Il était une fois dans un village une jeune fille appelée
Katia. Elle vivait dans une chaumière, possédait un petit jardin et quelques
pièces d’or. Mais si elle était tout cousue d’or, même le valet le plus pauvre
ne l’épouserait pas, tant elle était forte en gueule. Cependant elle aurait
bien aimé que les garçons du village lui parlent de temps en temps et
l’invitent à danser le dimanche ; or ils ne le faisaient pas.
Un dimanche, Katia était assise à l’auberge comme d’habitude
et regardait, pleine d’envie, qui dansait, et avec qui ; dans sa colère
elle pensa : « Dieu m’est témoin, qu’aujourd’hui je danserais même
avec le diable ! »
La porte s’ouvrit et un étranger en tenue de chasse pénétra
dans la salle. Il s’assit non loin de Katia et se fit servir à boire. Lorsque
l’aubergiste lui apporta une bière, le seigneur prit le verre et le tendit à
Katia.
Elle se sentait très honorée mais fit cependant quelques
manières avant d’accepter le verre. Elle but, puis reposa le verre sur la
table ; le seigneur sortit alors un ducat de sa poche, le jeta aux
musiciens et leur dit : « Allez, jeunes gens, jouez pour moi » et il entraîna Katia dans la danse.
« qui peut-il être ? » se demandaient les
vieux en hochant la tête. Les jeunes garçons souriaient d’un air méprisant et
les jeunes filles se cachaient le visage dans leur tablier afin que Katia ne
vit pas qu’elles se moquaient d’elle. Mais Katia ne voyait rien, elle était
heureuse, elle dansait et le monde entier pouvait bien se moquer d’elle.
L’étranger dansa avec Katia tout l’après-midi et toute la
soirée ; il lui acheta des bonbons et des gâteaux. Quand ce fut l’heure de
rentrer à la maison, il la raccompagna jusque chez elle ; et lorsqu’il lui
dit adieu, elle s’écria : « Ah ! si je pouvais danser avec vous,
comme aujourd’hui, jusqu’à ma mort ! Que je serais heureuse !
- C’est facile, tu n’as qu’à venir avec moi.
- Mais
où habitez-vous ?
- Mets
tes bas autour de mon cou et je te le dirai. »
Katia prit le chasseur par le cou et celui-ci se transforma
aussitôt en diable. Il s’envola avec elle jusqu’en enfer.
Arrivé à la porte de l’enfer, le diable frappa et ses
camarades le firent entrer. Lorsqu’ils virent la lourde charge qu’il portait,
ils voulurent détacher la jeune fille de son cou mais elle se tenait si bien
autour du cou du diable, qu’aucune force terrestre n’aurait pu l’en détacher ;
le diable dut donc se présenter au Roi de l’Enfer avec Katia accrochée à son
cou.
- Qui
amènes-tu là ? demanda le Roi de l’Enfer.
Le diable raconta comment Katia, sur la terre, lui avait
demandée de toujours danser avec elle et comment il l’avait directement amenée
en enfer, et maintenant elle ne voulait plus me lâcher et il ne savait pas
comment s’en débarrasser.
- Tu
n’es qu’un idiot, et tu as mal suivi mes conseils, répondit le Roi, avant de
t’engager envers quelqu’un tu dois savoir qui il est. Katia est certes bavarde
mais sinon, c’est une honnête fille et l’Enfer n’est pas fait pour elle. Sors
d’ici et vois toi-même comment tu pourras te défaire de ton fardeau.
Le diable retourna donc sur la terre avec Katia.
Il lui promit monts et merveilles, il se fâcha, jura, mais
en vain, Katia ne le lâchait pas. Malheureux et triste, il arriva un jour avec
son fardeau dans une prairie où un jeune berger, habillé d’une vieille peau,
gardait ses moutons. Le diable prit une forme humaine si bien que le berger ne
le reconnut pas.
- Qui
trainez-vous à votre cou ? demanda le berger
- Je
me promenais tranquillement lorsque cette Katia, que je ne connais point, m’a
sauté au cou et maintenant, elle ne veut plus me lâcher.
- Bon,
je vais vous aider, répondit le berger, mais pendant ce temps, vous devrez
garder mes moutons.
- Bien
volontiers, répondit le diable.
Le berger s’adressa alors à Katia : « Viens,
Katia, accroche-toi à mon cou ».
Lorsqu’elle entendit cela, elle se détacha du diable et
s’accrocha au cou du berger. Le berger porta Katia jusqu’à un étang proche,
dégagea son bras gauche puis son bras droit, défit un bouton puis un autre et
Katia partit sur l’eau avec la peau de mouton.
En un clin d’œil le berger était déjà de retour.
- Je
te remercie, berger, dit le diable très content, tu m’as rendu un grand
service ; sans ton aide, j’aurais été obligé de porter cette Katia jusqu’à
la fin des temps. Un jour, je te récompenserai et ferai de toi un homme riche. Mais
sache à qui tu as rendu service, apprends que je suis le diable.
Et sur ces mots, il disparut.
Le berger secoua la tête et se dit : « si tous les
diables sont aussi bêtes que lui, alors nous n’avons rien à
craindre ! »
Le pays où habitait le berger appartenait à un jeune prince.
Celui-ci était riche et menait une vie fort dissipée. Chaque nuit, de
l’extérieur du château, on pouvait entendre les cris joyeux des buveurs. Le
pays était administré par deux intendants qui ne valaient pas mieux que leur
maître ; ce que leur maître ne dépensait pas, les deux intendants le
gardaient pour eux, et le pauvre peuple ne savait plus comment payer les
plaisirs de leurs maîtres.
Un jour le prince, qui se demandait comment il allait occuper
sa journée, fit appeler un homme qui savait lire dans les étoiles et lui
ordonna de lui prédire son destin et celui de ses deux intendants ;
l’astrologue obéit et chercha longtemps comment chacun des seigneurs trouverait
la mort. Lorsqu’il eut tout appris des étoiles, il se rendit chez le prince.
- Pardonnez-moi, Seigneur, dit alors l’astrologue, mais je n’ose point parler car
vous êtes menacés par un très grand danger.
- Dis
sans peur ce que tu sais, tu ne crains rien maintenant. Mais si ce que tu nous
prédis ne se réalise point, je te ferais couper la tête.
- J’exécuterai volontiers ton ordre, puisqu’il est juste, répondit l’astrologue.
Voici donc votre destin à tous trois : avant la fin de ce mois, le diable
viendra chercher tes intendants et avant la fin du mois prochain, le diable
viendra te chercher et te mènera en enfer.
Le prince se mit tant en colère qu’il fit jeter l’astrologue
en prison mais lui et ses intendants avaient perdu leur joie de vivre. Pour la
première fois, ils se mirent à réfléchir et à avoir des remords. A moitié morts
de peur, les deux intendants retournèrent dans leur château. Le prince commença
à mener une vie toute différente. Il menait une vie calme et simple et
administrait lui-même son pays ; il espérait ainsi pouvoir échapper à un
si funeste destin.
A cette époque, le diable rendit visite au berger et lui
dit :
- Je
suis venu pour te récompenser du service que tu m’as rendu en me débarrassant
de Katia. Avant la fin du mois, je dois emporter en enfer les deux intendants
du pays parce qu’ils ont volé les pauvres et mal conseillé le prince. Mais
comme ils ont le désir de devenir meilleurs, je les laisserai sur la terre pour
le moment. Au jour et à l’heure dite, tu te rendras au premier château. Lorsque
je viendrais chercher l’intendant, tu t’avanceras vers moi et me
diras : « Diable, disparais, sinon il t’arrivera malheur. »
je t’obéirai et laisserai l’intendant. Tu te feras donner en récompense deux
sacs remplis de pièces d’or. Tu feras la même chose chez le deuxième intendant.
Mais lorsqu’à la fin du mois prochain, je viendrais cherche le prince, je te
défends d’intervenir auprès de moi. Sinon prends garde à ta vie.
Sur ces mots, il disparut.
Le berger retint chacune des paroles du diable et lorsque le
jour fut venu, il se dirigea vers le château du premier intendant. Il arriva à
l’heure dite ; une foule de gens qui voulaient voir le diable emporter
l’intendant s’étaient rassemblés dans la cour du château. Soudain, ils
entendirent un cri perçant, une porte s’ouvrit et le diable sortit en tirant le
pâle intendant derrière lui. Mais le berger s’avança vers le diable et lui
dit : « Diable, disparais, sinon il t’arrivera malheur. »
Et le diable disparut. L’intendant, transporté de joie,
donna au berger deux sacs remplis de pièces d’or. Celui-ci fort heureux de son
sort, se dirigea alors vers le second château et tout se passa comme
précédemment.
Lorsque le prince apprit que le berger avait sauvé les deux
intendants, il le fit aussitôt amener dans son carrosse d’or et le pria de le
délivrer lui aussi du diable.
- Mon
prince, répondit le berger, je ne peux pas vous le promettre car vous
êtes un grand pêcheur. Mais si vous désirez vraiment être raisonnable, juste,
bon et sage envers votre peuple, ainsi que doit être un prince, j’essaierai,
même si je dois aller en enfer à votre place.
Le prince promit de devenir meilleur et le berger s’en alla
pour imaginer une ruse.
Lorsque le jour où le diable devait venir chercher le prince
arriva, la cour du château était remplie de monde. Soudain, une porte s’ouvrit
et le diable sortit en tirant derrière lui le prince, livide.
Alors le berger se fraya un chemin à travers la foule et se
dirigea vers le diable.
- As-tu donc oublié ce que je t’avais dit ? lui murmura le diable en colère.
- Mais
voyons, imbécile, il ne s’agit pas du prince mais de toi ! répondit le
berger à voix basse. Katia est ici et veut s’accrocher à ton cou !
Lorsque le diable entendit ces mots, il lâcha le prince et
s’enfuit le plus vite qu’il put.
Le prince fut si heureux qu’il prit le berger comme premier
conseiller; ce fut une bonne chose car le berger était intelligent et juste.
Peu de temps après, le pays tout entier devint prospère et satisfait de son
seigneur.
Conte d’Oldrich Sirovatka, trouvé sur le site : http://les-arabesques-de-triste-fee.e-monsite.com/
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