J’ai trouvé ce livre dans une boîte à livres. Je connais bien Isaac Bashevis Singer pour avoir lu plusieurs de ses ouvrages, mais je n’avais encore jamais entendu parler de celui-ci.
C’est un roman très original, que j’interprète comme une vaste parabole — ou peut-être une allégorie — sur l’évolution de notre société. Imaginez des chasseurs-cueilleurs, les Lesniks (ou « hommes des bois » en polonais), vivant au cœur de la forêt et entrant parfois violemment en contact avec des bandes de guerriers. Ces derniers les réduisent en esclavage pour les sédentariser et les contraindre à pratiquer l’agriculture. C’est là l’origine, suggère Singer, de bien des civilisations.
Au fil de ces rencontres forcées, les Lesniks apprennent qu’il existe, à quelques dizaines de jours de marche, d’autres formes de sociétés : des cités organisées, des marchés locaux, des échanges à longue distance, bref, un monde plus complexe qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Puis survient la rencontre — fortuite ou non — avec des hommes religieux monothéistes, eux qui vivaient jusque-là dans un univers animiste.
Singer nous entraîne à travers ces frictions, ces contacts, ces apprentissages mutuels. Le livre trouble, déstabilise, interroge : qu’est-ce qu’une civilisation ? Comment se construit-elle dans son rapport à l’autre ?
Trois aspects m’ont particulièrement marqué :
– Les différents systèmes de pouvoir. Là où domine d’abord un modèle fondé sur le chef charismatique, le « mâle alpha », émergent peu à peu d’autres formes d’autorité — plus collaboratives, parfois même féminines. Rien n’est stable : les équilibres de pouvoir se recomposent sans cesse selon les circonstances. Un bon miroir, sans doute, pour nos organisations contemporaines, y compris les États.
– Le choc du religieux. Singer s’amuse à faire parler des monothéistes qui prêchent l’amour universel… sauf envers les adeptes des autres croyances. Dans un monde actuel traversé à la fois par l’indifférence religieuse et par un regain de ferveur, ce contraste résonne fortement.
– La résilience et l’assimilation. Malgré les violences et les bouleversements, les cultures se mêlent, les sangs se croisent, et de ces fusions naissent d’autres identités. À l’heure des migrations mondiales, cette lecture nous invite à reconsidérer, peut-être, notre propre histoire.
Un livre d’une puissance symbolique rare, à la fois intemporel et d’une brûlante actualité.







