vendredi 10 octobre 2025

Bienvenue chez ceux qui se préparent depuis longtemps au monde VUCA et à l'IA

 



Bienvenue dans un continent complexe, qui semble réussir à déjouer les lois établies par le monde occidental. Tel est le propos de ce petit ouvrage dense – à peine une centaine de pages – dans lequel Sujit Sur tente de synthétiser les grands traits de la philosophie stratégique en Inde. La lecture est à la fois passionnante et exigeante, car l’auteur aborde une matière foisonnante sans en simplifier excessivement la complexité.


L’un des apports majeurs du livre réside dans la mise en perspective de l’Inde comme « continent » plus que comme nation. Elle se compose d’innombrables régions aux langues, cultures, coutumes et histoires distinctes, à la manière d’une Union européenne élargie. Cette diversité rend difficile l’identification d’une seule culture stratégique, mais elle a par ailleurs habitué les organisations indiennes à naviguer dans des environnements mouvants et pluriels. Cette expérience historique leur donne une agilité naturelle face à la complexité.


Un autre point fort souligné par Sur concerne le caractère profond de la diversité religieuse et philosophique. L’Inde, loin de toute centralisation doctrinale, mêle des traditions, des époques et des pratiques hétérogènes, y compris au sein de l’hindouisme majoritaire. Ce pluralisme pousse l’Indien à s’interroger en permanence sur ce qu’il convient de faire, mobilisant pour cela des niveaux multiples de réflexion empruntés à des approches variées, parfois contradictoires, qu’il apprend à combiner.

L’ouvrage met également en lumière le rapport original au temps et à la morale dans la stratégie indienne. Le temps est perçu de manière circulaire plutôt que linéaire, et la quête de la « meilleure » solution ne se limite pas à l’efficacité immédiate, mais inclut une exigence éthique et une relation à autrui où l’entraide est valorisée. Cette philosophie se diffuse moins par des traités de penseurs que par des récits fondateurs tels que le Pañchatantra ou la Bhâgavata Gîta, véritables réservoirs narratifs de comportements stratégiques. Pour la petite histoire, Jean de La Fontaine s’est inspiré du Pañchatantra.  


Il en ressort une approche pragmatique, dégagée des dogmes, reposant sur l’expérimentation, les essais et erreurs, et l’innovation continue. Les modes de raisonnement stratégique s’éloignent des schémas occidentaux, tant dans la manière de cadrer un problème que dans la gestion du temps et de l’incertitude. Dans le contexte contemporain décrit par l’acronyme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), cette variété d’outils intellectuels et cette souplesse peuvent apparaître comme des atouts remarquables.


Enfin, Sur suggère que cette façon de penser pourrait dialoguer efficacement avec les méthodes liées à l’intelligence artificielle. L’IA ne donnant pas directement la solution mais une palette de possibles, il revient à l’humain de sélectionner, d’assembler et de trancher. En ce sens, les réflexes hérités de la stratégie indienne – capacité de synthèse, acceptation de la pluralité, recherche d’optimisation – offrent une proximité étonnante avec un futur où la décision reste humaine mais s’alimente à des sources multiples. Une perspective qui séduira ceux qui goûtent la complexité… et qui pourra dérouter ceux qui privilégient les réponses toutes faites.

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