Dans un pays aride, fut autrefois un arbre prodigieux. Sur
la plaine, on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés malingres et
le vaste ciel bleu. Personne ne savait son âge.
Il avait des fruits magnifiques, mais personne jamais n’y
goûtait. La légende ou la vérité était
que la moitié de ces fruits était empoisonnée. Or, tous, bons ou mauvais,
étaient d'aspect semblable. Des deux branches ouvertes en haut du tronc énorme
l'une portait la mort, l'autre portait la vie, mais on ne savait laquelle
nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait mais on ne touchait pas.
Vint une période de grande et longue famine. Un jour,
un homme dont le fils ne vivait plus qu'à peine osa soudain s'avancer. Sous la
branche de droite, il fit halte, cueillit un fruit, ferma les yeux, le croqua
et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous, à sa suite, se
bousculèrent et se gorgèrent délicieusement des fruits sains de la branche de
droite, qui repoussèrent aussitôt, à peine cueillis. Les hommes s'en réjouirent infiniment et festoyèrent, riant de leurs effrois passés.
Ils savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants
de cet arbre : sur la branche de gauche. A cause de la peur qu'ils avaient eue
d'elle ils avaient failli mourir de faim. Ils la jugèrent bientôt inutile que
dangereuse. Ils décidèrent donc de la couper au ras du tronc, ce qu'ils firent
avec une joie vengeresse.
Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite
étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L'arbre amputé de sa moitié
empoisonnée n'offrait plus au grand soleil qu'un feuillage racorni. Son écorce
avait noirci. Les oiseaux l'avaient fui. Il était mort.
Extrait de Conte de l'Inde, Henri Gougaud, L'arbre d'amour
et de sagesse, Ed. du Seuil.
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