jeudi 10 juillet 2025

La fraternité, un levier de transmission de savoir ?



La fraternité, loin de se réduire à un simple sentiment, s’impose comme une nécessité anthropologique fondamentale, en particulier dans le contexte de la vie en entreprise. L’humain, par essence, est un être de lien : sa survie et son épanouissement dépendent de sa capacité à tisser des relations, à dépasser l’individualisme accentué par la modernité. Pourtant, la fraternité, bien qu’inscrite dans la devise républicaine, demeure souvent la composante la plus négligée, alors qu’elle constitue le socle d’une société et d’une organisation solidaire.

Plusieurs facteurs compromettent la vitalité de la fraternité en entreprise :

  • La compétition et la rivalité, exacerbées par la mondialisation et les crises (écologique, économique), qui favorisent l’individualisme et la méfiance.
  • Les replis identitaires et communautaires, qui fragmentent le collectif et affaiblissent le sentiment d’appartenance à un « nous » commun.
  • La difficulté à instaurer une fraternité universelle, face à la montée de logiques tribales ou nationalistes, qui entravent la coopération et le partage.

L’expérience montre que la fraternité se révèle souvent dans l’épreuve : face à l’adversité, des « micro-communautés » émergent, même de façon temporaire, permettant de raviver l’espoir et la solidarité. La fraternité ne doit donc pas être conçue comme un état figé, mais comme une dynamique à entretenir et à renouveler sans cesse.

Au-delà du constat sur la fragilité de la fraternité, il s’agit de la cultiver activement :

  • Par l’éducation et la formation, qui favorisent l’ouverture à l’autre et la transmission du savoir.
  • Par la culture d’entreprise et l’engagement citoyen, qui encouragent la coopération et l’entraide.
  • En proposant la fraternité comme un horizon mobilisateur, une utopie qui donne sens à l’action collective, même si elle demeure inachevée.

Pour Edgar Morin, la fraternité n’est pas un vœu pieux, mais une nécessité vitale pour affronter les défis contemporains : climat, conflits, inégalités. Elle requiert une vigilance éthique permanente et la capacité à créer et entretenir des « oasis fraternelles » dans un monde incertain.

La fraternité, telle que pensée par Morin, possède une portée à la fois philosophique et politique : elle incarne une vision d’une humanité reliée, solidaire, capable de régénérer ce lien essentiel, même en temps de crise. Cette perspective invite chacun à devenir acteur de la fraternité au quotidien, notamment dans le monde du travail, où la transmission du savoir passe par la confiance, le partage et la solidarité.

En entreprise, la fraternité devient ainsi un vecteur essentiel de transmission du savoir, de cohésion et d’innovation, condition sine qua non d’une organisation résiliente et humaine.

vendredi 4 juillet 2025

Trop près ou trop loin ? La juste distance





À l’image des trois chaises de Thoreau (1817-1862), dans son livre « Walden », – une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société –, la transmission du savoir requiert d’abord un espace personnel pour assimiler l’information (solitude), puis un espace de dialogue privilégié pour l’échange en petit groupe (amitié), et enfin un espace plus large pour la discussion collective (société). Cette gradation des espaces permet d’adapter la proximité à la nature de l’échange et au niveau d’intimité ou de formalisme requis.


Dans les échanges multiculturels, cette gestion de la distance prend une importance accrue. Trop de proximité ou d’interactions à distance peuvent entraîner des malentendus culturels, des incompréhensions ou une gêne, tandis qu’une distance excessive (formelle ou informelle) peut freiner la confiance et l’engagement. Il est donc crucial de créer un « terrain neutre » – un espace de respect mutuel et d’écoute – où chaque participant peut s’exprimer sans crainte de jugement, et où la diversité des perspectives enrichit le savoir partagé. 


En somme, la leçon des trois chaises de Thoreau appliquée à la transmission du savoir et aux échanges multiculturels invite à :

  • Reconnaître la nécessité d’un espace individuel pour la réflexion et l’appropriation du savoir.
  • Favoriser des échanges en petits groupes pour approfondir la compréhension, bâtir la confiance et dépasser les barrières culturelles.
  • Créer des espaces collectifs inclusifs où la diversité des points de vue est valorisée et où chacun trouve sa place.

Cette approche favorise une transmission du savoir plus authentique, respectueuse des différences culturelles, et propice à l’émergence de solutions innovantes dans un contexte international.

vendredi 27 juin 2025

Petit guide à l’usage de ceux qui préfèrent les réseaux sociaux à la lecture




Chers amis du XXIe siècle,


Vous qui tenez fermement votre smartphone, qui scrollez avec la dextérité d’un pianiste virtuose, réjouissez-vous : la lecture, ce vieux truc poussiéreux, n’a jamais été aussi inutile. À quoi bon lire, franchement ? Les livres, c’est long, ça sent le renfermé, et ça ne rentre même pas dans la poche arrière du jean.


Transmettre ? Mais transmettre quoi ? Des idées ? Des émotions ? De la culture ? Allons, tout cela se trouve en 280 caractères, en vidéo de 15 secondes, ou mieux : en mème. L’héritage du passé, la pensée critique, la subtilité ? Pfff… Place aux idées toutes faites, prêtes à être avalées sans mâcher.


N’écoutez pas Laure Adler et ses acolytes qui vous racontent que « les femmes qui lisent sont dangereuses ». Dangereuses pour qui, d’abord ? Pour ceux qui préfèrent répéter ce qu’ils ont lu sur une story Instagram ? Pour ceux qui pensent que « transmettre », c’est partager un lien TikTok ?


La lecture, c’est suspect. Ça fait réfléchir. Ça donne des arguments. Ça permet de nuancer. Pire : ça donne envie de discuter, de débattre, d’aller plus loin que le premier avis venu. Et si tout le monde se mettait à lire, qui likerait vos vidéos de chats ? Qui partagerait vos fake news ?


Car, ne nous y trompons pas, le vrai danger n’est pas dans la lecture, mais dans le manque de lecture. Si tout le monde se mettait à lire, à s’instruire, à transmettre ce qu’il a compris, imaginez le chaos :

  • Des conversations intelligentes dans le métro (adieu les écouteurs)
  • Des débats d’idées à table (adieu les silences gênants)
  • Des enfants qui posent des questions auxquelles on ne sait plus répondre (adieu l’autorité parentale)


Heureusement, la tendance est à la baisse. On lit moins, on partage plus. On transmet… de moins en moins.


Alors, amis lecteurs en voie d’extinction, rangez vos livres, éteignez vos liseuses. La transmission, c’est surfait. L’avenir appartient à ceux qui ne lisent pas, qui ne transmettent plus, et qui, surtout, ne se posent jamais de questions.


Mais si, par malheur, vous croisez une femme en train de lire dans le bus, méfiez-vous : elle est peut-être en train de devenir dangereuse… pour l’ignorance.

À méditer… ou pas.

vendredi 20 juin 2025

La puissance de l'éloge




Nous traversons une époque où la nuance semble avoir déserté le débat public. Les réseaux sociaux et les médias privilégient les oppositions tranchées, les jugements rapides, et la stigmatisation de la moindre erreur. Dans ce climat, un mot mal interprété suffit à vous cataloguer, à vous assigner une étiquette difficile à décoller. Ce phénomène s’étend au monde professionnel, particulièrement en France, où l’on considère souvent que ce qui fonctionne va de soi et ne mérite pas d’être relevé, tandis que les erreurs, elles, sont systématiquement pointées du doigt.


Face à cette tendance, comment cultiver un état d’esprit positif, individuel et collectif ? La réponse pourrait bien résider dans la puissance de l’éloge. De nombreuses expériences en psychologie sociale, menées aussi bien aux États-Unis qu’en France, ont démontré l’impact des attentes et des messages positifs sur la réussite. L’expérience célèbre où l’on divise des élèves en deux groupes et où l’on informe les enseignants que l’un est « prometteur » et l’autre « en difficulté » illustre parfaitement ce phénomène : les résultats scolaires des élèves s’alignent sur les attentes transmises, indépendamment de leur niveau réel.


L’idée que nos capacités seraient figées est un mythe. Si nous ne pouvons pas tous atteindre le génie d’un Picasso ou d’un Chopin, chacun possède des talents qui ne demandent qu’à être révélés. Or, ces dons restent souvent en sommeil tant qu’ils ne rencontrent pas un regard bienveillant, une parole encourageante, un défi lancé avec confiance. L’éloge, loin d’être une flatterie superficielle, agit comme un catalyseur : il permet à l’enfant, au collègue, à l’ami, de se voir autrement, de s’autoriser à progresser et à se dépasser.


La louange n’est pas seulement un outil de motivation individuelle. Elle transforme les dynamiques de groupe, instaure un climat de confiance, favorise l’innovation et la prise d’initiative. Dans un contexte professionnel, elle valorise les réussites, encourage la coopération et réduit la peur de l’échec. Dans l’éducation, elle redonne confiance à ceux qui doutent et permet à chacun de trouver sa place.

Redonner sa place à l’éloge, c’est réintroduire la nuance dans nos rapports aux autres. C’est reconnaître que la critique constructive ne va pas sans la reconnaissance des efforts et des progrès. C’est, surtout, offrir à chacun la possibilité de grandir, de s’épanouir et de contribuer pleinement à la société. Dans un monde qui valorise trop souvent ce qui ne va pas, l’éloge est un acte de résistance, un choix éthique et un puissant levier de transformation.


Alors qu’allez-vous faire ?

vendredi 13 juin 2025

Prenez garde aux enthousiastes



Fouiller dans l’histoire des mots réserve parfois des surprises éclairantes. Prenons « enthousiasme ». Aujourd’hui, ce mot évoque la passion, l’ardeur, l’exaltation. Le Larousse le définit comme « émotion puissante qui s’empare de quelqu’un à propos de quelqu’un ou de quelque chose et qui se manifeste par des signes extérieurs d’admiration… ».
Pour le néophyte qui découvre un nouveau domaine, cette émotion peut être grisante : on veut tout apprendre, tout partager, tout transformer autour de soi.

Pourtant, l’enthousiasme n’a pas toujours eu cette image positive. À l’origine, il désignait une personne possédée par un esprit ou un démon. Au XVIIe siècle, David Hume voyait l’enthousiaste comme un fanatique, un extrémiste, dont l’excès de zèle pouvait devenir dangereux.
Aujourd’hui encore, dans la transmission du savoir, l’enthousiasme du débutant peut vite se transformer en emballement : vouloir convaincre à tout prix, imposer ses nouvelles connaissances, ou manquer d’écoute envers ceux qui ont plus d’expérience.

Le psychologue Daniel Kahneman a montré que notre cerveau fonctionne selon deux systèmes :

  • Le système rapide, intuitif, émotionnel, qui nous pousse à agir avec passion.
  • Le système lent, rationnel, réfléchi, qui nous invite à prendre du recul.

L’enthousiasme du néophyte vient du cerveau rapide : il est moteur, mais peut aussi nous aveugler. Pour transmettre efficacement, il faut apprendre à mobiliser aussi le cerveau lent : prendre le temps d’écouter, de douter, de se remettre en question.

  • Prendre du recul : Avant de partager une information, vérifiez-la, confrontez-la à d’autres points de vue.
  • Écouter les anciens : L’expérience des autres est précieuse. Posez des questions, acceptez les critiques.
  • Accepter l’erreur : Le savoir se construit aussi par l’essai et l’erreur. Ne cherchez pas à tout maîtriser tout de suite.
  • Modérer son zèle : Laissez de la place aux autres, ne cherchez pas à imposer votre vision.
  • Instaurer des rituels : Des temps d’échange, des bilans réguliers permettent de garder le cap et d’éviter les emballements.

L’enthousiasme du néophyte est une chance : il insuffle de l’énergie, du renouveau. Mais il doit être tempéré par la raison et l’écoute, pour éviter l’excès de zèle qui peut nuire à la transmission du savoir. Comme le rappelle Daniel Kahneman, c’est dans l’équilibre entre passion et réflexion que réside la clé d’un apprentissage durable et partagé.

dimanche 8 juin 2025

Le partage




Open space, temps de présence décomposé, équipe projet et partage des bureaux deviennent courants aujourd’hui. Dans ce contexte, comment développer un esprit d’entraide, de partage et un sentiment d’appartenance à une équipe ? En préface de son livre « The different drum »,  Scott Peck (1936-2005), psychanalyste américain, développe son approche de la vie en communauté. Un regard intéressant pour les règles d’une communauté d’apprenants ou simplement de la vie en équipe. 

 

Dans un monastère en déclin, cinq moines âgés vivent dans la tristesse de voir leur communauté disparaître. L’abbé, désespéré, va consulter un rabbin réputé pour sa sagesse. Le rabbin n’a pas de solution concrète, mais lui confie une énigme : « Le Messie est l’un de vous. »

Intrigués, les moines commencent à se demander lequel d’entre eux pourrait être ce Messie. Chacun se met alors à considérer les autres – et lui-même – avec un profond respect, au cas où l’un d’eux serait effectivement porteur de cette grandeur cachée. Cette nouvelle attitude transforme leur façon de vivre ensemble : l’ambiance devient chaleureuse, respectueuse, empreinte de bienveillance.

Peu à peu, les visiteurs de passage ressentent cette atmosphère particulière et reviennent, attirant d’autres personnes. Le monastère renaît, attire de nouveaux membres et retrouve sa vitalité.

 

Dans l’histoire, la simple possibilité que « le Messie » soit l’un d’eux pousse chaque moine à traiter les autres avec une attention et un respect renouvelés.

 

 Transposé à un open space ou à une équipe projet, cela signifie reconnaître que chaque collègue a une valeur unique et un potentiel insoupçonné. Si chacun considère que son voisin peut être porteur d’une idée géniale, d’un talent caché ou d’une solution inattendue, l’ambiance de travail devient plus positive, plus collaborative et plus respectueuse.

 

Le changement d’attitude des moines crée une communauté soudée, où la bienveillance et l’écoute sont la norme. Dans une équipe projet, cela se traduit par un partage plus spontané des connaissances, des compétences et des expériences. On s’entraide plus facilement, on célèbre les réussites collectives, on apprend de ses erreurs sans crainte d’être jugé.

 

L’atmosphère nouvelle du monastère attire les visiteurs, qui eux-mêmes diffusent cette énergie positive autour d’eux. De même, dans une entreprise, une équipe soudée et bienveillante rayonne à l’extérieur : elle attire de nouveaux talents, fidélise les clients, inspire d’autres équipes. La culture du partage et du respect devient un véritable avantage compétitif.

 

L’histoire du « Cadeau du Rabbin » nous enseigne qu’un changement d’attitude, même subtil, peut transformer une communauté moribonde en un lieu vivant et attractif. Dans un équipe projet professionnelle, cultiver le respect, la bienveillance et le partage profite à tous : cela crée une dynamique interne positive et un rayonnement bénéfique vers l’extérieur, au service de la réussite collective.

vendredi 30 mai 2025

Sauriez-vous dire « stop » ?



Le roman Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane illustre de manière subtile et critique, comment l’éthique personnelle peut influencer la trajectoire professionnelle de son héros, Célio Matemona.


Au début de son ascension sociale, Célio utilise ses connaissances mathématiques pour impressionner et intégrer les cercles du pouvoir, ce qui lui vaut prestige, richesse et responsabilités au sein du gouvernement congolais. À ce stade, il semble que la réussite professionnelle soit davantage liée à sa compétence intellectuelle, à sa débrouillardise et à la chance, qu’à une éthique personnelle marquée. 


Cependant, à mesure qu’il progresse, il est confronté à des dilemmes moraux majeurs, notamment lorsqu’il découvre la corruption et la violence qui sous-tendent le système dans lequel il évolue. À ce stade, ses valeurs éthiques entrent en conflit direct avec les exigences de sa carrière. Sa prise de conscience l’oblige à choisir entre continuer à servir le système corrompu pour préserver sa réussite professionnelle ou rester fidèle à ses principes, quitte à renoncer à ses ambitions et à sa position.


La trajectoire de Célio illustre ainsi que les valeurs éthiques ne garantissent pas nécessairement la réussite professionnelle au sens classique du terme, mais qu’elles imposent des choix décisifs à un moment donné. Elles peuvent limiter l’ascension ou la compromettre, mais elles offrent aussi la possibilité d’une autre forme de réussite : celle d’être en accord avec soi-même et de préserver son intégrité, même dans un environnement hostile.


Comme lui dit son parrain, « on est toujours responsable quelque part. Parce que c’est l’esprit des choses qui compte. Si ton action revêt un esprit qui est en contradiction avec tes convictions, alors abandonne-la ».


En somme, la quête de Célio montre que les valeurs éthiques influencent profondément la carrière, non pas toujours en favorisant la progression, mais en déterminant jusqu’où l’individu est prêt à aller pour réussir, et ce qu’il est prêt à sacrifier sur le plan moral.


Et vous ?