vendredi 19 décembre 2025

Et si la ténacité était notre meilleur levier face à l’injustice et à l’incertitude ?



J’ai récemment lu Rivage de la colère de Caroline Laurent, un roman qui dépasse largement la seule histoire d’amour pour devenir un véritable récit de résistance. Ce livre revient sur le drame méconnu des habitants de l’archipel des Chagos, déportés dans les années 1960 pour permettre l’installation d’une base militaire américaine, puis laissés dans la précarité et l’oubli.

Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est la ténacité de ce peuple déraciné. Malgré les humiliations, les procédures interminables et l’indifférence internationale, les Chagossiens n’ont jamais renoncé à faire reconnaître leurs droits. Leur combat a fini par porter ses fruits : il a fallu attendre 2025 pour que le Royaume‑Uni signe enfin un accord reconnaissant que les Chagos appartiennent au territoire mauricien.

En filigrane, le roman pose une question très actuelle pour nos organisations : que devient une communauté quand on lui retire ses repères, son territoire, son identité ? La situation des Chagossiens fait écho à celle de millions de personnes déplacées ou réfugiées aujourd’hui, souvent invisibles dans les statistiques, dont le parcours repose pourtant, là encore, sur la persévérance et la capacité à se reconstruire.

Ce livre résonne aussi avec les défis des sociétés et des entreprises multiculturelles. À travers l’exemple de Maurice, il montre à la fois les tensions entre communautés et la richesse du métissage, des alliances improbables, des rencontres qui changent le cours d’une vie. La force de ce récit tient dans ce message : c’est souvent la combinaison de la solidarité, de l’ouverture et de la ténacité qui permet de transformer une injustice en mouvement collectif.

En refermant Rivage de la colère, une conviction s’impose : la ténacité n’est pas qu’un trait de caractère individuel, c’est une compétence collective stratégique. Dans nos équipes comme dans nos projets, elle se traduit par la capacité à :

·       maintenir le cap malgré les revers ;

·       défendre une cause juste même lorsque le résultat n’est pas garanti ;

·       garder confiance en la valeur de l’humain, surtout dans les contextes complexes.

Dans un monde où tout semble aller vite, ce roman m’a rappelé une chose essentielle : certaines victoires exigent du temps, de la patience et beaucoup de courage. Et que, pour reprendre et détourner une parole bien connue, il nous faut plus que jamais « avoir confiance » – en nous, en les autres, et dans notre capacité à tenir dans la durée.

 

vendredi 12 décembre 2025

Et si votre parcours ressemblait à celui de Jawad ?

 



Dans *Seul le grenadier* de Sinan Antoon, Jawad rêve de devenir artiste, mais finit par reprendre le métier funéraire de son père, au cœur d’un Irak ravagé par les guerres.  Sa « petite histoire » se voit engloutie par la « grande Histoire » : contraintes politiques, violence, tradition familiale, tout semble l’éloigner de ce qu’il voulait être.

En entreprise, beaucoup de trajectoires ressemblent à celle de Jawad. On accepte un poste « provisoire » qui devient définitif, on reprend l’entreprise des parents ou le style managérial des prédécesseurs , on subit des réorganisations ou des crises qui redessinent nos choix. Ce que l’on appelle parfois « destin » ressemble souvent à un faisceau de contraintes : culture d’entreprise, héritage, contexte économique, géopolitique.

Ce que montre Antoon, pourtant, c’est que la fatalité n’est jamais totale. Jawad garde un regard critique, un désir d’art, une manière singulière d’habiter même le métier qu’il n’a pas choisi.  Transposé au monde professionnel, cela pose une question simple et exigeante : que faisons-nous de ce que nous n’avons pas choisi ? Comment garder une part de liberté dans un rôle imposé ?

Chacun de nous peut travailler sur trois niveaux :
- Identifier ce qui relève vraiment de la contrainte (contexte, structure, histoire de l’organisation).  
- Repérer ce que l’on reconduit par habitude ou loyauté, sans l’avoir consciemment choisi (posture managériale, rapport au pouvoir, à l’autorité).  
- Décider où placer sa part de liberté : dans la qualité des relations, la manière de prendre soin des équipes, la façon de donner du sens au quotidien.

Dans le roman, le grenadier se nourrit de l’eau qui a lavé les morts et continue pourtant à fleurir.  De la même façon, nos organisations portent une mémoire faite de crises, d’échecs, parfois de souffrances au travail. La vraie question professionnelle est alors : allons-nous traiter cette mémoire comme une fatalité qui se répète, ou comme une matière à transformer en apprentissage et en responsabilité partagée ?


vendredi 5 décembre 2025

Une allégorie du leadership



J’ai trouvé ce livre dans une boîte à livres. Je connais bien Isaac Bashevis Singer pour avoir lu plusieurs de ses ouvrages, mais je n’avais encore jamais entendu parler de celui-ci.


C’est un roman très original, que j’interprète comme une vaste parabole — ou peut-être une allégorie — sur l’évolution de notre société. Imaginez des chasseurs-cueilleurs, les Lesniks (ou « hommes des bois » en polonais), vivant au cœur de la forêt et entrant parfois violemment en contact avec des bandes de guerriers. Ces derniers les réduisent en esclavage pour les sédentariser et les contraindre à pratiquer l’agriculture. C’est là l’origine, suggère Singer, de bien des civilisations.


Au fil de ces rencontres forcées, les Lesniks apprennent qu’il existe, à quelques dizaines de jours de marche, d’autres formes de sociétés : des cités organisées, des marchés locaux, des échanges à longue distance, bref, un monde plus complexe qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Puis survient la rencontre — fortuite ou non — avec des hommes religieux monothéistes, eux qui vivaient jusque-là dans un univers animiste.


Singer nous entraîne à travers ces frictions, ces contacts, ces apprentissages mutuels. Le livre trouble, déstabilise, interroge : qu’est-ce qu’une civilisation ? Comment se construit-elle dans son rapport à l’autre ?


Trois aspects m’ont particulièrement marqué :


– Les différents systèmes de pouvoir. Là où domine d’abord un modèle fondé sur le chef charismatique, le « mâle alpha », émergent peu à peu d’autres formes d’autorité — plus collaboratives, parfois même féminines. Rien n’est stable : les équilibres de pouvoir se recomposent sans cesse selon les circonstances. Un bon miroir, sans doute, pour nos organisations contemporaines, y compris les États.


– Le choc du religieux. Singer s’amuse à faire parler des monothéistes qui prêchent l’amour universel… sauf envers les adeptes des autres croyances. Dans un monde actuel traversé à la fois par l’indifférence religieuse et par un regain de ferveur, ce contraste résonne fortement.


– La résilience et l’assimilation. Malgré les violences et les bouleversements, les cultures se mêlent, les sangs se croisent, et de ces fusions naissent d’autres identités. À l’heure des migrations mondiales, cette lecture nous invite à reconsidérer, peut-être, notre propre histoire.


Un livre d’une puissance symbolique rare, à la fois intemporel et d’une brûlante actualité.

samedi 29 novembre 2025

Les cris étouffés du bureau


 

Chez DALETT, nous aimons partager nos valeurs en présentant des livres. À travers ces pages, c’est tout un univers de sens, d’inspiration et de passion qui se transmet, pour nourrir la curiosité et faire rayonner ce en quoi nous croyons et que nous souhaitons partager avec vous.


Le roman Les cris de l’innocente d’Unity Dow, avocate et ex-juge botswanaise, dépeint un Botswana sous vernis démocratique où des meurtres sont occultés par des élites complices, et où une jeune soignante brise le silence face à l’indifférence institutionnelle. Ces thèmes d’invisibilisation des victimes, de déni collectif et de résistance individuelle se transposent directement aux entreprises françaises, où la souffrance au travail et les harcèlements moraux ou physiques touchent un million de salariés par an.


En France, le management vertical hérité d’une culture hiérarchique protège managers toxiques ou « hauts potentiels » comme les notables botswanais, au détriment des vulnérables : 40% des signalements de harcèlement restent sans suite, amplifiés par un présentéisme qui masque burn-outs et micro-violences. Les rites occultes du roman évoquent les mythes managériaux locaux – « être dur pour réussir » ou « nous sommes une famille » –, qui banalisent la surcharge et étouffent la parole, surtout chez femmes et jeunes dans des équipes multiculturelles. La résilience des villageois botswanais inspire les collectifs informels français, via syndicats ou mobilisations, qui fissurent ces murs de silence.


Comme dans la « pierre de patience » de Syngué Sabour (prix Goncourt 2008) ou dans Mustiks de Marwali Serpell, ce roman engagé rend accessibles les non-dits organisationnels, soulignant justice et dignité partagées entre Botswana et France : un outil puissant pour transformer cultures d’entreprise.

samedi 22 novembre 2025

Faites évoluer l’ADN de votre équipe


L’épigénétique désigne les mécanismes biologiques qui régulent l’expression des gènes sans L’épigénétique étudie les mécanismes qui régulent l’expression des gènes sans changer leur séquence, agissant comme une couche d’information supplémentaire qui active ou désactive certains gènes selon des signaux internes et extérieurs. Cette régulation est influencée par l’alimentation, le stress, l’activité physique et l’environnement social, impactant parfois l’expression génétique de manière réversible et héréditaire.

Appliqué à une équipe, l’ADN sociétal reflète les valeurs, comportements, rituels et modes de communication qui définissent la culture et la dynamique collective, déterminant la façon dont les membres interagissent, apprennent et évoluent ensemble. Une équipe solide s’appuie sur des valeurs partagées, une mission claire, une confiance mutuelle, une communication ouverte, et une mémoire collective construite par des expériences et rituels communs. La diversité des talents et l’apprentissage continu nourrissent également ce « code vivant », tout comme la transmission active de ces éléments par tous, notamment par le manager.

Ce dernier joue un rôle fondamental en influençant l’ADN sociétal. Il incarne les valeurs essentielles et crée un environnement psychologique sécurisant, permettant à chacun de s’exprimer pleinement. Par la stimulation de la cohésion via échanges, rituels et gestion constructive des conflits, il renforce ce tissu collectif. Il identifie aussi les freins à l’évolution et les lève grâce au coaching, à la formation et à l’innovation. Enfin, il favorise la circulation libre des idées, valorise les initiatives et les succès, stimulant ainsi l’énergie et la créativité collectives.

Ainsi, en reliant les principes biologiques de l’épigénétique à la dynamique humaine, cette approche montre comment un management conscient et agile peut orchestrer la « symphonie du vivant » d’une équipe, favorisant épanouissement et adaptation dans un environnement professionnel en constante évolution.


vendredi 14 novembre 2025

Transformer l’intergénérationnel et le multiculturel en levier d’innovation



À l’image du roman de Mia Couto, où la mémoire individuelle et les absences tissent une cartographie singulière, notre réalité professionnelle se nourrit aujourd’hui de rencontres multiples — entre générations, cultures et parcours de vie. Cette diversité ne se résume plus à une juxtaposition d’identités, mais appelle à une compréhension profonde : chaque collaborateur apporte ses expériences, ses schémas mentaux, ses valeurs, forgés tantôt par l’époque, tantôt par l’ancrage culturel.


Cette pluralité crée une forme de « double cartographie » : celle du temps (différences générationnelles) et celle de l’espace (diversité des référentiels). Leur croisement n’est pas qu’un défi — il ouvre un champ de synergies inédites, pour peu qu’on sache écouter, reconnaître et relier ces mémoires diverses.


Dans l’entreprise, les malentendus et les non-dits naissent le plus souvent du silence : ceux qui entourent nos routines transmises, nos tabous ou nos blessures collectives. Travailler ces absences avec respect, ouvrir des espaces d’expression et de dialogue, c’est permettre aux zones d’ombre de devenir des lieux d’apprentissage partagé. La reconnaissance des parcours, et pas seulement des performances, nourrit un climat où chacun peut s’engager et innover.


S’inspirer de la « fonction poétique » évoquée par Mia Couto, c’est accepter l’incertitude et accueillir la complexité, pour construire ensemble un langage commun. Ainsi, la diversité intergénérationnelle et interculturelle ne sera plus vécue comme une friction, mais comme une ressource essentielle de l’intelligence collective : une source de créativité et de résilience, au service de l’avenir de l’organisation.

vendredi 7 novembre 2025

Réussir les partages culturels et transgénérationnelles


 



 

Le roman Mustiks de Mamwali Serpell, qui traverse trois générations de familles en Zambie aux origines diverses (européenne, africaine, indienne), offre une belle source d’inspiration pour penser le partage culturel et transgénérationnel en entreprise.


D’abord, il souligne l’importance de reconnaître la diversité des cultures comme une richesse. En entreprise, cela signifie créer un climat où chaque origine est respectée et valorisée, favorisant ainsi la collaboration au-delà des différences.


Ensuite, le roman insiste sur le poids de la mémoire collective et des héritages transgénérationnels. Pour réussir en entreprise, il est crucial d’encourager le dialogue entre générations, afin que les expériences passées nourrissent les pratiques actuelles et futures.


Mustiks invite également à utiliser la force des récits et des métaphores. Partager des histoires ou des symboles culturels est un moyen efficace pour dépasser les malentendus et créer du lien entre des équipes multiculturelles.


Enfin, le roman montre que la diversité et la complexité ne sont pas toujours simples à gérer. Accepter les différentes perspectives, les contradictions, et les nuances est une condition clé pour co-construire des solutions innovantes et adaptées à tous.


En résumé, s’inspirer de Mustiks invite les entreprises à considérer le partage culturel et intergénérationnel comme un processus vivant, dynamique, fondé sur le respect, l’écoute et la co-construction. C’est ainsi que la diversité devient une véritable force collective.

dimanche 2 novembre 2025

S’inspirer des pratiques de l’Inde

 


Pour travailler avec des Indiens en s’inspirant de l’exemple de Rama et du Ramayana, plusieurs enseignements clés peuvent guider la pratique managériale et la collaboration interculturelle :

Rama incarne l’idéal moral, le respect des devoirs familiaux et sociaux, ce qui correspond à la très forte importance accordée à la hiérarchie, à la famille et aux responsabilités dans la culture professionnelle indienne. Être attentif à ces dimensions, accepter le rôle des aînés ou des figures d’autorité, et manifester du respect dans les interactions est fondamental pour bâtir la confiance.


Le lien de loyauté que Rama entretient avec Sita, Lakshmana et ses alliés traduit une conception profonde de la fidélité personnelle et communautaire. En entreprise, cela se traduit par la valeur donnée à la confiance, aux relations durables et à la collaboration basée sur l’engagement mutuel plutôt que sur des contrats strictement formels.


Le Ramayana montre Rama en leader soucieux d’écouter ses alliés, de prendre en compte différents avis, et de favoriser une unité harmonieuse. Cela rejoint la tendance indienne au management participatif et consensuel, où la négociation, la consultation et le soin apporté à la cohésion du groupe sont essentiels.

Le contraste entre l’écoute attentive et la gestion des conflits délicats dans l’épopée rappelle la nécessité, dans le contexte indien, de cultiver la patience, la diplomatie et une gestion fine des rapports humains, y compris dans les négociations difficiles ou face à des différends culturels.


Ces enseignements prescrivent concrètement au manager et collaborateur interculturel d’adopter une posture humble, respectueuse des traditions, attentive aux dynamiques relationnelles, et orientée vers le long terme dans la relation professionnelle avec des Indiens, en écho aux valeurs portées par Rama dans le Ramayana.

jeudi 23 octobre 2025

Une parabole d’un collectif sans cap

 


Dans Tango de Satan, László Krasznahorkai (Prix Nobel de littérature 2025) campe une communauté isolée, sans repères ni avenir, où chacun s’épie et s’enfonce dans la boue de l’attente. On pourrait y voir la métaphore d’une organisation sans vision : des équipes en suspens, privées de cap et de reconnaissance, où l’énergie se dissipe lentement.


Quand il n’y a plus de sens collectif, l’entreprise devient un huis clos. Les talents se méfient les uns des autres, les projets tournent à vide, et tout semble figé dans un brouillard de fatigue morale. On attend le « sauveur » ou le changement venu d’en haut… qui ne vient jamais.


Et pourtant, Krasznahorkai révèle une autre forme de beauté : celle du geste accompli malgré tout, de la dignité ordinaire de ceux qui tiennent bon sans promesse de lendemain.


Ce roman nous rappelle que le rôle du management n’est pas de tout contrôler, mais de rallumer la flamme : donner du sens, reconnaître, et remettre du mouvement là où tout semble s’être arrêté.

samedi 18 octobre 2025

Quand l’inspiration remplace la hiérarchie



Vineet Nayar, ancien PDG du groupe HCL, a profondément marqué le monde de l’entreprise lorsqu’il a inversé la logique managériale : « Les employés d’abord, les clients ensuite. » Son approche humaniste remet en question une culture du contrôle encore solidement ancrée dans beaucoup d’entreprises occidentales, notamment françaises.


Pour Nayar, les collaborateurs n’ont pas besoin d’être gérés, mais inspirés. Le rôle du leader n’est pas d’imposer sa vision mais d’incarner le changement en donnant le meilleur de lui-même. C’est en partageant cette exemplarité, en acceptant de prendre des risques et de tirer parti de ses échecs, qu’il crée l’élan collectif. Là où la culture française continue de valoriser la planification et la maîtrise, Nayar met l’accent sur la confiance et la responsabilité partagée.


Il identifie quatre principes pour réinventer le management. D’abord, la performance émerge du mécontentement collectif : les frustrations révèlent les problèmes à résoudre et stimulent l’innovation. Vient ensuite la confiance, ciment durable de toute organisation, qui suppose de considérer chaque membre de l’équipe comme une véritable « famille ». Troisième point : abandonner le « management des projecteurs » pour des structures collaboratives où chacun contribue à la résolution des défis. Enfin, générer une foi commune dans un objectif porteur de sens : créer de la valeur ressentie, partagée, et non simplement déclarée.


Le contraste avec le modèle français est éclairant. En France, la quête de sens passe souvent par la RSE ou la formalisation d’une mission ; chez Nayar, elle vient du vécu, du lien et de la confiance. Là où les organisations françaises cherchent à sécuriser le changement, son approche invite à le vivre pleinement, de l’intérieur.


La leçon est simple mais puissante : les collaborateurs ne se mobilisent pas parce qu’on leur demande, mais parce qu’ils croient à ce qu’ils font. Et le rôle du leader est de faire naître cette foi, non de la décréter. Inspirer avant de diriger : voilà peut-être la plus belle voie de convergence entre innovation indienne et modernité française.


Et vous, dans votre équipe, votre manager cultive-t-il cette inspiration partagée ? Ose-t-on libérer la confiance plutôt que de la gérer ?

vendredi 10 octobre 2025

Bienvenue chez ceux qui se préparent depuis longtemps au monde VUCA et à l'IA

 



Bienvenue dans un continent complexe, qui semble réussir à déjouer les lois établies par le monde occidental. Tel est le propos de ce petit ouvrage dense – à peine une centaine de pages – dans lequel Sujit Sur tente de synthétiser les grands traits de la philosophie stratégique en Inde. La lecture est à la fois passionnante et exigeante, car l’auteur aborde une matière foisonnante sans en simplifier excessivement la complexité.


L’un des apports majeurs du livre réside dans la mise en perspective de l’Inde comme « continent » plus que comme nation. Elle se compose d’innombrables régions aux langues, cultures, coutumes et histoires distinctes, à la manière d’une Union européenne élargie. Cette diversité rend difficile l’identification d’une seule culture stratégique, mais elle a par ailleurs habitué les organisations indiennes à naviguer dans des environnements mouvants et pluriels. Cette expérience historique leur donne une agilité naturelle face à la complexité.


Un autre point fort souligné par Sur concerne le caractère profond de la diversité religieuse et philosophique. L’Inde, loin de toute centralisation doctrinale, mêle des traditions, des époques et des pratiques hétérogènes, y compris au sein de l’hindouisme majoritaire. Ce pluralisme pousse l’Indien à s’interroger en permanence sur ce qu’il convient de faire, mobilisant pour cela des niveaux multiples de réflexion empruntés à des approches variées, parfois contradictoires, qu’il apprend à combiner.

L’ouvrage met également en lumière le rapport original au temps et à la morale dans la stratégie indienne. Le temps est perçu de manière circulaire plutôt que linéaire, et la quête de la « meilleure » solution ne se limite pas à l’efficacité immédiate, mais inclut une exigence éthique et une relation à autrui où l’entraide est valorisée. Cette philosophie se diffuse moins par des traités de penseurs que par des récits fondateurs tels que le Pañchatantra ou la Bhâgavata Gîta, véritables réservoirs narratifs de comportements stratégiques. Pour la petite histoire, Jean de La Fontaine s’est inspiré du Pañchatantra.  


Il en ressort une approche pragmatique, dégagée des dogmes, reposant sur l’expérimentation, les essais et erreurs, et l’innovation continue. Les modes de raisonnement stratégique s’éloignent des schémas occidentaux, tant dans la manière de cadrer un problème que dans la gestion du temps et de l’incertitude. Dans le contexte contemporain décrit par l’acronyme VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), cette variété d’outils intellectuels et cette souplesse peuvent apparaître comme des atouts remarquables.


Enfin, Sur suggère que cette façon de penser pourrait dialoguer efficacement avec les méthodes liées à l’intelligence artificielle. L’IA ne donnant pas directement la solution mais une palette de possibles, il revient à l’humain de sélectionner, d’assembler et de trancher. En ce sens, les réflexes hérités de la stratégie indienne – capacité de synthèse, acceptation de la pluralité, recherche d’optimisation – offrent une proximité étonnante avec un futur où la décision reste humaine mais s’alimente à des sources multiples. Une perspective qui séduira ceux qui goûtent la complexité… et qui pourra dérouter ceux qui privilégient les réponses toutes faites.

samedi 4 octobre 2025

Sport et management, même maux ?



L’héritage, ce mot qui résonne autant dans les vestiaires que dans les open space, est le grand mirage français : dans le sport comme dans l’entreprise, on le promet sans savoir vraiment le concrétiser. Alors, la France n’est-elle pas non plus un pays de transmission professionnelle ?

Le livre « La France n’est pas un pays de sport ? » pointe le blocage d’un modèle vertical, centralisé, qui freine la circulation naturelle du savoir entre générations. En entreprise, la même partition se rejoue : le management reste souvent hiérarchique et descendant. Résultat ? Les jeunes peinent à accéder aux expériences des aînés, qui eux-mêmes hésitent à partager leurs secrets de fabrique sans cadre dédié. La transmission existe, mais reléguée à des poches de mentorat ou de formation, rarement généralisées.

Derrière la promesse, où est la réalité ? Comme dans les clubs sportifs, la dynamique collective reste à inventer : dialogues transverses, feedbacks réciproques, organisation de « transferts croisés » où seniors partagent expertise technique et juniors sensibilisent à l’innovation. Quelques entreprises innovent via le mentorat inverse ou les dispositifs de partage informel, mais la majorité reste encore en retrait.

L’enjeu, pour le sport et pour le management, n’est pas de bâtir une pyramide d’héritages mais bien de tisser une culture vivante. Passer d’une promesse d’un héritage vertical à une logique de transmission horizontale et participative : c’est reconnaître les forces de chaque âge, favoriser le dialogue, créer des espaces d’échange sûrs et valorisés au sein de l’équipe.

Comme Dietsch et Guégan l’espèrent pour le sport, les entreprises gagneraient à considérer la transmission non comme un simple argument RH ou un slogan marketing, mais comme une action délibérée, quotidienne et mutualisée. Former ses managers à l’art du dialogue intergénérationnel, décloisonner les équipes, valoriser les regards croisés : voilà quelques pistes pour faire de la France, enfin, un pays de la transmission… au bureau comme sur les terrains. 

vendredi 26 septembre 2025

Recommencer de zéro ?



J'aime partager mes valeurs en présentant des livres, car chaque histoire et chaque idée sont autant de façons de tisser des liens et de faire vivre ce qui nous unit. À travers ces pages, c’est tout un univers de sens, d’inspiration et de passion qui se transmet, pour nourrir la curiosité et faire rayonner ce en quoi nous croyons et que nous souhaitons partager avec vous.


Vous pouvez être plus ou moins insatisfait avec votre environnement professionnel et peut-être rêver de tout recommencer à zéro : une nouvelle entreprise, de nouveaux contacts, un nouvel environnement, mais peut-on vraiment «repartir de zéro» lorsqu’on arrive quelque part, loin de tout repère? Le roman de Sulaiman Addonia, Le silence est ma langue natale, offre un éclairage rare et subtil sur cette problématique, en explorant le quotidien de déracinés érythréens transplantés soudainement dans un camp au Soudan, loin de tout.


Addonia met en scène une société en reconstruction, où chaque exilé s’efforce d’investir le chaos d’un sens reconnaissable. L’ancien juge redevient une figure morale, le projectionniste invente un cinéma de fortune, le sportif fédère autour du ballon rond, la prostituée et l’homme d’affaires renouent avec leur métier. Ce microcosme témoigne que, dans le changement, on n’efface jamais entièrement le passé: on le réinterprète, on le recompose, souvent avec les ressources les plus fragiles de la mémoire et de la volonté. 


L’auteur interroge les codes culturels, explore la réinvention des solidarités et la pression sur les femmes dans un univers où même l’identité est en mouvement. La parole, parfois difficile à retrouver dans l’exil, s’affirme comme un droit fondamental: celui de donner voix aux expériences uniques des déplacés. 


Ce roman rappelle l’importance de ne pas réduire les parcours de migrants, ici des réfugiés, mais ce pourrait être des cadres mobiles, à des chiffres, mais d’incarner leurs trajectoires, leurs doutes et leur résilience. Addonia propose ainsi une lecture vivante et sensorielle du changement, mais aussi une méditation sur le rapport entre l’individu et ses racines: l’espoir d’un nouveau départ est traversé par la persistance du passé, qui nourrit la reconstruction. 

S’il semble illusoire de «repartir de zéro», le roman de Sulaiman Addonia nous invite plutôt à envisager le recommencement comme une réinvention créative, nourrie par les traces et les héritages. Au cœur du silence et de la parole retrouvée, chaque exilé devient artisan d’un avenir où se mêlent mémoire et désir de vivre autrement. Ce regard humaniste et poétique fait du livre un support précieux pour réfléchir, en contexte professionnel et culturel, aux enjeux de la reconstruction identitaire dans l’exil. 

vendredi 19 septembre 2025

Nous n’avons jamais eu autant besoin de nuances




L’actualité et les débats qu’elle suscite, dans la rue comme dans l’entreprise, montrent combien nos sociétés se polarisent. Cette observation m’a conduit à relire Le courage de la nuance de Jean Birnbaum. L’auteur rappelle combien la pression est forte pour « choisir son camp », dans un monde où les arguments prennent des accents de plus en plus manichéens. Il cite Albert Camus : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ». Preuve que ce défi n’est pas neuf.

Or, parler avec nuance est plus qu’un art du langage : c’est une manière de transmettre du savoir et d’entrer dans un dialogue fécond, surtout dans des contextes multiculturels où les codes, les références et les sensibilités diffèrent. La nuance devient alors un outil de médiation, un langage commun qui reconnaît l’ambiguïté et l’altérité.


Quelles clés pour « nuancer » ?

  • Écoute active : S’immerger dans les mots mais aussi dans les silences de l’autre. Dans les rencontres interculturelles, cette écoute permet d’accueillir des visions du monde différentes, sans hiérarchie implicite.
  • Éviter les généralisations : Là où certaines cultures privilégient les catégories tranchées, d’autres reposent sur l’implicite. Reconnaître cette diversité, c’est admettre que la réalité se tisse toujours au‑delà du noir et blanc.
  • Précision des mots : La nuance exige de manier le langage avec soin. Employer « parfois » ou « souvent » plutôt que « toujours » permet d’ouvrir un espace commun de discussion, où l’expérience de chacun a sa place.
  • Reconnaissance de nos limites : Transmettre du savoir ne signifie pas imposer une vérité totale, mais partager en laissant une place au doute, en accueillant d’autres horizons.
  • Accueillir les contradictions : Dans le dialogue interculturel, il n’est pas rare que deux logiques coexistent sans s’annuler. La nuance consiste à habiter cet entre‑deux fertile.


Les bénéfices de la nuance

  1. Un apprentissage partagé : En acceptant l’incertitude, on ouvre la porte à la curiosité et à la construction collective du savoir.
  2. Le courage des limites : Reconnaître ce que l’on ne sait pas n’est pas une faiblesse, mais un geste de respect envers ceux dont l’expérience complète la nôtre.
  3. La radicalité de l’ouverture : Dans un monde saturé de certitudes instantanées, la nuance devient un acte de liberté critique. Elle nous pousse à explorer les « zones grises », là où les cultures se rencontrent et se comprennent.

La nuance n’est donc pas seulement une posture intellectuelle ; elle est un vecteur de transmission et de dialogue. À l’heure des polarisations, elle nous aide à construire des ponts entre les différences, à éprouver la force du doute, et à transformer la pluralité en richesse commune.

vendredi 12 septembre 2025

Changez votre regard


 Les jardins japonais sont célèbres pour leur beauté et leur harmonie. Mais au-delà de l’esthétique, ils nous invitent à un véritable changement de regard. Nous pensons les connaître, puis, en les observant de près, ils bousculent nos habitudes et nos croyances. N’est-ce pas là un symbole puissant de ce qu’il nous faut réaliser en équipe : changer de paradigme pour mieux avancer ?

Première remise en cause : la mousse

En France, la mousse est considérée comme un ennemi. On l’arrache, on l’éradique, on l’associe à un manque d’entretien. Au Japon, elle est au contraire mise en valeur : symbole de continuité et de longévité, elle recouvre le sol avec sobriété et profondeur. Là où nous privilégions la couleur éclatante et le court terme, les jardins japonais célèbrent la patience, l’humilité et la résistance du temps.
Dans vos équipes, misez-vous sur l’effet immédiat ou sur la solidité du temps long ? Êtes-vous prêts à voir dans ce qui semblait une faiblesse une nouvelle force ?

Deuxième remise en cause : la perspective

Nos jardins occidentaux offrent une vue d’ensemble immédiate. Au Japon, un jardin ne se découvre jamais d’un seul regard : il se révèle pas à pas, selon l’endroit d’où l’on se tient. Ce choix d’organisation nous oblige à reconnaître que personne ne détient à lui seul la vision globale. La vérité se construit par la confrontation des perspectives.
Dans vos échanges d’équipe, cherchez-vous à imposer une seule vision ou à accepter que le point de vue de chacun enrichisse la compréhension commune ?

Troisième remise en cause : les pierres

Chez nous, les pavés d’une allée sont uniformes, noyés dans le gazon. Au Japon, les pierres sont toutes différentes, et cette diversité crée l’harmonie. Portées par la mousse, elles s’intègrent naturellement et demandent peu d’entretien. Ce qui compte, ce n’est pas la ressemblance mais la complémentarité.
Dans vos pratiques de management, valorisez-vous l’uniformité rassurante ou la variété qui ouvre à l’adaptation ?

Changer de paradigme, c’est accepter que la mousse ait autant de valeur que le gazon, que la diversité des points de vue éclaire mieux qu’un regard unique, que la différence des pierres soit source d’équilibre. Comme dans un jardin japonais, une équipe se construit lorsqu’elle accepte de renouveler ses croyances et d’apprendre à voir autrement.

lundi 8 septembre 2025

Sommes nous devenus des funambules ?



Les schémas managériaux « classiques », comme le modèle Hersey-Blanchard, connaissent aujourd’hui une remise en question importante face aux exigences des organisations multiculturelles. Fini le temps où tous vos collègues ou partenaires internes étaient des Français, souvent basés en France.


Aujourd’hui, concilier les attentes entre collègues Indiens, Américains et Français est devenu un défi fréquent, indépendamment des personnalités individuelles. Cette réalité impose une attention particulière aux différences culturelles dans la communication, la prise d’initiative et le rapport à la hiérarchie, tout en cultivant un cadre commun fondé sur la confiance et l’écoute.


Quelles clés retenir ? Voici quelques enseignements tirés de mon expérience avec des équipes multiculturelles (liste non exhaustive) :


·       Reconnaître les différences culturelles : Certaines cultures valorisent l’expression directe, comme c’est souvent le cas dans les cultures anglo-saxonnes, tandis que d’autres privilégient la diplomatie ou le respect marqué de la hiérarchie, typique des cultures asiatiques ou françaises. Il s’agit de savoir repérer ces nuances pour favoriser un dialogue respectueux et efficace.


·       Instaurer des règles communes flexibles : Un cadre partagé, co-construit avec l’équipe, qui précise les modalités de dialogue, la rotation des prises de parole et le mode de prise de décision participatif, favorise la sécurité psychologique nécessaire à l’initiative collective.


·       Valoriser la diversité des styles de contribution : Certains collaborateurs préfèrent s’exprimer en coulisse ou par écrit, d’autres sont plus à l’aise à l’oral. Encourager différents formats d’expression permet de respecter ces préférences et d’enrichir les échanges.


En somme, l’horizontalité multiculturelle est un art d’équilibriste. La posture managériale s’y fait facilitatrice d’un dialogue inclusif et flexible, capable d’embrasser la richesse des différences pour construire une unité de travail collaborative et agile.

Et vous, quelle est votre expérience ?

jeudi 28 août 2025

La rentrée : la taupe, les traditions… et la double contrainte du café




 C’est la rentrée ! Oubliez le syndrome du lundi matin : on célèbre le retour des réunions, du badge oublié, et du café partagé — cette fois, dans des gobelets compostables. Le grand dilemme revient, façon Edgar Morin : faut-il tout changer, ne rien changer, ou tenter d’articuler tradition et adaptation ? À cette équation, vient s’ajouter la fameuse double contrainte en entreprise : innover… sans rien changer. Oui, c’est aussi subtil que ça en a l’air.

Edgar Morin, toujours jeune centenaire, nous rappelle que croire à la stabilité du réel, c’est négliger la taupe de Hegel (coucou Marx), éternelle creuseuse souterraine, qui façonne le futur en silence. Il y a ceux qui font comme si tout redeviendra « comme avant » : mêmes horaires, mêmes routines, mêmes cafés tièdes — et même réclamations pour le même grille-pain de la salle de pause. Pourtant, sous la surface, la taupe prépare déjà la surprise — télétravail imprévu, collègues devenus experts en NFT, et RH qui ne jurent que par l’IA.


Puis il y a cette fameuse double contrainte : l’entreprise attend de ses équipes qu’elles innovent, inventent, révolutionnent — tout en gardant un semblant d’ordre immuable, sans perturber le « fonctionnement normal ». Impossible ? Certainement ! C’est un peu comme demander à la taupe de creuser sans que personne ne sente rien, ou de faire du café sans changer la cafetière vieillissante.


D’autres profitent de la rentrée pour tout balancer : on révolutionne méthodes, outils, et même le menu des déjeuners d’équipe. Risqué, mais parfois salutaire, lorsque la taupe commence à secouer sérieusement le sol. Enfin, la voie la plus sage est peut-être celle de l’alchimiste : mixer les traditions rassurantes et les mutations incontournables, en articulant le vécu et l’innovation. C’est le moment idéal pour transmettre les savoirs, partager ses astuces… et laisser la taupe guider ce qui doit évoluer, sans oublier le plaisir d’un café bien serré (ou d’un thé, on n’est pas sectaires).


L’utopie parfaite — tout maîtrisé, rien qui déborde — est aussi dangereuse qu’une réunion imprévue à 16h un vendredi après-midi. Mieux vaut la bonne utopie : celle qui sait que l’innovation naît d’un subtil cocktail entre ce que l’on garde et ce que l’on invente — un capitalisme d’impact, une organisation plus écologique, ou juste une équipe qui ose transmettre ses expériences et apprendre des nouveautés malgré la double contrainte.


Sous le sol apparemment ferme des agendas d’entreprise, la taupe travaille discrètement. La rentrée est un bon moment pour choisir : tout changer, tout garder, ou inventer son propre mélange entre tradition, adaptation — et, pourquoi pas, oser défier la double contrainte, tout en savourant un café (ou deux).


Bonne rentrée