vertu, que tous les savants du siècle réunis. Malgré sa renommée, ce savant exerçait le simple métier de forgeron, comme son père avant lui et son grand-père avant son père.
Ayant entendu ces paroles, le jeune homme rentra chez lui, prit ses sandales, sa besace et son bâton, et quitta la ville et ses amis sur le champ. Il marcha pendant quarante jours et quarante nuits. Enfin il arriva dans la ville du forgeron. Il alla directement au souk et se présenta à celui dont tous les passants lui avaient indiqué la boutique. Il baisa le pan de la robe du forgeron et se tint devant lui avec déférence. Le forgeron qui était un homme d'âge au visage marqué par la bénédiction lui demanda :
_ Que désires-tu, mon fils ?
_ Apprendre la science. répondit le jeune homme.
Pour toute réponse le forgeron lui mit dans les mains la corde du soufflet de la forge et lui dit de tirer. Le nouveau disciple répondit par l'obéissance et se mit aussitôt à tirer et à relâcher la corde sans discontinuer, depuis le moment de son arrivée jusqu'au coucher du soleil. Le lendemain il s'acquitta du même travail, ainsi que les jours suivants, pendant des semaines, pendant des mois et ainsi toute une année, sans que personne dans la forge, ni le maître, ni les nombreux disciples qui avaient chacun un travail tout aussi rigoureux, ne lui adressât une seule fois la parole, sans que personne ne se plaignît ou seulement murmurât.

Cinq années passèrent de la sorte. Le disciple, un jour, se hasarda timidement à ouvrir la bouche :
_ Maître...
Le forgeron s'arrêta dans son travail. Tous les disciples, à la limite de l'anxiété, firent de même. Dans le silence il se tourna vers le jeune homme et demanda :
_ Que veux-tu ?
_ La science !
Le forgeron dit :
_ Tire la corde !
Sans un mot de plus tout le monde reprit le travail. Cinq autres années s'écoulèrent durant lesquelles, du matin au soir, sans répit, le disciple tira la corde du soufflet, sans que personne ne lui adressât la parole. Mais si quelqu'un avait besoin d'être éclairé sur une question de n'importe quel domaine, il lui était loisible d'écrire la demande et de la présenter au Maître le matin en entrant dans la forge. Le Maître ne lisait jamais l'écrit. S'il jetait le papier au feu, c'est sans doute que la demande ne valait pas la réponse. S'il plaçait le papier dans son turban, le disciple qui l'avait présenté trouvait le soir la réponse du Maître écrite en caractères d'or sur le mur de sa cellule.

Lorsque dix années furent écoulées, le forgeron s'approcha du jeune homme et lui toucha l'épaule. Le jeune homme, pour la première fois depuis des années, lâcha la corde du soufflet de forge. Une grande joie descendit en lui. Le Maître dit :
_ Mon fils, tu peux retourner vers ton pays et ta demeure, avec toute la science du monde et de la vie dans ton coeur. Car tout cela tu l'a acquis en acquérant la vertu de la patience !
Et il lui donna le baiser de paix. Le disciple s'en retourna illuminé dans son pays, au milieu de ses amis. Et il vit clair dans la vie.



D'après les Contes des Mille et une Nuits Ed. Bouquins 

vendredi 26 septembre 2014

Conte israélien : la juste mesure

Lorsque Noé, après le déluge, planta la vigne, Satan poussa des cris de joie.
"Cette plante-là, dit-il, est à moi. Certes, elle sera le meilleur des pourvoyeurs de mon royaume. Le tout est de trouver le bon engrais pour obtenir beaucoup de fruits."
Il s'approcha de Noé, occupé aux travaux de sa plantation.
Que fais-tu là ? lui dit-il
Tu le vois répondit Noé, je plante de la vigne.
Et pourquoi ?
C'est que le fruit de cet arbuste sera précieux. Il réjouira le coeur de l'homme.
S'il en est ainsi, dit Satan, occupons-nous ensemble à trouver un engrais convenable.

Satan alors apporta successivement une brebis, un lion, un tigre, un porc et enfin un singe. Il sacrifia tour à tour ces animaux, de façon que leur sang, pénétrant dans le sol et de là dans le suc de la vigne, se mêlât dans le raisin. L'astucieux Satan savait bien ce qu'il faisait.

Aujourd'hui encore les caractères des animaux qu'il a choisis se montrent dans les effets du vin. S'il boit un peu de vin, l'homme est doux comme la brebis. Boit-il une dose un peu plus forte, il devient courageux comme un lion. Quand il dépasse la juste mesure, le voilà féroce comme le tigre. Enfin s'il s'abandonne à la passion de boire, il ressemble au porc qui se vautre dans la fange et il devient aussi abject qu'un singe grimaçant.

D'après les Contes et légendes d'Israël de A. Weil. Ed. Nathan 

vendredi 19 septembre 2014

Conte suédois : leçons de vie


Il y avait une fois, il y a bien longtemps de cela, dans un petit village nordique, un atelier de charpentier. Un jour que le Maître était absent les outils se réunirent en grand conseil sur l’établi. Les conciliabules furent longs et animés, ils furent même véhéments. Il s’agissait d’exclure de la communauté des outils un certain nombre de membres.

L’un prit la parole : « Il nous faut, dit-il, exclure notre sœur la scie, car elle mord et elle grince des dents. Elle a le caractère le plus grincheux du monde. »

Un autre dit : « Nous ne pouvons conserver parmi nous notre frère le rabot qui a le caractère tranchant et qui épluche tout ce qu'il touche ». 

« Quant au frère marteau, dit un autre, je lui trouve le caractère assommant. Il est tapageur. Il cogne toujours et nous tape sur les nerfs. Excluons-le ». 

« Et les clous ? Peut-on vivre avec des gens qui ont le caractère aussi pointu ? Qu'ils s'en aillent! Et que la lime et la râpe s'en aillent aussi. A vivre avec elles, ce n'est que frottement perpétuel. Et qu'on chasse le papier de verre dont il semble que la raison d'être dans cet atelier soit de toujours froisser ! » 

Ainsi discouraient en grand tumulte les outils du charpentier. Tout le monde parlait à la fois. L'histoire ne dit pas si c'était le marteau qui accusait la scie et le rabot la lime, mais il est probable que c'était ainsi, car à la fin de la séance, tout le monde se trouvait exclu. 


La réunion bruyante prit fin subitement par l’entrée du charpentier dans l’atelier. On se tut lorsqu'on le vit s'approcher de l'établi. Il saisit une planche et la scia avec la scie qui grince. La rabota avec le frère rabot au ton tranchant qui épluche tout ce qu'il touche. Le frère ciseau qui blesse cruellement, notre sœur la râpe au langage rude, le frère papier de verre qui froisse, entrèrent successivement en action. Le charpentier prit alors nos frères les clous au caractère pointu et le marteau qui cogne et fait du tapage. Il se servit de tous ses outils au méchant caractère pour fabriquer un berceau. Pour accueillir l'enfant à naître. Pour accueillir la Vie.