jeudi 12 décembre 2019

Le comportement du génie

Le génie peut s’incarner sous bien des formes (...). C’est cet inénarrable provocateur de Marcel Duchamp qui nous l’a démontré quand il a abandonné la création plastique pour partir s’installer à Buenos Aires et se consacrer à plein temps aux échecs. 

Ils ont, disait-il, « toute la beauté de l’art, et beaucoup plus. Ils ne peuvent pas être commercialisés. Les échecs sont beaucoup plus purs ». A première vue, Duchamp a l’air de déplorer le pouvoir corrupteur de l’argent. En fait, il est bien plus subversif que ça ; il détruit les frontières conventionnelles de l’art en affirmant que toutes les formes d’expression se valent potentiellement. Toutes

Peindre est pareil que jouer aux échecs, qui est pareil que faire du roller, qui est pareil que se mettre à son fourneau pour préparer une soupe. Et même, chacune de ces bonnes vieilles activités de tous les jours vaut mieux que l’art conventionnel, vaut mieux que la peinture, car elle est accomplie sans la posture moralisatrice de celui qui se considère comme un « artiste ». 

Il n’y a pas de chemin plus sûr vers la médiocrité ; comme l’a écrit Borgès, le désir d’être un génie est la « plus grossière des tentations de l’art ». Selon sa conception le véritable génie n’est donc pas conscient de lui-même. Un génie doit par définition être quelqu’un qui ne s’arrête pas pour réfléchir à ce qu’il fait, à la façon dont cela sera reçu ni aux conséquences que cela aura sur lui et son avenir ; il se contente de faire

Il exerce son activité avec une obstination qui est par essence malsaine et souvent autodestructive.

Extrait du livre de Jesse Kellerman, « Les Visages », Point 2011

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