samedi 1 août 2020

Les différences culturelles : USA vs URSS

 « Les enfants de Marina Tchipkovskaïa, qui étaient nés en Amérique et ne parlaient pas russe, n’étaient manifestement pas ravis de la présence de ces hôtes moscovites. De façon générale, ils étaient agacés par les amis russes de leur mère, même ceux qui vivaient en Amérique, des émigrés qui parlaient mal l’anglais et n’avaient pas très bien réussi. Et ils ne s’en cachaient pas. 

Quand elle était encore petite, la fille de Marina avait demandé à sa mère : « Pourquoi les Russes, ils ont tous des dents pourries et les cheveux sales ? » 

Tchipa aurait pu répondre à cette question, mais elle n’avait rien dit. Il aurait fallu expliquer trop de choses. 

Que chaque pays a ses propres habitudes culturelles – les Américains changent de tee-shirt deux fois par jour et se lavent dès qu’il y a une douche dans les parages, tandis que depuis des générations, les Russes se lavent une fois par semaine aux bains, le samedi, et changent de linge à cette occasion. Que beaucoup d’entre eux vivent dans des appartements communautaires sans salle de bains… 

Et aussi que chaque enfant de leur âge, même au fin fond de la Russie, lit en un an plus de livres que son frère et elle n’en avaient lu durant leur vie entière, que chaque adulte convenable connaît par cœur plus de poèmes qu’un professeur de littérature ici… 

Mais Marina n’avait rien dit de tout cela à ses enfants, parce qu’elle voulait qu’ils deviennent des Américains à cent pour cent, que les effluves de l’émigration s’évaporent le plus vite possible, dès la première génération… Tous les gens venus de Russie se divisaient en deux camps : les uns apprenaient le russe à leurs enfants pour qu’ils lisent Pouchkine et Tolstoï dans l’original et ne perdent pas la culture russe, les autres, comme Marina, ne le faisaient pas. Et pour les uns comme pour les autres, la vérité, c’était qu’en règle générale, l’émigration avait entraîné d’énormes pertes en termes de statut social, et rares étaient ceux qui étaient parvenus à retrouver la position qu’ils occupaient dans leur pays natal. » 



(Extrait de « L'échelle de Jacob » par Ludmila Oulitskaïa, Sophie Benech, Gallimard, 2018)

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