vendredi 20 juin 2025

La puissance de l'éloge




Nous traversons une époque où la nuance semble avoir déserté le débat public. Les réseaux sociaux et les médias privilégient les oppositions tranchées, les jugements rapides, et la stigmatisation de la moindre erreur. Dans ce climat, un mot mal interprété suffit à vous cataloguer, à vous assigner une étiquette difficile à décoller. Ce phénomène s’étend au monde professionnel, particulièrement en France, où l’on considère souvent que ce qui fonctionne va de soi et ne mérite pas d’être relevé, tandis que les erreurs, elles, sont systématiquement pointées du doigt.


Face à cette tendance, comment cultiver un état d’esprit positif, individuel et collectif ? La réponse pourrait bien résider dans la puissance de l’éloge. De nombreuses expériences en psychologie sociale, menées aussi bien aux États-Unis qu’en France, ont démontré l’impact des attentes et des messages positifs sur la réussite. L’expérience célèbre où l’on divise des élèves en deux groupes et où l’on informe les enseignants que l’un est « prometteur » et l’autre « en difficulté » illustre parfaitement ce phénomène : les résultats scolaires des élèves s’alignent sur les attentes transmises, indépendamment de leur niveau réel.


L’idée que nos capacités seraient figées est un mythe. Si nous ne pouvons pas tous atteindre le génie d’un Picasso ou d’un Chopin, chacun possède des talents qui ne demandent qu’à être révélés. Or, ces dons restent souvent en sommeil tant qu’ils ne rencontrent pas un regard bienveillant, une parole encourageante, un défi lancé avec confiance. L’éloge, loin d’être une flatterie superficielle, agit comme un catalyseur : il permet à l’enfant, au collègue, à l’ami, de se voir autrement, de s’autoriser à progresser et à se dépasser.


La louange n’est pas seulement un outil de motivation individuelle. Elle transforme les dynamiques de groupe, instaure un climat de confiance, favorise l’innovation et la prise d’initiative. Dans un contexte professionnel, elle valorise les réussites, encourage la coopération et réduit la peur de l’échec. Dans l’éducation, elle redonne confiance à ceux qui doutent et permet à chacun de trouver sa place.

Redonner sa place à l’éloge, c’est réintroduire la nuance dans nos rapports aux autres. C’est reconnaître que la critique constructive ne va pas sans la reconnaissance des efforts et des progrès. C’est, surtout, offrir à chacun la possibilité de grandir, de s’épanouir et de contribuer pleinement à la société. Dans un monde qui valorise trop souvent ce qui ne va pas, l’éloge est un acte de résistance, un choix éthique et un puissant levier de transformation.


Alors qu’allez-vous faire ?

vendredi 13 juin 2025

Prenez garde aux enthousiastes



Fouiller dans l’histoire des mots réserve parfois des surprises éclairantes. Prenons « enthousiasme ». Aujourd’hui, ce mot évoque la passion, l’ardeur, l’exaltation. Le Larousse le définit comme « émotion puissante qui s’empare de quelqu’un à propos de quelqu’un ou de quelque chose et qui se manifeste par des signes extérieurs d’admiration… ».
Pour le néophyte qui découvre un nouveau domaine, cette émotion peut être grisante : on veut tout apprendre, tout partager, tout transformer autour de soi.

Pourtant, l’enthousiasme n’a pas toujours eu cette image positive. À l’origine, il désignait une personne possédée par un esprit ou un démon. Au XVIIe siècle, David Hume voyait l’enthousiaste comme un fanatique, un extrémiste, dont l’excès de zèle pouvait devenir dangereux.
Aujourd’hui encore, dans la transmission du savoir, l’enthousiasme du débutant peut vite se transformer en emballement : vouloir convaincre à tout prix, imposer ses nouvelles connaissances, ou manquer d’écoute envers ceux qui ont plus d’expérience.

Le psychologue Daniel Kahneman a montré que notre cerveau fonctionne selon deux systèmes :

  • Le système rapide, intuitif, émotionnel, qui nous pousse à agir avec passion.
  • Le système lent, rationnel, réfléchi, qui nous invite à prendre du recul.

L’enthousiasme du néophyte vient du cerveau rapide : il est moteur, mais peut aussi nous aveugler. Pour transmettre efficacement, il faut apprendre à mobiliser aussi le cerveau lent : prendre le temps d’écouter, de douter, de se remettre en question.

  • Prendre du recul : Avant de partager une information, vérifiez-la, confrontez-la à d’autres points de vue.
  • Écouter les anciens : L’expérience des autres est précieuse. Posez des questions, acceptez les critiques.
  • Accepter l’erreur : Le savoir se construit aussi par l’essai et l’erreur. Ne cherchez pas à tout maîtriser tout de suite.
  • Modérer son zèle : Laissez de la place aux autres, ne cherchez pas à imposer votre vision.
  • Instaurer des rituels : Des temps d’échange, des bilans réguliers permettent de garder le cap et d’éviter les emballements.

L’enthousiasme du néophyte est une chance : il insuffle de l’énergie, du renouveau. Mais il doit être tempéré par la raison et l’écoute, pour éviter l’excès de zèle qui peut nuire à la transmission du savoir. Comme le rappelle Daniel Kahneman, c’est dans l’équilibre entre passion et réflexion que réside la clé d’un apprentissage durable et partagé.

dimanche 8 juin 2025

Le partage




Open space, temps de présence décomposé, équipe projet et partage des bureaux deviennent courants aujourd’hui. Dans ce contexte, comment développer un esprit d’entraide, de partage et un sentiment d’appartenance à une équipe ? En préface de son livre « The different drum »,  Scott Peck (1936-2005), psychanalyste américain, développe son approche de la vie en communauté. Un regard intéressant pour les règles d’une communauté d’apprenants ou simplement de la vie en équipe. 

 

Dans un monastère en déclin, cinq moines âgés vivent dans la tristesse de voir leur communauté disparaître. L’abbé, désespéré, va consulter un rabbin réputé pour sa sagesse. Le rabbin n’a pas de solution concrète, mais lui confie une énigme : « Le Messie est l’un de vous. »

Intrigués, les moines commencent à se demander lequel d’entre eux pourrait être ce Messie. Chacun se met alors à considérer les autres – et lui-même – avec un profond respect, au cas où l’un d’eux serait effectivement porteur de cette grandeur cachée. Cette nouvelle attitude transforme leur façon de vivre ensemble : l’ambiance devient chaleureuse, respectueuse, empreinte de bienveillance.

Peu à peu, les visiteurs de passage ressentent cette atmosphère particulière et reviennent, attirant d’autres personnes. Le monastère renaît, attire de nouveaux membres et retrouve sa vitalité.

 

Dans l’histoire, la simple possibilité que « le Messie » soit l’un d’eux pousse chaque moine à traiter les autres avec une attention et un respect renouvelés.

 

 Transposé à un open space ou à une équipe projet, cela signifie reconnaître que chaque collègue a une valeur unique et un potentiel insoupçonné. Si chacun considère que son voisin peut être porteur d’une idée géniale, d’un talent caché ou d’une solution inattendue, l’ambiance de travail devient plus positive, plus collaborative et plus respectueuse.

 

Le changement d’attitude des moines crée une communauté soudée, où la bienveillance et l’écoute sont la norme. Dans une équipe projet, cela se traduit par un partage plus spontané des connaissances, des compétences et des expériences. On s’entraide plus facilement, on célèbre les réussites collectives, on apprend de ses erreurs sans crainte d’être jugé.

 

L’atmosphère nouvelle du monastère attire les visiteurs, qui eux-mêmes diffusent cette énergie positive autour d’eux. De même, dans une entreprise, une équipe soudée et bienveillante rayonne à l’extérieur : elle attire de nouveaux talents, fidélise les clients, inspire d’autres équipes. La culture du partage et du respect devient un véritable avantage compétitif.

 

L’histoire du « Cadeau du Rabbin » nous enseigne qu’un changement d’attitude, même subtil, peut transformer une communauté moribonde en un lieu vivant et attractif. Dans un équipe projet professionnelle, cultiver le respect, la bienveillance et le partage profite à tous : cela crée une dynamique interne positive et un rayonnement bénéfique vers l’extérieur, au service de la réussite collective.

vendredi 30 mai 2025

Sauriez-vous dire « stop » ?



Le roman Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane illustre de manière subtile et critique, comment l’éthique personnelle peut influencer la trajectoire professionnelle de son héros, Célio Matemona.


Au début de son ascension sociale, Célio utilise ses connaissances mathématiques pour impressionner et intégrer les cercles du pouvoir, ce qui lui vaut prestige, richesse et responsabilités au sein du gouvernement congolais. À ce stade, il semble que la réussite professionnelle soit davantage liée à sa compétence intellectuelle, à sa débrouillardise et à la chance, qu’à une éthique personnelle marquée. 


Cependant, à mesure qu’il progresse, il est confronté à des dilemmes moraux majeurs, notamment lorsqu’il découvre la corruption et la violence qui sous-tendent le système dans lequel il évolue. À ce stade, ses valeurs éthiques entrent en conflit direct avec les exigences de sa carrière. Sa prise de conscience l’oblige à choisir entre continuer à servir le système corrompu pour préserver sa réussite professionnelle ou rester fidèle à ses principes, quitte à renoncer à ses ambitions et à sa position.


La trajectoire de Célio illustre ainsi que les valeurs éthiques ne garantissent pas nécessairement la réussite professionnelle au sens classique du terme, mais qu’elles imposent des choix décisifs à un moment donné. Elles peuvent limiter l’ascension ou la compromettre, mais elles offrent aussi la possibilité d’une autre forme de réussite : celle d’être en accord avec soi-même et de préserver son intégrité, même dans un environnement hostile.


Comme lui dit son parrain, « on est toujours responsable quelque part. Parce que c’est l’esprit des choses qui compte. Si ton action revêt un esprit qui est en contradiction avec tes convictions, alors abandonne-la ».


En somme, la quête de Célio montre que les valeurs éthiques influencent profondément la carrière, non pas toujours en favorisant la progression, mais en déterminant jusqu’où l’individu est prêt à aller pour réussir, et ce qu’il est prêt à sacrifier sur le plan moral.


Et vous ? 

vendredi 23 mai 2025

Une illustration d’une société apprenante

 

Safrin de Lamine Camara est à la fois une fresque épique et un témoignage ethnographique sur la société mandingue. Il célèbre la tradition chevaleresque universelle tout en offrant une plongée dans les codes, valeurs et hiérarchies d’une société africaine structurée. 

C’est aussi un exemple de la transmission et il est intéressant à utiliser pour illustrer une société apprenante. 

 

Quelques exemples



Dans « Safrin », la transmission des valeurs, des savoirs et des codes sociaux passe par la narration, les griots et les récits d’expériences vécues. Cet usage du storytelling est directement transposable en entreprise pour partager la connaissance tacite : raconter des histoires, des cas concrets ou des expériences marquantes permet de transmettre efficacement des savoirs complexes ou informels, tout en ancrant la mémoire collective de l’organisation.

Dans le roman, les anciens, les griots et les figures héroïques incarnent la mémoire vivante et la transmission du savoir. En entreprise, cela se traduit par la mise en place de programmes de mentorat, où les « sachants » accompagnent les « apprenants », transmettant non seulement des compétences techniques mais aussi des valeurs, des pratiques et une culture professionnelle.

Le duel au fouet, les joutes oratoires, le respect des anciens : tous ces rituels structurent la vie collective dans « Safrin » et garantissent la transmission des règles du groupe. En entreprise, la formalisation de rituels (réunions de partage, retours d’expérience, cérémonies de reconnaissance) permet d’ancrer des pratiques et de renforcer la cohésion autour de valeurs communes.

À l’image du Mandingue dans « Safrin », une organisation apprenante multiplie ses savoirs en les partageant : la connaissance, bien immatériel, s’enrichit lorsqu’elle circule. Développer une culture de la transmission accroît la motivation, l’efficience et la capacité d’innovation des équipes.

Comme dans le roman où la transmission varie selon les contextes (famille, village, duel), il est essentiel d’adapter les méthodes de transmission à la culture, aux métiers et aux besoins spécifiques de l’entreprise.

Utiliser « Safrin » en milieu professionnel permet d’illustrer, par la force de la fiction et de l’exemple, l’importance du storytelling, du mentorat, des rituels, et d’une culture du partage pour assurer la transmission des savoirs et des savoir-faire dans l’entreprise. Ces analogies peuvent servir de point de départ à des ateliers, des formations ou des réflexions collectives sur la gestion des connaissances et la valorisation du capital humain.

vendredi 16 mai 2025

Une clé de lecture du leadership




Si vous travaillez dans une entreprise internationale, vous vous êtes peut-être interrogé sur la notion de leadership et ses différences selon les continents. 


L'analyse de Jonathan Haidt (The Righteous Mind, Penguin, 2013) sur les fondements moraux offre un cadre pertinent pour décrypter les différences de leadership entre les pays occidentaux (WEIRD) et d'autres régions du monde. En articulant les dimensions culturelles, éthiques et psychologiques, elle éclaire les logiques sous-jacentes aux pratiques managériales.


Selon Haidt, les sociétés WEIRD privilégient les fondements care (bienveillance) et fairness (équité). 

D’autres cultures valorisent ddavantage loyalty (loyauté), authority (autorité) et sanctity (sacralité). Cette divergence se reflète dans les styles de leadership :


En Occident, c’est un leadership centré sur l'individu (autonomie, méritocratie, transparence). La Priorité est donnée à l'innovation et aux droits des salariés (ex : congés parentaux, télétravail). Exemple : les startups californiennes où la hiérarchie est aplatie et le feedback direct encouragé 


En Asie/Afrique/Amérique latine : le leadership est ancré dans le collectif (loyauté envers l'entreprise familiale, respect des aînés), d’où l’importance des rituels (cérémonies d'entreprise) et tabous (évitement des conflits publics). Exemple : les chaebols sud-coréens, où l'autorité du PDG est sacralisée.


Cela a des implications managériales : 


Gestion des conflits : en Occident, les désaccords sont traités via des procédures formalisées (ex : médiation RH). Alors qu’en Asie, le maintien de l'harmonie prime, conduisant à des résolutions indirectes.


Prise de décision : les leaders WEIRD utilisent des données objectives (fairness), tandis que d'autres s'appuient sur l'expérience des seniors (authority). 


Motivation :  les salariés occidentaux répondent à des incitations individuelles (promotions), là où d'autres cultures valorisent la reconnaissance du groupe.


Une clé de lecture intéressante !

dimanche 11 mai 2025

Les contes sont faits pour réveiller les grandes personnes



Cette version de Pinocchio  est une adaptation moderne du conte original de Carlo Collodi. Si la grande majorité du public connaît la version très « bisounours » de Disney, cette version est plus proche de l’édition originale, respecte l’esprit du conte, tout en l’adoucissant légèrement. 

 

L’ouvrage conserve les grandes étapes du récit : les mésaventures de Pinocchio, ses mensonges qui allongent son nez, le pays des jouets, et le passage dans la gueule du requin. Certaines modifications sont apportées pour rendre l’histoire plus adaptée et agréable aux enfants d’aujourd’hui, mais sans trahir l’esprit du conte : les thèmes de la méfiance envers les inconnus, de l’importance du courage et de la vérité sont préservés.

Dans un contexte professionnel, ce texte de Pinocchio peut servir de puissant outil de transfert de savoirs et de compétences transversales :

- Il met en avant des valeurs fondamentales pour le monde du travail : l’obéissance aux règles, le courage face aux difficultés, l’honnêteté, la responsabilité et l’importance de l’apprentissage continu.
- L’histoire illustre la nécessité de tirer des leçons de ses erreurs, de s’adapter, de travailler pour progresser et de dépasser ses limites, autant de compétences clés dans un environnement professionnel.
- Pinocchio, marionnette inexpérimentée confrontée à la réalité, symbolise l’intégration dans une équipe, l’apprentissage du métier, la gestion de l’autonomie et la prise d’initiative, tout en soulignant l’importance du collectif et de la solidarité.
- Le récit permet aussi d’aborder les dangers de la naïveté, de la crédulité ou de la fuite des responsabilités, et d’encourager une posture réflexive et éthique au travail.

En somme, Pinocchio devient une allégorie de la maturation professionnelle, de la construction de l’identité au travail, et de la nécessité d’un engagement personnel pour devenir un « vrai professionnel ».

Et vous qu’en pensez-vous ? 

jeudi 1 mai 2025

Mêmes causes, mêmes effets ?




Da Empoli montre comment les « ingénieurs du chaos » exploitent les données massives pour cibler les électeurs de façon quasi-individuelle, adaptant les messages à leurs peurs, colères ou aspirations, plutôt que de proposer un projet global cohérentCette personnalisation extrême, rendue possible par les réseaux sociaux et les algorithmes, permet de fragmenter l’opinion publique et de polariser les débats, favorisant la montée des extrêmes et la défiance vis-à-vis des élites traditionnelles. Ces méthodes qui exploitant les diverses colère sourdes de l’opinion expliquent en partie les résultats des élections tant pour le Brexit que pour Trump ou Orban, selon l’auteur.


Mon propos ici est transposer cette approche à la transmission de savoir. 


En effet, la montée en puissance de l’IA et de la transformation digitale impose un rythme de renouvellement des compétences sans précédent : l’apprentissage continu devient la norme, et l’obsolescence des savoirs s’accélère. Comment réussir cette transformation sans provoquer des leviers de boucliers et de la casse sociale ? 


Bien sûr, les entreprises investissent de plus en plus dans la formation continue, l’upskilling et le reskilling pour anticiper les mutations des métiers et éviter le déclassement massif de leurs collaborateurs.

Comme en politique, l’individualisation des parcours devient essentielle en formation. Les réseaux sociaux et les outils numériques offrent aussi des opportunités inédites pour personnaliser l’apprentissage, favoriser le partage de connaissances et créer des communautés d’entraide, mais ils comportent aussi des risques de distraction et de désinformation.


La transmission du savoir ne peut pas reposer uniquement sur les outils numériques.

Cela conduit le transmetteur de savoir, qu’il soit un formateur, un tuteur, un manager ou un référent à devenir un facilitateur de l’apprentissage tout au long de la vie de l’équipe. L’entreprise a un rôle clé dans la reconnaissance de ce rôle. 


Pesez-vous la question : votre organisation favorise-telle :

  • L’individualisation des parcours ?
  • La multiplication les canaux et les formats d’apprentissage ?
  • Le soutien de la motivation intrinsèque et extrinsèque ?
  • La garantie de filets de sécurité et des possibilités de reconversion ?
  • La reconnaissance du rôle de transmetteur ?
  • Et le développement de l’esprit critique face à la surabondance d’informations ?

Et comme tous n’apprennent pas à la même vitesse ni avec la même motivation. L’accompagnement, la protection sociale et la création de voies de reclassement sont des éléments majeurs pour éviter une « casse sociale » 

Pour finir, la grande question, est d’éviter de n’agir qu’en réaction à la crise. Il s’agit d’anticiper, d’accompagner et de donner à chacun les moyens d’être acteur de son évolution, plutôt que d’être spectateur ou victime des mutations en cours.  Si non, des ingénieurs du chaos pourraient exploiter socialement ou politiquement ces situations. 

samedi 26 avril 2025

Un ennemi est-il rationnel ?




Lee Harris explique que l’Occident, façonné par les démocraties libérales et l’économie de marché, a tendance à oublier la notion d’ennemi. Pour Harris, l’Occident raisonne en termes de conflits d’intérêts à résoudre par la négociation, et non en termes d’antagonismes irréductibles. Or, dans le monde réel, il existe des ennemis qui ne partagent ni nos valeurs ni notre rationalité, et qui peuvent agir de manière radicalement opposée à nos attentes, même si c’est au détriment d’eux-mêmes et de leurs intérêts personnels.

 

Cela vaut dans la société civile aujourd’hui, mais également dans la vie professionnelle et notamment dans la transmission de savoir. Nous faisons ici une transposition libre qui n’est pas dans le livre de Lee Harris. 


En entreprise, tout désaccord n’est pas soluble dans la négociation ou la recherche du consensus. Certains blocages ou résistances peuvent venir de conflits profonds de valeurs, de visions ou d’intérêts, et pas seulement de malentendus ou de défauts de communication.

Dans ce contexte, la transmission des savoirs n’est pas toujours un processus neutre ou consensuel. Par exemple, des collaborateurs expérimentés peuvent voir les nouveaux venus comme des concurrents ou des menaces pour leur position, freinant alors la transmission par peur d’être « dépossédés » de leur valeur ajoutée. En sens inverse, des collaborateurs peuvent refuser l’acquisition de nouveaux savoir ou savoir-faire par hostilité à celui qui le dispense au détriment de leur futur et de leur emploi.


Prendre en compte cette dimension oblige de structurer la transmission (tutorat, reconnaissance, valorisation du rôle des seniors) pour désamorcer ces antagonismes. 

Cela suppose créer une culture du débat et de la confrontation constructive. Par exemple :
- S’inspirer de l’idée que le conflit peut être moteur : organiser des espaces où les points de vue s’affrontent permet d’enrichir la réflexion collective et d’éviter la pensée unique.
- Accepter qu’il puisse y avoir des oppositions franches, et que la résolution de certains conflits passe par la reconnaissance des différences irréductibles, non par leur déni.

La pensée de Lee Harris invite à ne pas sous-estimer l’existence d’antagonismes profonds, même dans des environnements a priori rationnels comme l’entreprise occidentale. En matière de transmission de savoir, cela implique de reconnaître les résistances, d’en comprendre les racines, et de structurer les processus pour transformer les oppositions en leviers d’apprentissage collectif et d’innovation. 

 

vendredi 18 avril 2025

Transmission et « secrets »



Dans son livre « Patronyme », Vanessa Springora part à la recherche de secrets dans sa famille. Cette recherche des non-dits qui « suintent » dans son quotidien influe sur sa vie et son comportement.  Cela existe-t-il dans le monde professionnel ? 


Ma réponse est oui : l’équivalent des « secrets de famille » est une réalité dans le monde professionnel, même si leur nature et leurs conséquences diffèrent. On parle alors de secrets d’entreprise, de secrets professionnels, ou encore de non-dits organisationnels. 


S’il y a des secrets « légitimes » comme des informations confidentielles nécessaires à la protection de l’entreprise (stratégie, innovations), il y a aussi des secrets « nocifs » qui maintiennent des situations problématiques, empêchent la résolution de conflits ou nuisent à la santé psychologique des collaborateurs. 


Cela joue également dans la transmission de savoir : un collaborateur qui refuse de transmettre son savoir-faire peut générer de la méfiance, du malaise au sein d’une équipe, voire des crises en cas de départs à la retraite ou d’arrêts maladies. 

Tout comme il est classique d’encadrer juridiquement la confidentialité des secrets professionnels : accord de confidentialité, clauses dans les contrat, comment réussir une culture positive de la transmission de savoir ? 


  • La première clé est de créer une culture de partage, où la transmission est valorisée que ce soit par des récompenses, de la reconnaissance ou l’exemplarité de l’encadrement. 
  • La deuxième clé est la mise en place d’outils collaboratifs : plateforme, wiki, tutoriels, FAQ…
  • Le troisième facteur est l’existence de processus structurés : ateliers, mentorats…
  • Le quatrième facteur de succès est un accompagnement individuel pour lever les craintes et motiver. 
  • Enfin, le temps joue un rôle non négligeable dans l’anticipation des départs et/ou des changements de poste. 


Pour notre part, nous rencontrons dans nos actions de transmission de savoir des manquements sur un ou plusieurs points.


Et dans votre entreprise, qu’est-ce qui est mis en place pour faciliter la transmission de savoir ? 

 

samedi 12 avril 2025

Derrière la guerre douanière, le message est « développer votre savoir » 




A l’heure de guerre économique accélérée par D. Trump, le livre « le capitalisme de l’apocalypse » de Quinn Slobodian nous conduit à interroger sur l’importance de monter en compétences en permanence

 

Il explore les dynamiques du capitalisme contemporain, où les élites économiques cherchent à maximiser leur liberté en échappant aux contraintes réglementaires, fiscales et sociales. 

 

Slobodian décrit la prolifération des zones économiques spéciales (ZES), paradis fiscaux, cités-États et enclaves fermées qui perforent la carte des nations. Il cite des exemples comme Singapour, Dubaï, Hong Kong, ainsi que des initiatives dans des pays comme la Chine ou les États-Unis. 

 

Ces ZES sont conçues pour attirer les capitaux en offrant une liberté économique maximale. Certaines zones réussissent spectaculairement, entraînant une croissance économique rapide, tandis que d'autres échouent face à une concurrence féroce ou à des conditions locales défavorables.

 

L'ouvrage met en avant le rôle des théoriciens libertariens tels que Milton Friedman, Peter Thiel ou Elon Musk dans la promotion d'un capitalisme sans contrainte. Le livre critique cette vision libertarienne, soulignant ses implications sociales et politiques :

 

 Les ZES génèrent une main-d'œuvre sous-payée et exploitée. La société se divise en trois catégories : les très riches, les cadres relativement bien rémunérés mais précaires, et une masse importante d'exploités.

 

Ces zones prospèrent grâce aux infrastructures (technologies, ressources naturelles) mises en place par les États classiques. Si ces derniers ne peuvent maintenir leurs systèmes éducatifs et leurs réseaux essentiels (eau, électricité), cela pourrait compromettre la viabilité des ZES.

 

Le système repose sur une base réduite de consommateurs riches capables d’acheter les produits issus de ces zones. À long terme, cela pourrait limiter leur développement économique. 

 

Slobodian établit un parallèle avec l'Afrique du Sud sous l'apartheid, où des zones distinctes étaient réservées selon le statut socio-économique ou ethnique. Il avertit que ce modèle pourrait se reproduire dans nos sociétés modernes, notamment dans les banlieues françaises où se dessinent déjà des divisions similaires. 

 

D’où l’importance de notre réflexion sur là où nous voulons être en termes de main-d’œuvre » : en vivre correctement grâce à notre savoir et savoir-faire renouvelé ou tomber dans la catégorie des sous-payées. 

 

vendredi 4 avril 2025

Que faites-vous contre le technostress ?



Chez DALETT, nous accompagnons entreprises et salariés dans le transfert de savoir. Comment d’un côté transférer son savoir et de l’autre le percevoir positivement comme une montée en compétences. 

 

Un des principaux freins rencontrés à accepter d’intégrer de nouveaux savoir et savoir-faire est lié au technostress. Ce stress lié aux technologies de l’information et de la communication (TIC) reflète les défis d’une ère marquée par l’apprentissage permanent et la remise en question des savoir-faire, notamment avec l’avènement de l’intelligence artificielle.

 

Pour comprendre ce que recouvre le technostress, il est essentiel d’identifier ses principales manifestations :

1. Techno-surcharge : L’excès d’informations numériques (emails, notifications, réunions vidéo) qui engendre une surcharge cognitive et diminue la productivité.

2. Techno-invasion : La connectivité permanente créant un sentiment d’être toujours joignable.

3. Techno-complexité : La difficulté à maîtriser des outils numériques complexes.

4. Techno-insécurité: La peur de perdre son emploi.

5. Techno-incertitude : Les nouveaux logiciels qui perturbent les routines de travail.

 

Si nous parodions  La Fontaine dans « les Animaux malades de la peste », nous dirions « nous n’en mourrons pas tous, mais nous sommes tous frappés ». 

 

Cela nous conduit en amont de toute intervention à évaluer l’impact du technostress sur les employés. Nous testons non seulement le ressenti des participants mais aussi celui des actions qu’ils, eux et leur organisation, mettent en œuvre.

 

Exemples au niveau personnel : leur capacité à vous se des limites claires dans l’usage des TIC, leur Pratique de la détox numérique, …

 

Exemples de solutions organisationnelles : la culture existante de soutien, l’encouragement à un équilibre vie privée/vie professionnelle, la simplification des technologies, …

 

En combinant ces approches, il est possible d’atténuer les effets du technostress tout en favorisant un environnement de travail sain et productif. 

 

Et chez vous, comment cela se passe-t-il ? 

vendredi 28 mars 2025

L’Ikigaï à la Française : un contresens culturel ?



Depuis quelques années, l’Ikigaï à la mode française est vu comme un outil qui permet de se réaliser. 

 

Il a l’avantage de structurer la réflexion autour de quatre questions (passion, talent, besoins du monde et rémunération) est assez flexible et d’offrir une auto-évaluation. Cette approche holistique est facilement réévaluable dans le temps.  Un outil adapté à notre environnement et à nos besoins ? En effet, il valorise les forces individuelles et encourage l’alignement entre valeurs personnelles et actions concrètes, pour mieux se centrer sur actions (carrière, formations) en lien avec votre raison d’être.

 

Si sa représentation sous forme de diagramme de Venn le rend visuellement parlant et attractif, il est à manier avec précaution pour trois raisons : 

 

·      Ikigaï signifie littéralement « la joie d’être toujours occupé » et est pris dans le sens « bonheur au quotidien » par les Japonais. Son approche au Japon est plus centrée sur les petites joies quotidienne, quand nous, en France (en Occident ?) nous lui avons donné un objectif de « mission de vie ». 

·      De cette recherche de notre mission, il peut en résulter une pression contre-productive et de l’anxiété dans la recherche de  l’objectif parfait alors qu’il s’agit d’un processus dynamique.

·      Bien plus, dans le sens occidental, il associe trop fortement passion et revenus, tout en négligeant les contraintes pratiques. Vous pouvez réaliser votre passion en dehors de votre cadre de travail. D’ailleurs cette association « passion / rémunération » est très utilitariste et étrangère à la pensée japonaise. 


Ne jetons pas le bébé (ici l’Ikigaï) avec l’eau du bain : c’est un levier d’autoréflexion et un processus d’alignement progressif. Pour éviter ses pièges :

  • Combinez-le avec des outils pragmatiques (ex. bilan de compétences pour les salariés).
  • Intégrez un aspect collectif et communautaire.
  • Acceptez l'imperfection : un Ikigaï partiel (2-3 cercles alignés) peut déjà guider des choix épanouissants.
  • Cherchez un accompagnement extérieur (coach) pour dépasser les biais cognitifs et croyances limitantes

L’Ikigaï est moins une fin en soi qu’un levier pour créer des alignements pragmatiques entre aspirations et réalité terrain. Il fonctionne mieux comme boussole que comme GPS.