dimanche 22 septembre 2024

Changement et pacification des esprits




Dans ce livre écrit en 1960, l’auteur, officier d’active, témoigne de ses méthodes de pacification en grande Kabylie lors de la guerre d’Algérie. L’intérêt du livre est que l’auteur, qui a longuement séjourné dans des zones de combat dans l’Après-Guerre (Chine, Philippines, Grèce), a étudié les modes de soulèvement et d’insurrection dans ces régions. Il en a retenu des leçons de contre-insurrection qu’il a appliqué sur le terrain. Mais ce n’est pas sur l’aspect « pacification » qui a le plus retenu mon attention. Même si les dirigeants et militaires de tous pays pourraient s’en inspirer, ce livre m’a interpelé sur son adaptation lors de fusions d’entreprise, de services, d’équipes…

 

En effet, l’une des conditions de succès de rapprochement est le changement de culture associé pour l’une et souvent l’autre partie. Au cours d’une carrière, nous avons tous vécu par moments dans des équipes où de nombreuses années un regroupement, il y avait encore des divergences et des rivalités entre ceux de l’ »ancienne » équipe, les représentants des « nouveaux » qui ont été transférés  lors du regroupement et ceux arrivés depuis ce regroupement 

 

Que nous dit l’auteur sur les conditions de succès ? 

 

Il faut « enrôler » la population concernée, mais ne pas attendre un soutien spontané : il est important de trouver une minorité active parmi cette population pour y contribuer. Cela ne fonctionnera que si l’autorité « conquérante » est reconnu comme efficace. Si la nouvelle direction fait preuve d’incompétence ou se montre hésitante, les indécis risquent de rejoindre le camp des critiques dure à remonter. Enfin, comme monter une organisation ne se fait pas en un jour, il vaut mieux étaler la démarche en commençant par des succès faciles pour donner de la crédibilité au projet.

 

Si cela peut paraître « normal », dans la réalité, de nombreux obstacles peuvent en gêner la réalisation.

 

D’abord, le manque d’adaptation des personnes et des équipes aux nouvelles tâches qui sont les leurs. Ainsi comment faire prendre en compte par des équipes expérimentés un changement de braquet pour prendre en compte leurs nouveaux collègues ? L’habitude peut inciter à passer en force.

 

Ensuite le manque de systématisme. Est-ce que toutes les personnes chargés de réussir cette fusion portent-elles le même message ? Ont-elles des supports adaptés, régulièrement mis à jour ? Est-ce que les succès sont mis en valeur à tous les niveaux ? Est-ce que les actions portent aussi sur les groupes discrets ?

 

Enfin, la fermeté est importante. Une fusion, un regroupement ne sont des moments faciles. Tout excès ou tout relâchement se doivent d’être combattus, voire sanctionnés pour permettre le succès de l’ensemble. 

 

J’ai résumé en une page un livre de 350 pages. Il est plein de détails pratiques. Je vous invite à le lire. 

 

Pour la grande histoire, cette méthode a été généralisé trop tard, dans les années 60. A cette date-là la politique internationale avait pris le dessus et l’Algérie a obtenu son indépendance. Et pour la petite histoire, ce livre a été écrit en anglais pour les Américains qui s’en sont servis en Irak entre autres, et plus tard seulement traduit en français. 

 

Un livre dépassé ? On devrait peut-être s’en inspirer dans les entreprises qui fusionnent en interne ou en externe. 

samedi 14 septembre 2024

Chercher sa place



Dans les huit montagnes, deux jeunes, Pietro, un jeune de la ville et Bruno, un de la montagne, se croisent dans un petit village du Val d’Aoste. Ils passeront leurs vacances d’enfance ensemble, puis la vie les séparera, parfois pour de courtes périodes, parfois plus longtemps. L’un bourlinguera dans le monde, notamment dans l’Himalaya, quand l’autre restera dans sa montagne. 

 

La notion des huit montagnes part d’une métaphore indienne  : au centre du monde il y a une montagne centrale, le Sumeru, et autour huit montagnes et huit mers (un mandala). La question qui se pose : lequel des deux aura le plus appris ? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru ?   

 

 

Trois leçons (liste non exhaustive)

 

Il y a plusieurs d’apprendre sur soi et par ricochet sur le monde qui nous entoure.

 

Pietro, celui qui voyage au loin,  cherche à se trouver  et à comprendre le monde en voyageant. Il parcourt les huit montagnes. 

 

Bruno, en revanche, reste ancré dans sa montagne, fidèle à ses racines et à son mode de vie traditionnel. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas atteindre une forme de réalisation personnelle. Sa stabilité et son enracinement lui permettent de trouver une paix intérieure et une compréhension de soi qui sont tout aussi valables que les découvertes de Pietro à travers ses voyages.

 

Ensuite, la notion des huit montagnes évoque également l’idée que, peu importe le chemin que l’on prend, on revient toujours à ses origines et à ce qui est essentiel dans la vie, dans sa vie.

 

Enfin, en termes de transmission, Bruno reproduit la vie de sa mère, la montagne et seulement la montagne quand Pietro prend exemple su son père : la montagne pour se ressourcer, mais pas pour y vivre en permanence.

 

Finalement, ce livre offre une réflexion sur la quête de soi et les différentes voies possibles pour y parvenir. 

 

Comment cherchez-vous à trouver notre place dans le monde ? En allant vers l’extérieur ou en voyageant au plus profond de nous ? 

samedi 7 septembre 2024

Prédire ou prévoir ?



 Nous avons tendance à confondre « prédire » (« predict » en anglais) et prévoir (« forecast ») . Prédire relève de l’augure au sens antique du terme et de l’intuition. Prévoir est plus basé sur le calcul, l’anticipation et a une base plus factuelle, plus expérimentale. Ceux qui ont lu le livre de Michael Lewis, « Moneyball » ou vu le film qui en a été tiré « Le stratège »  avec Brad Pitt ont découvert le rôle des statistiques dans le monde du sport. Issu d’un fait réel, l’entraîneur d’une équipe de baseball a conduit au succès une équipe sans grands moyens financiers en choisissant des joueurs peu connus sur la base de calculs statistiques. 

 

Quelques années plus tard, un statisticien américain, Nate Silver, a sorti un livre, « The signal and the noise » qui étend cette utilisation à de nombreux autres domaines. Même si le livre date maintenant d’une douzaine d’années,  sa lecture est toujours d’actualité pour celui qui veut prévoir plutôt que prédire… avec son doigt mouillé. 

 

Que nous dit-il ? 

 

D’abord que nous avons encore beaucoup de chemins à faire pour améliorer nos prévisions. Nous vivons au milieu d’un trop plein d’informations et nous avons tendance à confondre les informations pertinentes  (le signal) des bruits de fond inutile, avec tous les biais associés. 

 

Ensuite, nous utilisons ces informations de manière fragmentaire, sans donner trop de détails, ce qui rend difficile l’analyse. Ainsi dire lors de sondages d’opinion que la cote de telle personne a baissé ou monté sans indiquer l’intervalle de confiance permet de dire n’importe quoi. La qualité des données doit primer sur la quantité. 

 

De plus, il nous invite à beaucoup d’humilité. Même les experts sur des sujets maîtrisés peuvent se tromper. Les sondeurs sur les élections politiques en savent quelque chose. 

 

 Enfin, il recommande d’utiliser des méthodes de probabilités comme les méthodes bayésiennes, pour sans cesse améliorer ses prévisions et ne pas s’en tenir aux premières conclusions. 

 

Je ne cache pas que c’est un livre long (450 pages), difficile pour ceux qui ne sont pas statisticien (c’est mon cas), mais il reste néanmoins d’actualité pour mieux comprendre les analyses d’aujourd’hui et leurs erreurs. 

 

Pour ceux qui voudraient aller plus loin,  je suggère « Factfulness, penser clairement cela s’apprend » d’Hans Rosling (Flammarion, 2019)  ou « Superforecasting, comment être visionnaire » de Philip E. Tetlock (Les Arènes, 2020)